.
.
Rédigé le 02/02/2024 à 22:57 dans Chansons | Lien permanent | Commentaires (0)
Des tirs d’artillerie ont visé, hier, l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés, tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Les mois passent et les bombardements contre les civils de Ghaza se poursuivent devant nos yeux sidérés. La Bande de Ghaza, victime de bombardements incessants, barbares et indiscriminés, est aujourd’hui «inhabitable», selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies.
Le nombre d’observateurs sur le terrain diminue, la grande partie des journalistes, témoins encombrants, étant morts ou partis. Le ministère palestinien de la Santé a déjà recensé plus de 26 700 morts et 65 000 blessés depuis le début de la guerre.
Khan Younès, dans le sud de Ghaza, est désormais le théâtre de combats meurtriers entre le Hamas et l’armée israélienne, forçant les habitants à fuir et mettant en danger les hôpitaux. Alors que les pays médiateurs tentent de parvenir à une nouvelle trêve, des frappes nourries et des tirs de chars continuent de viser cette ville largement détruite.
Les Etats-Unis, l’Egypte et le Qatar travaillent en coulisses pour persuader Israël et le Hamas de s’engager dans une nouvelle trêve. Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, en exil au Qatar, est attendu au Caire pour des discussions sur un projet de trêve.
Cependant, le Hamas exige un cessez-le-feu total en préalable à tout accord, notamment sur la libération des otages israéliens, tandis qu’Israël refuse tout arrêt des combats tant que «le Hamas n’est pas éliminé».
La délégation du Hamas doit rencontrer «des responsables du renseignement égyptien», a déclaré à l’AFP un responsable du mouvement à Ghaza, pour discuter d’une proposition formulée lors d’une récente réunion à Paris entre le directeur de la CIA, William Burns, et des responsables égyptiens, israéliens et qataris.
De mardi à mercredi, plus 150 Palestiniens sont tombés en martyrs et 313 personnes ont été blessées, selon l’agence Wafa. Hier matin, des tirs d’artillerie ont visé l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Cadavres dépouillés de leurs organes
L’aviation de l’occupation a par ailleurs lancé des raids aériens sur le camp de Nuseirat, au centre de la Bande de Ghaza, sur la zone nord de la ville de Beit Lahia au nord de la bande de Ghaza et sur la zone orientale de Khan Younès, dans le nord et le sud de la Bande de Ghaza, explique Wafa, selon laquelle les forces d’occupation israéliennes ont tiré des obus au hasard sur des maisons dans la région d’Al Sina’a, à l’ouest de la ville de Ghaza.
Ajoutant à la détresse, les opérations d’aide aux civils de l’Unrwa sont menacées après que 12 des 30 000 employés régionaux de l’agence ont été accusés par Israël – sans preuve aucune – d’implication dans l’attaque du 7 octobre. Treize pays ont suspendu leurs financements à cette agence, mettant en danger le système humanitaire à Ghaza.
Cela aurait des conséquences catastrophiques pour la Bande de Ghaza, ont mis en garde des chefs de plusieurs organisations de l’ONU. Ces accusations surviennent après une décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de «génocide» et de prendre des mesures immédiates pour l’aide humanitaire à Ghaza.
La situation humanitaire se détériore rapidement. Ces derniers jours, des précipitations abondantes ont causé des dommages aux structures fragiles des camps temporaires des déplacés. La guerre a également placé la population au bord de la famine, selon le Programme alimentaire mondial.
Les experts convergent tous vers la même conclusion, affirmant n’avoir jamais été témoins d’une guerre d’une telle intensité au cours de leur carrière.
Christina Wille, directrice d’Insecurity Insight, une association basée en Suisse qui analyse l’impact de la violence sur la population civile en termes de sécurité alimentaire, de santé et d’éducation, explique : «Toutes les infrastructures essentielles sont touchées, rendant la vie extrêmement difficile, voire impossible dans certaines parties de Ghaza.
Dans certains quartiers, même si vous trouvez de la nourriture, vous ne pourrez pas la faire cuire, car il n’y a pas d’eau.» Les enterrements des défunts se déroulent dans des conditions insoutenables. Mardi, un camion a transporté 80 cadavres à l’hôpital Najjar de Rafah avant d’être enterrés dans un charnier de la ville via le poste-frontière de Kerem Shalom, en provenance d’Israël.
Selon les forces d’occupation, ces corps avaient été collectés pour être examinés en Israël, puis ramenés à Ghaza après confirmation qu’ils n’étaient pas des otages israéliens. Dans les faits, et selon des témoins sur place, les cadavres auraient été dépouillés de leurs organes.
https://elwatan-dz.com/plus-de-150-morts-en-24-heures-la-ville-de-khan-younes-ravagee
.
Rédigé le 02/02/2024 à 22:22 dans Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Rédigé le 02/02/2024 à 16:59 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Rédigé le 02/02/2024 à 16:35 dans Lejournal Depersonne | Lien permanent | Commentaires (0)
Cest un chapitre particulièrement violent et incertain de l’histoire du Proche-Orient qu’a ouvert la sanglante offensive menée par le Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023. Aux 1 200 victimes, civiles aux deux tiers, qui ont péri dans l’attaque du groupe islamiste, s’ajoutent les plus de 20 000 morts gazaouis, des femmes et des enfants en grande majorité, et un nombre incalculable de blessés causés par la guerre de représailles lancée par Tel-Aviv. Alors que l’hiver s’est installé et que l’enclave est noyée sous les trombes d’eau, la population palestinienne, déplacée à plus de 85 % (soit 1,9 million de personnes), endure depuis des mois des bombardements sans répit qui ont réduit en poussière plus de 60 % des habitations du territoire et la plupart de ses infrastructures (hôpitaux, écoles, universités). Eau, nourriture, électricité : la population de Gaza manque de tout, son calvaire étant aggravé par le blocage de l’aide humanitaire à la frontière égyptienne. Si l’on peine à imaginer comment la situation peut évoluer dans les mois qui viennent, nul doute que l’avenir même du peuple palestinien est en train de se jouer dans cette épreuve la plus terrible qui lui ait été infligée depuis la Nakba de 1948.
À en croire les aspirations exprimées à voix haute par certains extrémistes israéliens, dont plusieurs siègent au gouvernement, un nouvel exode d’envergure des habitants de Gaza, sous n’importe quelle forme, n’est plus à exclure, alors même que la déportation ou le transfert forcé de population sont assimilés à des crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI). Un déplacement massif de Palestiniens, dans le Sinaï égyptien ou dans des pays qu’Israël parviendrait à convaincre d’accueillir des réfugiés, chamboulerait le bras de fer démographique auquel se livrent les deux peuples. Il permettrait aussi de faire place nette pour la réinstallation de colonies dans la bande de Gaza. Enfin, cette reprise en main par Tel-Aviv d’un territoire qui fut l’un des premiers à accéder à l’autonomie après les accords d’Oslo de 1993 anéantira les derniers espoirs de création d’un État palestinien dans un contexte où la « solution à deux États » n’est déjà plus depuis longtemps qu’une incantation destinée à masquer l’impuissance de la « communauté internationale ».
L’un des rappels les plus tragiques de la guerre qui ravage Gaza est la solitude des Palestiniens, abandonnés une fois encore à leur sort
L’un des rappels les plus tragiques de la guerre qui ravage Gaza est la solitude des Palestiniens, abandonnés une fois encore à leur sort, tout comme l’ont toujours été les habitants de Cisjordanie face aux visées expansionnistes des colons. Ni les votes d’une grande majorité des membres des Nations unies en faveur d’un cessez-le-feu, ni les manifestations qui ont essaimé dans le monde entier, y compris aux États-Unis où une partie de la communauté juive s’est élevée contre l’hécatombe qu’elle refuse de voir commise en son nom, ne sont parvenus à faire obstacle à la détermination israélienne à détruire des secteurs entiers de l’enclave. Les expressions de solidarité se sont avérées incapables de contrer l’entêtement américain à couvrir l’offensive punitive de Tel-Aviv.
Cette impuissance vertigineuse laisse à envisager le pire pour la Palestine. Imaginons un instant le scénario suivant : un groupe armé issu de l’un des nombreux camps de réfugiés qui jalonnent la Cisjordanie commet un massacre dans une implantation juive en réaction aux incessantes violences dont se rendent coupables les colons notamment contre les villages palestiniens isolés. Après une telle attaque, hautement vraisemblable compte tenu des rancœurs accumulées depuis plusieurs décennies et, désormais, de l’effroi causé par la dévastation de Gaza, qui peut encore jurer que la réaction d’Israël ne sera pas aussi démesurée et dévastatrice que celle qui a suivi le 7 octobre ? Quel pays, quelle grande puissance s’opposera demain à ce que des pans entiers de Jénine, Ramallah, Bethléem ou Naplouse soient rasés et vidés de leurs populations ?
