Alain Gresh : ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, spécialiste du Proche-Orient. Rony Brauman : ancien président de Médecins Sans Frontières, enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI), chroniqueur à Alternatives Economiques.
Mahmoud Darwich (1941-2008) est devenu le porte-voix de la cause palestinienne parce que sa poésie est acte de résistance à portée universelle. Mais la poésie palestinienne est multiple et a vu, depuis la Nakba de 1948 jusqu’à Gaza ces derniers mois, plusieurs générations de femmes et d’hommes écrire sur un futur de liberté et d’indépendance.
Naplouse, Palestine, le 29 mars 2021. Dessin de Fadwa Touqan avec un vers de sa poésie qui dit : «Il me suffit de rester dans les bras de mon pays/De la terre, de l’herbe, une fleur».
Wikimedia Commons
Dès 1948, la poésie s’est imposée en Palestine occupée face aux autres genres littéraires. Ce n’est pas seulement le signe d’un attachement des écrivains palestiniens à un mode ancien et populaire d’expression dans le monde arabe, mais l’expression d’une volonté de résister aux règles de l’occupation israélienne qui prolongeaient celles du mandat britannique en Palestine (1917-1948). Face aux mesures de répression des forces coloniales, la poésie, qui se transmet et se mémorise aisément, est mieux armée que les autres genres littéraires pour contourner la censure.
C’est d’ailleurs à travers de véritables festivals de poésie ou mahrajanat que la première génération de poètes post 1948 a pu atteindre un large public demeuré sur les terres de Palestine. Parmi les auteurs qui ont participé et se sont révélés lors de ces festivals, se trouvent les grands noms de la poésie palestinienne de cette génération : Taoufik Ziyad (1929-1994), Samih al-Qasim (1939-2014), Mahmoud Darwich (1941-2008), Salim Joubran (1941-2011) et Rashid Hussein (1936-1977). Tous avaient atteint l’âge adulte dans les années qui ont suivi la Nakba de 1948. Ils étaient généralement issus de la classe ouvrière et militaient aussi pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans. Ce qui fait de la poésie palestinienne un genre traditionnellement marqué à gauche.
La majorité de ces poètes ont été formés en arabe et en hébreu, en Palestine occupée ou à l’étranger. Seule la poétesse Fadwa Touqan (1917-2003), autodidacte, aurait été initiée à la poésie par son frère Ibrahim Touqan (1905-1941), lui-même poète. Beaucoup étaient des enseignants dans des écoles gérées par les autorités israéliennes. Ces institutions, tout comme les festivals de poésie et d’autres rassemblements publics comme les mariages et les fêtes religieuses, étaient surveillés de près par les services de sécurité coloniaux qui s’efforçaient de contenir le nationalisme palestinien.
À travers leur poésie, ces auteurs ont joué un rôle important dans la production et la diffusion d’idées à portée politique. Leur participation aux festivals était de fait un geste de résistance. Leurs poèmes, écrits le plus souvent dans le respect des codes de la prosodie arabe traditionnelle, étaient faciles à chanter et à retenir. Ils étaient déclamés devant un auditoire nombreux, coupé du reste du monde arabe et des Palestiniens forcés à l’exil, et traumatisé par les massacres commis par l’armée israélienne. Les poèmes exprimaient le plus souvent espoirs et rêves révolutionnaires de liberté et d’indépendance, mais ils abordaient aussi des thèmes plus graves liés au sentiment de dépossession, et aux violences physiques et symboliques subies.
C’est au cours de ces festivals que se développe le concept de résistance, de sumud ou persévérance face à l’adversité, concept qui deviendra un thème majeur de la poésie palestinienne notamment chez Taoufik Ziyad avec son célèbre poème Ici nous resterons dont cet extrait résonne comme un manifeste politique et poétique :
Ici nous resterons
Gardiens de l’ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !
La participation aux festivals a valu à plusieurs auteurs comme Taoufik Ziyad et Hanna Ibrahim (1927- ) d’être arrêtés puis emprisonnés ou assignés à domicile. Ils n’ont pas renoncé pour autant à composer des poèmes, et la colère et l’indignation traversent de nombreux textes. En témoigne cet extrait d’un poème du charismatique Rashid Hussein que Mahmoud Darwich surnommait Najm ou l’étoile, et auquel Edward Saïd rend un hommage appuyé dans l’introduction de son ouvrage sur la Palestine2 :
Discours de Tawfiq Ziad lors de la Journée de la Terre, le 31 mars 1979 (Wikimedia Commons)
Certains poèmes devi
endront des chansons populaires, connues de tous en Palestine occupée et ailleurs, comme celui intitulé Carte d’identité, composé par Mahmoud Darwich, en 1964 :
Si les anthologies et recueil imprimés demeurent assez rares jusqu’aux années 1970 et ne représentent, d’après le chercheur Fahd Abu Khadra, qu’une infime partie des poèmes composés et publiés entre 1948 et 1958, certains poètes auront recours aux organes de presse de partis politiques pour diffuser leurs écrits. Le Parti des travailleurs unis (Mapam) a par exemple soutenu et financé la revue Al-Fajr (l’Aube), fondée en 1958 et dont le poète Rashid Hussein était l’un des rédacteurs en chef. Subissant attaques et censure, la revue sera interdite en 1962.
Les membres du Parti communiste israélien (Rakah) ont pour leur part relancé la revue Al-Itihad (L’Union) en 1948, qui avait été fondée en 1944 à Haïfa par une branche du parti communiste. À partir de 1948, Al-Itihad ouvre ses colonnes à des poètes importants comme Rashid Hussein, Émile Habibi (1922-1996), Hanna Abou Hanna (1928-2022). Ces revues ont joué un rôle crucial pour la cause palestinienne en se faisant les porte-voix d’une poésie de combat. Longtemps regardés avec méfiance et suspectés de collaborer avec les forces coloniales par le simple fait d’être restés, c’est Ghassan Kanafani (1961-1972), auteur et homme politique palestinien qui a redonné à ces auteurs la place qu’ils méritent, en élaborant le concept de « littérature de résistance »5 . Cette littérature est considérée par certains comme relevant davantage d’une littérature engagée que d’une littérature de combat, restreinte par le poète syrien Adonis (1930- ), à tort nous semble-t-il, au combat armé.
Cette poésie a par ailleurs souvent été critiquée pour être davantage politique que « littéraire », comme si l’un empêchait l’autre. À ce sujet, Mahmoud Darwich fait une mise au point salutaire :
Mais je sais aussi, quand je pense à ceux qui dénigrent la « poésie politique », qu’il y a pire que cette dernière : l’excès de mépris du politique, la surdité aux questions posées par la réalité de l’Histoire, et le refus de participer implicitement à l’entreprise de l’espoir6.
Pour finir, il est important de noter que les poèmes de cette période n’évoquent pas seulement la Palestine et son combat pour l’indépendance. Y apparaissent d’autres causes de la lutte anticoloniale, notamment celle du peuple algérien, ou des Indiens d’Amérique. Dans un poème de 1970, Salem Joubran (1941-2011) interpelle ainsi Jean-Paul Sartre qui a défendu la cause algérienne mais reste silencieux quant à la colonisation de la Palestine :
À JEAN-PAULSARTRE
Si un enfant était assassiné, et que ses meurtriers jetaient son corps dans la boue,
seriez-vous en colère ? Que diriez-vous ?
Je suis un fils de Palestine,
je meurs chaque année,
je me fais assassiner chaque jour,
chaque heure.
Venez, contemplez les nuances de la laideur,
toutes sortes d’images,
dont la moins horrible est mon sang qui coule.
Exprimez-vous :
Qu’est-ce qui a provoqué votre soudaine indifférence ?
Autre figure souvent citée, celle de Patrice Lumumba auquel on rend hommage après son assassinat par les forces coloniales belges. Rashid Hussein déclame ce poème lors d’un festival de poésie :
L’Afrique baigne dans le sang, avec la colère qui l’envahit,
Elle n’a pas le temps de pleurer l’assassinat d’un prophète,
Patrice est mort... où est un feu comme lui ?...
Il s’est éteint, puis a enflammé l’obscurité en évangile8 .
CULTIVER L’ESPOIR ET RENOUVELER LE COMBAT
Les générations de poètes qui ont suivi celle de 1948 perpétuent les thèmes de résistance et de combat en leur donnant un souffle politique nouveau. À mesure que les guerres se succèdent, que la situation des Palestiniens de 1948 se détériore, que les camps de réfugiés se multiplient et s’inscrivent dans la durée et que la colonisation de la Palestine se poursuit — en violation des résolutions de l’ONU et du droit international - les thèmes abordés renvoient à la situation intenable de tous les Palestiniens où qu’ils soient. Entre dépossession, exils forcés, conditions précaires et inhumaines dans les camps de réfugiés, emprisonnements arbitraires, massacres, faim, mort, tristesse, les textes cultivent également l’espoir comme en échos au fameux poème de Mahmoud Darwich de 1986, Nous aussi, nous aimons la vie :
Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Nous dansons entre deux martyrs et pour le lilas entre
En 2011, la poétesse Rafeef Ziadah, née en 1979, compose en réponse à un journaliste qui la somme d’expliquer pourquoi les Palestiniens apprennent à leurs enfants la haine, un poème intitulé Nous enseignons la vie, monsieur (« We teach life, Sir »), qu’elle récite à Londres et dont la vidéo sera amplement partagée :
Aujourd’hui, mon corps a été un massacre télévisé.
Aujourd’hui, mon corps a été un massacre télévisé qui devait tenir en quelques mots et en quelques phrases.
Aujourd’hui, mon corps a été un massacre télévisé qui devait s’inscrire dans des phrases et des mots limités, suffisamment remplis de statistiques pour contrer une réponse mesurée.
J’ai perfectionné mon anglais et j’ai appris les résolutions de l’ONU.
Mais il m’a quand même demandé : "Madame Ziadah, ne pensez-vous pas que tout serait résolu si vous arrêtiez d’enseigner tant de haine à vos enfants ?
Pause.
Je cherche en moi la force d’être patiente, mais la patience n’est pas sur le bout de ma langue alors que les bombes tombent sur Gaza.
La poésie se montre critique aussi de l’Autorité palestinienne qui après les Accords d’Oslo se montre défaillante, gère les fonds qui lui sont alloués de manière peu transparente et ne parvient pas à juguler la montée du Hamas que plusieurs poètes palestiniens, traditionnellement de gauche, déplorent. Voici un exemple d’un poème sans concessions et à l’humour corrosif, intitulé L’État de Abbas, rédigé en 2008 par Youssef Eldik (1959-) :
Celui qui n’a pas mal au derrière
Ou qui ne voit pas comment le singe se promène,
Qu’il entre dans l’État de Abbas.
Cet état est apprivoisé –
aucune autorité dans cette « Autorité »
Si un voleur ne se présente pas devant le tribunal
ils le remplacent par son voisin ou sa femme
car le gazouillis de l’oiseau sur les fils téléphoniques
résonnent comme « Hamas ! »
Notre type de justice s’applique à toutes créatures
Mais si les thèmes se perpétuent, ils prennent aussi une nouvelle dimension, notamment au sein de la diaspora palestinienne vivant en Amérique du Nord, qui désormais écrit en anglais et se met au diapason des nouvelles luttes décoloniales et écologiques internationales. Cette poésie est assez peu connue en France. Quelques poèmes ont été traduits par l’incontournable Abdellatif Laâbi dans une anthologie publiée en 2022 et consacrée aux nouvelles voix mondiales de la poésie palestinienne12. Laâbi avait déjà publié en 1970 une première Anthologie de la poésie palestinienne de combat, suivie vingt ans plus tard de La poésie palestinienne contemporaine.
