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Alain Gresh : ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, spécialiste du Proche-Orient. Rony Brauman : ancien président de Médecins Sans Frontières, enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI), chroniqueur à Alternatives Economiques.
Rédigé le 17/05/2024 à 16:08 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 23/06/2024 à 22:11 dans Gaza, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et le siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.
Samedi 16 juin 2024.
Ce dimanche, c’est l’Aïd el-Adha. C’est la plus importante fête de l’islam, à l’occasion de laquelle on sacrifie un mouton. Normalement, dans les premiers jours du mois de dhou al-hija1, avant l’Aïd qui a lieu le dixième jour, on se prépare spirituellement. Mais c’est aussi l’occasion de faire des achats, de préparer des gâteaux, et surtout d’offrir des cadeaux aux enfants. Ils reçoivent une enveloppe avec de l’argent, appelée aidiyeh, comme pour l’Aïd qui suit le ramadan. Ils font le tour de la famille pour voir les oncles, les amis, et surtout pour recevoir cette petite somme d’argent. D’habitude, j’achète aussi des chocolats. Aujourd’hui, dans toute la bande de Gaza on ne trouve plus un seul bonbon.
Beaucoup d’enfants vont fêter cet Aïd sans leurs parents, ni leurs frères et sœurs, parce qu’ils ont été tués dans les massacres. Ils n’auront personne pour leur acheter de nouveaux habits ou leur donner une aidiyeh.
Comme vous le savez, j’ai quatre enfants : les trois fils de ma femme Sabah et Walid, notre petit dernier. J’ai donné un surnom à chacun des quatre. Moaz, l’aîné, qui a 14 ans, je l’appelle ‘Abkarino, « le génie », parce qu’il utilise son cerveau de façon très maligne pour diriger ses frères et les faire travailler à sa place. Le deuxième, Sajid, a 12 ans et je l’appelle ‘Adalat, « Monsieur Muscle ». C’est le petit costaud qui est toujours là pour m’aider à remplir la citerne d’eau, à faire les courses, etc. Le petit Anas, 9 ans, je l’appelle « l’international », parce que c’est un mélange des deux. Il est très malin et il est musclé. Il utilise son cerveau et en même temps il utilise ses muscles, il est aimé par tout le monde, c’est un passe-partout. Je fais cette courte présentation avant de vous raconter comment Sajid a vécu cette préparation à l’Aïd dans cette situation de guerre où nous manquons de tout.
On offre toujours des habits aux enfants ce jour-là, parce qu’ils doivent être bien vêtus pour la fête, et c’est une occasion de renouveler leurs vêtements. Mais cette année, il n’y a pas d’habits à vendre dans toute la bande de Gaza. En avril, lors de l’Aïd al-fitr, le « petit Aïd » qui marque la fin du ramadan, nous avions eu la chance de recevoir un colis de France avec des vêtements. Là, en revanche, nous attendions un envoi, mais rien n’est encore arrivé au moment où j’écris ces lignes. Sajid rêve de vêtements neufs. Il a dit à sa maman : « J’ai vu qu’il y avait un endroit où on vend des habits pour khalo . » Les enfants de Sabah m’appellent ainsi, ce mot veut dire « oncle maternel ». J’ai souri parce que j’ai bien compris ce qu’il voulait dire : il espérait que si j’achetais des habits pour moi, je devrais aussi en prendre pour lui.
Je lui ai répondu, avec un sourire en coin, pour le faire un peu marcher : « Moi, je n’en ai pas besoin, tu sais. Et puis, pourquoi fêter l’Aïd ? On vit sous une tente, je n’ai pas besoin de beaux habits. Depuis huit mois je porte en alternance deux t-shirts et deux pantalons. »
Il n’a pas réagi, mais deux ou trois heures plus tard, il a dit : « Mais je crois qu’à Nusseirat, on pourra trouver quelque chose pour Walid. » Il s’est dit que si le prétexte ne fonctionnait pas avec khalo, peut-être qu’il pourrait utiliser Walid. Toujours avec le même sourire, j’ai dit : « Ce n’est pas le moment d’acheter des choses pour Walid, et de toute façon il n’y a plus rien sur les marchés. » Sajid a insisté : « Karim dit qu’à Nusseirat, il y a des habits pour les enfants, on pourra trouver des habits pour Walid. » Karim a le même âge que Sajid, mais c’est un jeune frère de Sabah. Sajid était un peu vexé, sa mère et moi avons continué à le taquiner. Finalement, je lui ai dit :
— Tu sais, on m’a dit qu’à Nusseirat, il y a une boutique qui vend des habits pour vous, ils ont exactement vos tailles, à tous les trois. Et apparemment, ce sont de beaux vêtements.
— Oui, oui ! J’en ai entendu parler aussi !
— Alors tu veux des habits pour l’Aïd ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit directement ?
— Je ne voulais pas te le dire parce que je sais que ce n’est pas le moment, mais tu sais que j’aime être bien habillé pour la fête, surtout si on va chez ma grand-mère, comme d’habitude.
Je lui ai dit qu’on allait se rendre à Nusseirat, même si je savais qu’on n’y trouverait pas grand-chose, parce que j’ai déjà cherché partout. Il n’y a plus rien sur les marchés dans toute la bande de Gaza. Finalement, on a quand même trouvé quelque chose, mais cela n’avait rien à voir avec des vêtements de l’Aïd. C’étaient peut-être des habits neufs, mais avant la guerre, on n’en aurait même pas voulu comme pyjama. Ces vêtements pour les trois enfants de Sabah nous ont coûté une fortune : 900 shekels (225 euros), alors qu’avant la guerre on aurait payé moins de 50 shekels (12 euros). Mais nous avons acheté ces vêtements pour faire plaisir eux enfants. Au moins, c’était nouveau. Tout le monde était content.
Si je vous raconte l’histoire de Sajid, c’est pour vous montrer que malgré tout ce qu’on est en train de vivre, les souffrances, les massacres, l’Aïd est toujours un rite important pour les enfants, loin de de tout ce qu’il se passe autour de nous.
C’est pour eux un moment de joie. Malheureusement, des milliers d’enfants n’ont pas eu de nouveaux habits, comme Sajid, parce qu’il n’y a presque plus de vêtements à acheter et que de toute façon la majorité des gens n’en ont pas les moyens. En outre, cette année, il n’y aura pas de sacrifice, parce qu’il n’y a pas de moutons ni de veaux dans toute la bande de Gaza. Les Israéliens empêchent l’entrée de l’aide humanitaire depuis presque deux semaines, et surtout, ils ont interdit l’entrée des moutons et des veaux pour l’Aïd. Quelques fermiers en ont, mais c’est loin de suffire pour tout le monde. C’est donc une fête manquée, à cause du poids dans nos esprits des massacres, des boucheries où des enfants ont perdu leurs parents, leurs proches, leurs maisons. Et puis on n’arrive pas à fêter au niveau spirituel, à vraiment vivre complètement cet événement, car le sacrifice est fortement recommandé pour ceux qui en ont les moyens.
Cet Aïd manqué nous rappelle le précédent, l’Aïd al-fitr, le « petit Aïd », quand on espérait une trêve pendant le ramadan. À chaque Aïd, on a l’espoir d’un cessez-le-feu, mais il n’arrive pas. Et là c’est pareil malheureusement. On fête l’Aïd sous les bombardements, au milieu des massacres, des crimes, des boucheries.
Malgré tout, j’étais content pour Sajid. Quand nous sommes rentrés chez nous, sous notre tente, il était si heureux qu’il s’est endormi avec ses nouveaux habits à côté de lui. Depuis deux jours, le matin, il se demande : « Est-ce que je porte ce pantalon ou celui-là ? Ce t-shirt ou l’autre ? » Et je suis heureux parce que je vois dans ses yeux qu’il est enchanté de ses vêtements. Et comme je fais tout pour que les enfants ne se rendent pas compte que nous sommes dans la misère, pour leur faire croire que nous menons une vie normale, même si c’est sous une tente, je suis content qu’ils pensent aux habits, à l’Aïd, et que Sajid ait demandé à Sabah de faire des gâteaux, des maamoul. Je suis heureux que Sajid ait ce caractère joyeux, et qu’il soit gourmand comme moi.
Je vois cette joie de vivre dans ses yeux et ceux de ses frères, ce plaisir de la fête, de s’éloigner pendant un moment des circonstances que nous vivons. J’espère qu’il y aura un cessez-le-feu et que les enfants pourront fêter l’Aïd comme il faut. Nos enfants ont vécu dans les pires conditions, ils méritent que tout ça s’arrête, et de vivre comme les autres enfants du monde, porter de beaux habits, recevoir des cadeaux, jouer dans les parcs d’attractions, aller au bord de la mer.
Vendredi, j’ai pu leur faire une surprise. J’ai apporté une petite piscine gonflable. Ils étaient ravis. Surtout Walid et « Monsieur Muscle », Sajid, qui a le cœur d’un petit enfant, et qui a joué avec Walid. Je suis tellement heureux de voir leurs yeux briller. Et d’avoir transformé notre tente en villa, avec une piscine qui fait la joie des enfants.