Si les pays occidentaux ont accordé un blanc-seing à Israël, lui fournissant armes et soutien diplomatique, les pays arabes, eux, se sont une nouvelle fois distingués par leur duplicité. Le plus souvent hostiles au Hamas, les ténors de la Ligue arabe comme l’Arabie saoudite ou l’Égypte ont certes multiplié les déclarations favorables au cessez-le-feu. Mais cela ne peut faire oublier que pour avoir été négociée sans la moindre contrepartie au bénéfice des Palestiniens, la normalisation à l’œuvre depuis 2020 (accords Abraham) a consolidé le sentiment de toute-puissance de Tel-Aviv. En 1973, les membres arabes de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) avaient décrété un embargo sur les livraisons de brut aux pays ayant soutenu Israël durant la guerre d’Octobre, précipitant le monde dans le premier « choc pétrolier ». Rien de comparable n’a été entrepris cette fois. Et ce n’est pas un hasard si c’est l’Afrique du Sud qui a déposé une requête contre Israël pour « actes de génocide » devant la Cour internationale de justice (CIJ), le 29 décembre 2023. Une démarche qu’aucun pays arabe n’a envisagée.
Éditorial, par Akram Belkaïd & Angélique Mounier-Kuhn
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/193/BELKAID/66509
.
Rédigé le 02/02/2024 à 16:20 dans Israël | Lien permanent | Commentaires (0)
Pour se défaire du Nazisme le monde a offert la Palestine à Israël Pour parfaire le sionisme le monde permet à Israël de s’offrir Gaza En reconnaissant de facto que la distinction de l’un ne peut avoir lieu sans l’extinction de l’autre Pauvre Palestine !
.
Rédigé le 02/02/2024 à 15:50 dans Israël, Lejournal Depersonne, Palestine, Paléstine, Ukraine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 02/02/2024 à 15:45 dans Lejournal Depersonne | Lien permanent | Commentaires (0)
À mesure que les Israéliens basculent à droite, les Juifs américains s’ancrent à gauche. Résultat : le lobby pro-israélien aux États-Unis s’appuie désormais davantage sur les chrétiens fondamentalistes que sur les juifs. Mais la guerre de Gaza a également percuté l’université américaine quand certains de ses bailleurs de fonds ont décidé de sanctionner les établissements trop critiques du gouvernement israélien.
Cinq semaines après l’attaque meurtrière du Hamas, le 7 octobre 2023, une foule d’environ 290 000 personnes, Juifs américains pour la plupart, se rassemblait à Washington pour réaffirmer son soutien à Israël, exiger la libération des otages retenus à Gaza et dénoncer l’antisémitisme. Ce fut sans doute la manifestation pro-israélienne la plus massive de l’histoire des États-Unis. D’un point de vue strictement politique, ce fut aussi la moins nécessaire, le gouvernement de M. Joseph Biden ayant déjà, sans la moindre ambiguïté possible, fait sienne chacune de ces trois positions.
Cette mobilisation jurait avec les quelque deux mille manifestants réunis « en solidarité avec le peuple juif » au début de la guerre précédente entre Israël et le Hamas, en mai 2021. Il y a trois ans, la plupart des organisations juives progressistes et « pro-paix » avaient boycotté l’initiative, reprochant à ses organisateurs d’assimiler toute critique du sionisme à de l’antisémitisme. Le 14 novembre dernier, elles sont venues en masse, après avoir toutefois appelé M. Biden à faire pression sur le gouvernement de M. Benyamin Netanyahou pour que cessent les massacres de civils palestiniens. Les dirigeants des deux partis représentés au Congrès étaient également présents, le soutien à Israël ayant cette capacité miraculeuse à fédérer partisans de M. Biden et supporteurs de M. Donald Trump.
Parmi les Juifs présents ce jour-là, nombreux s’émurent sans doute de voir le prédicateur évangélique John Hagee parader au milieu des invités. Chef du groupe Christians United for Israel (« Chrétiens unis pour Israël »), M. Hagee considère par exemple que le « chasseur » Adolf Hitler a été envoyé par Dieu afin de punir les Juifs pour leur refus de se plier aux promesses du « livre de la Révélation », et que leur retour en Terre sainte doit servir à déclencher l’Apocalypse. Œcuménique, la bannière pro-israélienne s’étend ainsi jusqu’aux antisémites les plus fanatiques (1).
Lorsque Anthony Jones (« Van Jones »), le commentateur noir et « progressiste » de Cable News Network (CNN), tente à la tribune un exercice d’équilibre — « Je prie pour la paix. Qu’il n’y ait plus de roquettes depuis Gaza. Et plus de bombes non plus sur la population de Gaza » —, il reçoit en retour une volée de « bouh » et de « pas de cessez-le-feu ! ». Pendant ce temps, des petites contre-manifestations se forment en marge de l’événement, sous l’égide des groupes juifs « dissidents » Jewish Voice for Peace (« La Voix juive pour la paix ») et IfNotNow (« Si ce n’est maintenant »). Lesquels s’étaient massivement mobilisés au cours des semaines précédentes contre les bombardements sur l’enclave palestinienne. Aux côtés d’autres collectifs, palestiniens ou non, ils avaient manifesté à maintes reprises, paralysé la circulation et occupé des gares dans plusieurs grandes villes du pays — et même le Capitole —, en réclamant la fin des livraisons d’armes à Israël et en sommant M. Biden d’user de son pouvoir pour faire immédiatement cesser le massacre.
Moins nombreux que les manifestants pro-israéliens du 14 novembre, les contre-manifestants n’en étaient pas moins de meilleurs représentants de la population américaine dans son ensemble, majoritairement opposée à la guerre contre Gaza. Selon un sondage réalisé avant même que le bilan des victimes palestiniennes ne perce le seuil des dix mille, 66 % des électeurs américains disaient approuver « totalement » ou « à peu près » la proposition d’un cessez-le-feu immédiat. Un nombre significatif de Juifs y étaient également favorables, surtout parmi les moins de 24 ans, de plus en plus sensibles au sort et aux droits des Palestiniens, alors qu’en Israël la même tranche d’âge a basculé très largement dans le sens inverse.
À chacun des cinq derniers scrutins nationaux, les électeurs israéliens n’ont eu de cesse d’embrasser l’autoritarisme, la théocratie et l’annexion rampante de la Cisjordanie. Dans le même temps, les dirigeants d’extrême droite s’affranchissaient un à un de tous les liens, politiques et psychologiques, qui les reliaient aux Juifs américains, en courtisant désormais ouvertement les sionistes évangéliques, qui déterminent les positions du Parti républicain sur ces questions. Selon Gary Rosenblatt, ancien rédacteur en chef du New York Jewish Week, M. Netanyahou admet en privé que « tant qu’il a le soutien en Amérique des chrétiens évangéliques, qui excèdent largement en nombre les juifs, et plus encore les juifs orthodoxes, tout va bien pour lui ». L’apparatchik néoconservateur Elliott Abrams (2) le rappelle, « les évangéliques dans ce pays sont vingt à trente fois plus nombreux que les juifs ». Le groupe de lobbying American Israel Public Affairs Committee (Aipac) est donc devenu plus droitier à mesure qu’il devenait moins « juif ».
Si l’attaque du Hamas et la réaction israélienne n’ont pas substantiellement modifié les positions politiques des Juifs américains, elles ont en revanche exacerbé leurs divergences. Dans une lettre ouverte demandant au président Biden de soutenir un cessez-le-feu immédiat, plus de cinq cents employés de quelque cent quarante organisations juives américaines ont notamment déclaré : « Nous savons qu’il n’y a pas de solution militaire à cette crise. Nous savons qu’Israéliens et Palestiniens sont là pour rester, et que ni la sécurité des Juifs ni la libération des Palestiniens ne peuvent se réaliser si l’on oppose l’une à l’autre (3). » Onze sénateurs démocrates ont par ailleurs signé une lettre exhortant M. Biden à admettre que « la souffrance croissante et prolongée à Gaza est non seulement intolérable pour les civils palestiniens, mais dommageable aussi à la sécurité des civils israéliens par l’aggravation des tensions existantes et l’affaiblissement des alliances régionales (4) ». Ils enjoignent à la Maison Blanche en outre d’intervenir auprès d’Israël pour lui arracher des concessions, une demande qui aurait été inimaginable dans la vie politique américaine dix ans plus tôt.