Dans cette nouvelle poésie contemporaine, on notera les recueils de Remi Kanazi (1981-) poète et performer qui, dans une langue nerveuse et moderne, utilise souvent l’adresse, puise dans le langage moderne des hashtags et des réseaux sociaux, et s’inspire de la rythmique incisive du hip-hop, reprenant peut-être aussi inconsciemment les codes de la poésie arabe de ses prédécesseurs qui déclamaient leurs vers lors des festivals de poésie. Voici deux exemples de sa poésie percutante13. L’un est extrait du poème intitulé Hors saison :
mais vos proverbes ne sont pas de saison
des anecdotes plus jouées
que les contes d’un pays
sans peuple (...)
vous ne voulez pas la paix
vous voulez des morceaux
et ce puzzle
ne se termine pas
bien pour
vous
L’autre poème est intitulé Nakba :
Elle n’avait pas oublié
nous n’avons pas oublié
nous n’oublierons pas
des veines comme des racines
des oliviers
nous reviendrons
ce n’est pas une menace
pas un souhait
un espoir
ou un rêve
mais une promesse
Le thème de la terre traverse bien évidemment l’ensemble de la poésie palestinienne puisqu’elle est au cœur de la colonisation de peuplement dont ils sont victimes depuis 1948. Il est également mobilisé par des poètes de la diaspora mais sous un angle sensiblement différent. Il ne s’agit plus de revenir sur la catastrophe de 1948 pour déplorer une dépossession en des termes qui reprennent la terminologie capitaliste donc colonialiste et d’exprimer d’une volonté de réappropriation des terres. Il s’agit désormais de penser la Nakba en tant que catastrophe et lieu de rupture écologique. Cette rupture écologique a touché la Palestine en 1948 mais elle touche la Planète entière. C’est ainsi que Nathalie Handal (1969- ), dans un hommage qu’elle rend à Mahmoud Darwich, imagine ce que lui dirait le poète disparu dans une veine poétique et universelle :
Je lui demande s’il vit maintenant près de la mer.
Il répond : « Il n’y a pas d’eau, seulement de l’eau, pas de chanson, seulement de la chanson, pas de version de la mort qui me convienne, pas de vue sur le Carmel, seulement sur le Carmel, personne pour l’écouter »14.
Naomi Shihab Nye (1952- ) pour sa part décentre l’humain pour redonner force et pertinence à son propos écologiste. Dans le poème Même en guerre, elle écrit :
Dehors, les oranges dorment, les aubergines,
les champs de sauge sauvage. Un ordre du gouvernement,
Elle fait le lien entre les oranges, les aubergines, la sauge et probablement des dormeurs sans méfiance, juste avant un raid de l’armée israélienne. Et si les mains sourient, c’est probablement par dépit et pour défier les autorités coloniales et leurs décisions arbitraires. Il n’y a là aucune hyperbole, les autorités israéliennes ayant en effet interdit aux Palestiniens de 1948 de cueillir plusieurs herbes, notamment le zaatar, pour en réserver l’exploitation et la vente aux colons israéliens.
Un homme passe devant une pancarte citant le poète Ghassan Kanafani à Hébron en Cisjordanie occupée, le 8 mars 2023, lors d’une grève générale en protestation contre l’armée israélienne au lendemain d’un raid à Jénine (HAZEMBADER/AFP)
GAZA, POÉSIE ET GÉNOCIDE
Depuis octobre 2023, la poésie palestinienne est en deuil, toutefois elle reste au combat. Si la poésie française a eu son Oradour16, chanté et commémoré par des poètes comme Georges-Emmanuel Clancier (1914-2018), la poésie palestinienne ne compte plus le nombre de villages et localités dévastés depuis plus de trois mois auxquels il faut ajouter toutes les guerres et attaques infligées à la bande de Gaza depuis 1948. À la fin du second conflit mondial, le philosophe Theodor Adorno avait affirmé qu’il était impossible d’écrire de la poésie après Auschwitz. Si l’on a retenu cette affirmation, on oublie souvent qu’Adorno est plus tard revenu sur ses propos, considérant que face à l’inhumain, à l’impensable, la littérature se doit de résister.
Avec plus de 23 000 morts et 58 000 blessés dénombrés à ce jour, la littérature palestinienne perd elle aussi des hommes et des femmes. Refaat Alareer (1979-2023), professeur de littérature à l’Université islamique de Gaza et poète, avait fait le choix de la langue anglaise pour mieux faire connaître la cause palestinienne à l’étranger. Il a été tué lors d’une frappe israélienne dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 décembre. Le 1er novembre il a écrit un poème traduit et publié dans son intégralité par Orient XXI et dont voici un extrait :
S‘il était écrit que je dois mourir
Alors que ma mort apporte l’espoir
Que ma mort devienne une histoire
Quelques semaines plus tôt, le 20 octobre 2023, c’est Hiba Abou Nada (1991-2023), poétesse et romancière de 32 ans, habitante de Gaza qui est tuée. Voici un extrait d’un poème, écrit le 10 octobre, quelques jours avant sa mort :
Je t’accorde un refuge
contre le mal et la souffrance.
Avec les mots de l’écriture sacrée
je protège les oranges de la piqûre du phosphore
et les nuages du brouillard
Je vous accorde un refuge en sachant
que la poussière se dissipera,
et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble
Poésie tragique d’une femme assiégée qui offre refuge à l’adversaire. On y retrouve le thème de la persévérance mais aussi de la générosité et de l’amour de la vie en dépit de l’adversité, des violences subies, du génocide en cours et de sa mort imminente.
Fondée en 2022 et basée à Ramallah, la revue littéraire Fikra (Idée) donne voix en arabe et en anglais aux auteurs palestiniens. Depuis le début des exactions contre la population civile de Gaza, elle a publié les poèmes de Massa Fadah et Mai Serhan. Le poème écrit par cette dernière et intitulé Tunnel met en accusation l’Occident et son hypocrisie vis-à-vis de la cause palestinienne :
Piers Morgan ne cesse de poser la question,
« qu’est-ce qu’une réponse proportionnée ? »
Dites-lui que cela dépend. Si c’est une maison
de saules et de noyers, alors c’est à l’abri des balles, un souvenir. Si c’est un mot
c’est un vers épique, et il n’y a pas
de mots pour l’enfant blessé, sans famille
qui lui survit - seulement un acronyme, une anomalie
Dites-lui que si c’est un enfant, il ne devrait
pas hanter ses rêves, l’enfant n’était
pas censé naître d’une mère, mais
d’une terre. Cet enfant est une graine, rappelez-le-lui,
la graine est sous terre, chose têtue,
plus souterraine que le tunnel.
D’autres plateformes, comme celle de l’ONG Action for Hope, s’efforce de donner voix à des poètes palestiniens qui, sous les bombes ou forcés à fuir, continuent d’écrire et de faire parvenir des textes bouleversants de vérité et de courage. À travers l’initiative « Ici, Gaza » (« This is Gaza »), des acteurs lisent des textes en arabe sous-titrés en anglais ou en français. Un livret de poèmes a été mis en ligne en arabe et anglais pour donner à cette poésie une plus grande portée en atteignant des publics arabophones et anglophones.
La poésie refuse de se résoudre à l’horreur mais aussi à tous les diktats, ceux de la langue, de la forme, de la propagande et des discours dominants. Cela a toujours été sa force quelles que soient les époques et les latitudes. Elle a résisté aux fascismes, aux colonialismes et autoritarismes et a payé ses engagements par la mort, l’exil ou la prison. De Robert Desnos (1900-1945) mort en camp de concentration à Federico Garcia Lorca (1898-1936) exécuté par les forces franquistes, de Nâzim Hikmet (1901-1963) qui a passé 12 ans dans les prisons turques à Kateb Yacine (1929-1989) emprisonné à 16 ans par la France coloniale en Algérie, de Joy Harjo (1951- ) qui célèbre les cultures amérindiennes, à Nûdem Durak (1993- ) qui chante la cause kurde et croupit en prison depuis 2015, condamnée à y demeurer jusqu’en 2034, partout où l’obscurantisme sévit, la poésie répond et se sacrifie.
On tremble pour ce jeune poète de Gaza, Haidar Al-Ghazali qui comme ses concitoyens s’endort chaque nuit dans la peur de ne pas se réveiller le lendemain, auteur de ces lignes bouleversantes :
Il est maintenant quatre heures et quart du matin, je vais dormir et je prépare mon corps à l’éventualité d’une roquette soudaine qui le ferait exploser, je prépare mes souvenirs, mes rêves ; pour qu’ils deviennent un flash spécial ou un numéro dans un dossier, faites que la roquette arrive alors que je dors pour que je ne ressente aucune douleur, voici notre ultime rêve en temps de guerre et une fin bien pathétique pour nos rêves les plus hauts.
Je m’éloigne de la peur familiale vers mon lit, en me posant une question : qui a dit au Gazaoui que le dormeur ne souffre pas ?18
MERYEM BELKAÏD
Professeur associé en études francophones et postcoloniales à Bowdoin College aux Etats-Unis.
Quatre mois après les massacres du Hamas, le double standard à l’œuvre en Palestine historique catalyse un effondrement moral et politique mortifère. Une réalité qui affleure aussi dans l’hommage prévu mercredi par Emmanuel Macron aux victimes franco-israéliennes.
ImmédiatementImmédiatement après avoir été alertés sur des accusations de participation à des massacres de civils d’une ampleur inédite, les pays occidentaux réagissent d’une voix quasi unanime : désolidarisation publique vis-à-vis de ceux qui auraient laissé agir consciemment ou non les meurtriers, sanctions financières lourdes prises sans délais, déclarations empreintes de sévérité et de solennité…
Cette réaction forte n’est pas une riposte à la mort de dizaines de milliers de civils dans la bande de Gaza, dont une grande majorité de femmes et d’enfants. Ni à ces bombardements qui frappent depuis des semaines le sud d’une enclave où se sont réfugiées des centaines de milliers d’habitant·es du nord du territoire, à la demande même de ceux qui les massacrent aujourd’hui.
Elle est une réponse à un rapport émanant du gouvernement israélien dont les détails demeurent inconnus, mais qui indiquerait qu’une dizaine des 13 000 employé·es de l’UNWRA (l’agence de l’ONU chargée des réfugié·es palestinien·nes) à Gaza aurait participé aux attentats du 7 octobre. Ils ont aussitôt été mis à pied par l’agence et l’ONU a annoncé l’ouverture d’une enquête. Certains des éléments de l’accusation ont été mis en question par plusieurs enquêtes émanant d’organes de presse sérieux, notamment SkyNews et Channel 4.
Les investigations sur les agissements de personnels travaillant pour une agence de l’ONU, dont dépendent des millions de Palestinien·nes, sont évidemment nécessaires. Toutefois, mise en regard de la passivité politique et de l’absence de sanctions vis-à-vis d’un gouvernement israélien aujourd’hui responsable de la mort de bientôt 30 000 êtres humains en quatre mois, cette décision est un nouveau signe du double standard mortifère à l’œuvre en Palestine historique.
Dans le monde post-7 octobre, on peut ainsi promettre le tombeau et l’indifférence à des milliers de civils palestiniens en suspendant les financements d’un des derniers organismes à permettre leur survie, comme l’ont fait en particulier les États-Unis, l’Italie, l’Australie, le Canada, la Grande Bretagne, la Finlande, l’Allemagne ou le Japon…
L’alignement de la France
La France a louvoyé en annonçant, dimanche 28 janvier, qu’elle « n’a pas prévu de nouveau versement au premier trimestre 2024 et qu’elle décidera le moment venu de la conduite à tenir en lien avec les Nations unies et les principaux donateurs ». Quelques rares pays ont refusé de se joindre à l’hallali dévastateur, à l’instar de l’important contributeur qu’est la Norvège.