Rédigé le 22/06/2024 à 08:04 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Philosophiquement, on appelle menteur, celui qui dit le contraire de ce qui est, avec l’intention de tromper. Or, je ne sais pas ce qui s’est passé mais c’est parmi les nouveaux maîtres à penser qu’il y a le plus grand nombre de menteurs ! Permettez-moi d’épingler à mon tableau de chasse les plus brillants d’entre eux, des professeurs qui induisent leur monde en erreur. Je me contenterai pour les confondre de quelques contre vérités qui garnissent et pourrissent tous nos écrans : Alain Finkielkraut qui déclare haut et fort qu’il ne voterait jamais pour le Front Populaire à cause de son antisémitisme avéré.
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Rédigé le 21/06/2024 à 16:05 dans France, Israël, Lejournal Depersonne, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Mercredi, 257e jour de l'agression sioniste contre Ghaza, le nombre de victimes a atteint 37.396 martyrs et 85.523 blessés, a indiqué hier le ministère de la Santé de l'enclave. La même source a également précisé que l'occupation a commis, mardi, 3 massacres faisant 24 martyrs et 71 blessés.
Hier, l'armée sioniste a bombardé plusieurs régions à Ghaza au centre et au sud. Un correspondant d'Al Jazeera a fait état d'un bilan de 2 martyrs et de plusieurs blessés dans un bombardement israélien contre le camp de Nuseirat, dans le centre de la bande de Ghaza. Un autre bombardement contre le quartier d'Al-Zaytoun au sud-est de la ville de Ghaza a fait deux blessés, ajoute le journaliste. Toujours dans le quartier d'Al-Zaytoun, les Brigades Al-Qassam (Hamas) ont annoncé que leurs combattants ont ciblé les forces d'occupation israéliennes, qui tentaient de pénétrer le quartier, avec des obus de mortier de gros calibre. Au sud de la ville de Ghaza, on dénombre plusieurs martyrs et des blessés, dont certains sont restés coincés sous les décombres, après que l'armée d'occupation israélienne a bombardé une maison dans le quartier d'Al-Sabra.
A Rafah, comme partout ailleurs à Ghaza depuis le 7 octobre dernier, l'armée de l'occupation tente de camoufler son échec patent à venir à bout de la résistance palestinienne, en multipliant les bombardements contre les civils. Un correspondant d'Al Jazeera a rapporté le martyr de deux Palestiniens dans un bombardement de l'artillerie israélienne qui a visé les environs du rond-point d'Al-Alam, à l'ouest de la ville de Rafah.
La même source a indiqué également qu'un bombardement sioniste contre des tentes des personnes déplacées au nord ouest de la ville Rafah, dans la région d'Al-Mawasi, a fait au moins 5 martyrs et plusieurs blessées dans un bombardement israélien visant les tentes de personnes déplacées dans la région d'Al-Mawasi, au nord-ouest de la ville de Rafah.
Cité par Al Jazeera, la 12e chaîne israélienne a déclaré qu'après environ 40 jours de combats, l'armée sioniste est encore loin d'avoir accompli les tâches qui lui sont assignées à Rafah.
Par ailleurs, la radio de l'armée sioniste a déclaré, hier, avoir complètement détruit le point de passage de Rafah entre Ghaza et l'Egypte, le rendant totalement inexploitable.
Dr Iyad al-Rantisi torturé à mort par le Shin Bet
Les exactions israéliennes ne s'arrêtent pas qu'aux bombardements de civils, d'habitations et d'infrastructures de santé publique. Les civils de Ghaza, faits prisonniers par l'armée sioniste et emmenés dans les geôles de l'occupation en Palestine occupée, sont soumis à des traitements barbares que le monde dit « libre » n'ose pas dénoncer, de peur de froisser un allié utile ou carrément par adhésion à ces pratiques inhumaines.
Dr Iyad al-Rantisi, un éminent médecin palestinien de Ghaza est tombé en martyr alors qu'il était en garde à vue par la police politique israélienne, six jours seulement après son arrestation en novembre dernier, a rapporté le média israélien Haaretz. Cette information intervient quelques heures après que le ministère de la Santé de Ghaza a annoncé la mort du Dr al-Rantisi. Le Dr Iyad al-Rantisi, 53 ans, chef de service de gynécologie obstétrique de l'hôpital Kamal Adwan de Beit Lahia, au nord de Ghaza, a été arrêté par l'armée israélienne en novembre dernier. Il est décédé à la prison de Shikma, une semaine après son arrestation dans un centre d'interrogatoire du Shin Bet, l'agence de renseignement intérieure israélienne, à Ashkelon, dans le sud de la Palestine occupée, a indiqué Haaretz. Le Shin Bet a prétendu que Dr al-Rantisi était impliqué dans la dissimulation de captifs israéliens.
Dans une déclaration à Haaretz, le Dr Husam Abu Safia, directeur de l'hôpital Kamal Adwan, a indiqué qu'al-Rantisi a été arrêté à un poste de contrôle militaire alors qu'il tentait de se déplacer du nord au sud de Ghaza, suite aux ordres d'évacuation donnés par l'armée israélienne au début de l'agression. Le martyr d'al-Rantisi intervient un mois et demi après celui du Dr Adnan al-Bursh, chef de service orthopédique à l'hôpital al-Shifa de Ghaza, décédé début mai en détention dans une prison sioniste.
Arrestation de plus de 300 personnels de santé
Le bureau des médias du gouvernement à Ghaza a rendu public, mardi, une déclaration sur la situation concernant le traitement du personnel médical palestinien par les forces israéliennes. Le communiqué a appelé à une «enquête internationale sur les crimes d'arrestation et d'exécution de personnel médical palestinien par l'occupation», ajoutant que «l'exécution par l'occupation du docteur Iyad al-Rantisi en prison est un crime horrible». «Nous exigeons la libération par l'occupation des 310 membres du personnel médical qui sont soumis à la torture», a ajouté le communiqué, qui a tenu «l'occupation et l'administration américaine pour responsables de la vie et de la sécurité du personnel médical.» Les arrestations de centaines de membres du personnel médical et les exécutions sommaires de plusieurs d'entre eux par l'armée et les services de sécurités sionistes, interviennent au moment où la situation dans les hôpitaux de Ghaza est des plus catastrophique au monde après plus de huit mois d'agression. Dans un reportage effectué à l'hôpital des martyrs d'Al-Aqsa, de Deir el-Balah, dans le centre de Ghaza, la journaliste Hind Khoudary, d'Al Jazeera English, décrit un personnel médical « épuisé».
Devant l'afflux de dizaines de martyrs et de blessés après une série de bombardements sionistes, l'hôpital Al-Aqsa est vite débordé. «La plupart des blessés étaient dans un état grave. Il s'agit d'un établissement de santé qui tente de soigner au moins un million de Palestiniens » du centre de l'enclave, rapporte la journaliste.
« Cet hôpital fonctionne avec un seul générateur faute de carburant » et « n'a reçu aucune fourniture médicale depuis l'invasion de Rafah car aucune aide n'est arrivée dans la bande de Ghaza. Les médecins se disent très dépassés. Ils sont épuisés et travaillent avec très peu de ressources pour sauver la vie de centaines de Palestiniens», affirme encore Hind Khoudary.
L'agression sioniste a engendré d'importants dégâts
Les bombardements incessants de l'armée israélienne à Ghaza ont engendré une pollution sans précédent aux ressources naturelles de l'enclave, provoquant une détérioration avant des sols, de l'eau et de la qualité de l'air dans la région, détruisant les systèmes sanitaires et laissant des dizaines de millions de tonnes de débris, selon un rapport de l'ONU sur l'impact environnemental de l'agression sioniste.
Le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) a publié un rapport qui souligne « l'impact profond » de la guerre menée par Israël dans la bande de Ghaza. Les conclusions du rapport estiment à environ 39 millions de tonnes de débris engendrés depuis le 7 octobre 2023.
« L'escalade du conflit depuis le 7 octobre 2023 a clairement eu un impact profond sur la population et l'environnement à Gaza », note le document, soulignant que « les bombardements intensifs d'Israël ont conduit à une intensité de destruction sans précédent en termes d'infrastructures, d'actifs productifs, et de prestation de services ». Le PNUE souligne aussi que la population de Ghaza a été exposée à des risques de pollution du sol, de l'eau et de l'air, causant des dommages irréversibles aux écosystèmes naturels.
Le document a appelé à un cessez-le-feu immédiat pour protéger les vies et atténuer les effets environnementaux à long terme.
par Mohamed Mehdi
Jeudi 20 juin 2024
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?category=6
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Rédigé le 20/06/2024 à 13:20 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Ses ambiguïtés et paradoxes, elle les a racontés jusqu'à se « peopoliser ». Ex-présentatrice du journal télévisé de TF1, elle a incarné sans pétulance l’image d’une chaîne au sommet. Actuellement sur les planches du théâtre de Poche Montparnasse, elle livre à « L’Orient-Le Jour » ses envies et souvenirs, une décennie après son éviction…
Claire Chazal est tous les lundis sur la scène du théâtre de Poche Montparnasse pour lire les textes de ses auteurs préférés. Photo Sébastien Toubon
Le regard trouble, les mains moites et l’air sévère, Claire Chazal s'apprête à prendre l’antenne. Des journaux, elle en a déjà préparé des centaines. Si elle est, depuis quatre ans, le nouveau visage de l’information de TF1, l’ex-reporter réputée pour son stoïcisme peine à dissimuler son angoisse en ce 6 novembre 1995. Car elle le sait, tous ses mots seront scrutés, tous ses gestes analysés.
