L’ancienne avocate et auteure féministe algérienne Wassyla Tamzali était à Montréal la semaine dernière pour présenter son dernier livre, En attendant Omar Gatlato, qui sortira le 20 juin en Algérie. Une occasion pour elle de rencontrer des membres de la diaspora algérienne du Canada.
L'ancienne avocate et essayiste féministe Wassyla Tamzali.
Photo : Radio Canada International / Samir Bendjafer
C’est avec un enthousiasme qui rendrait jalouse une adolescente de la génération Z que Wassyla Tamzali annonce ses événements montréalais sur les réseaux sociaux.
Et c’est avec le même enthousiasme que s’est déroulée l’entrevue accordée à Radio Canada International (RCI) par cette ancienne avocate algérienne et éternelle militante féministe.
Je suis une adolescente qui n’arrive pas à vieillir dans la tête, lance-t-elle en éclatant de rire, installée sur la terrasse d’un café urbain de l’avenue du Parc en ce mois de mai où la température reste anormalement basse pour la saison.
Cela faisait trois ans que Wassyla Tamzali n’était pas venue à Montréal. Se trouver dans la métropole québécoise est une façon de retrouver une des moi, affirme-t-elle.
Montréal est une ville nord-américaine francophone où il y a les gens que j’aime, dont des Algériens, des Marocains et des Tunisiens avec lesquels je partage beaucoup de choses que je retrouve dans beaucoup de villes comme à Paris et d’autres villes du Maghreb.
Elle se considère comme une nomade, pas une simple voyageuse. Un nomade retourne toujours dans les endroits de vies qu’il a créés. Montréal est devenue [pour moi] un lieu de vie, ajoute la mécène qui a lancé il y a quelques années Les Ateliers sauvages (nouvelle fenêtre), un lieu de création et de résidence pour les arts plastiques et vivants à Alger.
Se retrouver à Montréal lui permet de s’intéresser à la vie dans les Amériques parce qu'elle a une grande curiosité intellectuelle, soutient-elle.
En attendant Omar Gatlao
Wassyla Tamzali est venue à Montréal présenter son livre qui sortira le 20 juin en Algérie et qui porte sur le cinéma algérien.
C’est la réédition du livre En attendant Omar Gatlato, publié en 1979. Il ne s’agit pas d’une réédition, selon l’ancienne avocate.
Ce livre est centré sur les premiers films algériens et même tunisiens projetés dans la mythique cinémathèque algérienne.
Son titre fait référence au film Omar Gatlato de Merzak Alouache sorti en 1976 qui a marqué un tournant dans le cinéma algérien et dans la société algérienne elle-même.
Le nouveau livre contient l'ouvrage publié il y a 44 ans et un deuxième livre très important, car il fait la synthèse de ses idées sur la culture postcoloniale algérienne, explique-t-elle en entrevue.
Quand l’éditeur a demandé à Wassyla Tamzali d’écrire une préface, elle en a écrit une de 100 pages. Une préface qui a fini par porter le titre de Sauvegarde, inspiré de la sauvegarde automatique du fichier du manuscrit sur ordinateur.
Cette partie [sauvegarde] apporte une réflexion qui se déroule sur 60 ans en commençant par les premiers 20 ans, les années 1960 et 1970 [avant qu’elle quitte l’Algérie pour aller travailler à l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la cultureUNESCO avant d’y revenir au début des années 2000, NDLR] , ajoute-t-elle.
Si elle a pu écrire 100 pages sur la culture postcoloniale algérienne, c’est parce qu'elle a vécu 40 ans après les premiers 20 ans et a pu voir se préciser sa vie pendant cette période, indique-t-elle.
À l’époque, elle dit avoir même alerté, en vain, ses amis à la cinémathèque du fascisme latent dans le discours nationaliste et religieux algérien. On ne se rendait pas compte.
Son séjour à Montréal a été ponctué par trois événements auxquels elle a participé en tant que conférencière.
Le premier a été organisé par la librairie Gallimard de Montréal et animée par la critique littéraire Danielle Laurin.
Elle y a présenté son livre La tristesse est un mur entre deux jardins, publié chez Odile Jacob en France en 2021 et coécrit avec l’historienne française Michelle Perrot.
Cette dernière est aussi une ancienne militante anticolonialiste. C’est un livre d’échanges entre deux intellectuelles. Ce n’est pas un livre d’anecdotes. Nous avons parlé de la France et de l’Algérie à travers une rencontre de deux intellectuelles. Et c’était passionnant. Bien que je sois essentiellement de formation française, nous avions un point de vue différent sur chaque question abordée, dit l’Algérienne.
Wassyla Tamzali a parlé des Ateliers sauvages lors d’une causerie animée par la réalisatrice canado-tunisienne Hejer Charf au Cabaret culturel Kawalees.
Rencontrer des Algériens de Montréal est aussi important, pour elle, que d’être dans cette métropole canadienne.
Plus tard, elle a rencontré des membres de la diaspora algérienne de Montréal à la galerie Yara sur invitation de l’Association culturelle Assaddekia-Québec.
La discussion a porté sur son livre Une éducation algérienne, paru en 2007 chez Chihab en Algérie.
Le refus global
Wassyla Tamzali affiche une admiration sans bornes pour Le refus global, ce manifeste publié en 1948 par un groupe d’artistes qui remettait en cause les valeurs traditionnelles de la société québécoise.
Je suis émue de voir comment on peut démarrer une révolution [avec la publication du manifeste du Refus global]. Ça paraît tellement anodin de peindre des tableaux. Un mouvement artistique qui met à terre ce poids de l’Église catholique.
À la question si un tel manifeste pourrait marcher en Algérie, elle répond : On ne le veut pas. Il ne s’agit pas de ne pas savoir comment s’y prendre. Car pour trouver comment s’y prendre, il faut le vouloir et avoir une forte conviction.
Pour elle, la création des Ateliers sauvages participe à un changement minime. Ça peut apporter une réflexion.
Quand elle est rentrée en Algérie au début des années 2000, elle affirme avoir essayé de discuter des changements possibles. Mais à un moment, je ne voulais plus discuter de ce qui n’allait pas. Je voulais apporter des contre-exemples. Voilà ce qu’on pourrait faire. Et j’ai eu cette chance matérielle de pouvoir créer le contre-exemple.
Privilèges
Wassyla Tamzali explique qu’avec ce qu’elle a investi dans Les Ateliers sauvages, elle pourrait venir à Montréal, descendre au Ritz-Carlton et y passer 15 jours et inviter des amis chaque soir. Mais ça ne m’amuse pas..
Elle aurait pu ouvrir un grand restaurant avec l’argent qu’elle avait reçu en héritage. Mais pour moi, l’art est le moyen le plus profond et le plus efficace pour sonder l’âme des gens. Et ça, c’est très important, ajoute-t-elle en entrevue avec Radio Canada InternationalRCI.
C'est un énorme privilège, reconnaît-elle. Mon deuxième privilège est que je sais ce que c’est que la culture. J’ai été à l’école et j’ai eu la chance de voyager de Paris, à New York, à Berlin, à Kinshasa, à Tunis, à Pékin et de travailler dans une grande organisation [l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la cultureUNESCO] , affirme-t-elle.
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Obscurantisme
Pour la militante féministe, l’islamisme a trouvé en Algérie un écho très profond.
Nous avons [en Algérie] une éducation qui poursuit le projet obscurantiste et qui est arrivée, je crois, à un point de non-retour. Le corps est enfoncé dans cet obscurantisme qui touche les sphères les plus élevées du pouvoir et qui accompagne chaque geste de la journée, chaque rituel, chaque cérémonie, dit celle qui utilise le nous en parlant de l’Algérie.
L’islamisme algérien n’est pas né dans la société conservatrice. Il est né dans des milieux où la modernité a échoué.
Elle rappelle que l’encadrement du Front islamique du Salut dissous était formé par des ingénieurs. Ils sortaient tous de nos écoles d’ingénieurs.
Pour elle, mieux vaut avoir affaire à un analphabète qu’à un homme qui a été mal éduqué.
Hirak et féminisme
L’ancienne avocate estime que le mouvement populaire prodémocratie en Algérie, le Hirak, a échoué sur le court terme, parce qu’il n’a pas changé le régime.
Toutefois, il a repolitisé certains rapports entre les gens, chez les jeunes et dans les milieux artistiques. J’ai entendu des amis dire que si ça échoue cette fois-ci, on est cuits. Et ça a échoué et ils disent maintenant qu’il faut qu’on se remette au travail, affirme-t-elle en entrevue avec Radio Canada InternationalRCI.
Wassyla Tamzali déplore le fait que le mouvement populaire ait évacué la question du féminisme.
Quand on a commencé à parler de féminisme en Algérie, on nous disait qu’on ne pouvait pas le faire tant que le peuple ne serait pas éduqué et que le pays ne serait pas développé. Il y a toujours un argument pour nous dire que ce n’est pas le moment de le faire. Et c’est exactement ce qu’a fait le Hirak, explique-t-elle.
La seule analyse et le seul angle pertinent aujourd’hui pour parler de la société algérienne c’est le féminisme. Pourquoi? Parce que je me rends compte qu’en étudiant la situation en Algérie, un des piliers du pouvoir, c’est la situation des femmes comme elle est aujourd’hui, ajoute-t-elle.
La militante féministe estime que le pouvoir politique ne peut pas prendre le risque de lancer un projet d’égalité et un vrai projet d’insertion des femmes, parce qu’il met en danger son pouvoir. Il n’y a pas une volonté irrépressible de changer les choses, parce que ce changement passe par la famille et tout changer.
Ne s’attaque-t-elle pas aux fondements de la société? La question la fait réagir et elle n’hésite pas à la qualifier de ridicule.
Il n’y a pas de fondement de la société. Il s’en crée tous les jours. Nous creusons notre tombe avec ces mots-là. Il y a un seul fondement dans la vie des hommes et des femmes et c’est la liberté et l’égalité. C’est le seul qui a un avenir pour l’Algérie.
Autochtones
L’auteure algérienne dit être sensible à la question autochtone au Canada. Elle trouve des similitudes avec ce qu’a subi l’Algérie pendant le colonialisme.
Comment [l'Algérie] a-t-elle pu se remettre de ce qui lui est arrivé comme [ce qui est arrivé] aux Autochtones? Voilà la grande interrogation de Wassyla Tamzali sur son pays.
Ça n’a pas été jusqu’au bout, mais c’était le même projet. Tocqueville a quand même suggéré que si la France voulait continuer à coloniser l’Algérie, il fallait tuer tout le monde, indique-t-elle.
Évidemment, le sort des Algériens et des Autochtones était différent. Parce que ce n’était pas la même époque et les Algériens avaient déjà des structures modernes qu’on le veuille ou non. Un peuple qui était déjà intégré dans la Méditerranée, conclut-elle.
Note : ce reportage est également disponible en arabe
Baya ou le grand vernissage. Essai de Alice Kaplan (traduit de l'américain). Editions Barzakh, Alger 2024, 234 pages, 1 400 dinars
Un portrait, un voyage outre-mer (en France) et un séjour qui commencent fort. Nous sommes en 1947..., à Paris, dans une certaine France -l'artistique et la culturelle- qui a, peut-être, sur la conscience, les massacres du 8 mai 45 subies par les populations algériennes de Guelma, Sétif et Kherrata. On a, comme invitée, une jeune fille algérienne (une «Arabe» !) qui n'a pas encore 16 ans. Grâce à une femme d'origine européenne d'Algérie, «complexe et attachante», Marguerite Caminat, l'adolescente, alors vouée au «rôle de bonne à tout faire», va se retrouver propulsée au rang de célébrité parisienne... grâce à ses peintures qui vont étonner les plus grands artistes de l'époque (dont Picasso qui la recevra en ses ateliers de céramique, à Vallauris, durant l'été 1948) en bouleversant les canons traditionnels de l'art pictural. Un grand vernissage est organisé à Paris. Elle devient ainsi, rapidement, une gloire du monde artistique parisien de l'après-guerre, inspirant, à travers ses œuvres qui «inventent» les rapports de couleurs, aussi bien les approches artistiques que la mode de l'époque. On aura même un tissu «Baya». «Dans les dernières secondes, alors que la caméra zoome sur son visage, elle affiche un sourire électrique. Son regard est provocant, sarcastique, amusé, agacé». Elle sait déjà qu'en pénétrant dans le monde des galeries parisiennes, elle se retrouvera certes sur un marché de l'art international... mais elle restera toujours la petite musulmane à la peinture aux formes audacieuses et au bestiaire fantastique. Elle sait aussi qu'elle sera surveillée, évaluée à chaque pas, tenue de représenter son peuple par sa posture, ses ongles, ses manières de table. Un symbole, chargé de promouvoir l'image de toutes les jeunes musulmanes d'Alger. Voilà qui ne manque pas, bien sûr, de déranger certains milieux de la presse qui empruntèrent les chemins de l'info' sensationnelle déformée. Bien des fantasmes sont alors au rendez-vous.
Le «grand vernissage» -et la grande aventure parisienne- est certes le point de départ de l'essai (plutôt une recherche documentaire menée avec précision... avec le grand souci du détail qui compte... à l'américaine), mais il a amené, aussi, l'auteure à reconstituer tout le décor où a grandi Baya en même temps qu'elle dépeint - avec un style élégant et la rigueur habituelle - son entourage proche.