Cette suspension des financements de l’agence qui assure les besoins primaires de millions de Palestiniens et de Palestiniennes, dans une bande de Gaza où la famine et les maladies d’un autre âge rôdent, mais aussi de réfugié·es dans de nombreux pays de la région, n’est en effet pas seulement une catastrophe humanitaire.
Elle constitue le prolongement d’une punition collective menée par un gouvernement israélien extrémisé qui détruit la Palestine, menace son propre pays d’effondrement moral et politique et achève d’exposer les failles et les faillites des organisations internationales et du droit du même nom.
Pour le formuler comme le chroniqueur marqué à gauche Gideon Levy dans un article récent du journal israélien Haaretz, titré sur les 11 500 enfants morts à Gaza depuis le début de la guerre, « aucune explication, aucune justification ou excuse ne pourra jamais dissimuler cette horreur. Ce serait mieux si la machine de propagande israélienne n’essayait même pas de le faire […]. Une horreur d’une telle ampleur n’a d’autre explication que l’existence d’une armée et d’un gouvernement dépourvus de toute frontière fixée par la loi ou la morale ».
La France, à sa manière, contribue à ce double standard. Ainsi, lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a annoncé qu’un hommage national serait rendu aux victimes françaises des massacres du Hamas le mercredi 7 février. Que le président de la République souhaite honorer la mémoire de « 41 de sesenfants » tués dans ces attaques et rappelle le sort des trois otages ayant la nationalité française qui se trouvent encore à Gaza est bien sûr légitime.
Mais peut-on raisonnablement croire que parmi les 27 000 Palestiniennes et Palestiniens morts depuis le début de la guerre à Gaza, aucun·e ne dispose de la nationalité française et ne mériterait ni hommage ni pensée ? Sans même parler de l’idée de distinguer les mémoires des vies brisées en fonction de leur nationalité…
Lundi 5 février, au détour d’une question posée lors d’un briefing avec des journalistes, l’Élysée a tenté un vague numéro d’accrobranche de dernière minute en annonçant, de façon floue, qu’un « temps mémoriel » serait consacré à une date ultérieure – non fixée – aux « victimes françaises des bombardements à Gaza ».
Et que dire du fait que sur les façades de nombreuses mairies de notre pays, on puisse encore lire des banderoles demandant légitimement la libération des otages aux mains du Hamas, mais toujours sans un mot pour les victimes palestiniennes ?
Le massacre en cours à Gaza n’autorise en aucun cas à réduire la souffrance et le trauma d’Israël à portion congrue, qu’il s’agisse de la réactivation mémorielle d’une inquiétude existentielle ou du sort des otages. Mais le massacre commis par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ne peut plus être un blanc-seing pour détourner le regard du sort des Gazaouis, considérés comme des « animaux humains » ou des terroristes en puissance par le gouvernement israélien. Et comme des dommages collatéraux par la plupart des gouvernements occidentaux.
L’attitude du gouvernement français, sans apporter de soutien aussi inconditionnel que celui des États-Unis ou de l’Allemagne au gouvernement israélien, est soit hypocrite, soit complice. Les déclarations d’Emmanuel Macron et de ses allié·es – dont la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, qui s’est rendue en Israël à l’automne dernier – l’ont prouvé ces derniers mois.
Plus récemment, les diplomates n’ont pas manqué de remarquer que le ministre des armées Sébastien Lecornu s’est rendu deux fois en Israël, laissant l’impression que le militaire primait sur le Quai d’Orsay. Et quand l’actuel ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné se rend finalement à Tel-Aviv et à Ramallah, lundi 5 février, en demandant pour Gaza le « respect du droit humanitaire, un cessez-le-feu durable et une entrée massive de l’aide », c’est après avoir refusé de considérer qu’il pourrait y avoir un « génocide », avant même la décision rendue par la Cour internationale de justice sur ce sujet.
Dans le champ de mines émotionnel et politique que constitue la séquence ouverte le 7 octobre dernier, le droit international devrait pourtant constituer la principale boussole. Or, non seulement les pays dits occidentaux y renoncent en grande majorité mais, comble du cynisme pour les Palestinien·nes au supplice, l’inefficacité de son application fait qu’il ne peut jouer véritablement ce rôle.
Pour le dire comme l’historien israélien Ilan Pappe dans un texte récent, « historiquement, le langage et les définitions utilisés par la CIJ dans son premier arrêt constitueront une énorme victoire symbolique sur la voie de la libération de la Palestine. Mais ce n’est pas pour cette raison que l’Afrique du Sud s’était adressée à la CIJ. L’Afrique du Sud voulait que la Cour mette fin au génocide. Par conséquent, d’un point de vue opérationnel, la CIJ a perdu une occasion d’arrêter le génocide, principalement parce qu’elle a continué à traiter Israël comme une démocratie et non comme un État voyou ».
La CIJ a en effet renoncé à demander la mise en œuvre d’un cessez-le-feu immédiat dans sa décision rendue le 26 janvier dernier à La Haye, tout en ordonnant à Israël de prendre des mesures conservatoires visant à protéger le peuple palestinien d’« un risque réel et imminent d’un préjudice irréparable. »
Le processus génocidaire, une réflexion qui évolue
La qualification de « génocide » – ou le refus de le faire – pour désigner ce qui se passe à Gaza a déjà fait couler tellement d’encre qu’on hésite à en rajouter encore. Tout a été dit de la différence entre la qualification juridique et l’usage politique qui pouvait en être fait, comme de la difficulté de déterminer « l’intentionnalité » qui sépare les crimes de génocide des crimes contre l’humanité, davantage que la nature des actes commis.
Cependant, les audiences de la CIJ, retransmises en direct à la télévision, ont obligé Israël à regarder en face de quoi le pays était accusé. Sans entraîner une remise en cause de la guerre à Gaza, mais sans nier qu’il existe parmi une bonne partie du gouvernement et de la population israélienne un clair désir de nettoyage ethnique à l’encontre des Palestinien·nes, avec une intentionnalité relevant de politiques génocidaires, ces audiences enclenchées par le pays de Nelson Mandela ont malgré tout résonné fortement dans le pays.
On a ainsi pu lire un passionnant article décortiquant les raisons pour lesquels les Israélien·nes se pensaient, à tort, immunisé·es contre l’accusation de génocide, en rejoignant certaines thèses contestées de l’historien Daniel Jonah Goldhagen. Dans son ouvrage intitulé Les Bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et l’Holocauste, publié en 1996, ce dernier jugeait que la Shoah s’était fondée sur un antisémitisme « éliminationniste » très ancien et profondément ancré dans quasiment toute la société allemande.
La possibilité de commettre un génocide paraissait, selon cette thèse, difficile à envisager comme un basculement de personnes lambda, mais plutôt comme un long processus de haine attisé par les années.
Au contraire, l’ouvrage de Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, paru en 1992, montrait, comme l’historiographie aujourd’hui dominante, que des traumas historiques et des politiques étatiques pouvaient facilement faire basculer une civilisation « normale » dans des crimes inhumains. L’article d’Haaretz conclut qu’il fallait se situer du côté de Browning pour comprendre pourquoi le peuple israélien n’était pas vacciné contre le risque de commettre un génocide, mais aussi pourquoi il demeurait en mesure de l’éviter.
Honorer les morts, réparer les vivants
Dans ce contexte où le droit international s’avère impuissant à protéger la population de Gaza, tout geste ajoutant à une mortifère concurrence des victimes, alors même que la guerre actuelle est chargée d’une rivalité entre la mémoire de la Shoah et celle de la colonisation, une sensibilité inégale aux deux pires événements du XXe siècle, ne fait alors qu’empirer les choses, quelles que soient les intentions qui le motivent.
Et dans ce contexte où, plus profondément, l’humanité s’effondre sous nos yeux, l’action politique se compromet et le droit international ne nous est d’aucun secours, que reste-t-il alors à faire pour honorer les morts et réparer les vivants ?
On peut et doit sans doute d’abord dire et redire le caractère inédit, en termes de siège et de piège, de ce qui est en train de se passer à Gaza. On connaît, certes, maintes situations où le ratio de morts par jour a été pire : plus de 800 000 Tutsis tués en cent jours au Rwanda au printemps 1994 ; plus de 200 000 personnes exécutées en six semaines par les troupes japonaises à Nankin à partir de décembre 1937 ; plus de 150 000 morts dans le bombardement d’Hiroshima en août 1945 ; plus de 100 000 morts en quelques mois lorsque les troupes russes s’en prennent à Grozny en 1999…
Néanmoins les dégâts humains et matériels dans l’enclave palestinienne sont désormais comparables aux pires exemples de l’histoire, que ce soit Dresde avec 25 000 tués en février 1945 ou Marioupol avec plus de 20 000 morts pendant un siège de trois mois.
L’argument israélien, difficile à entendre pour quiconque regarde les images qui nous parviennent encore de Gaza, repose sur des prémisses discutables et une stratégie qui l’est tout autant. Pour Israël, les morts de Gaza sont des complices du Hamas, des boucliers humains de ses chefs ou, au pire, des dégâts collatéraux d’une guerre totale contre un ennemi caché dans un territoire densément peuplé et urbanisé.
Il est sans doute vrai, dans une perspective anthropologique, que tuer au corps à corps ou brûler vif des êtres humains, comme ce fut le cas le 7 octobre, n’a pas la même signification que de déclencher une frappe depuis un char, un avion ou la salle de commande d’un drone, même si l’on annihile, ce faisant, une famille entière.
Mais il est tout aussi vrai, d’un même point de vue anthropologique, que les vies palestiniennes et israéliennes se valent et qu’à ce compte, l’opprobre vis-à-vis d’Israël ne peut que légitimement monter en flèche au fur et à mesure que les tueries de Palestinien·nes continuent.
Officiellement, les massacres en cours à Gaza n’ont pas pour but d’anéantir une population, mais de démanteler le commandement militaire du Hamas. Mais outre que celui-ci n’a toujours pas été éliminé après quatre mois de guerre, les études sur les effets des bombardements sur les populations civiles montrent que ceux-ci ne produisent aucune désolidarisation vis-à-vis de leurs gouvernants.
Même quand ces derniers règnent et par l’adhésion et par la peur. Et même lorsqu’ils sont accusés par ceux qui les bombardent d’être les responsables des bombes qui touchent les populations civiles.
C’est en réalité le contraire qui se produit le plus souvent, en renforçant le rejet par les bombardé·es de ceux qui les tuent depuis le ciel. C’est en tout cas ce qui ressort aussi bien du travail du politiste Robert Pape, dont le livre Bombarder pour vaincre (La Documentation française, 2011 pour la traduction française d’un ouvrage initialement publié en 1996) fondé sur l’étude de trente-trois campagnes aériennes allant du Japonen 1944-1945 jusqu’à l’Irak en 1991, comme de celui de l’historien Thomas Hippler dans son ouvrage intitulé Le Gouvernement du ciel. Histoire globale des bombardements aériens (Les Prairies ordinaires, 2014).
Bien qu’il soit probable que la rancœur vis-à-vis du Hamas augmente en ce moment dans la bande de Gaza, au vu des destructions humaines et matérielles, et sachant que le mouvement avait perdu beaucoup de sa popularité avant le 7 octobre, il y a cependant de fortes chances que ce cadre général ne soit pas remis en cause dans le cas de Gaza.