Loin de son traditionnel plateau aux parquets et panneaux luisants, elle relit une dernière fois ses fiches en attendant l’installation du prompteur. À moins d’un kilomètre du Mur des lamentations, c’est avec gravité que les équipes rédactionnelles se retrouvent au centre de Jérusalem, moins de 48 heures après l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, tué à Tel-Aviv par un militant d’extrême droite.
« C’était la première fois que je présentais le 20 heures en extérieur. En apprenant la nouvelle dans la nuit de samedi à dimanche, nous avons immédiatement pris la mesure de l'événement et avons décidé de délocaliser nos moyens pour couvrir les obsèques sur place », raconte Claire Chazal à L’Orient-Le Jour, près de trente ans après « cette soirée qui a fait basculer les équilibres de la région ».
La cérémonie, sobre, voit Bill Clinton, John Major, Jacques Chirac et une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement défiler sur le mont Herzl pour saluer « l’artisan de la paix au Proche-Orient » comme le titrent nombre de quotidiens français à l'époque. Le roi Hussein de Jordanie et le président égyptien Hosni Moubarak font, à la surprise générale, le déplacement. « Fait marquant », note Claire Chazal, outre les images d’un Yasser Arafat atterré suivant les retransmissions des funérailles devant son poste de télévision à Gaza.
« Si avec les discours prononcés à la tribune, personne ne voulait enterrer l’accord d’Oslo avec le corps de Rabin, tout le monde a vite compris que rien ne serait plus jamais pareil, que la paix ne serait pas envisageable. Malheureusement, ça se vérifie en ce moment », analyse la présentatrice qui tient, pendant plus d’une heure, une édition spéciale marquée par les prises de parole de représentants du parti travailliste au pouvoir.
Claire Chazal se dit aujourd’hui enfin apaisée, près de dix ans après son départ surprise de TF1. Photo Sébastien Toubon
« Des journaux aussi exceptionnels, j’en ai fait plusieurs depuis, puisque ça s’est rapidement popularisé. Les sorties des studios sont devenues plus fréquentes pour mieux raconter le terrain », étaye la sexagénaire, émue de partager les coulisses de ces moments ayant fait d’elle l’une des figures les plus reconnaissables de la petite lucarne hexagonale, presque une décennie après son départ précipité de la première chaîne d’Europe…
Une people au journal
Au firmament des années 1990, les stars de télévision délaissent le voyeurisme décomplexé et la désinvolture assumée des sulfureuses eighties pour un style emphatique et épuré, plus en adéquation avec ce que recherchent désormais les stations généralistes. Michel Drucker a fermé ses Champs-Élysées, La Cinq de Silvio Berlusconi se dispose à faire de même.
Alors que le paysage médiatique convulse et se questionne sur les sujets de société brûlants au travers de débats et de talk-shows, les rédactions des journaux télévisés souhaitent quant à elles féminiser leurs images et audiences, branchées costard-cravate.
« J’ai clairement profité du fait que les dirigeants voulaient mettre plus de femmes devant la caméra », admet Claire Chazal. « J’aurais pu rester dans le domaine de la presse écrite ! Sauf que le destin en a voulu autrement », renchérit celle qui a fait ses débuts sur Antenne 2 en tant que grand reporter économique.
Mais c’est sur TF1, en plein été 1991, que s'accélère la carrière de la trentenaire, nouvelle incarnation du JT des week-ends. Brusquement, les balbutiements d’une savoureuse notoriété viennent secouer la discrète lignée des ex-présentatrices de journaux, austères émérites. Les têtes couronnées n’intéressent plus, l’heure est au vedettariat des papes et papesses des messes de 20 heures, plus glamours.
Claire Chazal sur le plateau de son JT, le 24 février 2013. Photo Patrick Kovarik/AFP
« Quand on est trois ou quatre jours par semaine en direct, on devient un personnage public, il faut l’accepter, l’assumer », explique l’illustre blonde qui accumule alors les couvertures de Paris Match et les séances de confessions bisannuelles.
Claire à la plage, Claire à la maison, Claire et ses amants, la présentatrice intrigue, fascine et cultive en dehors de son studio bleu marine une image de femme affranchie, loin des carcans imposés à ceux qui souhaitent s’adresser à la France profonde – Jean-Pierre Pernaut en tête de file.
« J’ai constaté qu’il y avait de la curiosité envers ma personne, j’y ai répondu. Avec le recul, je me demande si je n’en ai pas trop dit… Je suis partie du principe que je n’avais rien à cacher. Mais la presse aguicheuse, elle, je l’ai toujours attaquée en justice ! » relate-t-elle, longtemps assiégée par les paparazzis et abonnée, malgré elle, aux unes de la « presse jaune », clichés volés et folles rumeurs à l’appui.
Trame des drames
Philosophe, calme, parfois lisse, Claire Chazal est pourtant d’une curieuse imperturbabilité une fois la lumière rouge de la caméra allumée. Sur son plateau, elle accueille hommes et femmes de pouvoir, artistes populaires comme médiatiquement rares, entre deux reportages.
De son entretien avec Laurent Fabius, venu se défendre après l'affaire du sang contaminé, au plaidoyer de Dominique Strauss-Kahn, poursuivi pour agression sexuelle et viol sur une femme de ménage du Sofitel de Manhattan, les figures d’autorité déchues savent que le tribunal médiatique se joue presque exclusivement sur les ondes de la chaîne privée tricolore. « Ces interviews pouvaient s’avérer très éprouvantes. Je jouais ma crédibilité de journaliste autant que ces personnalités jouaient leurs avenirs. Il fallait être plus que solide pour les questionner », observe Claire Chazal qui ne s’absentera qu’une fois du cœur de l’actualité.
Claire Chazal, c’est entre 7 et 12 millions de téléspectateurs tous les week-ends de 1991 à 2015. Photo Sébastien Toubon
Le 31 août 1997, il n’est même pas 6h quand Robert Namias, alors directeur de l’information de TF1, prend exceptionnellement les rênes d’un flash spécial interrompant tous les programmes. Sans nouvelle de sa présentatrice phare, injoignable depuis la veille, ce dernier annonce aux téléspectateurs la mort de Lady Diana, victime d’un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris.
S’en suivront plus de six heures de direct et une succession d’émissions retraçant inlassablement la nuit du drame avec le retour d’une Claire Chazal dont l’absence matinale suscite les ragots les plus insensés. « La vérité, je peux enfin la dire, c’est que j’avais décroché tous mes téléphones parce que à cette période je recevais des appels intempestifs toute la nuit chez moi. Des appels anonymes troublants que je ne pouvais plus entendre », expose-t-elle à L'OLJ sans vouloir épiloguer. « Vous savez, j’ai été suivie par des fous ! C’est ainsi… J’ai fini par apprendre la nouvelle en écoutant la radio et j’ai accouru ! Des moments historiques, les grandes stations ne peuvent plus les vivre. Avec les chaînes d’information en continu, cette même adrénaline n’existe plus », souligne-t-elle, regrettant une ère où les courbes d’audimat frôlaient, sans raison particulière, les dix millions…
Botter en touche
Neuf ans après son éviction controversée de TF1, c’est avec une certaine froideur que Claire Chazal déambule dans les rues parisiennes. L’air inaccessible, les cheveux attachés, elle salue les passants devant la terrasse de café où elle s’est installée et répond, apaisée, aux questions concernant son licenciement. « C’était violent, je ne l’ai jamais caché. Ce n’était pas mon choix, mais celui, très personnel, d’un individu qui était mon patron », élabore la journaliste qui ne se résout pas à prononcer le nom de Nonce Paolini. Celui qui était alors dirigeant de la chaîne, en souhaitant moderniser et rajeunir l’image du JT, la remplace par Anne-Claire Coudray, son joker. « Je n'en veux absolument pas à Anne-Claire ! N’importe qui accepterait une offre pareille ! » lance-t-elle élégamment, en affirmant continuer de guetter ce journal qu’elle a incarné.
Aujourd’hui aux manettes de divers magazines culturels sur les chaînes de France Télévisions – qu’elle rejoint quatre mois après sa mise à pied de TF1 actée –, notamment le Grand Échiquier, occasionnellement en prime time sur France 2, Claire Chazal dit avoir retrouvé un regain de normalité, entre des lectures animées sur les planches des théâtres parisiens et sa passion inchangée pour la musique et danse classiques.
« Je n’aime pas tellement l’époque, vous savez », confie-t-elle en pointant du doigt la place qu’occupent les réseaux sociaux dans la sphère politico-médiatique et ce « tribunal de l’opinion où les jugements se font à l'emporte-pièce avec toute absence de nuance ».
De son célèbre ex-conjoint et père de son seul enfant, François, né en 1995 de sa relation avec Patrick Poivre d’Arvor, autre grande figure des bulletins d’information, elle ne dit rien. Accusé publiquement par plus de 90 femmes de viols et de harcèlements sexuels sur plusieurs décennies, l’ancien présentateur à l’image écornée est plus que jamais persona non grata des cercles intellectuels et audiovisuels dans lesquels il a évolué en parfaite impunité. « Je ne parlerais pas de cette affaire, j’ai déjà dit nettement les choses », répond sèchement Chazal. « Je n’ai jamais ressenti que j’étais entièrement mêlée aux hommes qui ont partagé ma vie. C’est ma carrière, mon parcours qu’on respecte », indique-t-elle en fermant l’incommodante parenthèse PPDA.