Notes (extraites d'un article de Ameziane Ferhani, in El Watan, du 12 janvier 2013): -Dans le catalogue de l'exposition, André Breton, écrivain et fondateur du mouvement surréaliste, écrit un texte magnifique sur la peinture de «la très gracieuse Baya» Avec des teintes d'exotisme, l'écrivain n'oublie pas ses engagements. Celui qui sera l'un des premiers à signer, en 1960, le Manifeste des 121 qui affirme que «la cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres», lie les œuvres de Baya à «la délivrance du monde» et parle du «monde musulman, scandaleusement asservi».
-Commentant l'exposition de 1947, Kateb Yacine écrira que Baya «incarne les premiers pas d'un art algérien moderne dont les cheminements complémentaires ne se cristalliseront décisivement que durant la décennie suivante, à travers la peinture des précurseurs, tels Issiakhem et Khadda, tous nés comme elle autour de 1930». Ainsi, il donnait à Baya sa véritable place dans l'histoire de l'art moderne algérien : celui de «mère».
L'Auteure : Phd en littérature française de l'Université de Yale (Etats-Unis), enseignante, écrivaine et chercheuse. Des travaux portant sur l'autobiographie, les mémoires, la théorie de la traduction, la littérature de langue française du XXe siècle.
Plusieurs publications dont «Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis», en 2012 (Gallimard), «Maison Atlas» et «En quête de l'Etranger» aux Editions Barzakh. Elle a séjourné plusieurs fois en Algérie (Alger, Oran...), pour se documenter et pour présenter ses ouvrages et en débattre avec le public.
Table des matières: 21 chapitres/20 pages de reproductions d'œuvres de Baya et de photographies/ Remerciements/ Notes
Extraits : Tous les propriétaires de galerie (sans compter tous les éditeurs) (parisiens !) sont de cette force. Le meilleur d'entre eux, vraiment le meilleur, raconterait la pire horreur sur sa propre mère, si cela pouvait servir sa publicité. Inconscients» (p 113), «Quand Picasso rencontre enfin Baya dans les ateliers de céramique de Vallauris, à l'été 1948, il constate une créativité juvénile qui n'a plus rien de générique. Elle procède cette fois d'une artiste puissante et originale» (p147).
Avis: Une histoire trop longtemps restée incomplète -même chez nous- ... «telle une traînée de couleurs sur une toile inachevée». Un livre qui donne corps et épaisseur à une icône du patrimoine algérien.
Citations : «Selon un proverbe arabe, «dire «Je ne sais pas» est déjà la moitié du savoir» (p 23), «Nous recevons avec amour les dessins de nos enfants, nous ne les évaluons pas, nous ne les jugeons pas : ils sont tous merveilleux -à moins qu'ils contiennent quelque chose de vraiment remarquable qui nous ouvre les yeux et nous fait voir le monde autrement» (p 47), «Son art est bien des choses, mais c'est d'abord un cénotaphe» (p 155), «La guerre, cette grande séparatrice des pays et des hommes, a permis des ruptures radicales, de nouveaux départs, des annulations du passé» (p172).
Algérie. Arts visuels. Un siècle de création et de créateurs : 1896-2014. Dictionnaire de Mansour Abrous. Editions Dalimen, Alger 2014, 1 800 dinars, 857 pages
Ce qui est très intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il remonte le temps bien loin, donnant ainsi aux arts visuels algériens une histoire qui date de 1896 ; date qui avait vu la première exposition à Londres de Ben Yusuf (Benyoucef) Zaïda : Née à Londres en 1869 d'un père algérien, Mustapha Moussa Benyouseph Nathan et d'une mère allemande, elle était partie aux Etats-Unis en 1895 et avait conquis le monde de la photographie (surtout le portrait), du journalisme et de la mode. Devenue américaine, elle décède en 1933.
Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il nous présente en plus des éphémérides (en Algérie et activités algériennes à l'étranger) 4 545 biographies actualisées, vérifiées, validées. Un travail colossal que l'on sait mené avec passion et entêtement depuis déjà des années et des années. Une véritable «base de données» (...)
Selon l'auteur, 29% des biographies relèvent d'artistes femmes, le reste étant consacré aux plasticiens masculins.
Certaines femmes, en fondant un foyer, délaissent quelque peu cette activité ou bien elles y reviennent plus tard. 39% de ces artistes ont reçu une formation, notamment à l'Ecole des beaux-arts. 47% sont nés avant l'indépendance. 86% vivent en Algérie et 14% résident à l'étranger et évoluent notamment au Canada, Belgique, France, Allemagne, Londres et en Afrique (...)
L'Auteur : Né à Tizi Ouzou en 1956. Diplômé de psychologie et d'esthétique, il a enseigné à l'Ecole des beaux-arts d'Alger (...)
Avis : Outil de travail indispensable et à la valeur indiscutable. A consommer sans modération.
Citation : « Il faut inciter les pouvoirs publics à créer les conditions d'évaluation des politiques publiques, à financer un observatoire des politiques et de l'action culturelles, à aider à la construction d'outils d'analyse pérennes et à faciliter l'émergence de recherches plus approfondies, en lien avec l'université » (p 7).Baya ou le grand vernissage. Essai de Alice Kaplan (traduit de l'américain). Editions Barzakh, Alger 2024, 234 pages, 1 400 dinars
Un portrait, un voyage outre-mer (en France) et un séjour qui commencent fort. Nous sommes en 1947..., à Paris, dans une certaine France -l'artistique et la culturelle- qui a, peut-être, sur la conscience, les massacres du 8 mai 45 subies par les populations algériennes de Guelma, Sétif et Kherrata. On a, comme invitée, une jeune fille algérienne (une «Arabe» !) qui n'a pas encore 16 ans. Grâce à une femme d'origine européenne d'Algérie, «complexe et attachante», Marguerite Caminat, l'adolescente, alors vouée au «rôle de bonne à tout faire», va se retrouver propulsée au rang de célébrité parisienne... grâce à ses peintures qui vont étonner les plus grands artistes de l'époque (dont Picasso qui la recevra en ses ateliers de céramique, à Vallauris, durant l'été 1948) en bouleversant les canons traditionnels de l'art pictural. Un grand vernissage est organisé à Paris. Elle devient ainsi, rapidement, une gloire du monde artistique parisien de l'après-guerre, inspirant, à travers ses œuvres qui «inventent» les rapports de couleurs, aussi bien les approches artistiques que la mode de l'époque. On aura même un tissu «Baya». «Dans les dernières secondes, alors que la caméra zoome sur son visage, elle affiche un sourire électrique. Son regard est provocant, sarcastique, amusé, agacé». Elle sait déjà qu'en pénétrant dans le monde des galeries parisiennes, elle se retrouvera certes sur un marché de l'art international... mais elle restera toujours la petite musulmane à la peinture aux formes audacieuses et au bestiaire fantastique. Elle sait aussi qu'elle sera surveillée, évaluée à chaque pas, tenue de représenter son peuple par sa posture, ses ongles, ses manières de table. Un symbole, chargé de promouvoir l'image de toutes les jeunes musulmanes d'Alger. Voilà qui ne manque pas, bien sûr, de déranger certains milieux de la presse qui empruntèrent les chemins de l'info' sensationnelle déformée. Bien des fantasmes sont alors au rendez-vous.
Le «grand vernissage» -et la grande aventure parisienne- est certes le point de départ de l'essai (plutôt une recherche documentaire menée avec précision... avec le grand souci du détail qui compte... à l'américaine), mais il a amené, aussi, l'auteure à reconstituer tout le décor où a grandi Baya en même temps qu'elle dépeint - avec un style élégant et la rigueur habituelle - son entourage proche.
Notes (extraites d'un article de Ameziane Ferhani, in El Watan, du 12 janvier 2013): -Dans le catalogue de l'exposition, André Breton, écrivain et fondateur du mouvement surréaliste, écrit un texte magnifique sur la peinture de «la très gracieuse Baya» Avec des teintes d'exotisme, l'écrivain n'oublie pas ses engagements. Celui qui sera l'un des premiers à signer, en 1960, le Manifeste des 121 qui affirme que «la cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres», lie les œuvres de Baya à «la délivrance du monde» et parle du «monde musulman, scandaleusement asservi».
-Commentant l'exposition de 1947, Kateb Yacine écrira que Baya «incarne les premiers pas d'un art algérien moderne dont les cheminements complémentaires ne se cristalliseront décisivement que durant la décennie suivante, à travers la peinture des précurseurs, tels Issiakhem et Khadda, tous nés comme elle autour de 1930». Ainsi, il donnait à Baya sa véritable place dans l'histoire de l'art moderne algérien : celui de «mère».
L'Auteure : Phd en littérature française de l'Université de Yale (Etats-Unis), enseignante, écrivaine et chercheuse. Des travaux portant sur l'autobiographie, les mémoires, la théorie de la traduction, la littérature de langue française du XXe siècle.
Plusieurs publications dont «Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis», en 2012 (Gallimard), «Maison Atlas» et «En quête de l'Etranger» aux Editions Barzakh. Elle a séjourné plusieurs fois en Algérie (Alger, Oran...), pour se documenter et pour présenter ses ouvrages et en débattre avec le public.
Table des matières: 21 chapitres/20 pages de reproductions d'œuvres de Baya et de photographies/ Remerciements/ Notes
Extraits : Tous les propriétaires de galerie (sans compter tous les éditeurs) (parisiens !) sont de cette force. Le meilleur d'entre eux, vraiment le meilleur, raconterait la pire horreur sur sa propre mère, si cela pouvait servir sa publicité. Inconscients» (p 113), «Quand Picasso rencontre enfin Baya dans les ateliers de céramique de Vallauris, à l'été 1948, il constate une créativité juvénile qui n'a plus rien de générique. Elle procède cette fois d'une artiste puissante et originale» (p147).
Avis: Une histoire trop longtemps restée incomplète -même chez nous- ... «telle une traînée de couleurs sur une toile inachevée». Un livre qui donne corps et épaisseur à une icône du patrimoine algérien.
Citations : «Selon un proverbe arabe, «dire «Je ne sais pas» est déjà la moitié du savoir» (p 23), «Nous recevons avec amour les dessins de nos enfants, nous ne les évaluons pas, nous ne les jugeons pas : ils sont tous merveilleux -à moins qu'ils contiennent quelque chose de vraiment remarquable qui nous ouvre les yeux et nous fait voir le monde autrement» (p 47), «Son art est bien des choses, mais c'est d'abord un cénotaphe» (p 155), «La guerre, cette grande séparatrice des pays et des hommes, a permis des ruptures radicales, de nouveaux départs, des annulations du passé» (p172).
Algérie. Arts visuels. Un siècle de création et de créateurs : 1896-2014. Dictionnaire de Mansour Abrous. Editions Dalimen, Alger 2014, 1 800 dinars, 857 pages
Ce qui est très intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il remonte le temps bien loin, donnant ainsi aux arts visuels algériens une histoire qui date de 1896 ; date qui avait vu la première exposition à Londres de Ben Yusuf (Benyoucef) Zaïda : Née à Londres en 1869 d'un père algérien, Mustapha Moussa Benyouseph Nathan et d'une mère allemande, elle était partie aux Etats-Unis en 1895 et avait conquis le monde de la photographie (surtout le portrait), du journalisme et de la mode. Devenue américaine, elle décède en 1933.
Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il nous présente en plus des éphémérides (en Algérie et activités algériennes à l'étranger) 4 545 biographies actualisées, vérifiées, validées. Un travail colossal que l'on sait mené avec passion et entêtement depuis déjà des années et des années. Une véritable «base de données» (...)
Selon l'auteur, 29% des biographies relèvent d'artistes femmes, le reste étant consacré aux plasticiens masculins.
Certaines femmes, en fondant un foyer, délaissent quelque peu cette activité ou bien elles y reviennent plus tard. 39% de ces artistes ont reçu une formation, notamment à l'Ecole des beaux-arts. 47% sont nés avant l'indépendance. 86% vivent en Algérie et 14% résident à l'étranger et évoluent notamment au Canada, Belgique, France, Allemagne, Londres et en Afrique (...)
L'Auteur : Né à Tizi Ouzou en 1956. Diplômé de psychologie et d'esthétique, il a enseigné à l'Ecole des beaux-arts d'Alger (...)
Avis : Outil de travail indispensable et à la valeur indiscutable. A consommer sans modération.
Citation : « Il faut inciter les pouvoirs publics à créer les conditions d'évaluation des politiques publiques, à financer un observatoire des politiques et de l'action culturelles, à aider à la construction d'outils d'analyse pérennes et à faciliter l'émergence de recherches plus approfondies, en lien avec l'université » (p 7).
Tout a commencé quelques jours après l'annonce, le 9 juillet, des lauréats du prix Assia-Djebar, parrainé par le président Abdelmadjid Tebboune. Dans la catégorie roman en langue arabe, le roman Houaria d'Inaâm Bayoud rafle le premier prix. Le récit suit Houaria, jeune femme qui affronte les milieux interlopes de sa ville, Oran, dans l'Ouest algérien, pendant les années 1990 marquées par l'insurrection islamiste. Sur les réseaux sociaux, des auteurs – certains frustrés de ne pas être sur la liste des lauréats –, des critiques, des journalistes et d'autres internautes ont violemment fustigé l'écrivaine lauréate.