De son côté, sans toutefois appeler à un cessez-le-feu, M. Bernie Sanders, n’a pas ménagé ses attaques contre le « gouvernement d’extrême droite de Netanyahou », jugeant que sa « guerre presque totale contre le peuple palestinien [était] moralement inacceptable et en violation des lois internationales ». Et il a réclamé que l’aide américaine à Israël (3,8 milliards de dollars par an) soit dorénavant conditionnée au droit des Gazaouis à retourner dans leurs foyers, à la fin des violences perpétrées par les colons de Cisjordanie, au gel de la politique d’expansion des colonies et à une reprise des discussions de paix en vue d’une solution à deux États (5).
Paradoxalement, plus on compte d’élus démocrates qui relaient les positions propalestiniennes de leurs électeurs, plus M. Biden s’acharne à faire cause commune avec le premier ministre israélien. En dehors de quelques groupes marginaux, qui qualifient de « propagande sioniste » les crimes perpétrés le 7 octobre par le Hamas, personne aux États-Unis ne conteste le droit d’Israël à y riposter militairement. Même si le ciblage de la population civile de Gaza et la destruction quasi totale de ses infrastructures laissent présager des formes de résistance plus radicales et déterminées encore dans les années qui viennent.
Le président américain paraît cependant surestimer l’influence qu’il peut exercer sur M. Netanyahou, qui confiait en 2001 à un groupe de colons de Cisjordanie : « L’Amérique est une chose qu’on peut facilement faire bouger dans la bonne direction… Ils ne nous embêteront pas (6). » Avec le soutien de ses ministres les plus extrémistes et de ses supporteurs chauffés à blanc, le chef du gouvernement israélien a infligé camouflet sur camouflet à son allié américain, sans faire aucunement mystère de son intention d’orchestrer une seconde nakba, consistant à forcer les Palestiniens de Gaza à émigrer en Égypte et ailleurs. Il prévoit de conditionner l’arrêt des combats à la réalisation de trois objectifs : « Détruire le Hamas, démilitariser Gaza et déradicaliser la société palestinienne. »
M. Biden, en faisant cavalier seul, fragilise par ailleurs ses chances de réélection en novembre prochain. Si la politique pro-israélienne du président mécontente la plupart des sympathisants démocrates, c’est surtout chez les plus jeunes que la désaffection gagne du terrain : 70 % des électeurs âgés de moins de 24 ans seraient opposés à l’alliance Biden-Netanyahou. Nombre d’Américains d’origine arabe ont également annoncé qu’ils s’abstiendraient de voter pour M. Biden cette fois-ci, sans ignorer pour autant que les républicains embrassent la cause israélienne avec plus de passion encore que les démocrates.
Plusieurs motifs expliquent que M. Biden ait pris un risque politique aussi lourd. Son amour d’Israël et du récit sioniste n’est plus à démontrer. Au cours de sa campagne présidentielle de 2020, lorsque ses rivaux de gauche, M. Sanders et Mme Elizabeth Warren, refusèrent d’apparaître devant l’Aipac et appelèrent à une mise sous conditions des aides à Israël — une position soutenue à l’époque par une majorité de Juifs américains —, M. Biden pourfendit une prise de position « absolument scandaleuse ». Comme vice-président de M. Barack Obama, il se vanta un jour devant un public juif : « J’ai reçu plus d’argent de l’Aipac que certains d’entre vous. »
Le président américain estime qu’entre États-Unis et Israël la soudure ne doit pas laisser passer la lumière du jour. À plusieurs reprises il est intervenu dans la politique étrangère du président Obama pour adoucir les frictions causées par la répugnance d’Israël à tout effort de paix avec les Palestiniens (7). Il pense qu’il peut ainsi contenir les élans les plus agressifs de M. Netanyahou : plan d’annexion de la Cisjordanie, tentation d’attaquer le Hezbollah au Liban.
Il tient également compte du pouvoir indéniable qu’exercent les organisations juives conservatrices américaines, qui s’emploient à sanctionner tout élu tenté de s’écarter des exigences de l’orthodoxie pro-israélienne. En 2009, aux débuts de sa présidence, lorsque M. Obama, encore très populaire, voulut relancer les discussions de paix en demandant à Israël de geler l’expansion de ses colonies en Cisjordanie, l’Aipac riposta par une lettre signée par 329 membres de la Chambre des représentants (sur 435) qui sommait le président de présenter sa requête aux Israéliens « en privé »… M. Obama avoue avoir rapidement compris que la moindre brouille avec Israël « se payait d’un prix politique dans [son] pays sans équivalent lorsqu’[il] avait affaire au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à la France, au Japon, au Canada ou à aucun autre de [ses] plus proches alliés ».
Aujourd’hui, en déconnexion complète avec l’orientation démocrate de 70 % des Juifs américains, les organisations pro-israéliennes lèvent des millions de dollars auprès de donateurs conservateurs afin de soutenir des candidats qui marchent dans les clous de M. Trump lors des primaires républicaines et de battre les candidats progressistes jugés insuffisamment loyaux à la cause israélienne lors des primaires démocrates. Le comité d’action électoral de l’Aipac, l’United Democracy Project, a ainsi dépensé près de 36 millions de dollars en 2022 pour faire mordre la poussière aux quatre élues nationales les plus connues de l’aile gauche du Parti démocrate et sensibles à la cause palestinienne, Mmes Rashida Tlaib, Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez et Ayanna Pressley. En vain, mais la tentative sera répétée cette année. Il est également question d’une levée de fonds de 100 millions de dollars afin que les démocrates ne dévient pas de leur soutien sans faille à Israël et au Likoud, le parti de M. Netanyahou. En l’absence d’un candidat acceptable, l’Aipac le recrute lui-même. Deux habitants de l’agglomération de Detroit ont ainsi raconté avoir reçu une offre de 20 millions de dollars en échange de leur candidature contre Mme Tlaib, seule élue palestino-américaine du Congrès, exclue de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants par ses collègues pour avoir défendu les droits des Palestiniens (8).
Le débat sur les relations israélo-américaines est par ailleurs indissociable de ce qui apparaît comme une hausse alarmante de l’antisémitisme et de la volonté de certains groupes juifs, emmenés par la Ligue anti-diffamation (ADL), d’y assimiler l’anti- sionisme, y compris quand des Juifs eux-mêmes s’en réclament. Or presque toutes les violences antisémites recensées aux États-Unis émanent de l’extrême droite. Les données recueillies par l’ADL elle-même indiquent qu’en 2022 chaque meurtre commis par haine des Juifs avait eu pour auteur un extrémiste de droite (9). Ceux qui scandaient à Charlottesville en 2017 « les Juifs ne nous remplaceront pas » étaient des néonazis, et l’auteur de la tuerie à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, en Pennsylvanie (onze morts), était un suprémaciste blanc. Le jour même de la condamnation en justice du tireur de Pittsburgh, un autre extrémiste de droite était arrêté pour avoir planifié une attaque contre une synagogue dans le Michigan. Mais, pour combattre un nationalisme blanc en plein essor, la gauche est divisée — non pas tant sur le soutien aux Palestiniens, devenu un principe largement acquis, que sur la manière de l’affirmer.
L’attaque meurtrière du Hamas a exacerbé ces désaccords et rendu plus coûteuses les prises de position hostiles à Israël. À Hollywood, des acteurs propalestiniens ont perdu leurs agents, et des agents propalestiniens ont perdu leurs clients. À New York, le propriétaire du magazine d’art Artforum, M. Jay Penske, héritier milliardaire d’une société de transport routier, a congédié son rédacteur en chef après que celui-ci eut diffusé une lettre ouverte « en solidarité avec le peuple palestinien ». Toujours à New York, l’équipe chargée du département de littérature au centre culturel 92nd Street Y — une institution qui se définit elle-même comme sioniste — a démissionné en bloc pour protester contre les pressions internes visant à faire annuler une conférence du romancier d’origine vietnamienne Viet Thanh Nguyen, coupable d’avoir signé un texte dans la London Review of Books accusant Israël d’avoir « délibérément tué des civils » et appelant à un cessez-le-feu immédiat (10).