Les atrocités commises en ce moment portent donc en germe des abysses susceptibles d’engloutir non seulement encore des milliers de vies palestiniennes, mais aussi l’équilibre du Proche-Orient et jusqu’à la légitimité même d’Israël à exister, dont on sent qu’elle s’effrite au-delà du cercle de celles et ceux qui n’ont jamais accepté l’idée d’un foyer juif refuge en Palestine dans les frontières de 1967. Et ce, au moment même où les actes antisémites explosent partout dans le monde…
Un grand nombre d’Algériens ne renieraient pas le slogan : « Avec la Palestine, qu’elle ait tort ou raison », lancé par l’ancien président Houari Boumédiène. Mais ils sont désormais sans voix, mal représentés par un pouvoir frileux qui ne pèse plus sur la scène internationale.
Le président palestinien Mahmoud Abbas (2e à gauche) rencontrant le président algérien Abdelmadjid Tebboune (2e à droite) et le chef du Hamas Ismail Haniyeh (à droite) lors du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 2022 à Alger.
Thaer Ghanaim/PPO/AFP
Alger, ville où l’Etat de Palestine a été proclamé le 15 novembre 1988. Alger la « Mecque des révolutionnaires », selon la formule du leader indépendantiste de Guinée-Bissao Amilcar Cabral rappelée régulièrement, non sans nostalgie. Mais la ville blanche est condamnée au silence depuis le début de la guerre génocidaire sur Gaza, et l’intensification de la colonisation et de la répression en Cisjordanie.
Dans « l’Algérie nouvelle », slogan du régime censé le différencier de l’ère Bouteflika (de 1999 à 2019), les autorités ont rétabli de fait l’interdiction absolue de manifester qui avait été décrétée par un simple communiqué du gouvernement de la présumée « vieille Algérie » en 2001, après qu’une manifestation dans la capitale ait tourné à l’émeute.
Déstabilisé par le caractère non-violent des manifestations du Hirak entamées le 19 février 2019 et ayant conduit à la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le régime a profité de la cessation des manifestations pour cause de Covid en mars 2020 pour se lancer dans une répression tous azimuts.
PAS DE MARCHE EN SOLIDARITÉ
Sans aucune gêne, les autorités ont mobilisé l’appareil judiciaire pour étouffer toutes les libertés, à commencer par le droit de manifester. « L’espace civique a été si sévèrement restreint par les autorités que même les quelques libertés acquises depuis les années 1990 ont été annihilées », souligne Ziad Abdel Tawab, vice-président de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, cité par Human Rights Watch.
Le 13 octobre 2023, alors que la guerre sur Gaza tourne déjà au grand carnage, des tentatives de marche de soutien aux Palestiniens sont réprimées sans ménagement, le pouvoir excipant de son soutien à la cause palestinienne pour laisser entendre qu’il n’y avait pas besoin de manifester. Mais la frustration et l’exaspération sont perceptibles sur les réseaux sociaux, où l’on ne se prive pas de relever qu’au Maroc, pays qui a normalisé ses relations avec Israël, d’imposantes manifestations ont pu avoir lieu.
Abderrezak Makri, ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) proche des Frères musulmans a pour sa part appelé à manifester mais s’est fait embarquer par les forces de l’ordre. Dans une vidéo, il s’insurge contre cette interdiction de manifester pour la Palestine qui va, selon ses mots, « à l’encontre des valeurs algériennes ». Il invite aussi le pouvoir à organiser lui-même les manifestations : « Sortez et on sera derrière vous ! On ne cherche pas le leadership sur le dos de la noble cause palestinienne ! » L’appel est entendu, et le 19 octobre 2023, des manifestations fermement encadrées mais néanmoins très suivies par des Algériens voulant marquer leur solidarité avec Gaza, sont organisées dans tout le pays. Mais il n’y en aura pas d’autres.
UN APPUI SANS CONSISTANCE
Neuf jours plus tard, Makri publie un message amer sur X (anciennement Twitter) :
Les peuples manifestent actuellement dans les différentes villes du monde en cette nuit terrible où les gens de Gaza sont exterminés, et où des héros se sacrifient pour leur pays et pour Al-Aqsa… Et voilà notre capitale silencieuse, soumise, le régime a réussi à apprivoiser tout le monde, félicitations !
L’islamiste Abderrazak Makri, également secrétaire général du Kuala Lumpur Forum for Civilizational Thought1 et candidat putatif à la présidentielle algérienne de décembre 2024, est loin d’être un opposant radical. Il découvre néanmoins le 28 novembre 2023 qu’il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national (ISTN), la nouvelle arme utilisée, souvent en dehors des règles du droit, pour empêcher les opposants de quitter le pays.
Sur son site internet, il impute cette « agression officielle » à son soutien à la cause palestinienne. Ce n’est sans doute pas la seule raison, mais le sujet palestinien est sans aucun doute source de malaise pour le régime. Officiellement, l’Algérie ne transige pas : le Hamas est un mouvement palestinien de résistance nationale légitime face à l’occupation, et le pays rejette toute normalisation avec Israël. Mais dans les faits, au-delà des tentatives – vaines - de ressouder les liens entre le Fatah et le Hamas, et le paiement régulier d’une contribution financière à l’Autorité palestinienne, le soutien de l’Algérie est sans consistance.
UNE AURA PERDUE
Sur les réseaux sociaux, restés de fait le seul espace d’expression relativement libre, beaucoup d’Algériens ne sont pas surpris de voir que c’est l’Afrique du Sud et non leur pays qui saisit la Cour Internationale de justice (CIJ) en raison du génocide en cours à Gaza. Si les compétences pour mener une telle saisie ne manquent pas, l’Algérie a néanmoins perdu de son aura politique au niveau international. La « Mecque des révolutionnaires » a cessé d’être la grande référence du tiers-monde2.
Pour beaucoup d’Algériens, la cause est entendue : si l’Afrique du Sud « ose » porter la cause palestinienne devant la CIJ, cela tient fondamentalement au fait qu’elle est une démocratie incontestable, capable d’agir en conformité avec son histoire, sans tenir compte des réprobations américaines et occidentales.
Tout comme d’autres régimes dits « progressistes » du monde arabe, supplantés par les monarchies au sein de la Ligue arabe, Alger a raté une sortie par le haut du système autoritaire mis en place à l’indépendance. Le décalage entre les grandes ambitions de la révolution algérienne et la terne réalité d’un régime autoritaire était déjà béant avec les émeutes de la jeunesse d’octobre 1988 ; il est devenu abyssal avec la guerre civile des années 1990. Durant cette période de repli, l’action politique à l’extérieur s’est limitée à essayer de sauver l’image passablement dégradée du régime, tandis que la question du Sahara occidental devenait plus que jamais l’axe central de la diplomatie, supplantant de fait la cause palestinienne.
Choisi par les militaires en 1999, notamment pour redorer l’image de l’Algérie à l’étranger, Bouteflika voyage beaucoup, parle beaucoup. Mais l’effet retombe vite. À partir de 2012, le pays est devenu aphone avec un président malade, incapable de s’exprimer et maintenu au pouvoir contre le bon sens. Cette période de grande déprime accentue l’absence de l’Algérie au plan international. Le pays revient sur le devant de la scène en 2019 avec le Hirak, tranchant par son pacifisme avec une tradition de contestation violente. Cependant, l’opportunité d’opérer un changement réel est rejetée par les élites au pouvoir.
Même si les médias mis au pas brodent sur le « grand retour de l’Algérie » sur la scène internationale, les revers diplomatiques s’accumulent : candidature rejetée pour l’adhésion au groupe des BRICS3 malgré un périple du président Abdelmadjid Tebboune à Moscou et Pékin, échec du bras de fer engagé durant 19 mois avec Madrid après l’alignement de Pedro Sanchez sur le Maroc sur la question du Sahara Occidental, relations devenues difficiles avec les voisins du Sahel, le Mali et le Niger…
DERRIÈRE L’EMPHASE, LE PROFIL BAS
Le régime algérien navigue à vue entre la Russie, la Chine et les États-Unis sans qu’aucune vision n’émerge. La volonté de ne pas s’aliéner Washington est, au-delà des discours nationalistes à consommation interne, d’autant plus évidente que le lobby pro-israélien favorable au Maroc peut causer de sérieuses nuisances. Beaucoup s’étonnent aussi des balades dans le pays très médiatisées sur les réseaux sociaux de l’ambassadrice américaine alors que Gaza est sous les bombes.
Il s’agit de ne pas faire de vagues vis-à-vis des États-Unis, surtout que l’allié russe présumé n’a pas évité à l’Algérie la déconvenue du rejet de sa demande d’adhésion aux BRICS. L’échec a été d’autant plus ressenti par le pouvoir que l’adhésion, considérée comme acquise, a été présentée par les médias du régime comme la « confirmation » du grand retour de l’Algérie sur la scène internationale. « L’allié » russe maintient au demeurant de bonnes relations - notamment commerciales - avec le Maroc. Il apporte également un appui concret, via le groupe Wagner, à la junte militaire au Mali, dont les rapports se sont grandement dégradés avec l’Algérie4.
Le géographe Ali Bensaad souligne dans un billet de blog5 le rôle des Émirats arabes unis dans les difficultés que connaît l’Algérie avec ses voisins du Sahel. Selon lui, Abou Dhabi alimente un « nouveau front militaire » au Sahel où l’influence algérienne est en « net recul », le but étant « d’ouvrir la voie à une reconfiguration des alliances notamment au profit du Maroc et d’Israël ».
Il n’est pas surprenant dès lors que, sur la question palestinienne, c’est le profil bas qui domine. Khaled Satour, juriste au regard critique, relevait sur son blog que l’Algérie s’est abstenue au Conseil de sécurité sur la résolution soumise le 10 janvier 2024 par les États-Unis pour légitimer les attaques contre les houthis, dont l’action à haut risque s’avère être le soutien le plus concret aux Palestiniens à Gaza. Il souligne :
L’intervention [du représentant de l’Algérie] a été d’une inconsistance remarquable, usant de circonlocutions « diplomatiques » à peine compréhensibles pour exprimer sa désapprobation de la coalition militaire montée avec dix autres pays par les États-Unis contre le mouvement yéménite, en évitant soigneusement d’évoquer la situation à Gaza ; et qui s’est contentée d’une abstention alors qu’un vote négatif, s’il n’empêchait pas l’adoption de la résolution, aurait du moins signifié une opposition politiquement significative.
Le journaliste Nadjib Belhimer note aussi sur sa page Facebook qu’un vote négatif de l’Algérie n’aurait pas eu d’incidences mais « qu’il a un coût politique que les autorités algériennes ne sont pas prêtes ou capables d’assumer ». Le vrai problème, souligne-t-il, est le fossé entre un discours officiel à consommation interne qui met la barre haut et la réalité : « Pour la millième fois : arrêtez la propagande qui ne sert à rien et retrouvez la vertu de vos anciens qui agissaient beaucoup et parlaient peu ».
Au lendemain des brillantes plaidoiries sud-africaines à la CIJ, l’écrivain Amin Khan a écrit sur sa page Facebook :
Hier, l’Algérie combattante a été décisive dans la libération de l’Afrique sous domination coloniale. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud est décisive dans la libération du peuple palestinien et des autres peuples de la Région sous domination coloniale ou néocoloniale.
En répondant en exclusivité à Orient XXI, le secrétaire national du PCF livre une analyse du conflit renvoyant dos-à-dos gouvernement israélien et Hamas. Le député du Nord exhorte la France à sortir de son effacement sur un sujet que le président qualifiait il y a peu - nous révèle-t-il - de second rang. Il parle ici de ce qui divise la gauche : le terrorisme, l’apartheid israélien, la solidarité avec la Palestine.
Orient XXI -Depuis le 7 octobre, un débat autour du Hamas traverse la gauche. Si tout le monde s’accorde au PCF pour parler d’attaques terroristes, il y a des divergences d’analyse pour le qualifier de mouvement terroriste. Peut-on interdire un mouvement qui représente près de la moitié des Palestiniens ?