« Pornographie »
Leurs griefs ? L'emploi, dans les dialogues, de mots crus, souvent à connotation sexuelle. « Un roman qui n'a rien de littéraire, plein de mots vulgaires et d'insultes contre la ville d'Oran qui a combattu la France et ce qu'elle a laissé traîner comme spermatozoïdes », assène le religieux Ahmed El-Djazaïri. « Il faut appliquer la loi : l'article 333 bis du Code pénal punit de deux mois de prison toutes productions écrites ou représentations contraires à la décence », appelle le « chercheur » Zine El Abidine Khodja.À lire aussiDaoud, Khadra, Sansal, etc., au poteau !« Ce pseudo-roman incite à la débauche, à encourager l'homosexualité et la prostitution… Je ne peux faire entrer chez moi cette pornographie et risquer que ce torchon soit lu par mes enfants, ma femme, mes parents. Les autorités doivent l'interdire pour sauvegarder notre religion et la moralité de la société algérienne », s'insurge un autre internaute.
D'autres s'attaquent même à l'intitulé du prix littéraire, diffamant une grande figure littéraire algérienne : « Assia Djebar n'est pas une écrivaine algérienne, elle a été naturalisée française, membre de l'Académie française, elle a quitté vite son pays pour la France », éructe une internaute se présentant comme « universitaire ».
Ouragan d'intolérance
Les violences et la viralité des attaques ont poussé la maison d'édition MIM, qui a publié le roman, à annoncer sa fermeture le 16 juillet. « MIM a désormais fermé ses portes, contre le vent et contre le feu, lit-on dans le communiqué de cette maison d'édition, dont des romans en arabe avaient raflé des prix littéraires à l'international. Nous n'étions que des défenseurs de la paix et de l'amour et nous ne cherchions qu'à partager cela. Préservez le pays de la discorde et préservez le livre, car un peuple qui lit est un peuple qui ne peut être ni asservi ni affamé. » Entre-temps, des députés d'El Bina (islamiste) et du FLN ont officiellement saisi par écrit le Premier ministre Nadir Larbaoui pour « agir fermement contre cette atteinte à la morale et à l'unité des Algériens ».
À lire aussiPrésidentielle algérienne : une leader de l'opposition jette l'épongeCet ouragan d'intolérance a provoqué une autre vague de commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias. « Je m'arroge le droit de pousser ce coup de gueule, car ces incultes ne savent pas que sans la transgression du triangle interdit, sexe, politique et religion, la littérature ne serait pas la littérature mais une œuvre de bienfaisance de Dame patronnesse », a réagi l'auteur et éditeur Lazhari Labter, signataire, aux côtés d'autres intellectuels, d'une pétition de soutien à Inaâm Bayoud et à la maison d'édition MIM.
« Je rends hommage à cette romancière qui a pu casser les tabous trop sacralisés. Illustrer le vécu tel qu'il est dans les œuvres littéraires n'est pas une tâche si simple pour l'actuel écrivain algérien… Inaâm Bayoud a donné l'image d'une femme authentique, audacieuse, tout en assumant tout simplement son rôle de romancière », poste un enseignant.
Descriptions crues du réel
« Aux nouveaux Janissaires […] je dis : lisez attentivement les textes avant de leur balancer une machette qui aveugle la vue et la perspicacité […], le texte n'est pas un espace religieux, social ou psychologique, c'est tout cela ensemble. Ce n'est pas pour rien que les critiques font la différence entre deux concepts : personne et personnalité », a commenté l'écrivain Waciny Laredj.
« Lors du procès de la tentative d'assassinat de Naguib Mahfouz, le juge a demandé à l'homme qui a poignardé l'écrivain : “Pourquoi l'avez-vous poignardé ?” Le terroriste a déclaré : “À cause de son roman Les Enfants de notre quartier.” Le juge lui a demandé : “Avez-vous lu ce roman ?” Le criminel a dit : “Non” », rappelle un internaute.
À lire aussiVoici pourquoi il faut lire « L'Algérie de Macron »Des intellectuels et écrivains ont également rappelé que la littérature algérienne, et arabe en général, est foisonnante de descriptions crues du réel et des personnages. Pour un internaute, il est « presque normal que les haineux https://www.lepoint.fr/monde/algerie-vague-de-haine-contre-l-ecrivaine-inaam-bayoud-pour-son-roman-houaria-19-07-2024-2566007_24.phpse déchaînent : le prix porte le nom d'une femme, Assia Djebar, il est décerné à une femme, Inâam Bayoud, éditée par une femme, Assia Moussai ! » « Et ça parle d'une femme », ajoute un commentaire…
Les secrets de la cigogne. Autobiographie de Aïcha Bouabaci. Papyrus Editions, Alger ( ?), Saïda ( ?) 2023, 306 pages, 1.200 dinars
Portraits, souvenirs, émotions..., le tout d'une manière très très personnelle. Voilà donc une autobiographie qui sort de l'ordinaire, en ce sens que l'auteure nous raconte sa vie et celles des autres au temps de son enfance et de sa jeunesse.
Une ville, Saïda, une ville-garnison avec des casernes et des légionnaires et des appelés plus tard. Un espace de vie limité (emprisonné ?) de tous les côtés par les casernes. Une ville (coloniale et colonisée) avec une population d'origine européenne (surtout d'après ce que j'ai compris, des Alsaciens et des Espagnols et d'anciens militaires retraités) de condition moyenne, mis à part quelques gros fermiers.
Dans ces conditions, tout particulièrement avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, la vie (du point de vue d'un (e) enfant) s'écoule presque (pas toujours !) sans problèmes avec même une certaine «cohabitation» pacifique ; l'innocence enfantine et le plaisir des jeux prenant le dessus. Il est vrai que par la suite, à Saïda, on a découvert que pas mal de «pieds-noirs» avaient supporté le combat nationaliste (Charles Koenig, maire de la ville en 1960 n'a-t-il pas eu, après 1962, une responsabilité au sein de l'Exécutif provisoire).
Mais là n'est pas l'intérêt à apporter à cet ouvrage, assez original, en ce sens (et, c'est, je crois, le premier du genre à placer même avant «Ce que le jour doit à la nuit») qu'il nous décrit, simplement, directement, sans amour mais sans haine le monde «d'avant» -un monde qui a bel et bien existé et dont les traces sont encore là - avec détails et avec franchise, sans pourtant occulter les discriminations alors existantes, qu'elles aient été visibles ou non. Une autre manière d'écrire l'histoire ! Pourquoi pas ?
L'Auteure : Née à Saïda en 1946. Formée d'abord à l'Ecole normale des institutrices d'Oran puis d'Alger. Etudes de droit au Pays-Bas. Études à la Faculté des lettres et sciences humaines d'Alger (Dea en art, langue et littérature). Enseignante de français dans plusieurs pays et fondatrice-animatrice d'un Café littéraire à Saïda (2013-2015). Membre du Parlement des écrivaines francophones.
Extraits : «Les manuels scolaires officiels et les ouvrages d'historiens ne racontent pas ces vies profondes, ces mémoires individuelles qui charrient tous les détails; ceux de leurs propres vies; c'est certainement ces mémoires qui doivent se dérouler pour dire l'histoire authentique qui ne mérite pas, tant son passé est dense, que des fragments de vies disparaissent, soient occultés car ce sont ces fragments de vie qui nourrissent les mémoires de ceux qui suivent» (pp 13-14), «On ne conte que la nuit; oser conter le jour c'était courir le risque de devenir teigneux ! Du moins, c'est ce que racontaient les grandes personnes !» (p 73), «Maman m'a toujours rappelé que lorsque l'on se rendait au chevet de malades dits contagieux, il ne fallait pas avoir peur de la contagion; il fallait être pénétré du doux sentiment d 'apporter un moment de réconfort et de partager son fardeau» (p 136), «Aujourd'hui, je m'étonne de ces réactions enfantines innocentes, qui n'avaient absolument rien de méchant quand on pense au comportement actuel des enfants dans les établissements scolaires et de la terrible pratique du harcèlement» (p 250).
Avis - Pour une autobiographie, c'en est vraiment une ! Tous les détails, même les plus anodins, sont fournis. Une très belle couverture qui attire.
Citations : «Dans mes pensées d'alors, je savais dessiner le soleil, la lune, les étoiles et la montagne ! Dans mes pensées d'aujourd'hui, je ne sais, je ne peux que dessiner leur souvenir éteint, enfermé dans le visages connus comme dans un médaillon ancien que l'on craint d'ouvrir de peur de l'abîmer ! Mais je reste forte pour poursuivre le chemin vers les profondeurs de cette mémoire» (p 173), «J'ai souvent médité sur la capacité des adultes, trop sûrs de leur expérience et protégés par leur maturité acquise, à briser l'élan des enfants, victimes quelquefois de leurs intuitions et de leurs mots et gestes spontanés» (p 256).
La cuillère et autres petits riens. Essaide Lazhari Labter (préface de Yasmina Khadra). Hibr Editions, Alger 2019, 128 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée en octobre 2019. Extraits pour rappel seulement. Fiche complète un www.almanach-dz.com/socité /bibliotheque dalmanach )
Lazhari Labter est un grand romantique. Poésie quand tu nous tiens ! Il est vrai qu'être originaire du sud du pays avec des racines nomades n'arrange pas les choses. Il nous a déjà gratifiés de belles œuvres où vers et prose, en tout cas de la belle écriture, se mélangent harmonieusement pour le plus grand plaisir des sens. D'autant qu'il y a, comme assaisonnement, des dessins de Arzeki Larbi, illustrant «Les œufs peints» (pp 106 et p 108) et «l'Arbre d'argent» (p 28). La cuillère, elle, sorte d'hommage au père, dessinée par le fiston, Amine Labter, qui avait illustré la Une des deux premières éditions algériennes, se retrouve en p 24, illustrant ainsi le texte de base.
Mais, il oublie (peut-être pas !) que ses lecteurs sont aussi poètes, quelque part. En tout cas, pour ceux d'un certain... âge (ou d'un âge certain), le romantisme et la nostalgie ne sont pas loin avec toujours cette propension à mythifier (ce qui n'est pas un tort, au contraire), à rendre encore plus beau son passé et à en glorifier tous les faits, les gestes et les espaces, tout particulièrement les plus anodins, ceux rattachés à l'enfance et à la prime jeunesse, celles qui ne voyaient que le bon côté de la vie. Des riens qui sont désormais tout. Souvenirs, souvenirs !
32 petits récits, 32 souvenirs de «riens» qui nous (re-) plongent dans un passé qui redevient brusquement, par la magie des mots, en fait, assez prenants, car simplement dits et bien ordonnés, plus que présent.
Des petits riens, les siens, les miens, les nôtres, les vôtres, les leurs.
En fait, pour moi, il n'y a que 31 petits riens. Car il y a un grand, un immense, un sublimissime grand «rien». Ce sont les pages consacrées à la belle Zohra, «comme une rose en son jardin». Zohra, la maman. Une maman bien de chez nous. Notre maman. Celle qui en a vu de guerres et des misères.
C'est bien écrit et, de plus, ça plongera nos écoliers dans ce qui fut (ou fait) notre «vraie vie». Une démarche qui devrait, aujourd'hui, être élargie à toute la littérature nationale, de toutes langues, tout en se dégageant de cet amour «immodéré» pour les textes d'autres temps et d'autres lieux. Sans pour autant ignorer les (très) beaux textes de la littérature universelle.
Extraits : «Somme de souvenirs et de vécus, mais aussi de «dits» de mon père, ces petits riens ne sont pas le fruit du hasard. Chaque petite histoire recèle une hikma, un enseignement, une sagesse «(p 21), «On l'appelait «carni cridi», le carnet de crédit. Tous les gens pauvres en avaient un chez l'épicier du coin. En ce temps-là, les épiciers étaient honnêtes et les carnets ne mentaient pas» (p 41), «A l'école, on me disait que mes ancêtres étaient des Gaulois. Dieu sait que je ne les avait jamais rencontrés. Et mon père non plus» (p 52).
L'Auteur : Poète, écrivain, journaliste, né à Laghouat en 1952. Editeur de 2001 à 2015 (Anep, Alpha, Lazhari Labter.). Auteur d'une vingtaine d'ouvrages (poésie, essais, témoignages, romans dont «Hiziya, princesse d'amour des Zibans» et «Laghouat, la ville assassinée ou le point de vue de Fromentin).
Avis - Un livre qui, selon le préfacier, «ne se lit pas; il s'égrène tel un chapelet d'ambre, se déguste comme une grappe de raisin»
Citations : «Il suffit d'un «rien» pour être heureux... .puisque le bonheur, parfois, est une question de mentalité» (Yasmina Khadra, préface, p 17).