Si, jusqu'à récemment, elle ne cache pas son envie de devenir, peut-être un jour, ministre de la Culture, Claire Chazal, en pleine écriture de son prochain ouvrage et actuellement sur les planches du théâtre de Poche Montparnasse pour faire découvrir ses lectures favorites, elle soulève aujourd’hui son inquiétude face à la montée des extrêmes dans une France morcelée.
« Tenter d’expliquer l’actualité a été un honneur, reconnaît l'icône du petit écran. Mais aujourd’hui, elle est tellement asphyxiante, tellement douloureuse… »
OLJ / Par Karl RICHA, le 20 juin 2024 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1417704/claire-chazal-a-jerusalem-jai-compris-quune-paix-ne-serait-jamais-possible.html
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Rédigé le 19/06/2024 à 20:42 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
La Tunisie fait partie des rares pays arabes où la solidarité populaire avec Gaza peut s’exprimer librement, car elle est également prise en charge par le régime de Kaïs Saïed. Mais comme ailleurs, cette actualité n’est pas autonome du contexte politique et social local et peut en faire les frais, malgré un attachement sincère de la population à ce combat anticolonial.
« Nous sommes actuellement au cœur d’une guerre de libération », déclarait le 3 novembre 2023, non pas le chef de la branche militaire du Hamas, mais le président de la République Kaïs Saïed. Si le soutien à la Palestine fait consensus en Tunisie, il ne cesse d’alimenter la rhétorique de la présidence en faveur d’une Palestine exclusivement arabe de la mer Méditerranée au Jourdain. Une position partagée par le ministre Nabil Ammar au sommet arabe de Manama, au Bahreïn, le 16 mai dernier. Il émettait ainsi des réserves sur la déclaration finale de la rencontre, en particulier concernant les termes inacceptables de « frontières du 4 juin 1967 », « solution à deux États » et « Jérusalem-Est ».
Cette prise de position ferme, empreinte de nationalisme arabe, contraste avec une diplomatie bourguibiste en faveur d’une solution à deux États. Elle s’inscrit toutefois dans un soutien au long cours, incluant notamment l’engagement de Tunisiens dans les guerres contre Israël dès 1948, et l’accueil à Tunis, en 1982, de Yasser Arafat et de près de 10 000 combattants, quittant Beyrouth, pour y transférer le siège de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Dans ce contexte, la Tunisie a même été la cible d’un bombardement israélien le 1er octobre 1985, dans la banlieue sud d’Hammam Chatt où le leader palestinien devait tenir une réunion. Le raid avait tué 50 Palestiniens et 18 Tunisiens. L’OLP a perdu également dans ces années-là deux de ses figures centrales, Abou Jihad et Abou Iyad, assassinés à Tunis en 1988 et 1991.
Surfer sur le caractère consensuel de la cause palestinienne permet en outre de flatter une opinion publique déjà acquise et d’internaliser la question, au détriment d’autres priorités politiques. Présentée en juillet 2023, mais mise à l’ordre du jour après le 7 octobre, une proposition de loi criminalisant la normalisation « avec l’entité sioniste », soit toute relation avec des Israéliens, a été discutée au Parlement. Une initiative qui soulève des doutes chez Sophie Bessis :
La normalisation est inacceptable tant que les Palestiniens continueront d’être colonisés et leurs droits ignorés. La criminalisation n’est pas réaliste et elle peut même desservir la cause palestinienne dans la mesure où toutes les luttes de décolonisation, de l’Indochine à l’Algérie, ont été gagnées grâce à des convergences entre les mouvements de libération et les gauches anticolonialistes de l’État colonisateur.1
L’historienne pointe également du doigt des difficultés pratiques de mise en œuvre. Au final, les débats législatifs ont rapidement été ajournés de manière tout aussi loufoque que précipitée par le président de l’Assemblée des représentants du peuple. Il a ainsi affirmé, pendant la séance parlementaire du 2 novembre 2023, que « le président de la République a affirmé […] que ce projet de loi porterait atteinte aux intérêts extérieurs de la Tunisie », évoquant notamment une menace sur la sécurité de l’État. D’aucuns évoquent des pressions états-uniennes.
Si des tentatives pour se prémunir de toute normalisation avec Israël sont compréhensibles étant donné la multiplication, depuis les accords d’Abraham de 2020, de tels rapprochements des États arabes, on peut s’étonner de la timidité des offensives diplomatiques tunisiennes. Après une première abstention en octobre 2023, la Tunisie a voté deux mois plus tard en faveur de la résolution exigeant un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza et la libération de tous les otages. Mais aucun des ambassadeurs états-unien, allemand, ni français ne semble jamais avoir été convoqué, malgré les prises de position de leurs gouvernements.
En matière de justice internationale, la Tunisie n’a pas saisi la Cour pénale internationale alors qu’elle est partie au statut de Rome. Elle n’est pas non plus intervenue dans la requête, déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud contre Israël auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), au sujet de manquements allégués aux obligations qui lui incombent au regard de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En revanche, sur instruction présidentielle, elle a présenté le 23 février, comme 48 autres États, un exposé oral sur la demande d’avis consultatif de la CIJ sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est.
Pour la militante Jawaher Channa, responsable de la Coordination de l’action commune pour la Palestine, « la position radicale de la Tunisie reste en soi intéressante », car « elle empêche de fait toute normalisation avec l’entité sioniste, et contrebalance d’autres positions diplomatiques plus nuancées. » Cette posture permettrait de dialoguer avec toutes les factions palestiniennes et de ne pas écarter la résistance armée comme option. Elle protègerait aussi l’activisme propalestinien de la censure, ce qui n’est pas le cas, par exemple, chez le voisin égyptien.
Plus concrètement, ce soutien politique affiché à la Palestine s’est traduit par l’envoi dès le 15 octobre 2023 de frets humanitaires, l’accueil de dizaines de blessés gazaouis dans un hôpital de campagne au sein du gouvernorat de Ben Arous – que les journalistes n’ont malheureusement pas loisir à rencontrer —, et par une campagne de dons du Croissant rouge tunisien (CRT), exclusivement mandaté par les autorités pour organiser le soutien à Gaza. Cette campagne, lancée début novembre, a cependant été critiquée par l’association de lutte contre la corruption I Watch, à cause de sa gestion et son manque de transparence, d’autant que le CRT n’en est pas à ses premières réprobations. La guerre contre la corruption apparait pourtant comme le fer de lance du nouveau régime présidentiel.
S’il est difficile d’apprécier les effets de ces initiatives, la société tunisienne a d’emblée témoigné de sa solidarité avec Gaza, en premier lieu avec de nombreuses manifestations organisées par le Comité de soutien à la résistance palestinienne, rassemblant diverses associations et organisations, dont la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). Ces manifestations étaient probablement parmi les plus importants rassemblements sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis, depuis 2011. Les universités se sont montrées moins actives : seules quelques actions éparses ont été organisées, comme à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) de la Manouba, dans le Grand Tunis.
Au-delà des mobilisations, le soutien reste visible dans l’espace public, par l’affichage de drapeaux et de symboles palestiniens. Plus généralement, de nombreux événements culturels sont « palestinisés » : qu’ils soient musicaux, littéraires ou cinématographiques, la cause palestinienne est a minima mentionnée.
La 6e édition du Festival Gabès Cinema Fen, qui s’est tenu du 27 avril au 1er mai dans le sud-est du pays, a ainsi été engagée sur la question, et particulièrement sur celle de la vision d’un génocide en direct à Gaza, comme le précise la responsable du bureau de presse Shayma Abidi :
Malgré le refus de certaines subventions pour des raisons de principes, et un budget réduit, le comité directeur a tenu à lier cette nouvelle édition du festival avec l’actualité à Gaza. Et notamment la question d’une réalité (le génocide) qui produit sa propre image, et celle du boycott de circuits de financements et des alternatives possibles.
Le cinéma semble en effet un vecteur privilégié de conscientisation. Partout en Tunisie, un certain nombre de films palestiniens ou en lien avec la Palestine sont projetés, que ce soit à travers le cycle « Regards de Palestine » au Cinémadart à Carthage, dans la banlieue nord de Tunis, ou encore la « Semaine du cinéma palestinien » à la Cinémathèque, avec notamment les films Gaza mon amour des frères Tarzan et Arab Nasser (2020) et Alam de Firas Khoury (2022). Mais aussi, fin avril, lors du Festival international de poésie de Sidi Bou Saïd, avec la projection de Genet à Chatila de Richard Dindo (1999).
À la suite de l’annulation burlesque des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) fin octobre 20232, le collectif Journées du cinéma de la résistance a été créé pour projeter librement des films palestiniens dans l’espace public, incluant la façade de l’Institut français de Tunisie (IFT), mais aussi lors de festivals, comme celui du média indépendant en ligne Nawaat.