Fabien Roussel - Tout le monde ne qualifie pas les actes du 7 octobre d’attaques terroristes et je le regrette. Et je dis, avec la même force, qu’elles ne justifient en rien les bombardements massifs et incessants sur Gaza. Pour gagner la paix, il faut cesser le deux poids deux mesures de tout côté. Quiconque affirme porter une perspective de paix doit également dire sans ambiguïté que ce que subit le peuple palestinien à Gaza et dans les territoires occupés est une blessure pour l’humanité, aussi atroce que les crimes commis le 7 octobre. Ma conviction est que le gouvernement d’extrême-droite de Nétanyahou ou le Hamas, quel que soit leur poids dans leurs opinions respectives, ne permettront pas de trouver une solution politique à ce conflit, car tous deux sont opposés à la coexistence pacifique des deux peuples au sein de deux États.
POUR EMMANUEL MACRON, UN CONFLIT DE « SECOND RANG »
OXXI. -Il y a aussi un grand abandon de Gaza et des Palestiniens, par l’Union européenne, ainsi que par une partie du monde arabe avec les accords d’Abraham. Que faut-il faire pour remettre la question palestinienne au centre du jeu ?
F. R.- Quand le président de la république a réuni les chefs de partis à Saint-Denis le 28 août 2023, bien avant le 7 octobre, cela a duré treize heures au total, dont trois heures de discussions préliminaires sur la situation internationale, l’Ukraine, l’Arménie... À la fin de cet échange, alors que le Président voulait enchainer le débat sur la situation française, je l’ai arrêté et j’ai dit : « Monsieur le Président, il faut parler de la Palestine. La France s’honorerait de prendre une initiative politique pour remettre cette question au cœur de l’actualité internationale car je crains une explosion, c’est terrible ce qui se passe là-bas ». Le Président a balayé ma demande d’un revers de main en disant que cette guerre était un conflit de « second rang », pour reprendre son expression, et que même les pays arabes ne mettaient plus la question palestinienne au rang de leurs priorités, alors pourquoi la France le ferait-elle ? Je regrette ce choix des pays arabes et des États-Unis, mais je regrette tout autant la position de la France, qui n’était pas obligée de s’aligner sur le sujet.
OXXI. - Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à résister se discute-t-il ? Aucune guerre de libération n’a été exempte de l’utilisation d’actions terroristes si l’on définit celles-ci comme des attaques contre les civils. Cela a été notamment vrai en Algérie, au Vietnam…
F. R.- Je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas historien, et je ne veux pas parler à leur place, mais j’ai demandé aux historiens du parti communiste de me sortir les archives pour vous répondre. Le parti communiste français (PCF) a défendu et soutenu le FLN et s’est battu pour la décolonisation de l’Algérie et son indépendance1. Les rares fois où il y a eu des civils délibérément tués, nous nous en sommes désolidarisés. Que ce soit en Algérie, que ce soit au Vietnam, des peuples colonisés ont fait le choix de recourir à la lutte armée pour s’en prendre à une armée mais pas aux civils. Ils n’ont pas organisé des viols, ils n’ont pas délibérément tué des enfants, ils n’ont pas froidement assassiné des civils désarmés par centaines. Quand j’entends, parfois, que le terrorisme c’est l’arme du pauvre, je me soulève contre cette idée. Je ne la partage pas du tout.
Après je ne suis pas dupe de l’usage du mot terrorisme, et je sais aussi que les États-Unis sont les premiers à en abuser. Ils l’ont posé sur le front de Nelson Mandela quand il était en prison, mais ensuite ils sont allés pleurer sur sa tombe. Ils l’ont posé sur le keffieh de Yasser Arafat, puis ils l’ont accueilli à la Maison-Blanche. Aujourd’hui ils font de Cuba un pays terroriste parce qu’il a accueilli les négociateurs de la paix en Colombie. Je connais la charge politique de ce mot. Mais pour nous communistes, qui sommes le parti de la Résistance, nous ne confondrons jamais le combat pour la libération et l’indépendance d’un peuple et des actes de barbarie qui s’en prennent délibérément à des civils.
OXXI. -L’Afrique du Sud a porté devant la Cour internationale de justice (CIJ) une plainte contre Israël pour « actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ».
F. R.- Je ne crains pas d’employer les mots de « risque génocidaire ». Plus de trente rapports d’organisations des Nations unies parlent très précisément de « risque génocidaire ». La saisine de la Cour internationale de justice par l’Afrique du Sud, un pays qui a réussi à mettre fin à l’apartheid est, outre sa portée symbolique, une excellente initiative. C’est peut-être le moyen de faire prendre conscience à de nombreux pays, notamment ceux de l’Union européenne et les États-Unis, qu’ils pourraient par leur silence être complices de crimes. Ce peut être aussi à court terme un des moyens d’imposer un cessez-le-feu.
Pour ces deux raisons, je salue cette initiative, d’autant que les propos de ministres racistes et suprémacistes israéliens appelant à éliminer le peuple palestinien, traitant les Palestiniens d’animaux doivent nous faire mesurer l’extrême gravité de ce qui se déroule en ce moment dans cette région du monde, et donc du devoir qui est le nôtre de mobiliser nos compatriotes. Il ne peut plus y avoir deux poids deux mesures et d’indignation sélective en matière de droit international.
OXXI. -Plusieurs pays accusent l’Occident et donc la France d’être dans une logique de deux poids deux mesures. Que répond-t-on au président colombien Gustavo Petro, pour qui l’Afrique du Sud incarne désormais le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité, ce qui est assez vexant pour la France.
F. R.- Ce n’est pas vexant, c’est une réalité. J’ai aussi interpellé le président de la république à ce sujet, en lui disant que la France s’honorerait d’établir des passerelles diplomatiques globales, car c’est notre histoire. Le PCF a demandé au président de reconnaitre l’État de Palestine, comme l’a fait l’Espagne, pour faire un pas supplémentaire, mais il s’y refuse.
POUR LA SUSPENSION DES ACCORDS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET ISRAËL
OXXI. - Quel doit être le message de la gauche sur Israël-Palestine aux élections européennes de juin prochain ? On sait qu’Israël est associé à l’Union européenne par de nombreux accords.
F. R.- Je crains l’embrasement généralisé et le chaos dans cette région du monde. La paix ne viendra ni du gouvernement Nétanyahou ni du Hamas. Il faut un cessez-le-feu, une solution à deux États. Ce sont les Nations unies qui ont imposé la création de l’État d’Israël. Ce qui a pu être fait en 1948 peut être fait aujourd’hui pour imposer un État palestinien aux côtés d’un État israélien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale et la décolonisation de la Cisjordanie. C’est parce qu’il manque une perspective politique que la guerre se poursuit. La liste conduite par Léon Deffontaines aux élections européennes portera cette exigence de cessez-le-feu, de libération des otages et de sanctions économiques européennes contre Israël par la suspension de l’accord d’association UE-Israel tant que les bombardements contre Gaza n’auront pas pris fin, et appellera à une solution à deux États. Je le dis parce que tout le monde ne le dit pas.
OXXI. -L’usage du mot apartheid à propos d’Israël a été largement porté par votre parti, notamment par le député Jean-Paul Lecoq, dans une résolution au Parlement que vous avez votée, puis dans une résolution à votre Congrès. Pourtant, un de vos proches Christian Picquet conteste son usage.
F. R.- La résolution du parti porte sur la dénonciation d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien. En Cisjordanie c’est très concret. Il y a deux catégories de résidents là-bas : des colons qui ont tous les droits, et des colonisés qui n’en ont aucun. Les colonies sont des havres de paix, mais les villes palestiniennes juste à côté vivent l’enfer, les maisons y sont détruites, et les oliveraies y sont saccagées. Donc ne craignons pas d’utiliser ce mot d’apartheid pour caractériser ce qui se passe en Cisjordanie. Mais ce n’est pas le cas en Israël, où des députés communistes et arabes côtoient des élus d’extrême droite…
OXXI. - Pourtant ils se font menacer d’être expulsés de la Knesset. Vous venez d’ailleurs d’en rencontrer quelques-uns en visite en France.
F. R.- Certes mais ils sont élus au Parlement, ce n’est pas une petite nuance. Les communistes israéliens m’ont alerté sur la pression qu’ils subissent de la part du gouvernement. Ainsi, le député Ofer Cassif est menacé d’expulsion de la Knesset pour avoir soutenu l’Afrique du Sud dans sa démarche. Là encore, la France et l’Union européenne ne peuvent pas rester silencieuses. Le drame c’est que la gauche israélienne partisane de la solution à deux États est extrêmement affaiblie. Le drame c’est que ceux qui défendent au sein de l’OLP un État de Palestine libre, laïque et démocratique sont très affaiblis eux aussi. Malgré tout, nous resterons aux côtés des partisans d’une solution à deux États, Israéliens comme Palestiniens, et nous combattrons l’annexion de la Cisjordanie par l’État d’Israel, comme le porte l’extrême droite israélienne. Cependant nous combattrons aussi le projet d’un État islamiste porté par le Hamas qui est une terrible menace pour le peuple palestinien lui-même.
OXXI. –En Israël, les manifestations de la société civile ont repris ces derniers jours. La question de la libération des otages est au cœur de ces protestations, et on a l’impression d’un pays, vous avez employé le mot tout à l’heure, au bord du chaos.
F. R.- J’ai rencontré il y a quelques jours un réserviste israélien sur un plateau de télévision. Je ne partage pas tout ce qu’il a dit mais il fait partie de ces centaines de milliers d’Israéliens qui ont manifesté pendant des semaines contre le gouvernement de Nétanyahou…
OXXI. -Il fait aussi partie de ces Israéliens qui tuent des Palestiniens à Gaza.
F. R.- Je pense qu’il ne faut pas avoir une vision simpliste, en noir et blanc de ce qui se passe là-bas. Je me garderai de juger qui que soit. Si des Palestiniens disent aujourd’hui que le Hamas n’est pas une organisation terroriste, et si un soldat israélien dit je suis allé là-bas mais je combats Nétanyahou, je ne me permettrais pas de les juger, même si j’ai un point de vue différent. Le point de convergence avec ce réserviste israélien, c’est quand il dit : "tant qu’il n’y aura pas de perspectives politiques, la guerre continuera".
OXXI. - Vous comprenez qu’aujourd’hui pour beaucoup de Palestiniens, le Hamas est en train de faire bouger les lignes…
F. R.- Je ne suis pas à leur place, c’est eux qui prennent les bombes. Et c’est le peuple israélien qui a été meurtri dans sa chair. J’ai lu cette autrice franco-israélienne, Laura Moses-Lustiger. Elle dit que la souffrance israélienne la rend aveugle à celle des Palestiniens. Je me garde de porter des jugements sur les uns et sur les autres.
L’ACCUSATION D’ANTISÉMITISME, « UNE ARME AFFREUSE, HORRIBLE, INDÉCENTE »
OXXI. -L’antisémitisme est un combat historique du Parti communiste français depuis les années 1950. Mais comment décorréler la lutte contre ce fléau des amalgames entre antisémitisme et « antisionisme », mot pratiquement criminalisé mais jamais clairement défini.
F. R.- La lutte contre l’antisémitisme est dans nos gênes. La loi Gayssot qui pénalise le racisme et l’antisémitisme a été écrite par un communiste. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons fait le choix de marcher le 12 novembre 2023 contre l’antisémitisme, même si cette marche était pleine de pièges et que j’en ai voulu aux présidents des deux chambres de la manière dont elle avait été organisée. Pour autant il ne faut pas tortiller pour dénoncer, condamner et lutter contre l’antisémitisme. Ensuite, je dénonce le fait que quand les communistes et d’autres militants prennent des positions pour soutenir le peuple palestinien, ils sont accusés d’antisémitisme. C’est insupportable. Nétanyahou, son gouvernement, sa diplomatie mettent la pression sur la diplomatie française et européenne : s’ils n’apportent pas un soutien inconditionnel à Israël, alors ils sont antisémites. C’est une arme affreuse, horrible, indécente, ignoble que je dénonce. Notre diplomatie a été tétanisée par cela, tout comme beaucoup de responsables politiques français. Pas nous. Il n’y a pas deux peuples que je renvoie dos-à-dos. Il y a un gouvernement israélien qui fait le choix d’occuper le territoire palestinien. Il y a un occupant et un occupé.