Papa qu'as-tu fait en Algérie ? (détail couverture du livre)
Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?: le titre de ce livre, fruit d’une enquête de cinq années à propos d’une guerre et de ses conséquences individuelles et familiales, ne peut qu’interpeller le lecteur. La démonstration est ferme, nuancée, précise. Pour celles et ceux auront le désir de s’engager dans ces 500 pages, d’autres livres peuvent être lus, sur le même sujet traité différemment. Aussi, je ponctuerai mon compte-rendu de couvertures de onze livres de fiction ou de témoignage non cités dans l’ouvrage : Favrelière (1960), Zimmermann (1961), Cabu (1973), Higelin (1987), Mattei (1994), Daeninckx et Tignous (2002), Mauvignier (2009), Jenni (2011), Tencin (2012), Serfati (2015), Giraud (2017). Ils ne contredisent pas les paroles de ceux qui ont répondu à l’enquête de Raphaëlle Branche mais les renforcent.
L’objectif de l’historienne est de retrouver les traces de la guerre d’Algérie dans les familles : l’enquête porte sur le soldat lui-même mais aussi ses proches : « Comprendre ce qui s’est joué dans les familles et comment la guerre a été vécue puis racontée et transmise, c’est éclairer d’une manière inédite la place de cette guerre dans la société française ». Il n’y a pas de vérité inscrite dans le marbre mais un récit évolutif de 1962 à aujourd’hui ; jusqu’en 2000, ce qui a été dominant est le silence : « ce sont des silences familiaux, au sein d’une société française longtemps oublieuse de son passé algérien ». Pour mener à bien ce travail, il faut cerner le dit et le non-dit dans les familles et pour cela, la recherche s’appuie sur l’analyse d’autres guerres : les deux conflits mondiaux et la Shoah, la guerre des États-Unis au Viêt Nam, la guerre de l’URSS en Afghanistan et le retour des soldats soviétiques.
Raphaëlle Branche rappelle d’entrée de jeu que la guerre qui se mène en Algérie est une guerre coloniale dans une colonie de peuplement. L’engagement dans l’armée française a touché toute une génération avec son 1,5 million de conscrits. La fin de cette guerre est une « défaite fondatrice » pour la France. L’enquête se centre sur le soldat et ses proches puisque ces derniers l’observent à son retour à partir d’éléments concrets comme les objets rapportés, les maladies (paludisme, par exemple), les cauchemars, une sensibilité différente, des goûts nouveaux. La correspondance a une place à part. L’enquête concerne l’adelphie, terme venu de la botanique venant ensuite désigner ensuite les enfants d’une même fratrie : Jusqu’à récemment, le mot adelphe était peu utilisé en ce sens, mais il a été repris par la communauté LGBT+ parce qu’il présente la particularité de désigner une personne sans indiquer son genre. Le Conseil Constitutionnel, en 2015, a proposé de conduire une réflexion sur l’usage du terme « fraternité » dans la devise de la République, suggérant « aldelphité » (et « solidarité ») parmi les alternatives.
Trois cents questionnaires ont été envoyés : 39 familles ont répondu et c’est sur ces réponses que l’enquête s’appuie, en s’aidant également d’une enquête orale réalisée en 2005 par Office National des Anciens combattants ainsi que la consultation d’associations ou d’ouvrages se basant sur les méthodes de l’enquête orale comme ceux de Claire Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie. La parole confisquée (1999) et Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’Appelés en Algérie, en 2012.
Les familles sont de deux sortes : la famille de l’Appelé célibataire quand il part et la famille qu’il crée à son retour : « ce sont en particulier ces nouvelles familles qui donnèrent son visage à la France des années 1960 et continuent à la marquer depuis » (17). Ont été exclus du corpus d’étude les conscrits nés en Algérie et aux Antilles ou des militaires de carrière, dans un souci d’homogénéité. L’historienne pense pouvoir participer ainsi à une « Histoire de la France contemporaine » car s’il y a divergences d’un cas à l’autre, il y a aussi des caractéristiques communes : une même génération au sens sociologique, « un destin commun » ; une « normalisation de l’expérience militaire par les familles, sur fond d’indifférence tranquille » ; ces familles se trouvent à une « articulation d’une mutation majeure de la société française » car elles sont prises dans un cadre renouvelé, dans les années 1960, du couple et de la famille. Ce n’est qu’aux deux tiers de son étude que Raphaëlle Branche précise ce que le lecteur a pu déjà constater : « L’étude ne peut être que qualitative et on se gardera de toute généralisation ou même d’estimation chiffrée. Il s’agit plutôt de se demander si des gestes ou des paroles ont été insérés dans une normalité comportementale masculine après la guerre et s’ils ont été identifiés dans les familles, comme renvoyant à l’expérience algérienne » (331). L’ouvrage lui-même se construit chronologiquement en trois grandes parties : le temps de « la guerre » (près de 200 pages) ; les premières années du « retour » (155 pages) ; les transmissions postérieures (« l’héritage », 90 pages). Il n’est pas dans mon propos d’entrer dans la minutie et la précision de cette enquête mais de pointer ce qui m’a retenue dans cet ouvrage exceptionnel.
La guerre
Il faut tout d’abord cerner ce qu’est une génération. Les Appelés qui partent en Algérie sont des enfants qui ont grandi à l’ombre des deux guerres mondiales : la mère est généralement au foyer, le père est l’autorité qui, dans ces années, va être ébranlée. Le fils a une obéissance filiale. La position des garçons n’est pas celle des filles. Partir à la guerre, c’est faire son devoir. Le service militaire obligatoire n’est pas contesté donc partir dans ces années-là en Algérie apparaît comme une situation normale d’autant que le
danger n’est pas évident.
Il est rappelé aussi que le droit à l’objection de conscience n’existe pas. On compte, dans la guerre d’Algérie, 1 % de réfractaires. Le PCF n’encourage pas au refus. Il est intéressant de lire à ce sujet les ouvrages de Tramor Quemeneur (2007) et de Marius Loris (2018). La conscience que c’est une guerre et qu’on peut y mourir vient lentement et progressivement de 1959 à 1961. Le récit de Noël Favrelière, en 1960, Le Désert à l’aube, est quasiment une exception.
Les Appelés ont le souci de garder un vrai contact avec la famille par les lettres. La correspondance a une importance extrême. Avoir du courrier, c’est rompre la solitude. Le téléphone est peu utilisé car il n’a pas du tout la même facilité d’usage qu’aujourd’hui. Le télégramme est réservé aux urgences. Cet entretien régulier des relations familiales passe par la lenteur du courrier, par les colis qui contiennent nourriture, journaux, livres ; par la fréquentation de l’aumônier. Les lettres aux femmes aimées sont plus nombreuses que celles à la famille.
L’Appelé apprend aussi à partager son temps entre ennui et violence car l’arrivée en Algérie lui a montré qu’il ne participait pas à un simple maintien de l’ordre : il affronte très vite la réalité de la guerre. Aussi le calendrier d’avant la guerre est complètement chamboulé : le retour, le métier, le mariage, les enfants à venir. L’abstinence sexuelle est la règle. Les Appelés arrivent dans un pays que, comme la majorité des Français, ils ne connaissent pas : cette réalité méconnue est, au mieux, « exotique ». Ils sont frappés par la lumière et les couleurs – l’Algérie est un beau pays –, mais aussi par la misère de la population. Ils envoient des cartes postales. Ils ont des appareils photos de plus en plus perfectionnés. Ils rapporteront des objets qui, selon les familles, auront une valeur symbolique différente : tapis, poufs, poteries, cuivres, bijoux. On ne considère pas cela comme des cadeaux : le cadeau est que le soldat revienne vivant. Pendant un certain temps, la guerre elle-même est perçue dans du flou : dangereuse et non dangereuse.
Au fur et à mesure aussi des correspondances, on choisit ce que l’on dit aux familles car le soldat côtoie la mort et la honte. Seuls quelques journaux intimes lus montrent que c’est là que s’écrit l’impensable et l’insoutenable : « L’écriture intime offre une protection à ceux qui la pratiquent. Elle est une digue perpétuellement dressée face à un environnement qui peut attaquer leurs valeurs les plus profondes, leur estime d’eux-mêmes, leur confiance en eux et en l’humanité » (197). Le récit du pire est, en général, contrebalancé par une phrase affirmant que le FLN en fait autant. C’est donc dans ces journaux intimes que se disent les tortures et les violations des droits humains. Plus rares sont ceux qui prennent des photos-témoins. Les sentiments qui dominent sont la honte et la lâcheté. Beaucoup ne comprendront jamais ce qui se joue réellement en Algérie.
Le Retour
Au retour, la plupart d’entre eux se fixent d’oublier cette période car l’objectif essentiel est d’être rentré sain et sauf : « Rien n’est plus difficile à réussir qu’un retour ; il y faut une grande force d’oubli : ne pas réussir à oublier son dernier passé ou le dernier passé de l’autre, c’est s’interdire de recoller au passé
antérieur » a écrit Marc Augé dans Les Formes de l’oubli. Le souci de la majorité des soldats libérés est de mettre l’expérience algérienne derrière eux pour se remettre en lien avec les leurs. Le plus difficile souvent est de casser les liens tissés dans l’armée ; certains ont, en le faisant, un sentiment d’abandon. Cette « fraternité » est bien rendue dans le récit de Georges Mattéi en 1994.
Le retour se fait en trois phases : les retrouvailles, la reprise d’une activité professionnelle (le choix surtout car le chômage est très bas donc ils trouvent du travail), l’engagement dans une vie de couple. Raphaëlle Branche cite alors l’exemple – première fiction évoquée (232) –, du film Les Parapluies de Cherbourg, en 1964, premier et rare film à évoquer la guerre d’Algérie comme le rappellent quelques éléments du synopsis :
«
Première partie : le départ Cherbourg en novembre 1957. Geneviève est amoureuse de Guy, mécanicien dans un garage. Sa mère désapprouve la relation quand elle l’apprend. Il est alors appelé pour faire son service militaire en Algérie. Les deux amoureux, qui se sont promis un amour éternel, se font des adieux poignants sur un quai de gare Deuxième partie : l’absence Affecté à un secteur dangereux, Guy écrit rarement. Enceinte, désemparée parce qu’elle a peu de nouvelles, Geneviève épouse Roland Cassard. Ils quittent Cherbourg pour s’installer à Paris. Troisième partie : le retour Blessé à la jambe, Guy est démobilisé en mars 1959 après un séjour à l’hôpital. Rentré à Cherbourg, il découvre ce qui s’est passé en son absence. Il épousera Madeleine ».
Dans son enquête, l’historienne relève que c’est la même injonction qu’on retrouve, quelles que soient les trajectoires personnelles, familiales et sociales : « Il faut regarder vers l’avenir ». Avec les ascendants masculins, particulièrement, il y a une sorte de contrat implicite : « la guerre est dure ; d’autres l’ont connue. Il ne faut pas en parler ». Une des épouses de l’enquête confie : « J’ai épousé un homme qui n’était plus mon fiancé d’avant la guerre […] J’ai épousé un homme que je ne connaissais pas ». Le soldat qui revient découvre tous les changements qui affectent alors la société française tant dans le monde agricole que dans le monde industriel. Deux faits peuvent être rappelés qui soulignent les changements : depuis 1965, les droits des femmes s’affirment et, en 1970, l’autorité paternelle est effacée au profit de l’autorité parentale. Les permissions dont ont bénéficié les soldats n’ont pas réduit l’écart mais tous
espèrent que le retour définitif changera cela.
Mais, dans la majorité des cas, cela ne se produit pas. Les proches remarquent des changements physiques et psychologiques. Ils sont nerveux, bagarreurs, déphasés comme s’ils avaient intégré en eux la violence de la guerre. Un récit de 2012 de Claire Tencin en donne un exemple fort. Le retour n’est pas la fin de la guerre – concrètement, la guerre continue en Algérie –, ils ne sont pas accueillis en héros dans leurs villages mais dans la discrétion ou l’indifférence. Quelques-uns vont s’engager à leur retour soit pour l’indépendance de l’Algérie, soit pour témoigner de ce qu’est cette guerre. C’est ce que fait Daniel Zimmermann, en 1961, avec un texte qui sera très vite saisi et interdit : 80 exercices en zone interdite.
Mais ces engagements sont rares et réprimés. La fin de Corvée de bois de Didier Daeninckx et Tignous en donne un exemple saisissant, en 2002. Il a fallu attendre 1974 pour que le statut d’anciens combattants soit reconnu aux Appelés de la guerre d’Algérie car il n’y a pas eu, dans l’immédiateté, reconnaissance de cette expérience collective qui a cimenté une génération. Il n’y a pas eu de communion collective par rapport à cet engagement : « Le lien armée-nation est réduit à une contrainte dont le sens survit socialement, mais qui ne résonne plus avec les valeurs de la nation ou le fondement d’une communauté politique clairement identifiée ».
L’état de guerre a été nié et remplacé par la notion de « maintien de l’ordre » ; il n’y a pas eu de
mobilisation générale mais des vagues successives de services militaires. Aussi au retour, beaucoup
ressentent solitude et injustice.
Et pour ceux qui rentrent après le cessez-le-feu, c’est encore pire puisque c’est un retour d’une guerre perdue comme l’Algérie est perdue. On note « l’indifférence de l’institution militaire » et ce déni de guerre a de nombreuses implications que l’on peut comprendre si on compare avec les deux conflits mondiaux.