« Il ne faut pas cesser de parler du génocide en cours, renchérit Jawaher Channa qui justifie : Dès les premières semaines après le 7 octobre, des événements ont été annulés, car le cœur n’y était plus ». Puis est venu le temps des actions, avec en particulier une campagne de boycott qui ciblait notamment l’enseigne de supermarchés Carrefour : « Fin 2023, même en l’absence de chiffres précis, on estime que les pertes sont importantes, en regard des chiffres de la bourse et la riposte du groupe par des campagnes publicitaires massives. » Les effets auraient surtout étaient marqués à la fin de l’année avant de s’estomper. Sans crainte d’indécence étant donné son investissement dans les colonies israéliennes et sa livraison de denrées alimentaires aux soldats israéliens après le 7 octobre, la marque a diffusé des communiqués de solidarité avec la Palestine au sein de sa centaine de magasins franchisés en Tunisie. La campagne de boycott n’aura pas empêché Carrefour Tunisie de remporter le titre de meilleur service client de l’année 2024…
Se pose dans le même temps la question des emplois occupés par des Tunisiens et possiblement menacés, et de la médiatisation de ce boycott, encore insuffisante. « Cibler des marques précises et décentraliser les actions permettent d’avoir un impact plus fort », nous confirme Jawaher Channa, en revenant sur une action devant un Carrefour de Sousse, ville côtière à 140 km au sud de Tunis. Beaucoup de listes de boycott incluant plusieurs dizaines d’entreprises et relayées sur les réseaux sociaux sont critiquées par le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui préfère se concentrer, par souci d’efficacité, sur quelques produits grand public, d’autant que rien n’explique la présence de plusieurs marques locales sur ces listes. Reste que si personne ne se déclare publiquement contre le boycott, les efforts individuels sont à géométrie variable, pas forcément durables, et illustrent surtout, en creux, une situation de dépendance économique.
Des groupes quasi monopolistiques comme Délice, en partenariat avec Danone, contrôlent par exemple la production et la distribution de produits laitiers. Pour Ghassen, propriétaire d’un café dans le centre-ville de Tunis, le boycott peut réellement avoir un impact : « J’ai arrêté depuis plusieurs mois de proposer des sodas et, en particulier, du Coca-Cola3. » Il reconnaît toutefois que cela s’avère plus compliqué avec les produits laitiers. D’autant que localement aussi, dans les épiceries de quartier, Délice assure une grande partie de la distribution et investit les devantures, ce qui renforce ses moyens de pression, en termes de choix de produits et de publicité, et limite encore davantage la possibilité d’alternatives. La lutte contre les monopoles alimentaires reste pourtant érigée en priorité au plus haut niveau de l’État. Dans le sillage de la campagne BDS, des groupes continuent de se mobiliser sur les réseaux sociaux pour cibler des produits, et des applications comme No Thanks ou encore Boycott X sont utilisées. Cela a convaincu Héla, responsable de ventes au centre commercial Tunisia Mall, de rejeter toute marque en lien avec Israël : « J’ai tout simplement renvoyé les articles », nous confie-t-elle.
D’autres opérations plus ciblées contre des initiatives gouvernementales occidentales ont également lieu. Le stand de l’Italie à la Foire internationale du livre de Tunis, fin avril, a ainsi été perturbé, et l’IFT figure parmi les cibles de choix. Parmi les dernières actions en date, le 12 mai, l’Institut a décidé de recouvrir sa façade extérieure, taguée par divers slogans, avec une « fresque murale » peinte par des artistes tunisiens. Diverses activistes, dont Jawaher Channa, ont alors immédiatement entrepris de la décrocher, considérant la démarche comme étant une censure de la liberté d’expression du peuple tunisien. À quoi l’Institut répondait en évoquant les mêmes arguments.
Certaines prises de position d’activistes font que ces derniers sont parfois perçus comme « plus palestiniens que les Palestiniens », à l’instar des critiques ouvertes envers le Festival international de Dougga, prévu du 29 juin au 10 juillet, à cause de son financement par les instituts culturels français, allemand et britannique, malgré une programmation où la solidarité avec la Palestine est présente, et alors que les organisateurs n’ont pas obtenu de subvention de la part du ministère de la culture. On reproche également à ces derniers la programmation du groupe égyptien Cairokee, car son leader Amir Eid a tourné un spot publicitaire pour Yves Saint Laurent. Or, non seulement le tournage de la publicité en question est antérieur au 7 octobre, mais le groupe est connu depuis 2011 pour ses engagements politiques. Cairokee a notamment signé, fin novembre 2023, le single « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause »), devenu un véritable hymne pour la jeunesse du monde arabe sur la guerre génocidaire en cours à Gaza.
Les 11 et 12 mai, au Palais des congrès de Tunis, se tenait le Forum social Maghreb-Machreq pour la Palestine, avec une session extraordinaire intitulée « La guerre contre la bande de Gaza est un défi aux valeurs humanitaires et démocratiques », en présence de nombreuses personnalités telles que la rapporteure spéciale pour l’ONU sur la Palestine Francesca Albanese, la présidente de l’Union juive française pour la paix (UJFP) Michèle Sibony, l’intellectuel et chercheur tunisien Maher Hanin ou encore la juriste et désormais députée européenne Rima Hassan. Si la tenue d’un tel événement dans la région ne peut être que saluée, la fréquentation des différents ateliers, dont celui dédié au boycott, ne dépassait pas quelques dizaines de personnes.
Rappelant la nécessité impérieuse d’en finir avec les actions génocidaires dans l’enclave palestinienne, la plupart des interventions faisaient la part belle à l’hypocrisie de « l’Occident ». Il va de soi que l’hostilité envers des États occidentaux, États-Unis et France en tête, est catalysée par l’ensemble de ces mobilisations citoyennes et reflète la volonté de s’extraire de logiques coloniales, à différentes échelles, politiques et économiques. En écho à l’éthos d’Israël, c’est derechef ce prisme qui continue ici et là de rentrer en résonance. Et la perte de crédibilité de gouvernements occidentaux, par leur double standard appliqué aux valeurs qu’ils prétendent porter, affaiblit mécaniquement les progressistes qui oseraient se réclamer de ces mêmes valeurs humaines.
À l’heure où le resserrement autoritaire à l’encontre des migrants subsahariens et des corps intermédiaires (opposants politiques, avocats, journalistes, associations) ne fait aucun doute en Tunisie, dans une tentative de museler tous les contrepouvoirs à quelques mois d’une élection présidentielle censée se tenir avant fin octobre 2024 (mais qui n’est toujours pas annoncée), ces mêmes valeurs humaines sont d’autant plus indispensables qu’elles pourraient autant être mobilisées pour les Palestiniens que pour tous les autres combats. Les dernières manifestations de la société civile à Tunis fin mai n’ont toutefois rassemblé que quelques centaines de personnes.
Rédigé le 19/06/2024 à 05:07 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
Communiqué de l’AFPS
Photo : Marine Le Pen à la tribune, 22 avril 2012 © Rémi Noyon / Dimon, Netanyahu, World Economic Forum Annual Meeting Davos 2009 © World Economic Forum
Le résultat des élections européennes en France avec une large victoire des listes d’extrême-droite a provoqué un séisme politique. Avant même l’annonce officielle de ce résultat, le Président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et annoncé la tenue de nouvelles élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains.
L’éventualité que les partis d’extrême-droite et de droite extrême emportent une majorité de sièges suffisante pour gouverner le pays serait un second séisme politique qui mettrait gravement en danger les valeurs que l’AFPS partage avec nombre de nos concitoyens. Notre engagement auprès du peuple palestinien est synonyme d’humanisme, de fraternité et de solidarité. Il est fondamentalement contre tous les racismes. Il nous amène à défendre bec et ongles la liberté d’expression citoyenne, le droit à une information non biaisée et surtout le droit inaliénable des peuples à l’autodétermination. Toutes ces valeurs sont régulièrement brocardées et combattues par les organisations d’extrême-droite françaises qui n’hésitent jamais à apporter leur soutien aux États et gouvernements qui comme Israël, répriment, emprisonnent et massacrent les peuples colonisés victimes d’apartheid et d’oppression.
Au nom de ces valeurs, l’AFPS a participé récemment à des campagnes unitaires contre l’extrême-droite et pour les libertés publiques avec des dizaines d’autres associations, partis et syndicats. Nous continuerons évidemment à soutenir ces mobilisations citoyennes pour éviter le pire à notre pays.
Pour autant, les préoccupations de plus de deux millions de Palestinien⸱nes de Gaza restent entièrement tournées sur leur présent et leur futur immédiat. C’est la mort qui plane en permanence sur le ghetto où on les a enfermé⸱es.
La mort qui peut tomber du ciel à tout instant ou la mort à petit feu par la famine qui s’installe chaque jour un peu plus sont leur lot quotidien. Plus de 39 000 morts en huit mois de guerre, près de 80 000 blessé⸱es et 1,5 million de personnes directement concernées par la famine d’ici la mi-juillet selon les organismes internationaux si le cessez-le-feu définitif n’intervient pas d’ici là... Nous ne pouvons pas occulter le génocide en cours à Gaza et toutes les exactions commises en Cisjordanie et à Jérusalem-est par l’occupation israélienne.
S’il est légitime qu’en France les esprits soient occupés d’abord par une actualité politique totalement inédite, nous n‘avons pas le droit d’oublier l’immense détresse des Palestinien⸱nes de Gaza, qui comptent sur les États du monde pour contraindre Israël à mettre un terme à leur martyre.
Nous devons rester mobilisé.es pour que la France et l’Europe pèsent de tout leur poids pour que les enfants de Gaza et le peuple palestinien dans son ensemble puissent enfin considérer leur avenir autrement que dans la terreur de l’instant d’après.
Partout où c’est possible, l’AFPS participera, en accord avec les associations, partis et syndicats qui les organiseront, aux rassemblements et manifestations contre le risque d’une victoire de l’extrême-droite en France pour y brandir le drapeau palestinien. Nous y partagerons nos exigences d’un cessez-le-feu immédiat et définitif à Gaza, d’une entrée massive de l’aide humanitaire et la fin de l’occupation, de la colonisation et de l’apartheid. Nous y participerons pour défendre les mêmes valeurs de fraternité, de solidarité et d’égalité que ce soit en France ou en Palestine occupée.