Et en même temps, je suis fier d’appartenir à un parti qui a toujours combattu l’antisémitisme, et tous les racismes sans faire de distinction. Et nous continuerons de le faire dans le dialogue que nous avons avec la société française, dans toutes ses composantes, sans jamais confondre la communauté juive avec le gouvernement israélien.
OXXI. - Si vous arrivez au pouvoir, vous abrogez la directive Alliot-Marie qui criminalise en partie les actions de solidarité avec la Palestine ?
F. R.- Il y a une loi, elle est suffisante, c’est la loi Gayssot. Je dénonce la criminalisation de militants qui œuvrent pour la paix, alors que des responsables politiques d’extrême droite font la promotion de Pétain.
OXXI. - Tout en défilant le 12 novembre…
F. R.- ... sans qu’ils ne soient jamais condamnés. J’avais présenté une résolution à l’Assemblée pour que la loi Gayssot soit appliquée avec plus de fermeté et avec des peines d’inéligibilités pour certains élus. Et surtout je veux dénoncer la complicité entre les extrêmes droite israélienne, française et européenne. Aujourd’hui Nétanyahou trouve avec Bardella et Le Pen ses meilleurs soutiens en France. Bardella, dans les réunions de chefs de partis avec le Président dit qu’il ne faut pas réclamer un cessez-le-feu, et que les dirigeants israéliens ont le droit de pourrir la vie des Gazaouis en violant le droit international. C’est extrêmement grave, je suis très inquiet de cette convergence idéologique. Ces extrême-droites menacent la démocratie et la paix du monde.
« SI JE SUIS INVITÉ, J’IRAI AU DÎNER DU CRIF »
OXXI. -Depuis le 7 octobre, le mouvement de solidarité en France semble assez faible. Le PCF a toujours été un acteur important de la solidarité avec la Palestine. Que faire pour la relancer aujourd’hui ?
F. R.- Pour que la communauté internationale se bouge, il faut que les peuples se manifestent. J’ai constaté comme vous que la mobilisation n’a pas toujours été au rendez-vous. Il y a d’abord eu une répression dure et scandaleuse de la part du ministère de l’intérieur, alors que nous aurions dû aller tous ensemble manifester, et exprimer autant notre soutien au peuple israélien meurtri dans sa chair le 7 octobre qu’au peuple palestinien qui subit une vengeance sauvage. S’il n’y a pas eu ces mobilisations très larges, c’est aussi parce qu’il y a eu des débats à gauche sur la qualification du Hamas et des attentats du 7 octobre, mais aussi à propos de la perspective politique concrète, par exemple la nécessité de reconnaître l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël. Cela a semé le trouble sur le contenu de ces mobilisations et je le regrette.
OXXI. - Si vous êtes invité au prochain dîner du CRIF, vous y allez ?
F. R.- Si je suis invité, j’irai, bien sûr.
OXXI. -Enfin que répondez-vous à Jean-Claude Lefort, un historique du PCF et de la cause palestinienne, qui démissionne du parti en vous reprochant de ne pas l’avoir soutenu dans sa démarche pour empêcher Darmanin de qualifier Salah Hammouri de « terroriste », accusation israélienne sans preuves.
F. R.- Ce n’est pas vrai, j’ai multiplié les interventions par oral et par écrit auprès du président de la république, auprès de Gérald Darmanin pour défendre les droits de Salah Hammouri. Il est cher au cœur des communistes de se mobiliser et de continuer à le faire pour qu’il puisse jouir de l’ensemble de ses droits.
Combien de morts faut-il au vengeur pour assouvir sa vengeance et redresser les torts de ceux qui ont assombri son sort ? 27 000 ? 270 000 ? 2 700 000 civils ?
Ils et elles ont 9 ans, 17 ans, 22 ans et 25 ans et cumulent des millions d’abonnés. Depuis le 7 octobre, ces jeunes s’emparent des réseaux sociaux pour ouvrir les dernières fenêtres sur l’enclave palestinienne.
AvecAvec plus de 18 millions d’abonnés sur Instagram, Motaz Azaiza possède davantage de followers que le président étatsunien Joe Biden. Mais le photographe gazaoui de 24 ans, propulsé reporter de guerre après le 7 octobre, a annoncé le 23 janvier dernier qu’il quittait la bande de Gaza : sa notoriété nouvelle lui ayant permis de franchir le poste-frontière de Rafah puis de prendre, pour la première fois de sa vie, un avion, à destination du Qatar.
La relève est toutefois déjà là. D’abord avec la plus jeune reporter de Gaza et probablement du monde, Lama Abu Jamous. Du haut de ses 9 ans et de ses près de 800 000 abonnés sur son compte Instagram, la toute jeune fille se présente comme « journaliste palestinienne ».
Ce n’est qu’en mai 2023 qu’elle a publié sa première photo sur le réseau social. Sont ensuivies quelques rares autres publications, où elle explique encore des choses de son âge, par exemple comment elle est surnommée « nutella » à cause de sa peau foncée et de son attirance pour cette pâte à tartiner.
Jusqu’au 9 décembre dernier où son rythme de publication devient quotidien. Après un nouveau bombardement, elle décide en effet de documenter sa vie sous les bombes. Ce jour-là, elle filme les rues de Khan Younès en disant chercher de la nourriture. Le 10 décembre, elle s’empare d’un micro siglé Al Jazeera et explique, droite dans sa salopette noire, qu’elle a décidé de couvrir la guerre. Deux jours après, on retrouve la jeune fille au débit encore enfantin expliquer qu’elle est désormais à Rafah, chez des cousins.
Jointe par Mediapart, elle explique : « J’aime le journalisme. Avant la guerre, je parlais dans une émission à la radio de l’école. Ensuite il y a eu la guerre. Le jour où la maison de ma tante a été bombardée, et qu’ils ont commencé à tuer des journalistes, j’ai décidé de filmer et raconter ce qui se passe. »
Peur des bombardements
Son père est ingénieur télécoms et sa mère femme au foyer. Elle habitait dans le centre de Gaza City mais sa famille a dû fuir les combats, d’abord à Khan Younès, chez ses grands-parents, puis à Rafah, accueillie par la famille éloignée.
« J’ai peur des sons des bombardements mais mon papa me dit qu’il ne faut pas avoir peur même si c’est proche. Il me dit que si les bombardements sont très proches, on ne sentira rien », raconte encore l’écolière, benjamine d’une famille de quatre enfants, dont la plus grande a 16 ans.
Sur son Instagram, on la voit interviewer une autre jeune femme devenue célèbre sur les réseaux sociaux par la guerre à Gaza, Bissan. Puis, le 15 décembre dernier, tendre son micro à Wael al-Dadouh, le journaliste star d’Al Jazeera à Gaza, qui a appris en direct la mort de sa femme et de ses enfants, et vient récemment de quitter l’enclave pour le Qatar. Alors qu’elle lui demande quel « message [aimerait-il faire passer] au monde », il répond : « On passe par des moments très difficiles. Le peuple palestinien paie un prix très fort. On souffre énormément avec tous les martyrs qui tombent chaque jour. Mais on va tenir. Et tant qu’il y aura des personnes comme toi, on y arrivera. »
Je veux être une petite journaliste. Je veux que le monde entende la voix de la Palestine. C’est pour ça que je fais des vidéos
Lama Abu Jamous, 9 ans
Au fur et à mesure que les jours s’écoulent même si c’est toujours d’une toute petite voix, on sent Lama Abu Jamous prendre de l’assurance et documenter sa vie de réfugiée. Le 17 décembre, elle est à la recherche d’un peu d’eau pour sa famille. Le 19, tout en jouant avec sa poupée, elle interviewe d’autres enfants dans un camp de réfugiés en leur demandant s’ils regrettent de ne plus pouvoir aller à l’école. Deux jours après, elle montre comment se prépare un dîner dans la cour d’une école de Rafah gérée par l’UNWRA remplie à craquer de réfugiés du nord de Gaza.
Le surlendemain, elle explique qu’elle aimait aller à la mosquée al-Omari, construite il y a plus de mille quatre cents ans et détruite par un bombardement israélien le 9 décembre dernier. Le 12 janvier, elle demande à ses abonnés « d’écouter les avions passer au-dessus de nos têtes » en faisant entendre le bruit assourdissant qui l’entoure. Quelques jours plus tard, elle écrit seulement : « Où est l’humanité ? »
« Je veux être une petite journaliste. Je veux que le monde entende la voix de la Palestine. C’est pour ça que je fais des vidéos », confie-t-elle encore à Mediapart.
Abod, quant à lui, vient tout juste d’avoir 17 ans, mais sa gouaille gazaouie en a déjà fait une star, sans doute aussi parce que ses posts constituent une des rares occasions de rire ou sourire dans l’enfer apocalyptique qu’est devenue l’enclave palestinienne.
Avec près de trois millions d’abonnés sur Instagram, le jeune homme se présente depuis le début de l’offensive israélienne comme le « meilleur correspondant de guerre du monde pour l’année 2023 » et le « véritable héritier de Shireen Abu Akleh », la journaliste vedette d’Al Jazeera tuée par un sniper de l’armée israélienne au printemps 2022 alors qu’elle couvrait une incursion de cette dernière dans le camp de Jénine en Cisjordanie. Depuis qu’il a été arrêté par l’armée israélienne, déshabillé et détenu pendant une journée dans le nord de Gaza, il a ajouté une phrase à son profil : « prisonnier palestinien libéré ».
Sa première photo postée sur Instagram remonte à seulement un an, et l’adolescent n’avait quasiment rien publié avant le 8 octobre dernier. Ce jour-là, il commence une chronique où il se met en scène, un fil électrique avec une ampoule au bout en guise de faux micro, sur le balcon de l’appartement familial à Gaza City.
On le voit quasiment toujours souriant, proposant à ses abonnés « d’écouter le son des avions » qui passent au-dessus de lui ou racontant que sa mère l’a réveillé à 4 heures du matin : « Je me suis dit que la Palestine était libérée », commente-t-il.
Au début de l’offensive, culot et ironie se mêlent dans ses publications. Le 15 octobre, il explique par exemple : « Je vais vous faire une vidéo rapidement avant que la guerre terrestre ne commence. Je suis très content que cela arrive enfin, parce que ma mère n’arrête pas de me faire faire des commissions et j’en ai marre. »
Deux jours après, il plaisante sur les propos du porte-parole de la branche armée du Hamas, Abu Obeida qui vient d’annoncer que les otages seraient nourris de la même façon que les habitants de Gaza. « Pauvres otages, ils doivent avoir la bouche en feu », commente Abod, en référence à la nourriture réputée pimentée de Gaza comparée aux autres mondes palestiniens. Le 19 octobre, il partage une vidéo montrant des roquettes lancées sur Israël et on l’entend, avec ses amis, dire : « Allez, allez, tape ! tape ! » Deux jours plus tard, il filme des bâtiments détruits qu’il commente par des mots hostiles à l’Autorité palestinienne : « Avec ça, Abu Mazen doit être content. » Quelques jours plus tard, il appelle à boycotter les produits israéliens et américains.