Toutefois les batailles les plus intenses relatives à Israël — aussi bien avant qu’après le 7 octobre — se concentrent dans les universités les mieux cotées du pays. M. Natan Sharansky, un ancien dissident soviétique devenu une figure politique israélienne très marquée à droite, n’a suscité aucun tollé dans les grands médias américains lorsqu’il a déclaré : « Il y a un autre front dans cette guerre qui ne se situe pas dans les tunnels de Gaza ou sur les collines de Galilée, mais à Harvard, Yale, Penn et Columbia. » Il est vrai que les journalistes des médias dominants sont eux-mêmes aux petits soins pour ces établissements prestigieux dont ils sont souvent issus et où la communauté juive est notoirement surreprésentée.
Au cœur de la controverse, il y a le fait qu’à l’heure actuelle les universités américaines — souvent influencées par le livre d’Edward W. Saïd intitulé L’Orientalisme — enseignent une histoire d’Israël moins manichéenne que celle délivrée par le passé, au risque de heurter certains étudiants, et plus encore leurs parents. C’est pourquoi les campus de l’élite sont scrutés comme le lait sur le feu par ceux des Juifs qui s’inquiètent du changement de perception d’Israël dans les milieux universitaires et les cercles de gauche. Presque tous les jeunes Juifs des classes moyennes supérieures suivent des études, mais nombre d’entre eux ont été instruits aux réalités israéliennes dans une bulle idéologique. Une fois à l’université, ils découvrent un univers parallèle dans lequel Israël est défini comme l’oppresseur et les Palestiniens comme les victimes. Il en résulte une dissonance cognitive pouvant conduire à la panique. Leurs parents se montrent souvent plus alarmés encore en voyant les centaines de milliers de dollars qu’ils ont déboursés en frais de scolarité aboutir à ce résultat : l’enfant qui rentre à la maison avec des arguments critiques certes fondés, mais personnellement (et douloureusement) offensants. Le choc est à la mesure du rôle joué par le soutien à Israël dans la définition de l’identité séculaire des Juifs américains.
Dans le même temps, les organisations juives conservatrices cherchent à imposer le postulat que « l’antisionisme est un antisémitisme, point barre », selon l’expression du directeur de l’ADL, M. Jonathan Greenblatt, pour qui l’expression « Palestine libre » serait également antisémite. Cette offensive vise particulièrement les universités, où les voix propalestiniennes se font entendre chez les enseignants comme chez les étudiants. Les tentatives de l’ADL et d’autres organisations droitières d’entraver la liberté d’expression sur les campus trouvent un large écho dans les médias, au premier rang desquels Fox News et le New York Post, propriétés du groupe Murdoch, mais aussi sur les grandes chaînes d’information moins marquées à droite. Ces mêmes groupes incitent par ailleurs les donateurs privés à mettre sous pression les établissements jugés trop insolents envers Israël, en menaçant de leur couper les subsides.
Le milliardaire Marc Rowan, patron du fonds d’investissement Apollo Global Management, préside également l’organisation United Jewish Appeal (« Appel unifié des Juifs ») de New York et compte parmi les principaux donateurs de l’ADL. Il siège par ailleurs au Conseil consultatif de Wharton, l’école de commerce associée à l’université de Pennsylvanie. Avant même le 7 octobre, il a orchestré une campagne pour écarter sa présidente, Mme Elizabeth Magill.
M. Rowan était mécontent que l’uni- versité de Pennsylvanie ait autorisé sur son campus un festival littéraire intitulé « La Palestine écrit », en mémoire de la défunte poétesse Salma Khadra Jayyusi. L’événement eut lieu le 22 septembre dernier. M. Rowan, comme l’a rapporté le magazine The American Prospect, accusa les organisateurs d’avoir « fait l’apologie du nettoyage ethnique », défendu le recours à la violence et prononcé des « appels à la haine contre les Juifs », sans apporter le moindre élément de preuve à l’appui de ses accusations. Et pour cause : il s’agissait d’un festival littéraire, non d’une réunion politique, encore moins d’une émeute antisémite. Mme Magill publia néanmoins une déclaration condamnant « avec force et sans ambiguïté » l’antisémitisme, tout en réitérant l’engagement de son établissement en faveur du « libre-échange des idées », du dialogue avec les étudiants juifs et de la sécurité de leurs organisations, et en promettant de faire mieux encore à l’avenir.
Les pressions se poursuivirent cependant, autant de la part de politiques que d’anciens étudiants et de donateurs. Après le 7 octobre, elles allèrent crescendo. Mme Magill fut l’une des trois présidentes d’université, aux côtés de Mme Claudine Gay (Harvard) et de Mme Sally Kornbluth (Massachusetts Institute of Technology, MIT), auditionnées par le Congrès pour leur supposé laxisme envers des propos ou des actes antisémites. Elles s’en défendirent, non sans maladresse, donnant des réponses étroitement juridiques à des questions délibérément conçues pour attiser l’indignation des supporteurs d’Israël. Mme Magill démissionna le 10 décembre, ce qui encouragea la Chambre des représentants, à majorité républicaine, à proposer une résolution réclamant la tête des deux autres présidentes. Sous le choc, le monde universitaire ne sut comment faire face à la démonstration de force des parlementaires et des bailleurs de fonds. « Des milliardaires non élus et dépourvus de toute qualification dans ce domaine cherchent à contrôler des décisions académiques qui ont vocation à rester de la compétence exclusive de l’université, afin que la recherche et l’enseignement préservent leur légitimité et leur autonomie face aux intérêts privés et partisans », protesta le comité exécutif Penn de l’Association américaine des professeurs d’université.
Toutes les universités de haut rang connaissent des histoires similaires. À Harvard, un milliardaire du nom de Bill Ackman a dressé une liste de « personnes à ne pas recruter », où figurent les membres des trente-quatre organisations étudiantes signataires d’une lettre accusant Israël d’être « entièrement responsable des violences qui font rage aujourd’hui (11) ». Un camion envoyé par un groupe d’extrême droite apparut ensuite dans les rues de Cambridge, équipé d’un panneau d’affichage numérique où défilaient les noms et les visages des étudiants recensés comme les « principaux antisémites de Harvard ». Un autre groupe pro- israélien mit en li- gne les noms de militants propalestiniens avec ce message : « Il est de votre devoir de vous assurer que les radicaux d’aujourd’hui ne seront pas les employés de demain. »
Depuis, M. Ackman a lancé une autre campagne pour contraindre au départ la présidente de Harvard, Mme Gay, première femme noire jamais nommée à la tête d’une université de l’Ivy League. Une nouvelle fois, on ne lui reprocha pas d’avoir refusé de condamner le Hamas ou l’antisémitisme, mais de les avoir condamnés d’une façon jugée inadéquate par M. Ackman et ses collègues. À son tour elle dut quitter son poste le 2 janvier au prétexte officiel qu’elle s’était rendue coupable de plagiat.
Pourtant, bien qu’Israël et la Palestine soient au cœur d’une lutte acharnée sur de nombreux campus américains, personne ou presque dans la communauté universitaire n’accrédite la thèse d’une flambée d’antisémitisme chez les étudiants. En 2017, quatre chercheurs de l’université Brandeis ont conduit une étude à ce sujet sur quatre campus de renom, au terme de laquelle ils ont conclu : « Les étudiants juifs sont rarement exposés à de l’antisémitisme sur leurs lieux d’études. (…) Ils ne pensent pas que leur campus est hostile aux Juifs. (…) Une majorité d’entre eux récuse l’idée d’un environnement qui serait hostile à Israël (12). » Les chercheurs associés au programme d’études juives à l’université Stanford ont abouti à une conclusion similaire après avoir observé la vie estudiantine sur cinq campus californiens. Les étudiants juifs interrogés témoignaient d’« un faible niveau d’antisémitisme » et se sentaient « à l’aise en tant que Juifs » sur leurs campus respectifs (13).
Des incidents déplorables, il y en a eu, indéniablement, et des deux côtés. Des étudiants, musulmans comme juifs, ont été pris à partie. Mais nombre d’universités — dont Harvard, l’université de Pennsylvanie, Stanford et l’université de New York — ont cru bon de réagir à ces tensions en créant des commissions d’études sur l’antisémitisme pour satisfaire leurs bailleurs de fonds, le cas échéant en écartant leurs propres chercheurs (14). Des projections du documentaire Israelism, une approche critique du sionisme réalisée par deux cinéastes juifs, ont été annulées dans de nombreuses universités, souvent à la dernière minute, alors que le public était déjà présent dans la salle. Plus grave, trois étudiants palestiniens repérables à leurs keffiehs furent la cible de coups de feu fin novembre dans le Vermont (15).