Le Bureau National de l’AFPS, le 12 juin 2024
SOURCE : Combattre l'extrême-droite qu'elle soit française ou israélienne ! - Association France Palestine Solidarité (france-palestine.org)
Par micheldandelot1 dans Accueil le 15 Juin 2024 à 21:10
http://www.micheldandelot1.com/
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Rédigé le 16/06/2024 à 15:07 dans Gaza, Israël, L’extrême-droite , Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Alors que l'armée israélienne a annoncé observer une « pause tactique » de ses opérations, un calme relatif règne dans l'enclave palestinienne en ce premier jour de la fête de l'Adha.
Des enfants palestiniens de Gaza lors de la fête de l'Adha à Khan Younès, le 16 juin 2024. Bashar Taleb/AFP
Des dizaines de Gazaouis priaient au lever du soleil dimanche, au premier jour de la fête de l'Adha, entourés d'immeubles détruits, dans un paysage de désolation, signe d'une guerre qui fait rage depuis huit mois dans l'enclave palestinienne.
"Il n'y a aucune joie. On nous l'a volé", déplore Malakiya Salman, quelques heures après le début de cette grande fête musulmane. Son abri de fortune, une tente, est plantée sous le soleil brûlant de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.
Traditionnellement, les habitants de ce petit territoire palestinien sacrifient des moutons pour l'Aïd, partagent la viande avec ceux dans le besoin et offrent aux enfants des cadeaux ou de l'argent.
Mais cette année, le cœur n'est pas à la fête après plus de 240 jours de bombardements incessants et d'opérations militaires qui ont déplacé 75% des quelque 2,4 millions d'habitants du territoire menacé par la famine, selon l'ONU.
"J'espère que le monde va faire pression pour arrêter la guerre pour nous car on est littéralement en train de mourir et nos enfants sont brisés", ajoute Malakiya Salman, 57 ans, déplacée avec les siens de Rafah, ville à la lisière sud de la bande de Gaza, devenue depuis quelques semaines l'épicentre des combats.
Dimanche matin, l'armée israélienne a annoncé une "pause tactique" quotidienne de 8h à 19h, "jusqu'à nouvel ordre", dans la zone allant de Kerem Shalom, passage dans le sud d'Israël, jusqu'à la route Salaheddine à Gaza, puis vers le nord du territoire palestinien.
Elle a été décidée pour permettre une "augmentation du volume d'aide humanitaire entrant dans Gaza" après des discussions avec l'ONU notamment, a-t-elle précisé dans un communiqué.
Dimanche, des journalistes de l'AFP ont rapporté que le nord et le centre de la bande de Gaza bénéficiaient d'un moment de répit, n'ayant pas connaissance de frappes ou de combats. Mais des tirs et un bombardement ont touché la ville de Rafah, ont-ils précisé.
De son côté, l'armée israélienne a assuré qu'il n'y avait "pas de cessations des hostilités dans le sud de la bande de Gaza". Ce bref sursis a permis aux fidèles un moment de calme en ce jour de fête célébrée par les musulmans à travers le monde en souvenir du sacrifice qu'avait failli accomplir Abraham en voulant immoler son fils, avant que l'ange Gabriel ne lui propose in extremis de tuer un mouton à sa place, selon la tradition.
Ils étaient nombreux réunis dans la cour de la mosquée Omari de la ville de Gaza, gravement touchée par un bombardement israélien.
« Calme soudain »
« Depuis ce matin, nous avons ressenti un calme soudain, sans coups de feu, ni bombardement (...), c'est étrange », confie Haïtham al-Ghoura, 30 ans, de Gaza-ville, espérant que cette pause pourrait présager l'approche d'un cessez-le-feu permanent.
Mais les espoirs de trêve semblent s'éloigner en raison des exigences contradictoires d'Israël et du mouvement islamiste Hamas, depuis l'annonce de la feuille de route présentée par le président américain Joe Biden fin mai.
À Gaza-ville, samedi, un jeune garçon disposait des déodorants, parfums et autres produits, les ruines de bâtiments en arrière-plan quand d'autres vendeurs se protégeaient du soleil brûlant avec des parasols multicolores. Les clients, eux, se faisaient rares.
Pour beaucoup de Gazaouis, une pause dans les combats ne ramènera jamais ce qui a été perdu. "Cet Aïd est complètement différent. Nous avons perdu beaucoup de gens, il y a beaucoup de destructions. Nous ne ressentons pas la joie des années précédentes", confie Oum Muhammad Al-Katri, une habitante du camp de Jabaliya, où les combats ont été très durs entre Israël et les combattants palestiniens.
Le dernier bilan du ministère de la Santé de Gaza fait état de 37.296 morts dans l'enclave palestinienne, majoritairement des civils, ainsi que 85.197 blessés. « Nous voyons l'occupation (israélienne) tuer des enfants, des femmes et des personnes âgées », dénonce Hanaa Abou Jazar, onze ans, également déplacée de Rafah à Khan Younès. « Comment pouvons-nous célébrer ? »
Rédigé le 16/06/2024 à 11:56 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Comme toutes les guerres, celle que mène Israël contre Gaza coûte extrêmement cher économiquement et la croissance est en chute libre. Toutefois, si elle ne s’effondre pas, c’est grâce à l’aide publique et privée des États-Unis, mais aussi de l’Union européenne qui a poursuivi ses échanges commerciaux comme si de rien n’était. Sans oublier l’Inde et la Chine. Benyamin Netanyahou peut poursuivre tranquillement son génocide des Palestiniens .
L’économie israélienne a enregistré une chute de 21 % du produit intérieur brut (PIB) au dernier trimestre 2023 (comparé à celui de l’année précédente), soit deux fois plus que ne le prévoyait la banque centrale, après le 7 octobre. En février 2024, l’agence américaine Moody’s a pris la décision sans précédent d’abaisser la note de l’État et celle des cinq plus grandes banques commerciales d’Israël.
Les conséquences vont surtout peser sur l’industrie technologique. En temps normal, cette branche emploie un Israélien sur sept et génère environ la moitié des exportations du pays, un cinquième du produit intérieur brut (PIB) et plus d’un quart des recettes de l’impôt sur le revenu. Une performance qui ne peut se maintenir qu’avec un accès aux capitaux étrangers dont le coût de collecte menace d’augmenter.
Depuis la fin de 2022, les investissements dans les hautes technologies n’ont cessé de s’affaisser, et fin 2023, la chute a atteint 20 % par rapport aux chiffres déjà faibles de l’année précédente ; les investissements étrangers ont dégringolé de 29 %1. Les premières données pour 2024 montrent que les flux sont au plus bas depuis neuf ans.
Le modèle de croissance du pays étant lié à ce secteur, de tels résultats posent des problèmes majeurs. D’autant que les projets du premier ministre Benyamin Nétanyahou visant à orienter l’économie vers la production de matières premières, au détriment de ce secteur dont il doute de la loyauté politique, ont été mis à mal. En mars 2024, inquiets des missiles houthis autant que des retombées politiques, l’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) et British Petroleum (BP) ont interrompu les discussions concernant l’acquisition prévue de la moitié du principal producteur israélien de gaz naturel, NewMed Energy2.
Tout cela soulève des questions sur la viabilité de l’économie d’Israël et, par conséquent, sur sa capacité à poursuivre son assaut contre Gaza. Déjà les économistes du ministère des finances avaient estimé que les seules manœuvres de Benyamin Nétanyahou pour changer la constitution (et l’opposition que cela suscitait) conduiraient à une amputation de la croissance de 15 à 25 milliards de dollars (14,9 milliards à 18,6 milliards d’euros) par an3. Une étude de la société de conseil américaine RAND a indiqué que les pertes économiques en cas de campagne militaire limitée, mais de longue durée contre la Palestine, s’élèveraient à 400 milliards de dollars (plus de 373 milliards d’euros) sur dix ans4. Selon le ministère des finances, l’opération « Sabre de fer » coûte 269 millions de dollars (plus de 350 millions d’euros) par jour à l’économie — une guerre à l’échelle de la région serait, bien sûr, beaucoup plus onéreuse.
On peut s’interroger sur la capacité de la société israélienne qui vit dans un certain confort matériel à supporter un retour à une économie de guerre comme dans les années 1970 lorsque les dépenses militaires représentaient 30 % du PIB. Même si l’on fait abstraction de cette question, beaucoup d’autres se posent : les réalités économiques peuvent-elles influer sur la voie suivie par les dirigeants politiques et militaires ? Si oui, comment ? Les entreprises étrangères qui contribuent au génocide pourront-elles maintenir leur politique sur une longue période ?
Malgré les vents contraires, il y a peu de raisons de penser que les pressions économiques puissent accélérer la fin de la guerre à court ou moyen terme. Cela tient à l’ampleur des marchés financiers israéliens et aux réserves en devises étrangères, d’une part, ainsi qu’aux relations extérieures de l’État et de l’économie, d’autre part.