Raphaëlle Branche cite alors un second exemple fictionnel, le récit de Philippe Labro, Des Feux mal éteints, en 1967 qui demande la reconnaissance du statut d’Anciens combattants : « Tous des anciens combattants ! Ils ne portaient ni béret, ni brassard, ils n’iraient ranimer aucune flamme sous aucun arc de triomphe, mais chez tous il y avait quelque chose de changé […] Quelque expérience qu’il ait eue, à peine en était-il sorti que chaque bidasse se voyait enveloppé dans le silence et dans l’oubli, car aucun adulte ne voulait franchement assumer la responsabilité de l’avoir envoyé là-bas, n’acceptait de préciser au nom de
quoi cet enfant avait vécu ce qu’il avait vécu ».
L’historienne rappelle aussi, qu’en 1966, La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo n’a été acceptée par aucun distributeur. Alexis Jenni, Prix Goncourt 2011, lui a réservé une critique au vitriol dans L’Art français de la guerre, preuve s’il en est que le matériau traité ne passe toujours pas ! L’année après son récit, Philippe Labro fait un film avec une conclusion lapidaire : « Je pensais qu’ils avaient en Algérie perdu leur jeunesse et leur innocence. Qu’avaient-ils gagné ? ». Cabu invente son personnage « Le Beauf » qu’il définit ainsi : « L’ancien d’Algérie dans son aspect le plus négatif ». En 1972, René Vautier sort un film, Avoir vingt ans dans les Aurès, inspiré de l’expérience de Noël Favrelière ; en 1973, Yves Boisset, RAS. Les débats houleux qu’ils déclenchent montrent combien le sujet est encore brûlant.
Livrés à eux-mêmes sans suivi psychiatrique ou autre, les Anciens d’Algérie avancent comme ils le peuvent soit en rompant avec leur vie antérieure et en prenant un autre chemin de vie, soit en s’enfonçant dans les aspects les plus négatifs de l’expérience, soit en prenant des positions antiracistes :
pour certains, vis-à-vis des Algériens qui viennent en France après 1962, il y a une volonté de réparation. Il manque trop d’éléments dans l’enquête pour s’interroger sur névrose et trauma. Les intéressés et les proches notent des télescopages inattendus avec des sons, des paysages, des rencontres d’Algériens qui sont les signaux d’un danger, d’une menace. Un racisme tenace s’installe. On note des cauchemars, l’alcoolisme, la violence, les dépressions, les suicides. En 2009 d’abord avec Des hommes de Laurent Mauvignier puis en 2015, avec celui de Michel Serfati, Finir la guerre, on affronte souffrances et vérités.
L’Héritage
Le père est désormais à inventer d’autant que le désir d’enfant change, début 1970, avec la contraception aussi bien pour les hommes que pour les femmes : « les fondements de la famille française » bougent et, dans cette partie, la recherche s’appuie sur d’autres recherches qui n’ont pas été focalisées sur la guerre d’Algérie. L’épisode algérien se dit par bribes mais rarement dans un récit continu. A l’âge de la retraite, certains pères se livrent plus, en particulier à partir des années 1990 ; et à partir des années 2000, la guerre d’Algérie est plus visible dans l’espace public : « Les pères qui le souhaitent peuvent alors prendre le temps de retrouver la voie des mots ». Certains ont donné des prénoms en lien avec l’Algérie comme Myriam, Olivier. Pour ces enfants, ce qu’ont raconté les pères ne leur permet pas de lier : avoir été en Algérie et guerre. Les objets sont là. Le couscous fait son entrée à la table familiale, des mots d’arabe. Ce n’est que lorsque les enfants comprennent qu’il y a eu guerre que la question qui donne son titre à l’ouvrage, peut être posée (389). Les enfants ont d’autres représentations de la guerre d’Algérie dans une société qui s’intéresse de plus en plus à son passé algérien. Cette visibilité de la guerre d’Algérie est favorisée par la télévision : ainsi, en 1982 le documentaire en 3 parties de Denis Chegaray, « Guerre d’Algérie – Mémoire enfouie d’une génération ». Dès 1983, on enseigne la guerre d’Algérie dans les classes de terminale. En 1992, le film de Bertrand Tavernier, La Guerre sans nom, révélant au grand public la torture, est un électrochoc.
Bien entendu cela ne libère pas une narration continue, une représentation complète. Ce qui se dit, ce sont des « cryptes », « des morceaux d’expérience enfermés à l’intérieur de la personnalité d’un individu » selon la définition de Nicolas Abraham et Maria Torok : « ce qui est encrypté doit être remis en mots, re-lié pour apparaître au grand jour ». L’ouvrage note aussi que, depuis les années 1980 et surtout les années 1990, les psycho-traumatismes de guerre sont reconnus et l’ouvrage de Bernard W. Sigg, Le Silence et la honte en 1988, a été primordial. Les années 2000 marquent un tournant. Les enfants entrent dans le processus de transmission : « il s’agit plus radicalement de s’interroger sur la capacité des générations à communiquer entre elles, quand ceux qui échangent dans un présent donné se rattachent à des temporalités différentes, notamment dans leurs socialisations primaires et leurs expériences fondatrices ». L’enquête a montré qu’au sein d’une même adelphie, images et représentations divergent et cela n’est pas dû seulement à un fonctionnement interne aux familles mais aussi à ce qui vient de l’extérieur.
Dans le binôme guerre/père, se glissent de nombreuses ambivalences : racisme ≠antiracisme, pour ou contre l’armée. La distance qui s’est installée par rapport à ce passé du père devient un réflexe de mise à distance ou, au contraire, une recherche de proximité, en évitant de remettre en cause l’équilibre familial
car lorsque les questions sont trop frontales, elles peuvent provoquer une rupture irréversible.
Ce n’est qu’en 1999, que l’État français reconnaît qu’une guerre a bien eu lieu et pas seulement des « événements ». La torture revient aussi sur le devant de la scène avec le témoignage de l’Algérienne Louisette Ighilahriz et tout ce qu’il déclenche. Mais la question au père : « as-tu torturé ? » ne sera pas posée : « La place de la guerre d’Algérie est un scotome. Ce qu’on ne voit pas et qui est pourtant au centre » (431). Il faut attendre la mort du père pour que des fictions puissent s’écrire : les représentations sont alors élaborées à partir d’une « post-mémoire » comme dans le récit de Brigitte Giraud qui touche plusieurs constats de l’enquête, en 2017.
La conclusion à laquelle parvient l’enquête, à propos des Anciens d’Algérie est que « leurs écrits et leurs paroles (sont) conditionnés par la nature des liens avec leurs proches et leur désir de les préserver « (461). On ne peut donc parler des silences des pères mais des silences des familles. On peut discerner trois configurations : la première c’est lorsque l’expérience de guerre et la famille sont « en consonance ». Il y a alors « un profond partage familial ». Les deux autres configurations, c’est lorsque expérience et famille sont « en dissonance » : les silences peuvent être alors de protection et la possibilité de les dépasser ; ou alors de les dire et de les maintenir au risque de l’équilibre familial. À partir de 2000, des récits s’écrivent et vont s’écrire. « Finir la guerre », écrivait Michel Serfati : peut-être pas vraiment encore !
Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? – Enquête sur un silence familial, La Découverte, septembre 2020, 507 p., 25 €— Lire un extrait
Les éditions Ardemment, créées en 2021, privilégient des fictions et essais d’autrices qui ont été « invisibilisées » au cours de l’Histoire mais aussi des textes plus récents, leur objectif étant de « constituer un matrimoine en vis-à-vis du patrimoine dominant ». Elles viennent de publier Affreville de Claire Tencin, un récit très singulier sur la guerre d’Algérie.
Affreville reprend et développe Je suis un héros j’ai jamais tué un bougnoul (2012), monologue douloureux et sans concession d’une fille sur son père. D’un récit à l’autre, Claire Tencin a épaissi le contexte de l’expérience algérienne du père en insérant de nombreuses informations sur la réalité d’alors, blasonnant quelques faits saillants de cette Histoire avec à propos et engagement. Donnant, en fin de parcours, deux références bibliographiques dont la thèse de Raphaëlle Branche sur la torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, le récit nous plonge dans l’ambiance de certaines pages de la même Raphaëlle Branche, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? – Enquête sur un silence familial (2020).
« Je suis un héros, j’ai jamais tué un bougnoul, a-t-il déclaré avec bonhomie en me regardant droit dans l’œil. Quelque chose a basculé dans la cuisine. L’oxymore avait mis un point d’honneur à la sempiternelle jactance haineuse, assis à la place du chef, comme il l’avait toujours été, dominant, éructant, figure de proue de la galère familiale. Depuis l’enfance, je l’entendais rugir de cette place-là au bout de la table, la place du chef comme il aimait dire, ici c’est la place du chef, beuglant toutes sortes d’anathèmes, sortis d’on ne sait où, de sa grosse bedaine énervée, qu’on ne comprenait pas d’où lui sortait cette colère qui ne s’épuisait pas, même pas quand il mangeait, même pas quand il dormait. Cette colère ne le lâchait pas, ni la nuit, ni le jour. Ses ronflements tonitruants de l’autre côté du mur de ma chambre résonnaient comme des hurlements dans mon sommeil ».
Le lecteur reprend son souffle après cet incipit qui décrit « le monstre » et sous-entend, dans le portrait dressé, la colère et la sidération de la narratrice. Le simple mot de « bougnoul » ne peut que renvoyer à la guerre d’Algérie. L’enquête qui suit, car Affreville est une enquête, creuse deux mots : « héros » et « tuer ». Le second titre, Affreville, est moins brutal que le premier… et élargit l’enquête au lieu où le père s’est transformé.
Douze chapitres structurent cette lente et implacable remontée dans le passé du père car mettre à nu la vérité est une épreuve qui ne se fait pas en un jour. Faire revivre le lieu de son « séjour » algérien est une étape qui familiarise avec le pays que la France ne veut pas perdre. Claire Tencin ne se contente pas des impressions du vécu du père mais donne des traces de l’histoire de la ville vue du côté des dominants, dans le chapitre IV : « Sous Napoléon III, on y installe un camp de détenus politiques, les quarante-huitards condamnés aux travaux forcés. Ironique provocation ou rachat d’État ? Déportés à Affreville pour ouvrir des routes dans la plaine du haut Chélif, prise entre le mont Zacar et les premiers contreforts de l’Ouarsenis, les bagnards relaient le terrible travail de défrichement entrepris par les colons ». Après avoir trouvé ce gros bourg laid, le père-gendarme s’est familiarisé avec son activité. Après le 1er novembre 1954, Affreville n’entre pas tout de suite dans la danse mais le feu couve néanmoins.
L’interlocutrice ou plutôt la réceptrice de cette histoire est la fille aînée, née en 1963 au retour de la guerre du père. Alors, il était normal, « rieur, joueur, généreux » ; puis, très vite, la guerre l’a rattrapé pour devenir le quotidien du microcosme familial avec un « père aphasique, la langue coupée, un volcan en sommeil qui allait exploser en borborygmes et en onomatopées au milieu de la cuisine, un volcan qui n’allait pas s’éteindre pendant quarante ans ».
Peu avant sa mort, sa fille l’a enregistré sans écouter ce qu’il avait dit. Puis elle a visionné l’enregistrement sans mettre le son, pas assez armée encore pour supporter sa parole aussi terrifiante pour elle que son silence. Enfin, elle s’est décidée à écouter le son dont elle transcrit l’essentiel sous les titres : « Le juteux chef », « La torture », « suite », « Les opérations ». Elle décrit sa gestuelle et lit d’autres livres ou films dont L’Ennemi intime, « ça fait partie de mes films culte, tout ce qui traite de la guerre d’Algérie est mon affaire, mon fond de commerce affectif ».
Elle va jusqu’au bout de la spirale, elle boucle la boucle : « La mort d’un père est une traversée, le bout de la ligne a rejoint son origine, un héros est né et la fille aînée a refermé le cercle. Les images de la vidéo ont été effacées, les mots ont été dits, les lumières ont été teintes ». Les derniers mots ciblent l’Etat français, responsable du devenir de ces (ses) soldats par un ironique, « Vive la France ! », particulièrement iconoclaste.
La guerre en Algérie, ici celle engagée par la France pour conserver son territoire d’outre-Méditerranée, est un passé actif depuis plus d’un demi-siècle, nous dit, à sa manière, ce monologue d’une force incroyable. Il signe, après tant de récits sur cet aspect de cette guerre-là, une mise en accusation, à hauteur d’homme et de famille, de ce que fut l’aventure coloniale finissante de la France.
On connaît les méfaits de l’amnésie en ce qui concerne les effets non assumés de la violence de la guerre. La violence fait d’autant plus retour que la parole et la mémoire se bloquent et que l’acteur – mais aussi le pays –, refuse de regarder en face les traumatismes du passé engendrant à leur tour des gestes de violence non résorbés parce que non affrontés. Comme la littérature s’intéresse avant tout aux humanités complexes et contradictoires et pas seulement à la justesse d’une lutte – justesse elle-même à géométrie variable selon le point de vue de l’acteur –, le récit est l’écho d’une parole-regard décapante et lucide.