Dans ce contexte, l’activisme agressif du groupe Students for Justice in Palestine (« Étudiants pour la justice en Palestine », SJP) pose un défi supplémentaire à certains administrateurs d’université. Ses militants ne répugnent pas aux attaques personnelles et à la surenchère. Dans les instructions écrites que leur donne le SJP figure notamment un passage assimilant l’attaque du 7 octobre à une « victoire historique » et une liste d’actions à mener pour permettre à « notre peuple d’actualiser la révolution ». Certaines antennes du SJP sont allées jusqu’à diffuser des images de parapentistes, en référence aux combattants du Hamas venus depuis les airs le 7 octobre pour massacrer les civils israéliens rassemblés à un festival de musique près de la frontière de Gaza. En conséquence de quoi le SJP a été suspendu à l’université George Washington, à Brandeis et à Columbia (laquelle a également décidé l’exclusion du bureau local du groupe Jewish Voice for Peace). En Floride, le gouverneur ultraconservateur Ronald DeSantis a donné l’ordre aux universités de « désactiver » les antennes du SJP, en prétextant que celles-ci fourniraient un « soutien matériel » à des groupes « terroristes » — une allégation ridicule et pourtant entérinée par M. Greenblatt (16).
Le Congrès en redemande, et la Maison Blanche ne rechigne pas à le satisfaire, en annonçant par exemple qu’elle mobilisera les ministères de l’éducation, de la justice et de l’intérieur afin de protéger les Juifs sur les campus contre ce qu’elle appelle une « combinaison extrêmement inquiétante de sentiments et d’actions hideux (17) ».
Un tel environnement politique s’apparente au maccarthysme. Aux États-Unis comme au Proche-Orient, le seul pouvoir politique concédé aux Palestiniens ou à ceux qui défendent leurs droits consiste à rappeler leur existence : refuser de garder le silence, saboter les tentatives de rendre l’oppression exercée par Israël inaudible aux oreilles du monde. C’est précisément ce que le Hamas avait comme objectif lorsque ses hommes ont massacré plus de huit cents civils israéliens et enlevé des centaines d’autres. Tragiquement pour tous les concernés, au premier chef les Palestiniens eux-mêmes, l’assaut meurtrier du 7 octobre a rendu plus incertaine que jamais la perspective de les voir un jour contrôler leur destin.
par Eric Alterman
Février 2024
https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/ALTERMAN/66559
.
Rédigé le 02/02/2024 à 11:01 dans Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
De Grotius aux Nations unies, aux origines du « deux poids, deux mesures »
Imagine-t-on des relations internationales codifiées et imposées au reste du monde par des pays d’Amérique latine, d’Afrique, du Caucase ou d’Asie ? Guère, et pour cause : depuis le XVIIe siècle, le droit international décalque les intérêts des grandes puissances. Ses formes contemporaines, comme les Nations unies, demeurent toutefois le recours — hélas souvent impuissant — des États dominés.
Laura Wills. — « Public Survey » (Enquête publique), 2010
e droit international, dans son acception contemporaine, évoque immanquablement l’idée de relations entre États souverains. On estime en Occident que celles-ci ont commencé à prendre une forme plus ou moins codifiée avec les traités de Westphalie, conclus en 1648 pour mettre un terme à la guerre de Trente Ans. Pourtant, la naissance d’un corpus théorique sur la question a précédé ce moment fondateur, puisqu’elle remonte aux années 1530 et aux écrits du théologien espagnol Francisco de Vitoria. Plus qu’aux relations entre les États d’Europe — dont l’Espagne était à cette époque, et de loin, le plus puissant —, Vitoria s’intéressait à celles qu’entretenaient les Européens (à commencer bien sûr par les Espagnols) et les populations des Amériques récemment découvertes.
S’appuyant sur le jus gentium romain, ou « droit des gens », Vitoria passait en revue les fondements possibles de la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols. Était-ce que les terres accaparées étaient inhabitées ? Qu’elles avaient été attribuées à la couronne d’Espagne par le pape ? Qu’il était du devoir des chrétiens de convertir les païens, de force si nécessaire ? Il rejetait tous ces motifs pour en avancer un autre : les sauvages peuplant les Amériques avaient violé un droit universel, le « droit de communication » (jus communicandi), qui correspondait à la liberté de voyager et de commercer où que ce fût, couplée à celle de prêcher la vérité chrétienne aux indigènes. Puisque les Indiens, comme les nommaient les conquistadors, faisaient obstacle à l’exercice de ces libertés, les Espagnols étaient en droit de répondre par les armes, de bâtir des forteresses et de confisquer des terres. Et s’ils s’obstinaient, ils méritaient le sort que l’on réserve à ses pires ennemis : la déprédation et l’asservissement (1). En d’autres termes, la domination espagnole était parfaitement légitime.
Le premier vrai pilier de ce que l’on continuera d’appeler pendant quelque deux cents ans « droit des gens » fut donc construit pour justifier l’expansionnisme espagnol. Le deuxième, plus crucial encore, fut l’œuvre du diplomate néerlandais Hugo Grotius au début du XVIIe siècle. De nos jours, Grotius est surtout connu — et admiré — pour son traité Le Droit de la guerre et de la paix (De jure belli ac pacis), qui date de 1625, mais c’est avec un ouvrage rédigé une vingtaine d’années plus tôt qu’il a commencé à imprimer sa marque sur le droit international moderne. Dans Le Droit de prise (De jure praedae), il fondait en droit un acte de pillage sans précédent qui avait fait sensation à travers l’Europe : un de ses cousins, capitaine au sein de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, avait attaqué un navire portugais et saisi sa cargaison de cuivre, de soie, de porcelaine et d’argent pour une valeur totale de 3 millions de florins — l’équivalent des recettes annuelles de l’Angleterre. Au quinzième chapitre de son essai, publié plus tard séparément sous le titre La Liberté des mers (Mare Liberum), Grotius expliquait que la haute mer devait être une zone de totale liberté pour les États comme pour les compagnies privées entretenant une armée. Par conséquent, son cousin était dans son bon droit. Et voilà comment l’impérialisme commercial néerlandais se voyait juridiquement validé à son tour.
Au moment où parut Le Droit de la guerre et de la paix, les Pays-Bas avaient étendu leurs prétentions aux possessions terrestres, arrachant notamment une partie du Brésil des mains des Portugais. Dans son célèbre traité, Grotius proclamait cette fois le droit des Européens de faire la guerre à tout peuple dont ils jugeaient les coutumes barbares, et ce même en l’absence de provocation. C’était le jus gladii, ou « droit du glaive » : « Il faut savoir aussi que les rois, et que ceux qui ont un pouvoir égal à celui des rois, ont le droit d’infliger des peines non seulement pour des offenses commises contre eux et leurs sujets, mais encore pour celles qui ne les touchent pas particulièrement, et qui violent à l’excès le droit de la nature ou des gens à l’égard de qui que ce soit (2). » Autrement dit, il donnait un permis d’attaquer, de conquérir et de tuer quiconque se mettait en travers de l’expansion européenne.
À ces premiers soubassements du droit international moderne (jus communicandi et jus gladii) s’ajoutèrent deux autres arguments justifiant les expéditions colonisatrices. Thomas Hobbes prit prétexte de la démographie : alors que l’Europe était surpeuplée, les lointaines contrées de chasseurs-cueilleurs comptaient si peu d’habitants que les colons européens avaient le droit, non pas d’« exterminer ceux qu’ils y trouvent, mais [de] contraindre ceux-ci à cohabiter étroitement ensemble, et cela sans occuper de vastes étendues de territoire, en arrachant ce qu’ils trouvent (3) » — une voie toute tracée vers la création de réserves comme celles où seraient parqués plus tard les Amérindiens. (Bien entendu, si l’on pouvait décréter ces terres vacantes, il n’y aurait nul besoin de s’embarrasser d’un tel raisonnement.) John Locke renforça cette idée communément admise en précisant qu’il était tout à fait légal de confisquer les territoires convoités aux populations qui y étaient installées si celles-ci n’avaient pas su en faire le meilleur usage. Améliorer la productivité des sols revenait en effet à accomplir la volonté divine (4). Ainsi l’idéologie colonialiste européenne se trouvait-elle bardée à la fin du XVIIe siècle d’une belle panoplie de justifications.