1. Des marchés de capitaux profonds et des réserves abondantes
La profondeur des marchés de capitaux israéliens permet à la coalition au pouvoir de financer localement une grande partie de ses projets militaires : cette année environ 70 % des 60 milliards de dollars (55,8 milliards d’euros) des emprunts d’État seront vendus sur les marchés intérieurs et libellés en nouveau shekel israélien (NIS). De plus, comme il y a une forte demande des institutions financières locales, les taux d’intérêt restent peu élevés localement, un peu plus quand il s’agit de bons du Trésor proposés à l’international, mais pas excessivement plus que pour ceux actuellement émis par les États-Unis. De ce fait, au cours des cinq premiers mois de cette année, le ministère israélien des finances a pu emprunter (en vendant des obligations d’État) un total de 67,5 milliards de NIS (16,7 milliards d’euros) sans encourir de lourdes charges de remboursement.
Ainsi, bien que le gouverneur de la Banque d’Israël mette régulièrement en garde contre les emprunts excessifs — et bien que certains indicateurs signalent un malaise sur le marché — Tel-Aviv peut s’endetter sans trop souffrir financièrement, tout au moins pour l’instant. Cela donne aux dirigeants une grande autonomie et cela se répercute sur la guerre.
L’accumulation de réserves de devises étrangères au cours des deux dernières décennies a un effet protecteur similaire. De 27 milliards de dollars (25 milliards d’euros) en 2005, la valeur des réserves détenues par la Banque d’Israël a dépassé les 200 milliards de dollars (186 milliards d’euros) au début 2024. Non seulement ces actifs génèrent des revenus pour l’État, mais ils permettent également à la banque centrale de défendre le shekel sur les marchés des changes5. Ce qui contribue à maintenir l’inflation à un faible niveau, renforçant ainsi la stabilité de l’économie de guerre.
Toutefois, la violence génocidaire de l’armée nécessite des volumes de munitions bien supérieurs à ce que les fabricants nationaux, qui ont réorienté leurs activités vers des produits haut de gamme, sont actuellement capables de produire. Sans les flux incessants d’obus d’artillerie, de missiles, d’ogives et autres, qui proviennent presque tous des États-Unis (ou de caches d’armes leur appartenant prépositionnées en Israël avant cette guerre)6 et d’Allemagne, les campagnes actuelles sur Gaza et le Sud-Liban échoueraient rapidement. De même, sans les clouds fournis par Google et Microsoft ainsi que le partage de données WhatsApp par Meta, on peut être certain que le plan israélien d’assassinats de masse pilotés par l’intelligence artificielle s’effondrerait rapidement.
2. La solidité des relations extérieures
Le deuxième facteur, peut-être le plus important, expliquant la résilience à moyen terme de l’économie israélienne est la solidité de ses relations extérieures. Elles lui apportent des appuis en tout genre : des flux financiers au commerce, en passant par le soutien logistique, sans oublier les armées de réserve de main-d’œuvre, telle la promesse de l’Inde de fournir 50 à 100 000 travailleurs pour remplacer les Palestiniens de Cisjordanie. De quoi, en fin de compte, rendre le génocide israélien possible.
Une vaste constellation d’acteurs américains, publics et privés, soutient actuellement financièrement l’État, l’armée et l’économie. Les flux provenant du gouvernement fédéral demeurent les plus importants. La subvention annuelle du Programme américain de financement militaire à l’étranger — 3,3 milliards de dollars (3,075 milliards d’euros) par an depuis l’administration Obama (2009-2017) — couvre, en général, 15 % de ses dépenses de défense. Comme ces dernières devraient augmenter de près de 15 milliards de dollars (13,95 milliards d’euros) en 2024, la ligne de crédit gratuite du gouvernement américain va considérablement augmenter cette année. En avril dernier, le Congrès américain a voté la loi sur la sécurité nationale accordant 13 milliards de dollars (12 milliards d’euros) d’aide supplémentaire7. Sur cette somme, 5,2 milliards de dollars ont été affectés au réapprovisionnement des systèmes de défense Iron Dome, Iron Beam et David’s Sling, 4,4 milliards de dollars (4,1 milliards d’euros) à la reconstitution des stocks de munitions épuisés et 3,5 milliards de dollars (3, 2 milliards d’euros) aux systèmes d’armes avancés.
Mais, cela va au-delà. Sur l’ensemble du territoire états-unien, des États, des comtés et même des municipalités sortent également leur carnet de chèques. Le canal de financements est supervisé par la Development Corporation for Israel (DCI), une entité enregistrée aux États-Unis qui agit en tant que courtier local et souscripteur pour le compte du ministère israélien des finances. Depuis 1951, la DCI émet ce que l’on appelle des « obligations israéliennes » sur le marché américain. Bien que rarement connus du public, ces instruments financiers, libellés en dollars et destinés à fournir un soutien général au budget israélien, représentent 12 à 15 % de la dette extérieure totale d’Israël. Ils constituent donc une source substantielle de crédit et de devises fortes pour Tel-Aviv.
Depuis le 7 octobre, la DCI a considérablement accru ces ventes d’obligations, en partie en développant ses partenariats avec une organisation de droite l’American Legislative Exchange Council (ALEC). Au cours des deux dernières décennies, l’ALEC a été l’une des forces les plus influentes dans les coulisses de la politique américaine. Son activité consiste généralement à rédiger des projets de loi sur des sujets allant de l’avortement au mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) puis à diffuser des modèles législatifs auprès de ses alliés dans les assemblées des États, où ils deviennent lois.
Cet automne, l’ALEC a diversifié ses opérations en mobilisant sa Fondation des agents financiers de l’État pour encourager l’achat d’obligations israéliennes par des fonds de pension publics et par les trésoreries des États et des municipalités. Les fruits de ces efforts sont assez stupéfiants : 1,7 milliard de dollars (1,58 milliard d’euros) d’achats d’obligations en six mois seulement. Au-delà de leur valeur matérielle pour Israël, ces achats constituent un engagement important de la part de l’appareil d’État américain dans son ensemble. Les autorités locales comme le gouvernement fédéral se montrent ainsi prêts à investir des sommes significatives dans les entreprises génocidaires d’Israël.
Malheureusement les citoyens et les institutions financières ont la même attitude que les dirigeants. Ils ont, eux aussi, accordé (et/ou facilité) un grand nombre de crédits à Israël depuis le début de sa destruction de Gaza. Certains l’ont fait, au printemps dernier, en achetant près des trois-quarts des obligations dont il vient d’être question. Au lendemain de l’opération « Sabre de fer », des banques américaines ont également organisé des ventes d’obligations privées pour le compte de l’État israélien, dont les rendements n’ont pas été rendus publics.
Le fait le plus marquant, cependant, a été l’opération menée par Bank of America et Goldman Sachs qui, en mars 2024, ont souscrit à la première vente internationale d’obligations israéliennes post-7 octobre. Aux côtés de la Deutsche Bank et de BNP Paribas, ces financiers sont parvenus à attirer suffisamment d’investisseurs du monde entier pour en faire la plus importante vente de l’histoire d’Israël : près de 7,5 milliards d’euro-obligations8.
Les contributions privées américaines ne s’arrêtent pas là. Si les investissements technologiques sont globalement en retrait, un certain nombre d’entreprises continuent d’injecter des capitaux, malgré le génocide en cours. Ainsi, ces six derniers mois, Nvidia, le leader mondial de la production de puces et de l’intelligence artificielle basé à Santa Clara, a investi des sommes considérables dans l’acquisition d’entreprises israéliennes9. En décembre, fort d’une subvention de 3,2 milliards de dollars (3 milliards d’euros) et d’un taux d’imposition extrêmement réduit (7,5 % au lieu de 23 %), Intel a accepté de construire une nouvelle usine de semi-conducteurs. Un mois plus tard, Palantir Technologies, l’entreprise de modélisation d’intelligence artificielle, a annoncé un nouveau partenariat stratégique avec le ministère israélien de la défense.
Comme en témoigne la participation de la Deutsche Bank et de BNP Paribas à l’émission d’euro-obligations, l’Europe joue un rôle non négligeable. La Banque européenne d’investissement, basée à Luxembourg et détenue conjointement par les 27 États membres de l’Union européenne, a maintenu son intention d’injecter 900 millions de dollars (838 millions d’euros) dans l’économie israélienne10. Depuis le 7 octobre, le programme Horizon Europe, principal instrument de financement de la recherche et de l’innovation, a autorisé l’octroi de près d’une centaine de subventions à des entreprises et institutions israéliennes. À plus petite échelle, l’organisation à but non lucratif European Investment council (EIC) a récemment augmenté ses investissements dans les startups israéliennes.
Mais ce sont surtout les échanges de biens et de services qui comptent. Le flux ininterrompu d’exportations vers le marché européen, qui reste son principal partenaire, a joué un rôle essentiel dans l’excédent de 5,1 % de la balance commerciale d’Israël au cours du dernier trimestre 2023. Bien qu’il ait été question dans les capitales européennes de revoir l’accord d’association de l’Union européenne avec Israël, les premières données publiées pour 2024 montrent que celle-ci continue d’importer des produits israéliens : plus de 4,27 milliards d’euros au premier trimestre — une somme qui correspond à peu près à ce qui a été observé ces dernières années et qui sert de bouée de sauvetage à l’économie israélienne.
Le maintien par Tel-Aviv de relations extérieures (secrètes et ouvertes) avec des économies non occidentales a également renforcé la viabilité de son économie de guerre. Même si elles n’atteignent pas tout à fait les volumes d’avant le 7 octobre, même si elles sont sans aucun doute réduites en raison des interventions des Houthis, qui ont forcé les compagnies maritimes à suspendre le commerce direct, les données communiquées par la Banque d’Israël indiquent que les importations en provenance de Chine sont toujours substantielles : 10 milliards de dollars (9,3 milliards d’euros) au premier trimestre 2024. Elles demeurent l’un des éléments vitaux de l’économie au quotidien, bien que les investissements chinois restent déprimés — en grande partie en raison des pressions exercées par les États-Unis sur Tel-Aviv.
