Tipaza

N o c e s @ T i p a z a

À propos de l'auteur

Ma Photo

Les notes récentes

  • 31 juil 2024 12:27:22
  • Wassyla Tamzali présente son dernier livre à Montréal
  • Assia Djebar (1936-2015) par Maïssa Bey
  • Ce que l'on sait de la mort de dizaines d'anciens mercenaires de la compagnie "Wagner" au Mali, leurs pertes les plus importantes depuis le début de leur présence en Afrique
  • الحمد لله مابقاش استعمار في بلادنا
  • La tragique histoire de Cléopâtre Séléné, fille de la plus célèbre reine d'Egypt
  • Mythologie Berbère
  • G a z a
  • Albert Camus . Retour à Tipasa
  • ALBERT CAMUS - L'étranger

Catégories

  • Décennie noire (10)
  • Gaza (155)
  • Mahmoud Darwich (1)
  • Proche-Orient (3)
  • SANTÉ MENTALE (1)
  • «Europe (2)
  • Accueil (4)
  • Afghanistan (21)
  • Afique (7)
  • Afrique (7)
  • Afrique du Nord (1)
  • AGRICULTURE (2)
  • Alger (91)
  • Algérie (716)
  • Angleterre (3)
  • Arabie Saoudite ou maud;.. :) (10)
  • Armée (9)
  • Assia Djebar (26)
  • Autochtones (1)
  • AZERBAÏDJAN (1)
  • Biens mal acquis (1)
  • Bombe atomique (6)
  • Camus (679)
  • Canada (29)
  • changements climatiques (13)
  • Chansons (92)
  • Cherchell (20)
  • Chine (19)
  • Cinéma (65)
  • Climat (11)
  • colonisation (634)
  • COP15 (1)
  • corruption (36)
  • Covid-19 (80)
  • Culture (666)
  • Curiel, (4)
  • De Gaulle (1)
  • Divers (579)
  • Donald Trump (7)
  • Décennir noire (66)
  • Egypte (9)
  • Femmes (3)
  • France (1944)
  • Frantz Fanon (2)
  • Féminicides (10)
  • Guerre d'Algérie (3769)
  • Hadjout / Marengo (36)
  • Haraga (4)
  • Harkis (3)
  • HIRAK (26)
  • Histoire (494)
  • Immigration (86)
  • Incendies (16)
  • Inde (1)
  • Indochine (3)
  • Irak (3)
  • Iran (39)
  • Islam (170)
  • Islamophobie (6)
  • Israël (712)
  • Italie (2)
  • J.O (1)
  • Japon (2)
  • Jean Séna (2)
  • Jean Sénac (1)
  • Justice (1)
  • Kamala Harris a-t-elle des chances de gagner ? (1)
  • L'Algérie Turque (31)
  • L'Armée (4)
  • Lejournal Depersonne (209)
  • Les ruines (98)
  • Liban (3)
  • Libye (9)
  • Littérature (175)
  • Livres (164)
  • Ll’information (2)
  • L’autisme (2)
  • L’extrême-droite (2)
  • Macron (25)
  • Maghreb (5)
  • Mahmoud Darwich (6)
  • Mali (1)
  • Maroc (137)
  • Mayotte (2)
  • Moyen-Orient (21)
  • Musulman (1)
  • Nanterre (1)
  • Nelson Mandel (1)
  • Nicolas Sarkozy (2)
  • Niger (2)
  • Nouvelle-Calédonie (2)
  • Oran (1)
  • Otan (2)
  • ouïghoure (1)
  • ouïghoure » (3)
  • Palestine (488)
  • Paléstine (540)
  • Pirates informatique (2)
  • Plastique (7)
  • Police (3)
  • Politique (183)
  • Poésie/Littérature (695)
  • Pétrole (2)
  • QATAR (5)
  • Québec (47)
  • Racisme (178)
  • Religion (73)
  • Russie-Ukraine (82)
  • RÉFUGIÉS (1)
  • Sahara Occidental (25)
  • SANTÉ MENTALE (1)
  • Santé (1)
  • Société (459)
  • Souvenirs (64)
  • Sport (12)
  • Suisse (1)
  • Syrie. (1)
  • séisme (1)
  • Séismes (17)
  • Tipaza (52)
  • Tourisme (201)
  • Tsunami (1)
  • Tunisie (72)
  • Turquie (3)
  • Ukraine (65)
  • USA (94)
  • Vietnam (13)
  • Violences policières (100)
  • Wilaya de Tipaza (214)
  • Yémen (3)
  • Zemmour (1)
  • Éducaton (2)
  • Égypte (4)
See More