Au fur et à mesure que le conflit avance dans le temps, et toujours avec son fil électrique surmonté d’une ampoule désormais brisée, Abod quitte de plus en plus souvent son balcon, pour raconter sa vie quotidienne, la nécessité de se lever à 5 heures du matin pour trouver à manger ou de marcher une demi-heure pour charger son téléphone.
Encore une guerre et j’entre dans le Guinness Book des records.
Abod, 17 ans
Le 5 novembre, il est dans une rue et demande à un enfant de 5 ou 6 ans ce qu’il fera quand il sera grand. « Je vais être Hamas », répond le garçonnet. Le lendemain, il filme des gens accourus sur le site d’une maison entièrement détruite par un bombardement israélien. « Il y a quand même une différence culturelle, commente Abod. À Tel-Aviv, quand il y a des roquettes, tout le monde se dirige vers les abris. Ici, tout le monde se rapproche du lieu de l’explosion. »
À la fin du mois de novembre, on sent la lassitude le gagner et son ton se faire plus tragique. « Il faut que les Israéliens comprennent qu’on ne partira jamais d’ici. Je n’en peux plus. Qu’ils se décident : soient ils nous tuent tous, soit ils repartent. » Dans un post datant du 28 novembre, il retrouve un peu de son humour noir : « Je suis né en 2006. J’ai vécu la guerre de 2007. Celle de 2014. Celle de 2021. Maintenant celle-ci. Encore une guerre et j’entre dans le Guinness Book des records. »
Le 18 décembre, il raconte en détail son arrestation : « J’ai entendu le haut-parleur de l’armée israélienne. Je suis sorti les mains sur la tête, comme demandé. Je n’avais jamais vu un soldat israélien en vrai de toute ma vie. J’ai été retenu pendant sept heures avant qu’on me laisse partir. »
Le 1er janvier de cette année, il adresse un message plus grave que d’habitude à tous ses abonnés : « Vous êtes tous en tain de célébrer la nouvelle année. Mais nous sommes en train de mourir. Ceux qui ne sont pas morts ont perdu leur maison et leur famille. Ceux qui vivent encore ont plus de problèmes encore que ceux qui sont morts. Chaque jour est plus difficile que la veille. On meurt et personne ne nous entend mourir. »
Ton révolté et ironique
Quelques jours plus tard, on retrouve cependant son ton davantage révolté et ironique : « J’ai décidé d’appeler les associations qui militent pour le droit des animaux. Puisque tout le monde se fiche des humains palestiniens, on a peut-être encore une chance de sauver nos chats qui eux non plus n’ont pas de quoi boire ni manger. »
Alors qu’Abod s’exprime dans toutes ses publications en arabe dialectal, avec un accent de titi gazaoui, il change de registre le 14 janvier, pour les 100 jours de la guerre qui détruit Gaza et a déjà fait alors plus de 20 000 morts. C’est en arabe classique qu’il commente une vidéo d’immeubles éventrés : « Même si cela s’arrêtait maintenant, comment pourrait-on oublier cela ? »
Lama et Abod s’adressent en arabe à un public en majorité palestinien. Mais, à l’instar de Motaz Azaizi, plusieurs de celles et ceux qui se sont emparés d’Instagram comme d’un espace médiatique et politique inédit à l’occasion de la guerre à Gaza, choisissent de s’y exprimer en anglais en jugeant que leur mission consiste à informer le monde de ce qui se passe dans l’enclave palestinienne et alors que les journalistes internationaux y sont toujours interdits d’accès. Parmi ceux-là, deux voix et visages féminins se détachent.
La première, Plestia Alaqad, est issue d’une grande famille de Gaza, comme en témoignent ses publications antérieures au 7 octobre, où elle montre par exemple une photo d’une splendide bibliothèque familiale montant jusqu’au plafond. Avant la guerre, la jeune fille de 22 ans postait des photos d’elle bras nus et cheveux au vent sur la plage de Gaza ou au Roots Hotel, l’un des établissements de luxe de la corniche. Elle y décrivait ce qu’elle nommait sa « belle vie dans une jolie prison ».
À partir de 9 octobre, celle qui allait occuper un poste dans les ressources humaines, abandonne toute vie professionnelle pour se plonger dans la vie des Gazaoui·es sous les bombes. Elle troque des images où on la voyait apprêtée et maquillée pour d’autres où elle a les cheveux tirés en arrière sous un casque de protection siglé « Presse ». Alliant logique journalistique et codes d’influenceuse, elle capte l’attention au fur et à mesure que les troupes israéliennes pénètrent plus loin dans Gaza City.
De seulement quatre mille abonnés avant la guerre, elle frôle désormais les cinq millions de followers, au point de s’être attiré les foudres de certains médias israéliens l’accusant de répéter la propagande du Hamas, puis d’avoir vu son compte Instagram piraté.
Exceptionnellement, c’est en arabe qu’elle annonce avoir quitté Gaza pour l’Égypte après quarante-cinq jours de guerre, par peur que sa famille soit ciblée comme l’ont été beaucoup de journalistes depuis début octobre, et en exprimant son immense culpabilité d’être parvenue à franchir le terminal de Rafah tandis que la plupart des habitant·es de Gaza demeurent soumis au feu de l’artillerie et de l’aviation d’Israël.
Bisan Owda, 25 ans, est, elle, toujours à Gaza et son nombre d’abonnés sur Instagram augmente encore plus vite que son désespoir. « Appartenons-nous au monde ? Est-ce que quelqu’un nous entend ? Cour internationale de justice, es-tu certaine que ton exigence vis-à-vis d’Israël a été de stopper tout acte de génocide ? », demandait-elle dans une publication du 30 janvier dernier sur son compte suivi par plus de quatre millions de personnes.
J’ai perdu mes rêves, mon travail, mon matériel, ma maison.
Bisan Owda, 25 ans
Avant le 7 octobre, elle aussi était une inconnue, avec une présence anecdotique sur les réseaux sociaux, sur lesquels elle faisait le récit d’une de ses journées à Gaza et postait des images d’un mariage ou de ses cours de boxe. Quelques jours seulement avant le déclenchement de la guerre, on la voit à Beyrouth poster des photos d’elle à l’aéroport, agrémentées d’une musique d’Édith Piaf, « emportée par la foule ».
Le 8 octobre, le ton change subitement. Les premiers jours, elle ne poste pas de vidéos, mais seulement des messages écrits en lettres noires, affirmant notamment : « Il se passe en ce moment à Gaza des choses que vous ne verrez pas dans les journaux. »
Quelques jours après, le 12 octobre, elle publie une vidéo d’elle marchant dans la rue au milieu des destructions, puis en larmes à l’arrière d’une voiture avec pour commentaire : « J’ai perdu mes rêves, mon travail, mon matériel, ma maison. » Ce qui lui vaut des milliers de « like » mais aussi quelques commentaires du genre : « Porte un hijab et enlève to
n vernis à ongles. Tu ne veux pas mourir dans cet état. Couvre-toi. Tu es proche de rencontrer Allah. »
La jeune chef-op habitant dans le quartier chic de Rimal, à Gaza City est ensuite évacuée vers le sud. Dans l’une de ses dernières publications, on la voit, parka sur le dos et appareil photo à la main, poser au milieu de la route Salah al-Deen (Saladin) qui reliait le nord et le sud de la bande de Gaza. Et elle commente la photo avec ces mots : « C’est une honte pour toute l’humanité que la conclusion d’un cessez-le-feu prenne autant de temps et donne aux forces d’occupation le temps de tuer davantage de civils et d’enfants et de détruire des milliers de maisons et de rues ! Chaque minute qui passe pour les Palestiniens de la bande de Gaza sous ce génocide est comparable à un siècle de torture ! »
Ce n'est pas à toi que j'apprendrai que la vitesse de propagation d'un son, d'un bruit, d'une rumeur est supérieure à la vitesse de propagation de la lumière... pas besoin de voir pour croire, il suffit d'entendre une voix, plusieurs voix pour ne plus avoir ni l'envie, ni la force d'y répondre.
Le spécialiste du Proche-Orient Nathan Brown analyse, dans un entretien au « Monde », le soutien indéfectible des Etats-Unis à l’Etat hébreu depuis sa création, une relation amenée à évoluer sous la pression d’une partie de l’opinion américaine, notamment depuis la guerre à Gaza.
Nathan Brown, en 2010. STEPHAN RÖHL/WIKI COMMONS
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, les Etats-Unis sont la seule grande puissance totalement engagée aux côtés d’Israël, malgré les allégations de crimes de guerre à Gaza. Est-ce le résultat logique de la relation spéciale nouée entre les deux pays ou bien une décision personnelle de Joe Biden ?
Un peu des deux. C’est l’aboutissement d’un soutien bipartisan [démocrate et républicain] à Israël depuis la guerre des Six-Jours, en 1967 – une période qui a également façonné Joe Biden en tant qu’homme politique. Mais aujourd’hui, ce soutien ne fait plus l’unanimité au sein du Parti démocrate. C’est une politique datée.
Vis-à-vis des allégations de crimes de guerre, du recours à la Cour internationale de justice [CIJ, plus haute juridiction des Nations unies], etc., la position américaine est plutôt constante: les relations israélo-arabes en général – et israélo-palestiniennes en particulier – doivent être gérées directement par les parties concernées, ou par le biais d’une sorte de médiation conduite, en général, par les Etats-Unis. Et passer par des instances judiciaires ou multilatérales n’est pas approprié. Raison pour laquelle, au moins depuis les années Reagan [1981-1989], les Etats-Unis ont été si réticents à se référer aux conventions de Genève, aux procédures internationales visant le mur de séparation [déclaré illégal par la CIJ en 2004] – allant jusqu’à mettre leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Les Etats-Unis s’intéressaient-ils à la Palestine sous mandat britannique, avant la seconde guerre mondiale ?
Pas vraiment, ou seulement à la marge. Les Etats-Unis n’ont jamais vraiment soutenu l’empire britannique. Il existait des groupes favorables au projet sioniste en Palestine mais, même parmi les juifs américains, ce projet est resté controversé jusqu’à la déclaration d’indépendance [d’Israël], en 1948. Parmi ces derniers, beaucoup considéraient le judaïsme comme une religion, éventuellement comme une catégorie ethnique, mais pas comme une nationalité. Ils redoutaient aussi que leur propre statut soit remis en cause, aux Etats-Unis et à coup sûr en Europe.
Comment Israël est-il ensuite devenu un enjeu de la guerre froide ?
Cela n’a pas été immédiat, ni automatique. Quand le président Harry Truman [1945-1953] reconnaît l’Etat d’Israël, en 1948, il s’agit alors d’une décision personnelle qui prend de court une partie des décideurs et experts de la politique étrangère américaine. A cette époque, l’Union soviétique encourageait tout ce qui pouvait contribuer à mettre fin au mandat britannique. Il n’y avait donc pas de rivalité américano-soviétique au sujet d’Israël. Il faut attendre la crise de Suez, et l’alignement d’Israël avec les Britanniques et les Français, pour que cette rivalité se précise. Après 1955, le bloc soviétique accepte de fournir des armes à l’Egypte. A partir de ce moment, les pays arabes – ou du moins certains d’entre eux – sont davantage associés à l’URSS.
La guerre des Six-Jours a modifié la perception américaine d’Israël, devenu soudain un allié très sûr au Moyen-Orient…
La guerre de 1967 est un moment décisif. Pour la première fois, Israël apparaît dans l’imaginaire populaire américain comme David affrontant Goliath. Cette conception, qui n’est pas seulement liée à la rivalité de la guerre froide, se renforce après 1967. Le Congrès soutient davantage l’Etat hébreu, principalement sous forme d’une aide économique et militaire. Personne ne s’y oppose vraiment.