Ma lecture est entrée en écho avec la mise en garde de Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre : « […] Nos actes ne cessent jamais de nous poursuivre. Leur arrangement, leur mise en ordre, leur motivation peuvent parfaitement a posteriori se trouver profondément modifiés. Ce n’est pas l’un des moindres pièges que nous tend l’Histoire et ses multiples déterminations. Mais pouvons-nous échapper au vertige ? Qui oserait prétendre que le vertige ne hante pas toute existence ? » Dans ce chapitre 5 des Damnés de la terre, « Guerre coloniale et troubles mentaux », Frantz Fanon pense d’abord aux « plaies multiples et quelquefois indélébiles faites à nos peuples par le déferlement colonialiste ». Si les cas qu’il présente sont essentiellement algériens, il en est un qui revient à l’esprit en lisant Claire Tencin, le cas n° 5, « Un inspecteur européeen torture sa femme et ses enfants ». Ce n’est pas inutile de le (re)lire.
Revisiter le passé est un impératif pour éclairer et mettre à distance les violences actuelles. C’est ce que fait Claire Tencin en organisant autour de la figure du père tout ce qui a fait de la guerre d’Algérie un héritage mal assumé : le départ vers une France qui n’est pas la France, tous les soldats en ont témoigné ; la confrontation à une sale guerre avec un maintien de l’ordre musclé, la corvée de bois, le viol, la torture…
Le récit de Claire Tencin inaugure un vrai travail de mémoire difficile à affronter, ce qui explique, qu’en 2012, son premier récit n’ait pas eu l’écho qu’il aurait dû rencontrer. Les esprits sont-ils mieux préparés, dix ans après ? Cela ne fait que commencer et autour d’un tel sujet, études, témoignages et fictions doivent encore forger des perspectives complémentaires pour nourrir une « approche nouvelle et actuelle » de cette guerre-là en Algérie. Affreville est une pièce maîtresse de ce travail de mémoire.
Dans son essai de 2022, Sensible, Nedjma Kacimi note, après avoir évoqué « le choc Mauvignier » (Des Hommes) : « ça n’aura échappé à personne. La guerre d’Algérie sort gentiment des souterrains où l’avaient enfouie vivante ceux qui l’avaient menée. Elle ressort par l’opération d’écrivains qui, pincettes en mains et masque chirurgical sur le nez, l’extirpent de la gangue d’un silence amorphe […] Eux, ils y vont, ces écrivains, Joseph Andras, Maïssa Bey, Yves Bichet, Jérôme Ferrari, Laurent Gaudé, Brigitte Giraud, Alexis Jenni, Michel Serfati, Zahia Rahmani ». Elle ne cite pas ces noms au hasard. Et il faut lire De nos frères blessés, Entendez-vous dans nos montagnes, Indocile, Où j’ai perdu mon âme, Écoutez nos défaites, Un loup pour l’homme, L’Art français de la guerre, Finir la guerre, Moze… Elle y associe les noms des historiens lus : Yves Courrière, Benjamin Stora… et puis ceux d’écrivains algériens, Feraoun, Mammeri, Dib, Kateb, mais aussi des acteurs français incontournables comme Alleg et Vidal-Naquet ; d’autres encore. A la fin du livre, elle prévient qu’elle n’en a pas fini… : « je dois encore vous parler de Zohra Drif et de Hassiba Ben Bouali ». Elle devra encore aussi nous parler d’Affreville…
Les pères partent à la guerre et laissent derrière eux la vie dite normale. Plusieurs récits ont déjà confié aux mots de la fiction les maux engendrés par la guerre, en particulier dans le rapport qu’une fille peut entretenir avec un père guerrier. Que faire de ce père, à l’âge adulte, quand son absence ou son retour ont provoqué un traumatisme durable qu’on ne parvient à affronter par l’écriture qu’à l’âge adulte ? La réparation est-elle de la même nature quand on est fille d’appelé ou de gendarme ou fille de militant, quand le père s’est battu dans ce conflit, volontairement ou contre son gré. L’écriture, en permettant de contrôler ce qui hante, de remplir le vide provoqué par le trauma, arrive-t-elle à la maîtrise de la perturbation ?
Ce père, on peut l’admirer tout en accusant son absence comme responsable d’une absence de paternité ; on peut aussi découvrir son passé comme le fait le Rafael d’Arnaud Catherine, en 1999, dans L’Invention du père, qui va en Espagne après la mort du père. L’enquête à laquelle il se livre lui laisse sur les bras un père à l’opposé du héros qu’il espérait, un père proche des franquistes et, somme toute, peu recommandable. La conclusion peut converger avec la démarche de Claire Tencin : « Je n’aime pas mon père, mais je suis avec lui. Je l’accompagne. Il n’a jamais été question de sentiment. On ne peut aimer cet homme-là.[…] Un lien me tenaille, que je ne peux esquiver. J’avance, j’avance. Je suis les pas du temps. Le temps qui l’a foudroyé et m’en délivrera. J’invente l’horizon. Devant moi. »
Est-ce ce désir d’inventer l’horizon, une fois le parcours accompli lorsqu’on a été jusqu’au bout de la connaissance recherchée qui éclaire l’écriture d’Affreville ? Représenter le père, à partir de la question qui ouvre l’enquête de Raphaëlle Branche, « Papa qu’as-tu fait en Algérie ? », rendre visible son image, faire parler ses silences ou ses éructations, réveiller une admiration de la petite fille puis la honte, le dégoût de l’adulte mais toujours tenir, par les mots. Comment construit-on sa vie de fille avec les vociférations qui témoignent que la guerre n’a pas pris fin et que le soldat traumatisé la poursuit au sein de sa famille ?
A
ffreville est un texte postcolonial français d’une force jamais égalée sur ce sujet. La France et l’Algérie en rupture de colonisation invitent à réfléchir aux retombées post-coloniales qui concernent tous les « groupes » en présence et aux fractures identitaires et sociétales provoquées par le traumatisme vécu. Claire Tencin rejoint, avec l’avantage de la littérature de plonger dans l’humain et de faire mouche par un livre coup de poing, les études incontournables sur ce sujet de Florence Dosse, en 2012, Les Héritiers du silence. Enfants d’Appelés en Algérie, celle de Raphaëlle Branche, en 2020, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Ce second ouvrage a montré que, livrés à eux-mêmes sans suivi psychiatrique ou autre, les Anciens d’Algérie avancent comme ils le peuvent soit en rompant avec leur vie antérieure et en prenant un autre chemin de vie, soit en s’enfonçant dans les aspects les plus négatifs de l’expérience, soit en prenant des positions antiracistes. Un racisme tenace peut s’installer aussi. On note des cauchemars, l’alcoolisme, la violence, les dépressions, les suicides. Ce n’est qu’en 1999, que l’État français reconnaît qu’une guerre a bien eu lieu et pas seulement des « événements ». Il faut attendre la mort du père pour que des fictions puissent s’écrire : les représentations sont alors élaborées à partir d’une « post-mémoire ». Revient-on de la guerre ? C’est une réponse détonante, lucide et percutante que nous offre Claire Tencin. Ayons le courage de lire ce récit incontournable pour qui a le désir d’affronter un passé qui nous concerne toutes et tous, quelles que soient nos convictions, pour combler « ce trou noir dans l’enseignement de notre histoire nationale », qui, comme le dit la narratrice, « m’a toujours agacée et indignée ».
Au moment où Affreville paraît sort aussi un Dictionnaire de la guerre d’Algérie chez Bouquins — et c’est la force d’un livre d’entraîner dans son sillage d’autres lectures à faire ou à reprendre ; un livre n’est pas riche qu’en lui-même mais dans l’étoilement qu’il provoque vers d’autres livres. Le chapitre XII d’Affreville nous plonge dans le viol et ses conséquences : « Peut-être ai-je un frère ou une sœur en Algérie ! C’est possible, tout est possible dans la guerre. […] Et les enfants nés d’un viol ? Nés d’une jeune fille perdue dans un camp de regroupement, ou d’une mère dans la misère que les soldats violaient sans vergogne. C’est le tribut de la guerre, un ventre dans lequel vider sa haine d’un peuple ». Deux entrées du Dictionnaire de la guerre d’Algérie nous interpellent : « Viols des femmes en Algérie » (signé Ouanassa Siari Tengour) et « Garne, Affaire Mohamed » (par Sylvie Thénault). Ce dernier retrace l’histoire de cet homme, né en 1960 des viols répétés d’une jeune fille de 16 ans, dont l’histoire a été médiatisée en 2001 et qui a écrit un livre en 2005, Lettre à ce père qui pourrait être vous. Il a obtenu une indemnisation après tout un parcours très dur, seule victime à avoir obtenu cela. Il avait été adopté, à l’âge de 5 ans, par Assia Djebar et son mari. Sylvie Thénaud écrit : « l’histoire de l’indemnisation des victimes de cette guerre reste à écrire ».
Au théâtre, on s'y croirait ! D'abord l'unité de lieu : un terrain vague, tout près d'une décharge publique se situant au bord de la mer, à l'écart de la grande ville dont on n'entend presque aucun bruit et dont on aperçoit, lors de ses «fêtes», les lumières fugaces des feux d'artifice... et dont on craint ses contraintes. Une «batha» noyée dans la plus grande des misères matérielles. Déchéance morale ? Pas si sûr !
Les personnages ensuite : toute une bande de paumés, de détraqués... des laissés-pour-compte de la société, malmenés par la vie, des paumés et autres clochards ayant tous tournés le dos à la société, au nom de la «liberté»... Des conditions de vie effroyables. Une bande de «Hoors»... lesquels pourtant ont recréé une certaine hiérarchie et discipline entre eux. Il y a même de l'affection, de l'amitié, de l'amour... et de la jalousie. On y retrouve Ach le Borgne qui magnifie le clochardisme, Junior son «protégé», un simplet, le Pacha et sa cour et son «favori» Pipo, Mama et son alcoolique de mari, trimballé dans une brouette, Bliss, Nemrod, Mimosa, Négus, Haroun le Sourd, Clovis, le frères Zouj, Dib dit Cétéra, Einstein...
En gros, une vie globalement sans histoires... Mais qui va très, très vite. Surtout lorsqu' apparaît Ben Adam... le «rédempteur», le colosse «donneur de leçons de vie»... ailleurs. Junior le «simplet» l'écoutant ne tarde pas alors à rejoindre la ville. Il en reviendra plusieurs mois après totalement transformé, moralement et physiquement. Il avait tout vu, tout subi bien des infortunes. L'Olympe et les infortunes ne sont jamais là où l'on croit qu'ils sont !
L'Auteur : Né en janvier 1955 à Kenadsa, élève de l'Ecole des cadets de la Révolution, ancien officier de l'Armée nationale populaire, Yasmina Khadra, de son vrai nom Moulessehoul Mohammed, est, aujourd'hui, un écrivain très connu. Lu dans des dizaines de pays, il est traduit en près de 50 langues. Il a à son actif plusieurs dizaines d'œuvres. La plupart sont des romans dont certains ont été adaptés au cinéma et au théâtre et même en bandes dessinées... ceci sans parler des ouvrages (dont des romans policiers) publiés sous pseudonyme au milieu des années 80 et au tout début des années 90, inventant même un personnage fameux, celui du Commissaire Llob.
A noter qu'il a cosigné, aussi, des scénarii de films... qu'il a été un certain temps directeur du Centre culturel algérien à Paris... et qu'il a même tenté une courte «aventure» politique lors de présidentielles!
Et, qu'il a récemment effectué une tournée de promotion du livre (Oran, Tizi Ouzou, Alger). Un écrivain de talent qui ne cesse d'être «attaqué». Il est vrai que sa franchise ne manque pas de déranger.
Extraits : «Tu réagirais comment si t'étais le bon Dieu ? Parce que lui, il bouge pas le p'tit doigt. Il laisse les choses s'envenimer, et quand ça merde grave, il fait celui qui n'est pas là. Alors, les méchants en profitent pour écraser les innocents, et les innocents, ils font pitié et personne ne compatit» (p 127), «La gloire n'est que la preuve que nous restons les otages de nos vanités. Nous dévastons les quiétudes en croyant bâtir des légendes. Nous tombons bas tandis que nous pensons supplanter nos angoisses. Nous régnons sur les décombres comme des vautours sur les charognes...» (p141), «Souvent, on s'en rend pas compte. La chance nous sourit tous les matins, le bonheur nous accueille tous les soirs, et on s'en rend pas compte. On s'y habitue et on pense que ce sera tous les jours ainsi. On fait pas gaffe à ce que l'on possède puis, hop ! d'un claquement de doigts, on s'aperçoit que l'on a tout faux. Parce qu'on croit avoir décroché la lune, on veut croquer le soleil aussi, et c'est là que l'on se crame les ailes...» (pp 190-191)
Avis - Le roman de plusieurs de nos mondes... parallèles, acceptés ou imposés, fuis ou acceptés Des mondes qui ne nous sont pas étrangers et pas si lointains. A lire... mais, sans trop se «prendre la tête»... pour se sortir indemne de tout traumatisme... ou de toute culpabilité.