Au siècle suivant, les relations entre États européens étaient devenues le sujet central des écrits consacrés au droit international, cependant que plusieurs penseurs des Lumières, dont Denis Diderot, Adam Smith et Emmanuel Kant, remettaient en cause la moralité des menées coloniales (sans toutefois appeler à faire marche arrière). Le plus notable des traités rédigés durant cette période fut celui du philosophe suisse Emer de Vattel, Le Droit des gens (1758). Il y observait froidement : « La Terre appartient au genre humain pour sa subsistance : si chaque nation eût voulu dès le commencement s’attribuer un vaste pays, pour n’y vivre que de chasse, de pêche et de fruits sauvages, notre globe ne suffirait pas à la dixième partie des hommes qui l’habitent aujourd’hui. On ne s’écarte donc point des vues de la nature en resserrant les sauvages dans des bornes plus étroites (5). » Bien que Vattel s’inscrivît sur ce point dans la continuité de ses prédécesseurs, son ouvrage marquait un tournant conceptuel en proposant une version plus laïque du droit international. L’expansionnisme se réclamait toujours de la religion, mais celle-ci passait au second plan.
Conformément aux conventions diplomatiques de son temps, Vattel partait du principe que tous les États souverains étaient égaux. Le congrès de Vienne, en 1814-1815, rompit avec cette vision et instaura une hiérarchie officielle au sein même de l’Europe en définissant cinq « grandes puissances » — le Royaume-Uni, la Russie, l’Autriche, la Prusse et la France — auxquelles étaient accordés des privilèges spéciaux. Ce système, initialement destiné à consolider la coalition contre-révolutionnaire qui avait défait Napoléon et rétabli les monarchies à travers le continent, se maintint bien au-delà de la période de la Restauration stricto sensu. En 1883, le grand juriste écossais James Lorimer pouvait écrire avec assurance que le principe de l’égalité des États avait été réfuté par l’histoire.
Dans un contexte où l’impérialisme européen ne visait plus seulement des peuples sans défense, mais de vastes empires (notamment asiatiques) et d’autres nations développées bien plus à même de résister à ses assauts, une question nouvelle se posait : comment devait-on classifier ces États, et jouissaient-ils des mêmes droits que les puissances européennes ? Le congrès de Vienne avait implicitement répondu en interdisant à l’Empire ottoman de prendre part au concert des nations qu’il organisait. Alors que ce bannissement aurait encore pu s’expliquer par des considérations religieuses, c’est une autre doctrine qui prit forme dans le courant des décennies suivantes, celle du « critère de civilisation » : les Européens n’accepteraient de traiter en égaux que les États qu’ils jugeaient « civilisés ».
Le critère de civilisation permettait de mettre à l’index trois catégories d’États : les États criminels (ou États voyous dans la terminologie contemporaine), comme la Commune de Paris ou les sociétés musulmanes fanatiques, qui seraient rejointes par la Russie si d’aventure elle cédait aux sirènes nihilistes ; les États « semi-barbares », qui ne contestaient pas les normes de civilisation européennes de la même manière que les précédents, mais ne les incarnaient pas non plus, à l’image de la Chine et du Japon ; enfin, les États impotents ou déliquescents (on parlerait aujourd’hui d’États faillis), qui ne pouvaient décidément pas être tenus pour des acteurs responsables. En plus d’être exclues de la communauté internationale proprement dite, les nations du premier et du troisième groupe devaient être matées par les armes. Comme l’expliquait Lorimer, « le communisme et le nihilisme sont condamnés et prohibés par le droit international (6) ».
En 1884, la conférence de Berlin scella le sort de l’Afrique, comme le congrès de Vienne l’avait fait avec celui de l’Europe. Les États européens réunis dans la capitale allemande se partagèrent le gâteau colonial, la plus grosse part revenant à la Belgique — le pays même où le droit international était en train de se constituer en tant que discipline — sous la forme d’une entreprise privée dirigée par le roi. L’Institut de droit international, fondé à Bruxelles une dizaine d’années plus tôt, applaudit à ces nouvelles acquisitions.
La première guerre mondiale fut suivie d’un nouveau sommet international : la conférence de la paix de Paris. Organisée par les puissances victorieuses — Royaume-Uni, France, Italie, Japon et États-Unis —, elle donna lieu en 1919 à la signature du traité de Versailles, qui fixait les sanctions imposées à l’Allemagne, redessinait la carte de l’Europe orientale et répartissait les territoires nés du démembrement de l’Empire ottoman. Elle accoucha surtout de la Société des nations (SDN), instance internationale chargée de garantir la « sécurité collective » et d’assurer l’établissement d’une paix et d’une justice durables entre les États. Washington prit soin de faire incorporer dans le pacte même de la SDN, au rang des instruments « qui assurent le maintien de la paix », la doctrine Monroe faisant de l’Amérique latine son pré carré. Quant à la Cour permanente de justice internationale créée à La Haye par cette même conférence, elle se réfère encore aujourd’hui dans son article 38 aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». Parmi les rédacteurs de ses statuts, on comptait l’auteur d’un mémoire de six cents pages défendant l’admirable bilan de l’administration belge du Congo.
Le Sénat des États-Unis allait finalement se prononcer contre l’adhésion à la SDN, mais la nouvelle entité n’en reflétait pas moins fidèlement les exigences des gagnants de la guerre. Les quatre autres vainqueurs furent ainsi gratifiés d’un statut exclusif de membre permanent au sein du Conseil de la SDN, ancêtre du Conseil de sécurité des Nations unies. Indignée par ce criant déséquilibre, l’Argentine refusa d’emblée de participer, imitée en 1926 par le Brésil (dont la demande qu’un siège permanent soit accordé à un pays d’Amérique latine avait été rejetée). Vingt ans après la création de la SDN, pas moins de huit autres nations du sous-continent, petites et grandes, avaient fait défection.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les cartes avaient été rebattues. La suprématie des pays européens, pour la plupart en ruine ou criblés de dettes, n’était plus. Créée à San Francisco en 1945, l’Organisation des Nations unies (ONU) perpétua le principe hiérarchique hérité de la SDN. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité avaient même plus de poids que leurs prédécesseurs grâce à leur droit de veto. Le nouveau système sonnait toutefois le glas du monopole occidental, puisqu’aux côtés des États-Unis et d’une France et d’un Royaume-Uni très diminués siégeaient désormais l’Union soviétique et la Chine. Au cours des deux décennies suivantes, avec l’accélération des processus de décolonisation, l’Assemblée générale de l’ONU se transforma en forum où s’exprimaient des requêtes et se votaient des résolutions de plus en plus gênantes pour Washington et ses alliés.
Dans son imposante étude Le Nomos de la Terre, parue en 1950, Carl Schmitt soulignait combien le concept de droit international au XIXe siècle était spécifiquement européocentré. Ainsi, selon lui, des notions prétendument universelles telles que « civilisation », « humanité » ou « progrès », qui irriguent la pensée et la phraséologie diplomatiques, n’étaient considérées comme valides que lorsqu’on y accolait l’adjectif « européen ». Mais Schmitt ajoutait que, à l’heure où il écrivait, cet ordre ancien était sur le déclin (7). Bien sûr, l’Europe n’a pas disparu ; elle a simplement été engloutie par l’un de ses propres prolongements territoriaux : les États-Unis. Ce qui conduit à se demander dans quelle mesure, depuis 1945, le droit international est demeuré une pure créature de l’Occident, dorénavant gouverné par la superpuissance américaine.
Mais au fait, comment définir la nature de ce droit ? Sur cette question, la réponse de Hobbes est sans équivoque : ce n’est pas la vérité, mais l’autorité qui fait le droit — ou, comme il l’écrit : « Les conventions, sans l’épée, ne sont que des mots (8). » Faute d’une autorité identifiable investie du pouvoir de dire le droit international ou de le faire respecter, celui-ci cesse d’être un droit pour se résumer à une simple opinion. On oublie souvent que, si choquante qu’elle soit pour les juristes et avocats internationaux de notre époque, très majoritairement progressistes, cette conclusion était partagée par le plus grand philosophe libéral du XIXe siècle, John Stuart Mill. En réponse aux critiques formulées à l’encontre de l’éphémère IIe République française, qui avait pris (verbalement) le parti des insurgés polonais face à la domination prussienne, Mill écrivait ainsi en 1849 qu’« il n’est possible d’améliorer la moralité internationale qu’en violant, au nom de principes nouveaux, les règles établies (9) ».
Mill s’exprimait dans un esprit de solidarité révolutionnaire, en un temps où le droit international, dépourvu de toute dimension institutionnelle, n’était guère plus qu’une formule creuse brandie par les dirigeants politiques pour justifier des actions servant leurs intérêts, et où l’on ne trouvait pas encore d’avocats spécialisés dans ce domaine. Au début des années 1880, lord Salisbury pouvait asséner devant le Parlement britannique : « Le droit international au sens usuel du mot “droit” n’existe pas. Il dérive essentiellement des a priori de ceux qui rédigent les manuels, et nul tribunal ne saurait le faire appliquer (10). » Un siècle plus tard, l’institutionnalisation battait son plein. À la Charte des Nations unies et à la Cour internationale de justice (CIJ) étaient venues s’ajouter une armada d’avocats professionnels et une discipline universitaire en perpétuelle expansion.