« David et Goliath », d’Andrea Vaccaro (1604-1670). LOS ANGELES COUNTY MUSEUM (M.2007.106.)/ RMN-GP
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Dans les années 1970, le mouvement national palestinien s’affirme en lançant des actions terroristes. Comment est-il perçu à Washington ?
L’émergence de groupes palestiniens perpétrant des attentats contre des civils a très certainement conduit àassocier la cause palestinienne au terrorisme, mais aussi au camp soviétique durant la guerre froide. Au même moment, des pays tels que l’Egypte, la Syrie et l’Irak s’identifient étroitement au camp de Moscou. En 1973, l’embargo pétrolier arabe est perçu comme une menace pour la sécurité nationale américaine : une ressource mondiale cruciale se transformait en instrument de chantage contre Washington. Il ne s’agissait donc pas seulement de la question d’Israël en tant qu’allié régional.
Cette même période voit se développer, en Cisjordanie, le mouvement des colons messianiques, Goush Emounim. Il n’a cessé de croître sous les gouvernements israéliens travaillistes ou de droite. A-t-il été négligé par les administrations américaines ?
Absolument. Les négociations diplomatiques seraient plus aisées aujourd’hui si les colons n’étaient pas si nombreux en Cisjordanie. Au début, ils étaient perçus comme un phénomène irritant mais limité. Bien qu’en partie soutenu par le Parti travailliste, ce mouvement a, au fil du temps, surtout été associé à la droite [israélienne]. Même si le projet des colons n’a pas suscité d’opposition aux Etats-Unis, Washington ne savait pas exactement quelle position adopter vis-à-vis des territoires occupés en 1967. L’idée d’un Etat palestinien était considérée par des responsables américains, à l’instar de Henry Kissinger [nommé conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis en 1969, puis secrétaire d’Etat en 1973], comme un potentiel levier soviétique dans la région.
Deux présidents, George Bush et Bill Clinton, ont enclenché trois cycles de négociations israélo-palestiniennes : la conférence de Madrid (1991), les accords d’Oslo (1993), puis ceux de Camp David (2000). Washington était-il un médiateur impartial ?
Non, mais je ne le qualifierais pas non plus de malhonnête. Il en a toujours été ainsi : les dirigeants américains privilégient leur relation étroite avec Israël. Ils comprennent sa politique, même quand ils ne l’apprécient pas. Les acteurs [israéliens] et leurs idéologies leur sont familiers. Ainsi, quand les Etats-Unis s’engagent dans un processus de paix, leur point de départ est : comment pouvons-nous obtenir l’adhésion des Israéliens ? Même quand ils les poussent avec un peu d’insistance, ils essaient toujours de composer avec la politique israélienne.
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En revanche, Washington ne comprend rien aux Palestiniens. Il ne voit leur politique qu’à travers le prisme des cinq ou six personnes qu’il connaît. La façon dont les Etats-Unis ont misé sur l’ancien premier ministre Salam Fayyad [2007-2013] en est un exemple. Ils avaient trouvé un Palestinien qui semblait parler leur langage et ils ont vu en lui la clé de l’avenir[jusqu’à sa démission, après des mois de conflit avec le Fatah du président Mahmoud Abbas]. Un phénomène similaire se produit actuellement. Ils constatent l’impopularité de Mahmoud Abbas. Ils se disent donc : trouvons quelqu’un de populaire, et cela tiendra lieu de « réforme palestinienne ». Ils se concentrent trop sur les individus et sont déconnectés de l’opinion publique palestinienne. Ils n’ont pas pris au sérieux la perte de légitimité de l’Autorité palestinienne, qui se poursuit depuis un quart de siècle.
Donald Trump a renversé les termes d’une paix régionale, en faisant de la normalisation arabo-israélienne la priorité au détriment de la question palestinienne. Pendant deux ans, Joe Biden a paru suivre le même chemin. Qu’est-ce que cela traduit ?
Sous l’administration Trump [2017-2021], il y avait de hauts responsables favorables à l’annexion israélienne des territoires. Pour faciliter ce projet, ils ont donc soutenu la normalisation, sans le reconnaître publiquement. Au sein de l’administration Biden, l’approche est différente. Ils disent : « La solution à deux Etats est formidable, nous la soutenons, mais elle ne se produira pas de sitôt. Si nous normalisons les relations régionales et étendons les accords d’Abraham, à commencer par l’Arabie saoudite, nous serons en mesure de revenir au problème israélo-palestinien quand les circonstances seront plus favorables. » Cette administration Biden accepte la réalité plus qu’elle n’y adhère.
Depuis le 7 octobre, les Etats-Unis sont impliqués au plus haut niveau avec les Israéliens et les Palestiniens, avec des visites dans la région, des échanges diplomatiques intenses. Mais l’approche élémentaire, consistant à rechercher la normalisation régionale comme une sorte de carotte pour obtenir des concessions israéliennes, demeure inchangée.
Il existe plusieurs organisations juives influentes aux Etats-Unis, progressistes et conservatrices. Quel a été leur poids dans le modelage de la politique américaine envers Israël ?
En réalité, certains des plus fervents partisans de la droite israélienne ne sont pas juifs. Ils sont issus des rangs républicains conservateurs, qui comptent des alliés parmi les juifs orthodoxes américains.
Les organisations juives ont évidemment joué un rôle important, par exemple en plaidant pour le déménagement de l’ambassade américaine [de Tel-Aviv] à Jérusalem. Parallèlement, l’opinion publique au sujet d’Israël a profondément changé : cette question est plus partisane et plus générationnelle. Plus vous êtes jeune et de gauche, et moins vous êtes pro-israélien. Et plus susceptible, aussi, de considérer la cause palestinienne comme une question de justice sociale. Pour la génération qui a connu 1967, Israël était « l’allié assiégé », pour reprendre le titre d’un livre fameux [Israel : The Embattled Ally, de Nadav Safran, Harvard University Press, 1978, non traduit]. C’était un petit pays courageux, plein de jugeote, qu’on avait envie d’admirer. Mais à moins d’appartenir comme moi à cette génération, plus personne ne s’en souvient.
L’idée de juifs assiégés assurant leur défense a été largement remplacée par de nouveaux concepts comme « l’Etat apartheid » ou « le colonialisme israélien ». Ces thèmes sont liés à d’autres luttes que mène la jeunesse pour la justice, englobant la race, l’ethnicité, le Sud global contre le Nord, etc.
Israël est le plus grand bénéficiaire de l’aide américaine (158 milliards de dollars depuis 1948). Depuis longtemps, il y a des appels de la gauche pour geler cette aide, notamment le volet militaire, au nom des violations massives des droits palestiniens. Comment ce débat évolue-t-il ?
Si Israël continue d’être dominé par la droite, Joe Biden pourrait être le dernier président démocrate pro-israélien. Cela aura des effets majeurs. Tout présidentdémocrate devra se préoccuper de l’opinion de sa base électorale. Non seulement une partie de celle-ci se retourne contre Israël, mais la guerre à Gaza amplifie l’importance de cet enjeu. Les gens se sentent de plus en plus concernés. Le risque pour le Parti démocrate n’est pas que ces derniers se mettent à voter pour Trump, mais qu’ils restent à la maison le jour de l’élection.
Propos recueillis par Piotr Smolar (Washington, correspondant)
Publié aujourd’hui à 16h00https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/03/joe-biden-pourrait-etre-le-dernier-president-pro-israelien-issu-du-parti-democrate_6214597_3210.html.
Des tirs d’artillerie ont visé, hier, l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés, tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Les mois passent et les bombardements contre les civils de Ghaza se poursuivent devant nos yeux sidérés. La Bande de Ghaza, victime de bombardements incessants, barbares et indiscriminés, est aujourd’hui «inhabitable», selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies.
Le nombre d’observateurs sur le terrain diminue, la grande partie des journalistes, témoins encombrants, étant morts ou partis. Le ministère palestinien de la Santé a déjà recensé plus de 26 700 morts et 65 000 blessés depuis le début de la guerre.
Khan Younès, dans le sud de Ghaza, est désormais le théâtre de combats meurtriers entre le Hamas et l’armée israélienne, forçant les habitants à fuir et mettant en danger les hôpitaux. Alors que les pays médiateurs tentent de parvenir à une nouvelle trêve, des frappes nourries et des tirs de chars continuent de viser cette ville largement détruite.
Les Etats-Unis, l’Egypte et le Qatar travaillent en coulisses pour persuader Israël et le Hamas de s’engager dans une nouvelle trêve. Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, en exil au Qatar, est attendu au Caire pour des discussions sur un projet de trêve.
Cependant, le Hamas exige un cessez-le-feu total en préalable à tout accord, notamment sur la libération des otages israéliens, tandis qu’Israël refuse tout arrêt des combats tant que «le Hamas n’est pas éliminé».
La délégation du Hamas doit rencontrer «des responsables du renseignement égyptien», a déclaré à l’AFP un responsable du mouvement à Ghaza, pour discuter d’une proposition formulée lors d’une récente réunion à Paris entre le directeur de la CIA, William Burns, et des responsables égyptiens, israéliens et qataris.
De mardi à mercredi, plus 150 Palestiniens sont tombés en martyrs et 313 personnes ont été blessées, selon l’agence Wafa. Hier matin, des tirs d’artillerie ont visé l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Cadavres dépouillés de leurs organes
L’aviation de l’occupation a par ailleurs lancé des raids aériens sur le camp de Nuseirat, au centre de la Bande de Ghaza, sur la zone nord de la ville de Beit Lahia au nord de la bande de Ghaza et sur la zone orientale de Khan Younès, dans le nord et le sud de la Bande de Ghaza, explique Wafa, selon laquelle les forces d’occupation israéliennes ont tiré des obus au hasard sur des maisons dans la région d’Al Sina’a, à l’ouest de la ville de Ghaza.
Ajoutant à la détresse, les opérations d’aide aux civils de l’Unrwa sont menacées après que 12 des 30 000 employés régionaux de l’agence ont été accusés par Israël – sans preuve aucune – d’implication dans l’attaque du 7 octobre. Treize pays ont suspendu leurs financements à cette agence, mettant en danger le système humanitaire à Ghaza.
Cela aurait des conséquences catastrophiques pour la Bande de Ghaza, ont mis en garde des chefs de plusieurs organisations de l’ONU. Ces accusations surviennent après une décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de «génocide» et de prendre des mesures immédiates pour l’aide humanitaire à Ghaza.
La situation humanitaire se détériore rapidement. Ces derniers jours, des précipitations abondantes ont causé des dommages aux structures fragiles des camps temporaires des déplacés. La guerre a également placé la population au bord de la famine, selon le Programme alimentaire mondial.
Les experts convergent tous vers la même conclusion, affirmant n’avoir jamais été témoins d’une guerre d’une telle intensité au cours de leur carrière.
Christina Wille, directrice d’Insecurity Insight, une association basée en Suisse qui analyse l’impact de la violence sur la population civile en termes de sécurité alimentaire, de santé et d’éducation, explique : «Toutes les infrastructures essentielles sont touchées, rendant la vie extrêmement difficile, voire impossible dans certaines parties de Ghaza.
Dans certains quartiers, même si vous trouvez de la nourriture, vous ne pourrez pas la faire cuire, car il n’y a pas d’eau.» Les enterrements des défunts se déroulent dans des conditions insoutenables. Mardi, un camion a transporté 80 cadavres à l’hôpital Najjar de Rafah avant d’être enterrés dans un charnier de la ville via le poste-frontière de Kerem Shalom, en provenance d’Israël.
Selon les forces d’occupation, ces corps avaient été collectés pour être examinés en Israël, puis ramenés à Ghaza après confirmation qu’ils n’étaient pas des otages israéliens. Dans les faits, et selon des témoins sur place, les cadavres auraient été dépouillés de leurs organes.
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