Citations : «La vraie liberté est de ne rien devoir à personne... la vraie richesse est de ne rien attendre des autres» (p 43), «L'argent est la plus vilaine des vacheries. Quand tu le sers, il te dérobe les yeux ; et quand il te sert, il te confisque le cœur» (p 43), «Les peuples, c'est comme le cheptel. Tu perds de vue une seule brebis galeuse, et les loups te règlent ton compte sur-le-champ» (p137), «Que l'on soit couvert de hardes ou de soie, on n'est jamais que soi» (p 167), «Sais-tu ce qui rend le vice tentant ?... C'est l'illusoire dont il se revêt» (p167), «L'amour est l'essence de la vie, son sens et son salut. S'il vient à toi, garde-le et le ne lâche plus. S'il te fuit, cours-lui après. Si tu ne sais pas où le trouver, invente-le. Sans lui, l'existence n'est qu'un gâchis, un passage à vide, une interminable chute libre» (p198).
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LES FLEUVES IMPASSIBLES. Roman de Akram El Kébir. Apic Editions, Alger, 2019, 196 pages, 700 dinars (Fiche de lecture déjà publiée le 11 mars 2020). Extraits pour rappel seulement. Fiche complète in www.almanach-dz.com/population/ biblioteque d'almanach)
Un alcoolique, un dégénéré, un qui est de la «jaquette flottante», un peureux comme pas deux, un chanteur raté, un qui est déjà clando avant d'avoir atteint l'Espagne... sans oublier un «niqué de la tête» (celui qui eu l'ingénieuse idée de faire le voyage)... et deux nouveaux «imposés» en dernière minute... «trop bagarreurs sur le bords et qui ne renâclent pas à, l'idée d'envoyer quelqu'un à l'hôpital qu'ils ont payé grassement en retour»...
Programme : El Harga...
Raison(s): l'ennui, fuir les «insolations estivales et les crèves hivernales», le désespoir, le chômage... Besoin de découvrir une herbe verte... et, surtout «essayer de vivre»... un peu de tout, de tout un peu.
Destination : Espagne... pays le plus proche d'Oran... et ailleurs par la suite... si tout se passe bien.
Moyen : non un frêle esquif, mais une embarcation solide... un véritable bateau avec un véritable équipage.
Mode opératoire : La prise en otage et son détournement d'un bateau-taxi (Oran-Aïn El Turck) à partir du port d'embarquement, en l'occurrence Oran.
L'opération réussit... au départ... avec, cependant, un couac, les deux «imposés», bien décidés à réussir beaucoup plus ce qui ressemble beaucoup plus à une fuite qu'à une harga, se mettent à utiliser la manière «forte», alors que tout se passait tranquillement.
Deux pans, deux mondes qui, par hasard, se croisent, non sur la terre ferme, là où ils habitent depuis des décennies, mais sur un bateau... «piraté». Des destins, heureux ou malheureux, qui, au fil du temps et de la traversée, se rencontrent, échangent des regards (complices ou hostiles), parfois des propos assez vifs sur la harga, sur la société, sur la religion...
L'Auteur : Né à Oran (1984) , journaliste, déjà auteur de plusieurs romans (...)
Extraits : «La harga est une expression qui, aujourd'hui, a beaucoup perdu de son sens. Originellement, les tout premiers harraga étaient ceux qui allaient en Europe par voie légale, et à peine avoir franchi la Paf de l'aéroport, s'empressaient de brûler leurs passeports verts, pour signifier qu'ils ne reviendraient plus jamais en Algérie. Ce phénomène est apparu dans les années 1990, quand le pays était à feu et à sang.
D'ailleurs, il n'est pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que harrag signifie brûleur ! Vous avez déjà vu quelqu'un brûler la mer, vous ?» (p 87)
Avis - Bien sûr il y a une histoire de «harga», mais, en fait, il y a surtout l'histoire d'un pan important de la société oranaise : celui des jeunes... qui ne vivent pas mais vivotent, qui existent mais s'ennuient...
Citations :«Un homme heureux est un homme qui aime la vie, or la vie ne dure pas, d'où son malheur !»(p 154)
Françoise Chandernagor déroule un nouveau chapitre de la vie de Cléopâtre-Séléné, fille de Cléopâtre et Marc-Antoine, née à Alexandrie en 40 av. J.-C. et seule survivante de sa lignée. Après avoir évoqué l'enfance de Séléné en Egypte (Les Enfants d'Alexandrie) puis sa jeunesse prisonnière à la cour d'Auguste-Octave à Rome (Les Dames de Rome), Françoise Chandernagor reprend ici son héroïne à ses 20 ans, lors de son mariage avec Juba II roi berbère de Maurétanie, né vers 52 av. J.-C à Hippone. La Maurétanie (''le pays des Maures'' qui correspond au Maroc et à l'Algérie d'aujourd'hui) était sous domination romaine. Il s'agit donc d'un mariage décidé par Octave. Juba est, comme Séléné, orphelin et dernier d'une lignée détruite par Rome où il a grandi dans une captivité dorée.
À son arrivée à Césarée de Maurétanie (actuelle Cherchell en Algérie), Séléné découvre que Juba est beau, intelligent, cultivé, riche et puissant. Malgré une nuit de noces désastreuse, les jeunes mariés s'apprivoisent petit à petit et l’amour est au-rendez vous. Ils sont, tous deux, au confluent des cultures grecque, égyptienne, romaine et berbère et souhaitent recréer une lignée, construire une dynastie pour préserver la souveraineté de la Maurétanie au sein de l'Empire Romain. Séléné, soutenue par Juba, s'attache à développer les arts et la culture en son royaume.
Points forts
Le bagout de Françoise Chandernagor : son écriture vivante, ses pointes d'humour.
Les descriptions des paysages, des monuments, de la bibliothèque de Juba à Césarée.
Le personnage de Juba : premier encyclopédiste avant Pline, explorateur, constructeur, guerrier.
Le canevas historique rigoureux (dates, batailles, complots, personnages).
La liste des principaux personnages à la fin du volume pour situer chacun dans leur rôle et comprendre les liens familiaux extraordinairement complexes des Julio-Claudiens. L'auteur elle-même dit qu'en dessiner un arbre généalogique lisible est impossible.
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Points faibles
Certes en l'absence d'écrits historiques avérés, de journaux intimes, de confidences qui auraient traversé les siècles, « pourquoi n'aurait-il pas été permis à l'historienne de laisser rêver la romancière ?» (F.Chandernagor). D'accord. Mais, ici, en ce qui concerne les sentiments amoureux de Séléné, l'imagination de la romancière est un peu envahissante.
En deux mots...
En fait, ce roman historique, qui parfois me lassait un peu, m'a finalement séduite grâce aux vingt dernières pages (Note de l'auteur) qui approfondissent les sources, les questionnements de l'auteur et ses choix de présentation des personnages et des situations historiques. Après ces explications circonstanciées et intéressantes, j'ai décidé “d'oublier” les passages qui -sans en être- frôlent le roman de gare.
Un extrait...
« La Région est en paix. Les domaines royaux sont florissants, les Musulames restent tranquilles, les Massaesyles silencieux, et les Gétules, invisibles. Avec l'aide des affranchis venus de Grèce qui occupent le bâtiment administratif construit devant le théâtre, sur la placette qu'on appelle pompeusement « le Forum », la reine peut gouverner. Juba lui a délégué tous ses pouvoirs sur la partie orientale du royaume. Pour la première fois, elle émet une monnaie à son seul nom - avec son profil d'un côté, et le petit temple d'Isis de l'autre. Basilissa Kleopatra...Sitôt régente, elle entreprend de nouveaux travaux. Elle veut faire de Césarée la perle de l'Afrique. » (p.253)
[Retour de Juba à Césarée après son exploration de la côte atlantique] « Les navires maurétaniens reprirent la route du nord : Agadir, les îles Purpuraires, puis Sala, récupérant au passage les soldats et les vaisseaux que le roi n'entendait pas laisser à demeure. À Migdol-Essaouira, Juba maintint cependant une forte colonie d'artisans pour produire de la pourpre qu'il voulait vendre en Europe. Partout, il élevait des autels aux Dieux Maures, Dii Maures, ou à Hercule, deus patrius, « dieu de la patrie », affirmant ainsi clairement la souveraineté maurétanienne sur la côte nouvellement découverte. Le reste du temps, sur le pont de sa trirème, il dictait des notes de voyages qu'il remettrait en ordre à Césarée : il comptait publier ses découvertes dans un livre qu'il intitulerait simplement Libyca, « De l'Afrique ». » (p.287)
L'auteur
Françoise Chandernagor, vice-présidente de l'Académie Goncourt, a quitté la magistrature en 1993 pour se consacrer entièrement à l'écriture. Elle a publié une pièce de théâtre, deux essais et dix-sept romans dont L'Allée du Roi, Julliard, 1981; L'Enfant des Lumières, De Fallois, 1995; La Première épouse, De Fallois, 1998; La Chambre, Gallimard, 2002; aux éditions Albin Michel, La Reine oubliée: Les Enfants d'Alexandrie, 2011, t.1, Les Dames de Rome 2012, t.2, L'Homme de Césarée 2021, t.3, Le Jardin des Cendres, t.4 à paraître sans date précise, clôturera cette tétralogie.
Mokrani, la retraite d'Algérie. Essai de Mohamed Fadhel Mokrani. El Qobia éditions, Alger 2024, 122 pages, 1 000 dinars
C'est vrai, « il n'est jamais aisé de raconter l'histoire quand il s'agit de celle de ses propres ancêtres ». Encore plus lorsque la dite histoire bien que chargée de gloire, est alourdie de douleur, de déchirements, d'exils et de larmes.
Et, l'histoire de la famille (El) Mokrani l'est pleinement. Elle a commencé en 1871 avec la révolte (en fait une insurrection, courte mais une des plus meurtrières... avec 340 combats, la France ayant mobilisé près de 200.000 soldats) contre la colonisation du pays par la France... et ne s'est terminée... qu'en 1962... avec Mohamed Aboulkacem Boumezrag, footballeur de son état et responsable au sein du Fln en France. Né en 1911, il n'était autre que le propre petit-fils d'Ahmed Boumezrag et le fils de Boumezrag El Ouennoughi El Mokrani. C'est lui qui a été le démarreur, le moteur puis l'animateur de la fameuse équipe de foot, porte-drapeau du Fln et ambassadrice de la lutte du peuple algérien dans le monde.
1830-1962... une très longue période, celle de la « nuit coloniale ». Avec, au départ de la saga, un vendredi 5 mai 1871 qui vit El Hadj Mohamed Ben Ahmed El Mokrani, entouré de trois cent cavaliers, conduire un contingent de huit mille cavaliers. Après son décès au combat, c'est son frère Ahmed Boumezrag qui lui succéda. Lundi 2 octobre 1871, le combat va reprendre... malgré de « nombreuses soumissions et redditions »... ailleurs.
La suite est marquée par la route de l'exil... vers la Tunisie... parallèlement aux combats menés. Durant toute la période de l'insurrection, la résistance a couvert une zone dont le centre est la Medjana et dont l'étendue est estimée à 600 km d'est en ouest et à 760 km du nord au sud. Pour sa part, la caravane des Mokrani (surtout les femmes et les enfants, environ 500 personnes réparties en 150 tentes) parcourait plus de 1750 km de son fief, la Kâala des Béni Abbès) à la frontière tunisienne où elle allait se réfugier.
Le 20 janvier 1872, Ahmed Boumezrag est fait prisonnier. Il sera déporté en Nouvelle-Calédonie en septembre 1874 où il y croisera Louise Michel, la communarde française
Boumezrag ne sera libéré qu'en janvier 1904. Il revient à Alger le 19 juillet, en compagnie de son fils et son neveu enfin retrouvés... En janvier 1905, malade (32 ans de bagne), il décèdera... sans avoir jamais retrouvé ses parents qu'il avait tant tenu à mettre à l'abri en Tunisie (et où beaucoup de descendants y demeurent encore). Il fut inhumé au cimetière de Belcourt (actuel Belouizdad).
L'Auteur : Né à Gafsa (Tunisie). Etudes en Tunisie et en Belgique. Cadre supérieur dans une compagnie aérienne. Déjà auteur de deux ouvrages.
Extraits : « La date du 5 mai 1871 marquait donc un tournant, un point de non-retour. Il y avait donc un avant et un après le 5 mai 1871 » (p 27), « Les relations entre tribus algériennes et tunisiennes ne se résumaient certainement pas dans les razzias menées habituellement d'autre de la frontière ou dans les crises dues à l'occupation des pâturages ou à l'enlèvement de troupeaux mutuels.
Les populations vivant près des frontières sont souvent parentes et alliées et se réclament des mêmes tribus ou des mêmes confédérations de tribus » (p 46), « Dans cette famille, même les femmes se transformaient en vraie guerrières quand, à l'appel du sacrifice, elles s'invitaient à la bataille » (p 54), « Les Mokrani se sont, plus tard, totalement fondus dans la société tunisienne mais gardent toujours une mémoire vive et une conscience totale de leur passé glorieux et de leur appartenance à la terre algérienne. Fiers de leur passé et de leur origine, ils sont nombreux à avoir choisi de rentrer en Algérie après l'Indépendance » (p 83).
Avis - Un ouvrage qui fourmille de détails intéressants sur la résistance à la colonisation des Mokrani. Une saga passionnante plus qu'un ouvrage d'Histoire. D'où une lecture ininterrompue.