Quant à la contribution de l’Inde, qui importe de grandes quantités d’armes israéliennes et exporte des travailleurs bon marché pour remplir les postes de travail vidés des Palestiniens, elle est loin d’être négligeable. Malgré les difficultés, il est clair que des marchandises sont acheminées en Israël via le Golfe et la Jordanie, approvisionnant les rayons des magasins.
Enfin, il faut tenir compte des relations ambiguës de la Turquie. Bien que le ministère du commerce d’Ankara ait instauré des interdictions progressives sur le commerce avec Israël à partir du début du mois d’avril 2024, il y a des raisons de penser que la mesure ne sera pas totalement appliquée. Dans un premier temps, la politique prévoit un sursis de trois mois permettant aux entreprises d’honorer les commandes existantes par l’intermédiaire de pays tiers. Il est donc peu probable qu’elle provoque un resserrement immédiat de l’offre. Deuxièmement, les liens commerciaux entre les producteurs turcs d’acier et d’aluminium et Israël sont profonds et anciens, la dépendance des premiers à l’égard de ce marché est bien connue. Il ne faut donc pas écarter la possibilité que les fournisseurs turcs trouvent une solution pour livrer des fournitures essentielles non seulement aux entreprises de construction, mais aussi à l’industrie de l’armement — peut-être par le biais d’un transbordement en Slovénie.
Capable de s’appuyer sur des marchés de capitaux importants, des réserves de devises fortes et des relations solides avec des partenaires économiques extérieurs, Israël n’est confronté à aucune limite matérielle immédiate dans la conduite de son génocide. À moins que la politique des partenaires extérieurs en question ne change, Israël sera libre de poursuivre son massacre inadmissible pendant un certain temps encore.
À long terme, plusieurs éléments peuvent jouer contre cette économie de guerre. Parmi eux, la tendance au désinvestissement évoquée précédemment, que les interventions du gouvernement ne parviendront probablement pas à inverser. S’y ajoute une possible augmentation des impôts pour reconstituer les réserves. Mais, peut-être plus important encore, ce sont les tensions sociales que la poursuite du génocide accentuera dans les mois et les années à venir.
Depuis longtemps, le pays figure parmi les plus inégalitaires de l’OCDE11. Des mesures plus sophistiquées estiment actuellement le taux de pauvreté à 27,8 %, avec un tiers des habitants en situation d’insécurité alimentaire. Malgré toute la mythologie qui a entouré la « startup nation », il s’avère en outre que la croissance et les gains de productivité réalisés au cours des deux dernières décennies sont en réalité relativement faibles, la fuite des cerveaux ayant des conséquences.
À ce mélange s’ajoute désormais l’austérité. En effet, après avoir enregistré des déficits considérables tout au long de sa campagne sur Gaza, Israël va accélérer le retrait de son État-providence en réduisant les dépenses sociales et éducatives, tout en pressurant les ménages pauvres par l’augmentation des taxes à la consommation. Il est certain que des tensions sociales importantes sont à prévoir alors que, déjà, des clivages fracturent la société israélienne – entre les quelques personnes qui ont profité du boom technologique et immobilier et les nombreuses autres qui n’en ont pas vu la couleur ; entre les communautés religieuses exemptées du service militaire et celles qui sont chargées de risquer leur vie pour faire avancer leur vision de la conquête ; entre une communauté de colons bénéficiant d’une dérogation spéciale de la part de l’État et toutes les autres obligées de compter sur les banques alimentaires pour assurer leur subsistance. D’une manière ou d’une autre, cela ne peut que se répercuter négativement sur la cohérence du projet d’État et sur la capacité du gouvernement actuel à poursuivre ses complots destructeurs.
Pour la Palestine, et plus particulièrement pour les Palestiniens de Gaza, il y a urgence. Le temps nécessaire pour que la dynamique sociale se mette en place au sein de la société israélienne — pour que la capacité d’Israël à faire la guerre soit corrodée de l’intérieur — est tout simplement trop long.
Donc, quiconque espère mettre fin à ce génocide ne peut que prôner l’isolement de l’économie israélienne dans tous les domaines possibles, seul moyen d’y parvenir. Tant que les solides relations extérieures du pays ne seront pas affaiblies, voire rompues, les moteurs de la violence israélienne continueront à fonctionner sans le moindre crachotement. Pour les bloquer au point que les bombes cessent de tomber, il faut perturber les circuits financiers et commerciaux existants.
COLIN POWERS
Membre du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Noria Research, spécialiste en économie politique.
https://orientxxi.info/magazine/le-salaire-du-genocide-ou-comment-l-economie-israelienne-tient,7407
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Rédigé le 15/06/2024 à 11:17 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Porté en écharpe, en foulard, en châle, et pour les âmes révolutionnaires romantiques, recouvrant le visage, façon fedayin, il est de toutes les manifestations sur la Palestine. Le keffieh palestinien est devenu depuis des décennies le symbole de l’identité – et donc de la résistance – palestinienne. Il a été popularisé par des icônes comme Leila Khaled, militante du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et première femme à avoir participé à un détournement d’avion en 1969, ou encore par le leader palestinien Yasser Arafat qui en a fait son couvre-chef permanent et, à l’instar du béret d’Ernesto « Che » Guevara, le complément de son uniforme militaire.
On retrouve plusieurs déclinaisons du keffieh dans les pays voisins, comme la version jordanienne en rouge et blanc, aux motifs toutefois différents, appelée « hatta », adoptée aussi par les membres du FPLP. On le croise également en Syrie, ainsi que de l’autre côté de la frontière, dans le centre et le sud de l’Irak, ou encore en Arabie saoudite, rouge aussi, sous le nom de « chemagh », mot dérivé d’« ach makh », littéralement « couvre-tête » en sumérien.
Traditionnellement, le keffieh est, en Palestine, la coiffe des paysans. Il est maintenu par un agal, un cerceau noir qui entoure la tête. Son motif représenterait les filets des pêcheurs, mais la thèse n’a pas été scientifiquement confirmée.
En 1936 éclate en Palestine mandataire la Grande révolte arabe, à la fois contre le mandat britannique et contre le rôle des Anglais dans l’encouragement de la colonisation sioniste en vue de la création d’un foyer national juif. Les paysans palestiniens portent la contestation jusque dans les villes. Parmi eux, les combattants qui mènent des opérations armées contre le pouvoir mandataire se cachent le visage avec leur keffieh. Or, les Palestiniens des villes portent à l’époque le tarbouche ottoman, une coiffe rouge verticale qu’on retrouve jusqu’au Maghreb. De fait, les paysans coiffés de keffiehs étaient des suspects facilement identifiables par l’empire colonial. Pour permettre aux combattants palestiniens de se fondre dans la masse, les leaders de la révolte publient un communiqué le 27 août 1938 demandant à tous les hommes palestiniens sans distinction d’adopter le keffieh. Un slogan surgit dans les manifestations : « Cinq sous le prix du keffieh, Et au traître, le tarbouche sied » (« El koufiyeh b’khamsé ‘rouch, Wel khayen yelbass tarbouch »). C’est la naissance d’un symbole à la fois national et de classe.
Après la guerre de juin 1967 et l’interdiction du drapeau palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – qui ne sera officiellement levée qu’avec les Accords d’Oslo -, le keffieh devient une bannière alternative pour les Palestiniens des territoires occupés.
Les commandos palestiniens qui se créent au lendemain de la défaite de 1967, notamment ceux du Fatah, et qui reprendront la désignation de fedayin, contribuent à populariser ce tissu dont ils se couvrent la tête et le visage. L’icône du guérillero palestinien, fusil à la main et keffieh protégeant son anonymat est née. En 1969, Yasser Arafat, devenu une figure du chef militaire grâce à la bataille de Karameh, prend la tête de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et consacre le keffieh comme l’accessoire du résistant palestinien. Celui-ci est notamment très présent aux côtés du drapeau palestinien, cousu à la main, durant la première intifada, en 1987.
Depuis, le keffieh palestinien est devenu un outil pour afficher sa solidarité avec les Palestiniens, comme l’a fait Nelson Mandela ou encore Roger Waters, chanteur des Pink Floyd, connu pour son soutien à la Palestine. Plus généralement, il est devenu un symbole universel de la culture de résistance. On le retrouve également dans la culture populaire, dans la poésie ou les chansons palestiniennes. On citera par exemple le poème de Mahmoud Darwich « Carte d’identité », où il écrit :
Inscris
je suis arabe
cheveux… noirs
yeux… marron
signes distinctifs
sur la tête un keffieh tenu par une cordelette1
En 2013, le chanteur palestinien originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza, Mohamed Assaf remporte la victoire lors de la deuxième saison de l’émission de télécrochet panarabe Arab Idol avec un classique du folklore palestinien ‘Alli el koufiyeh (« Lève le keffieh »), qui lui a valu un très large succès dans tout le monde arabe.
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SARRA GRIRA
https://orientxxi.info/va-comprendre/pourquoi-le-keffieh-est-il-le-symbole-de-la-resistance-palestinienne,7066
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Rédigé le 14/06/2024 à 14:15 dans Gaza, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
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