Le droit international tel qu’il s’est développé à partir de 1918 — celui dont nous continuons de vivre l’évolution aujourd’hui — se caractérisait selon Schmitt par sa nature profondément discriminatoire (11) : les guerres livrées par les maîtres du système étaient des interventions désintéressées visant à préserver le droit international ; celles livrées par n’importe qui d’autre étaient des entreprises criminelles violant ce même droit. Ce caractère distinctif n’a cessé depuis de se renforcer à deux niveaux. D’un côté, on a un droit qui ne feint même pas d’avoir une quelconque force exécutoire dans le monde réel, ce qui l’assimile à une aspiration sans substance — autrement dit, une opinion pure et simple. De l’autre côté, les puissances dominantes agissent plus que jamais selon leur bon vouloir, que ce soit au nom ou au mépris du droit international. Le recours à l’agression n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’hégémon, puisqu’on a vu des guerres d’invasion lancées de manière unilatérale, en détournant ou en enfreignant ouvertement les règles juridiques : le Royaume-Uni et la France contre l’Égypte, la Chine contre le Vietnam, la Russie contre l’Ukraine, pour ne rien dire des acteurs de moindre envergure comme la Turquie contre Chypre, l’Irak contre l’Iran ou Israël contre le Liban.
Au moment même où se constituait l’ONU, incarnation ultime du droit international dont la Charte consacre la souveraineté et l’intégrité des pays membres, les États-Unis étaient affairés à violer ces principes. À quelques kilomètres des lieux où se tenait la conférence inaugurale, une équipe du renseignement militaire stationnée dans le Presidio, ancien fort espagnol devenu base de l’armée, interceptait la plupart des câbles échangés entre les délégations et leur pays d’origine. Les communications ainsi déchiffrées atterrissaient le lendemain matin sur la table du secrétaire d’État Edward R. Stettinius, qui les consultait en prenant son petit déjeuner. Comme l’écrit l’historien Stephen Schlesinger sur un ton jubilatoire en décrivant cette opération d’espionnage systématique, l’ONU fut « dès le départ un projet des États-Unis, conçu par le département d’État, habilement piloté par deux présidents qui s’impliquèrent en personne (…) et animé par la puissance américaine (12) ».
Soixante ans plus tard, rien n’avait changé. Alors que la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies, approuvée en 1946, stipule que tous les biens et avoirs de l’organisation, « où qu’ils se trouvent et quel que soit leur détenteur, sont exempts de perquisition, réquisition, confiscation, expropriation ou de toute autre forme de contrainte exécutive, administrative, judiciaire ou législative », on découvrit en 2010 que Mme Hillary Clinton, alors secrétaire d’État américaine, n’avait que faire de cette règle. Dans un câble envoyé en juillet 2009, elle avait donné ordre à la Central Intelligence Agency (CIA), au Federal Bureau of Investigation (FBI) et aux services secrets de se procurer les mots de passe et clés de chiffrement du secrétaire général et des ambassadeurs des quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi de collecter les informations personnelles (données biométriques, adresses de courriel, numéros de carte bancaire…) d’une foule de fonctionnaires occupant des postes-clés et de responsables engagés sur le terrain dans des opérations de maintien de la paix ou des missions à contenu politique. Il va de soi que ni Mme Clinton ni le gouvernement des États-Unis n’ont eu à répondre de cette violation éhontée du droit international — censé justement protéger son sanctuaire : les Nations unies —, de même qu’aucun décideur américain n’a jamais été inquiété pour les atrocités commises pendant les guerres de Corée et du Vietnam.
Créé en 1993 par le Conseil de sécurité, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) avait reçu la mission de poursuivre les auteurs de crimes de guerre perpétrés lors de l’éclatement du pays. La procureure générale canadienne, en étroite collaboration avec l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), veilla à ce que les condamnations pour purification ethnique s’abattent majoritairement sur les Serbes, bête noire des Américains et des Européens, tout en épargnant les Croates, armés et entraînés par Washington pour mener à bien leurs propres opérations de nettoyage ethnique. En 1999, elle prit également soin d’exclure du champ de ses investigations toutes les actions commises par l’OTAN durant sa guerre contre la Serbie, parmi lesquelles le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade. C’était on ne peut plus logique : comme le rappela le porte-parole de l’OTAN, « le Tribunal a été créé par les pays de l’OTAN, qui le financent et le défendent au quotidien (13) ». Une fois de plus, les États-Unis et leurs alliés utilisaient ces procès pour criminaliser leurs adversaires vaincus, tout en s’assurant de rester eux-mêmes hors d’atteinte de la justice.
Il se produisit exactement la même chose avec la Cour pénale internationale (CPI), mise en place à la demande pressante de Washington, qui joua un rôle crucial dans son élaboration à partir de 1998. Lorsqu’une première mouture des statuts fut modifiée pour étendre les possibilités d’inculpation aux ressortissants d’États non signataires — ce qui aurait pu placer les soldats, pilotes, tortionnaires et autres criminels américains dans la ligne de mire de la Cour —, l’administration de M. William Clinton, furieuse, s’empressa de conclure des accords bilatéraux avec plus d’une centaine de pays où l’armée américaine était ou avait été présente afin de protéger les citoyens américains de telles poursuites. Finalement, quelques heures avant de quitter la Maison Blanche, M. Clinton enjoignit au délégué des États-Unis de signer les statuts de la future Cour, sachant pertinemment que cette décision n’avait aucune chance d’être validée par le Congrès. Officiellement créée en 2002, la CPI, qui emploie un personnel fort accommodant, a sans grande surprise refusé d’enquêter sur les opérations américaines ou européennes en Irak et en Afghanistan, réservant ses foudres aux pays d’Afrique en vertu de cette maxime tacite : un droit pour les riches, un autre pour les pauvres.
Quant au Conseil de sécurité, garant (sur le papier) du droit international, son bilan parle de lui-même. Tandis que l’occupation du Koweït par l’Irak en 1990 a entraîné des sanctions immédiates contre Bagdad, doublées d’une riposte militaire mobilisant près d’un million d’hommes, l’occupation israélienne de la Cisjordanie se poursuit depuis plus d’un demi-siècle sans que le Conseil ne lève autre chose que le petit doigt. En 1998-1999, ayant échoué à obtenir le vote d’une résolution qui les aurait autorisés à frapper la Yougoslavie, les États-Unis et leurs alliés se rabattirent sur l’OTAN, en violation flagrante de la Charte des Nations unies, qui interdit les guerres d’agression. M. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU désigné par Washington, expliqua alors tranquillement que si l’action de l’OTAN n’était peut-être pas légale, elle était néanmoins légitime. Quatre ans plus tard, après que les États-Unis et le Royaume-Uni eurent attaqué l’Irak en contournant le Conseil de sécurité, où la France menaçait de poser son veto, M. Annan fit en sorte que l’opération soit entérinée rétroactivement par l’adoption à l’unanimité de la résolution 1483, qui reconnaissait ces deux pays comme « puissances occupantes » et leur assurait l’appui des Nations unies. On peut se passer du droit international pour lancer une guerre, mais il tombe à point nommé lorsqu’il s’agit de la légitimer après coup.
La nature discriminatoire de l’ordre mondial né à la faveur de la guerre froide n’est nulle part plus visible que dans le traité de non-prolifération nucléaire (1968), qui réserve aux seuls membres permanents du Conseil de sécurité le droit de posséder et de déployer des bombes à hydrogène. Israël, piétinant cet accord, s’est depuis longtemps doté d’un vaste arsenal nucléaire, mais il ne saurait être question de mentionner ce fait. Dans le même temps, les grandes puissances sanctionnent la Corée du Nord et l’Iran tout en niant l’existence de l’arsenal israélien — une illustration éloquente des paradoxes du droit international.
Est-ce à dire que ce droit serait dépourvu, en pratique, de toute universalité ? Non, puisqu’il est universel à au moins un titre : tous les États de la planète s’en réclament pour garantir l’immunité diplomatique à leurs personnels à l’étranger — un principe respecté de manière inconditionnelle, y compris lorsque le pays hôte déclare la guerre au pays représenté. Il va de soi que les ambassades des grands États (et de la majorité des plus modestes) sont truffées d’agents exclusivement employés à des missions d’espionnage, sans aucun fondement légal. De telles incohérences ne sont pas pour redorer le blason du droit international.