Citation : « La guerre ne se conduit pas uniquement par le canon, une part essentielle revient à la propagande de guerre destinée à saper le moral de l'ennemi » (p 48)
La gloire des vaincus. Roman de Saïd Saad (Préface de Abderrahmane Mekhlef). Editions El Qobia, Alger 2024, 223 pages, 1100 dinars
Dans sa longue marche pour « rendre hommage à des oubliés de l'histoire » l'auteur revisite cette fois-ci la ville d'Alger en 1872 avec son bouleversement du tissu urbain.
Tout ceci à travers le parcours d'un tout jeune journaliste parisien (qui rêve de suivre l'exemple de son père qui avait combattu contre l'occupant prussien), qui s'est « exilé » en Algérie.
Travaillant pour un journal assez « ouvert », il s'en va découvrir (« accrédité » auprès d'un contingent de l'armée), sur le terrain, les réalités de la colonisation, la politique d'extermination menée par l'armée française, les Arabes réduits à la famine, la spoliation des terres, les massacres odieux des populations qui osent se révolter... et les condamnations à mort ou au bagne lors de procès expéditifs (à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie où s'y trouvent aussi des « communards »).
Mais aussi, il fait connaissance de combattants algériens (il avait été fait prisonnier et relâché... car, par le passé, il avait aidé un des combattants algériens prisonnier à s'évader). De retour à Alger, il démissionne du journalisme car ne voulant plus être associé aux contre-vérités publiés... pour se consacrer à l'écriture de sa « vérité », ce qu'il a vu et entendu. Il s'en ira même à effectuer un séjour à Nouméa pour enquêter sur le vie des exilés forcés, tout particulièrement les Algériens. Un manuscrit qui ne sera jamais accepté par les éditeurs.
L'Auteur : Né en 1955 en Kabylie. Etudes en langues étrangères, traducteur puis journaliste à l'Aps (Algérie presse service) durant 32 ans. Grand reporter spécialisé, il a été, aussi, correspondant permanent de presse à Londres. A déjà publié plusieurs romans.
Extraits : « A quoi bon continuer à mettre sa foi en des choses dont on est sûr qu'elles ne pourront jamais se réaliser ? Les Français devaient comprendre que cette terre ne leur appartient pas, c'est la nôtre » (p 73), « Ces hommes bien armés sortis des hautes écoles militaires et solidement charpentés, étaient prêts à la conquête d'autres territoires.(...). Leur mot d'ordre : Exterminer les indigènes et faire place aux colons » (p 77).
Avis - Un roman historique assez bien documenté
Citations : « Les journaux, c'est comme une vieille tuyauterie à travers laquelle coulent non pas à flots, rarement, mais coulent toujours, les discours trompeurs, provocateurs et dangereux de ceux qui nous gouvernent » (p 167),« A quoi bon couper une branche quand le mal attaque les racines mêmes de l'arbre ? » (p 188).
Parmi ses ouvrages, le plus remarquer fut « L’Etrangère de Tipasa » éditions France Maghreb 2003.
Slimane Aït Sidhoum, écrivez le 1er juin 2003 dans les colonnes du quotidien Le Matin, à propos du roman« L’Etrangère de Tipasa », son articles intitulé « Un amour en ruine »
Un amour en ruine
Brahim Hadj Smaïl essaye à travers son premier roman, L'Etrangère de Tipaza, d'opérer une jonction thématique avec L'Ecole d'Alger, mouvement littéraire né en réponse aux « Algérianistes » qui avaient produit toute une hagiographie à la gloire de la conquête coloniale.
Les figures emblématiques qui avaient donné naissance à L'Ecole d'Alger furent Gabriel Audisio, Emmanuel Roblès et Albert Camus. Le ton est ainsi donné dès la page de garde du roman avec cette épigraphe tirée des Noces camusiennes où il est dit : « Hors du soleil et de la mer, tout me paraît futile à Tipaza. »
En un mot, focaliser sur les deux éléments fondateurs qui ont inspiré le mouvement et que Camus a immortalisé avec le personnage de Meursault dans son uvre majeure L'Etranger.
Pour mémoire : « Meur renvoie à mer » et « sault pour soleil ». C'est cette même affirmation qui convainc Florence, antiquaire de son état, de braver toutes les mises en garde pour venir en pleine tourmente intégriste passer quelques jours en Algérie.
Profitant d'une pause entre deux ventes au bout du monde, Tipaza s'offrait comme un lieu de ressourcement et de reconstruction après une relation amoureuse désastreuse.
Le hasard lui fit rencontrer Yacine qui essayait tant bien que mal de conserver les vestiges romains des multiples dégradations engendrées par le temps et la négligence humaine. Florence et Yacine se promirent sur les décombres de cette civilisation antique l'amour éternel. Et cet amour ne pourrait s'accomplir que lorsque ce dernier devait quitter son pays pour aller s'installer à Paris. Mais les procédures d'acquisition du visa s'avérèrent décourageantes, une entrave supplémentaire qui vient s'ajouter à la situation sécuritaire du pays. Parcours du combattant mais au bout des retrouvailles où les câlins et les haleines se mêlent.
Cet amour qui se déroulait comme un long fleuve tranquille est guetté par des embûches tapies dans l'ombre. D'abord, il y a le père de Florence. Ancien de la Guerre d'Algérie pour qui le temps s'était arrêté à cette période. Il nourrissait sa mémoire par une aversion à tout ce qui est algérien.
En apprenant l'existence de cet homme venu de la rive sud, il enjoignit à sa fille de mettre un terme à cette relation qui lui semblait contre nature. Ensuite, c'est l'Administration qui se saisit de l'affaire.
Yacine est sommé de régulariser sa situation de présence sur le territoire français. Le seul moyen d'y parvenir reste le mariage entre les deux tourtereaux. Or là aussi Florence fit obstruction car elle tenait à sa liberté. Elle proposa une solution qui parut à Yacine indécente. Pour le garder, elle voulut qu'il acceptât un mariage blanc avec une autre femme.
Écœuré par la conduite de Florence, il se réfugia à Londres. Brahim Hadj Smaïl fait aussi uvre de pédagogie dans son premier roman en montrant une réalité algérienne en rupture avec celle véhiculée par certains médias qui culpabilise les victimes et fait la part belle aux vrais assassins.
https://www.elwatan.com/archives Brahim Hadj Smaïn n’est plus
10 NOVEMBRE 2011
Homme affable, d’une grande culture, passionné de sport Brahim était aussi un communicateur hors pair. Son passage à la Radio nationale, au début des années 60 et 70, où il animait les émissions sportives, restera dans les mémoires. Le reporter qu’il était donnait aux matches des dimensions importantes grâce à sa manière singulière de commenter. Brahim aimait aussi le Mouloudia d’Alger et cela transparaissait parfois à travers ses commentaires. Mais il était trop bon pour être soupçonné de partialité. Au summum de son art, Brahim dût partir en France où il enseigna avant de retourner à ses premières amours en dirigeant une radio locale. Tous ceux qui l’ont connu gardent de lui l’image d’un homme passionné, fidèle en amitié et qui chérissait son métier et la vie, qu’il croquait à pleines dents. Lundi soir, son cœur a lâché. A sa famille éplorée, à ses proches et amis, la rédaction sportive d’El Watan présente ses sincères condoléances.
Il avait encore tant de projets en tête Décès du journaliste Brahim Hadj Smail Il avait encore de l'énergie. Tellement, qu'il a lancé un projet de radio au Mali où il comptait aussi s’investir dans l'agriculture. Le destin en a décidé autrement. Le journaliste Brahim Hadj Smail a brutalement été arraché à la vie en début de semaine. Cofondateur de la radio France-Maghreb au début des années 1990, il est décédé mardi à l'âge de 60 ans à l'hôpital Henri-Mondor, dans la région parisienne. Natif de Ghardaïa, Brahim Hadj Smail a commencé sa carrière comme journaliste sportif à la Radio algérienne dans les années 1960. Il s'était ensuite installé en France où il a rejoint l'éducation nationale, sans jamais quitter le journalisme. Tout en dirigeant France-Maghreb, il animait une chronique pour la chaîne internationale de la Radio algérienne. À la tête de France-Maghreb, il avait développé un partenariat avec le quotidien Le Matin. Brahim Hadj Smail a laissé deux enfants, dont un cadre de la finance à la City de Londres et un autre dans l'hôtellerie aux États-Unis
Brahim Hadj Smail...
Brahim Hadj Smai
Son décès est survenu à Créteil, le 8 novembre 2011.
Il aimait dire, on riant, à éclat « éh, Ana M’zabi ! » dixit « Oui, je suis un Mouzabit ! », Il le faisait surtout pour provoquer les personnes qu’ils lui paraissaient suffisantes et dédaigneuses.
Et pour ne jamais quitté le sol, il aimé se rappeler le métier de son père dont il était si fière, « … mon père tenez la plus propre des Boucheries d’Alger !.. ». Pour le taquiner je l’houspiller de n’avoir pas repris la boucherie familiale, alors il me lancer, en riant, son jurons préférait « Ma3labali’ch be Drahem, Aya rohe t’zamar ! » dixit « Je n’ai que faire de l’argent, Allez, va fluter ! »
Fidèle en amitié, il me parlait de ses projets, il s’était investit, ces dernières années, dans le projet de créer des Radios Libres au Sahel.
Sa carrière professionnelle, il l’a débuta a la Radio Chaine 3, à l’âge de 17 ans, comme journaliste sportif.
On parfait polémiste il avait le secret du savoir de la titille politique, il concluait sa Chronique politique sur la Radio Parisienne France Maghreb, par l’éveille des consciences en lançant son fameux : « d
ormez bien braves gens, la terre tourne, elle continue de tourner mais elle tourne sans vous… ».
L'AMOUR, s'il incite à l'exil, n'ouvre pas toujours les portes du bonheur.
On dit souvent que les plus belles histoires d'amour sont éphémères, même si les deux êtres s'aiment profondément. De fait, lorsque les relations deviennent sérieuses, l'une des deux personnes recule et hésite à faire le saut, du fait des contraintes induites par cet amour, notamment lorsque les amoureux émargent de culture différente et que l'un ou l'autre des partenaires n'est pus prêt à franchir le rubicon. C'est un peu le thème du roman de Brahim Hadj Smail, qui relate les amours mouvementés, suivis d'une rupture entre Yacine et Florence. En fait, L'étrangère de Tipaza se présente comme un roman à clé, où l'auteur trouve le prétexte de cette idylle entre Florence et Yacine pour poser en filigrane le problème récurrent de la fuite de la matière grise ou cerveaux, d'Algériens à l'étranger et les difficultés inhérentes à l'exil. Tout commença lorsque Florence lit une citation dans la première page du livre d'Albert Camus : - Loin de la mer et du soleil, tout me parait futile - décrivant la beauté des ruines romaines de Tipaza. Florence, une antiquaire française, bourgeoise, passionnée par son travail, de nature indépendante, menant une vie trépidante viendra pour la première fois en Algérie pour explorer et découvrir le secret de ces merveilleux paysages. C'est là que le destin réunira deux personnes de cultures différentes.
Quoique des passerelles existent entre eux, les deux tourtereaux partagent des points communs mais leurs objectifs semblent assez contradictoires. Pour sa part, Yacine journaliste par métier, archéologue par tempérament, assidu dans son travail, Tipaza où il fera la connaissance de Florence. L'intrusion de cette Française dans sa vie marquera profondément le jeune homme qui fini par succomber à son charme.
L'irruption de Florence dans son quotidien ouvre à Yacine de nouveaux horizons, d'autant plus que le jeune homme est lassé par les turpides d'une vie sans lendemain, sans illusion sur un pouvoir corrompu, révolté par un terrorisme à son paroxysme, au moment où la misère et l'injustice sont le lot quotidien.
Aussi décida-t-il d'aller rejoindre sa bien-aimée en France laissant tout derrière lui, sa mère, son boulot, ses amis, le soleil, la mer ... et son pays natal.
Une fois arrivé en France, Yacine espérait trouver refuge et assurance chez sa Florence. Toutefois, rapidement, Yacine se retrouve dans la peau d'un sans-papier avec toutes les vicissitudes et misères que cela implique.
Dès lors, vivre sans papiers, à plus forte raison quand on est Algérien, ne lui facilitera pas la tâche. Considéré comme - un métèque -, aucun poste de travail ne lui sera accordé. Yacine se sent rejeté et par la société et indirectement par sa bien-aimée Florence, qui très attachée à son indépendance, refuse de se marier avec lui l'empêchant de s'intégrer à la société d'accueil. Yacine, fera ainsi l'expérience de l'exclusivisme de sa partenaire et les aléas d'une société - libérée -.
D'un exil a l'autre, Yacine finira par atterrir à Londres où la xénophobie est moins marquée envers les étrangers. Roman a clé, L'étrangère de Tipaza met en scène les difficultés de l'intellectuel algérien à s'établir chez lui et le déclassement dont il est souvent victime à l'étranger.
Brahim Hadj Smail est docteur en sociologie, professeur de français au collège Dulcie September a Arcueil. directeur de Radio France Maghreb dont il est l'un des fondateur.
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L’Étrangère de Tipaza De Brahim Hadj Smail Editions France Maghreb
SADEK BENCHKIKH L'Expression lundi 11 aout 2003
Brahim Hadj Smail est décédé le mardi 8 novembre 2011
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