Envisagé d’un point de vue réaliste, celui-ci n’est en somme ni vraiment international ni vraiment un droit. Il n’est pas quantité négligeable pour autant, mais constitue une force essentiellement idéologique au service de l’hégémon et de ses alliés. Hobbes appelait cela l’opinion et y voyait un élément crucial pour la stabilité politique d’un royaume : « Le pouvoir des puissants ne se fonde que sur l’opinion et la croyance du peuple (14). » Tout chimérique qu’il puisse être, le droit international ne saurait être pris à la légère.
Selon Antonio Gramsci, l’exercice de l’hégémonie implique de réussir à faire passer un intérêt particulier pour une valeur universelle — exactement comme le fait l’expression de « communauté internationale ». L’hégémonie suppose toujours, par définition, un mélange de coercition et de consentement. Dans l’arène internationale, la coercition échappe le plus souvent au couperet de la loi, tandis que le consentement, si tant est qu’on parvienne à l’obtenir, est nécessairement plus faible et plus précaire. Le droit international sert à masquer ce décalage, soit qu’il fournisse aux États des prétextes commodes pour excuser toute action qu’il leur plaît d’entreprendre, soit qu’il se pare des atours de la moralité, en totale déconnexion avec la réalité. Il peut aussi opérer la fusion entre les deux postures : non pas l’utopie ou l’excuse, mais l’utopie comme excuse — la responsabilité de protéger pour légitimer la destruction de la Libye, la recherche de l’apaisement pour justifier l’étranglement de l’Iran, et ainsi de suite.
Ses défenseurs clament volontiers qu’il vaut mieux un droit dont les États abusent dans les faits que pas de droit du tout, invoquant la célèbre maxime de La Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » Mais on pourrait tout aussi bien inverser l’adage et définir l’hypocrisie comme la contrefaçon de la vertu par le vice pour mieux dissimuler des desseins malveillants. N’est-ce pas ce que prouvent l’exercice arbitraire du pouvoir par les forts sur les faibles ou les guerres sans merci livrées ou provoquées au nom de la sauvegarde de la paix ?
(Traduit de l’anglais par Élise Roy.)
Perry Anderson
par Perry Anderson
https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/ANDERSON/66574
.
Rédigé le 02/02/2024 à 09:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
Trente ans après son assassinat, le dramaturge Abdelkader Alloula reste une icône dans son pays. Trop peu connu dans l’Hexagone, son art de poésie et d’émancipation est porté par une troupe franco-algérienne, qui en transmet en arabe et en français toute la puissance esthétique et politique à travers la mise en scène de l’une de ses plus célèbres pièces, El Ajouad (Les Généreux).
Le 10 mars 1994, Abdelkader Alloula, acteur, auteur, metteur en scène et directeur du théâtre national d’Oran est la cible d’un de ces terrifiants attentats qui ont traumatisé l’Algérie durant la décennie noire (1992-2002). Contrairement à Kateb Yacine, Alloula refusait de s’emparer du « butin de guerre » de la langue française, écrivant exclusivement en arabe, de plus dialectal algérien, ce qui le rendait peu connu du public français.
Mais cet assassinat le place sous les feux de la rampe de l’ex-puissance coloniale. Actes Sud publie en 1995 Les Généreux, une traduction de son œuvre culte El Ajouad, suivie de Les Dires (Lagoual) et Le Voile (Al-Lithem). Suivra en 2002 quasiment le reste de son œuvre, avec Les Sangsues (Laalegue), puis Le Pain (El Khobza), La Folie de Salim (Homk Salim), adaptation du Journal d’un fou de Gogol en enfin Les Thermes du Bon-Dieu (Hammam rabbi), l’ensemble de ces textes ayant été traduits par Messaoud Benyoucef.
Durant une petite dizaine d’années, et d’abord au festival d’Avignon en 1995, El Ajouad est jouée sous la direction de Jean-Yves Lazennec. D’autres metteurs en scène et compagnies vont ensuite explorer ce théâtre populaire qui associe poésie et prose, rythme et musicalité. Des pièces dont les héros sont les gens du peuple, des gardiens d’école ou de zoo, des ouvriers d’usine, des dockers, des éboueurs, des mères de famille…
Puis on n’entendra plus le verbe d’Alloula. Comme s’il venait percuter et déranger tous les renoncements, mettant en miroir l’effondrement de la société algérienne et la décomposition de la société française. Comme si cet entêtement à porter la parole des humbles et des humiliés troublait un ordre établi que l’on ne veut plus combattre.
Alloula était communiste et attendait tout de l’indépendance et de la nouvelle société algérienne. Il déchantera assez vite et n’épargnera pas ses critiques, ni dans son œuvre ni dans son engagement politique et son action, contre la bureaucratie du Front de libération nationale (FLN), le parti toujours au pouvoir qui confisque toutes les réformes à son profit. La misère du peuple algérien le bouleverse et le révulse. Le théâtre va être pour lui un outil « d’émancipation pleine et entière ». Parcourant le pays, il veut rompre avec « le moule aristotélicien » et inventer une nouvelle théâtralité où « il y a simultanément acte de la parole et la parole en acte qui travaille fondamentalement dans le sens de donner à l’oreille à voir et aux yeux à entendre ». Cela passera par la halka (le cercle), un dispositif qui créée une interaction avec le spectateur et où le meddah ou gouwal (conteur-acteur-chanteur) est au centre du dispositif. C’est dans ce cadre qu’il expérimente El Ajouad, qu’il créé en 1985.
La pièce Les Généreux à l’affiche du Théâtre-Studio d’Alfortville jusqu’au 11 février est une cocréation entre la compagnie Istijmam (littéralement « répit », référence à un court-métrage d’Alloula), basée à Oran, avec Rihab Alloula, Houari Bouabdellah, Djaoued Bougrassa, Meryem Medjkane et le collectif GENA de Marseille (Jean-Jérôme Esposito, Julie Lucazeau, Franck Libert). Ensemble, ils proposent une version bilingue non sur-titrée. Un pari audacieux mais qui captivera le spectateur même s’il n’a pas la chance de pouvoir en déchiffrer toute la partition, tant le passage d’une langue à l’autre relève de la beauté musicale et d’un jeu fascinant.
Chacun des trois récits qui composent Les Généreux, intitulés d’après leurs personnages principaux « Djelloul El Fhaymi », « Akli et Mnawer » et « Hbib Errebouhi », est donné le soir en semaine, accompagné de balades chantées. Ils sont visibles dans leur ensemble les deux week-ends du 3 et 10 février. Rihab Alloula, la fille d’Abdelakder, en a fait une nouvelle traduction française au plus près de l’arabe parlé algérien, et Jamil Benhamamouch une mise en scène qui ne se contente pas d’alterner le texte original et sa traduction, mais fait entendre et évoluer les deux langues dans une véritable symbiose. Dans le premier récit, on est plongé au cœur d’un hôpital public où Djelloul, le raisonneur, passe pour un fauteur de troubles. Il est par conséquent déplacé d’un poste à l’autre. Lorsqu’un patient se réveille à la morgue à la suite d’une erreur médicale, les dysfonctionnements deviennent visibles aux yeux de tous. Dans le deuxième récit, Mnawer, le concierge d’un lycée, est en charge de l’entretien du squelette de son ami Akli qui, transgressant tous les tabous, a voulu faire don de son corps pour pallier le manque de moyens de l’école publique. Le troisième tableau raconte l’histoire d’un syndicaliste plein de pitié et de tendresse pour les animaux d’un zoo totalement délabré qu’on laisse dépérir. Tous ces personnages veulent défier la fatalité et la corruption, venir en aide à leur prochain, faire société.
Les sept interprètes au plateau sont sobrement vêtus et n’ont que l’espace et la lumière (Emeric Teste) pour évoluer, utilisant toutes les coursives, s’approchant au plus près du public, transmettant leur enthousiasme et leur passion. Ils passent d’un personnage et d’une langue à l’autre, repoussant toutes les limites. Ils sont éblouissants et magnifiques. Il ne faut pas manquer l’interprétation de la balade de Sakina (qui clôt « Djelloul El Fhaymi »), où la performance vocale de Houari Bouabdellah, accompagné par ses compagnons au tambour, à la guitare et à l’accordéon, est remarquable.
MARINA DA SILVA
Journaliste et militante associative.
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/el-ajouad-d-abdelkader-alloula-ode-au-theatre-algerien-populaire,7042
.
Rédigé le 02/02/2024 à 07:33 dans Algérie, Culture | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires récents