Les commentaires récents

  • ben sur Qu’est-ce que l’indépendance au XXIe siècle?: les défis du prochain quinquennat
  • ben sur En Quête D’Identité
  • ben sur À la Cour internationale de justice, un revers pour Israël
  • ben sur Le spectre d’une seconde Nakba en Cisjordanie
  • ben sur Tremblements de terre ! Incertitudes et enseignements
  • GONZALEZ Francis sur Attentat du Drakkar : 58 paras meurent pour la France
  • anissa sur Camus - Kateb Yacine, deux frères ennemis !?
  • Rachid sur La femme dans la guerre d’Algerie
  • Daniele Vossough sur Moi, Roberte Thuveny et le rêve algérien de mon père
  • Seddik sur Le poison français (2e partie)

Archives

  • juillet 2024
  • juin 2024
  • mai 2024
  • avril 2024
  • mars 2024
  • février 2024
  • janvier 2024
  • décembre 2023
  • novembre 2023
  • octobre 2023

Manifeste pour la reconnaissance et la réparation des crimes et dommages coloniaux français en Algérie

 

image from www.elwatan.com
  • Louisette IGHILAHIRIZ  (Militante Nationaliste), auteure de l’ouvrage avec Anne Nivat, « Algérienne », Editions Calman-Levy, 2001.
  • Henri POUILLOT (Militant Anticolonialiste-Antiraciste) « La Villa Sesini », Editions Tirésias, 2001.
  • Olivier LE COUR GRAND MAISON (Universitaire français), auteur de l’ouvrage « Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, Editions La Découverte, 2019.
  • Seddik LARKECHE (intellectuel franco algérien), auteur de l’ouvrage, auteur de l’ouvrage « Le Poison français, lettre à Mr Le Président de la République », Editions Ena, 2017. 

 
 

1. La reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie.

La France est aujourd’hui à la croisée des chemins avec la question de savoir si elle sera capable de passer un pallier dans la gestion apaisée de ses démons mémoriels en particulier celui avec l’Algérie qui fut une des guerres les plus tragiques du 20e siècle. La problématique centrale n’est pas la repentance, les excuses ou le ni ni  avec une reconnaissance générique mais la question de la reconnaissance de la responsabilité française en Algérie, notion juridique, politique et philosophique.

Cette question de la responsabilité unilatérale de la France coloniale  est centrale au même titre que la déclaration du Président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l’Etat Français concernant la déportation des juifs durant la seconde guerre mondiale. Cette reconnaissance qui ouvra la voie à l’indemnisation de ces victimes.

La barbarie coloniale française en Algérie ne peut être édulcorée par quelques rapports fantasmés d’auteurs qui flirtent avec les pouvoirs politiques de droite comme de gauche depuis 40 ans. La question des massacres, crimes et autres dommages impose inéluctablement une dette incompressible de la France vis à vis de l’Algérie.

La stratégie développée  depuis toujours est de faire table rase du passé, une offense à la dignité des algériens. Cette responsabilité est impérative car elle peut sauver l’âme de la France qui est fracturée par ses démons du passé.

La reconnaissance de la responsabilité c’est admettre que la France s’est mal comportée en Algérie et qu’elle a créé de nombreux dommages avec des centaines de milliers de victimes et des dégâts écologiques incommensurables avec ses nombreuses expériences nucléaires et chimiques.

Que s’est-il réellement passé en Algérie durant près de cent-trente-deux années d’occupation ? La colonisation et la guerre d’Algérie sont considérées et classées comme les événements les plus terribles et les plus effroyables du XIXe et XXe siècle. La révolution algérienne est aussi caractérisée comme l’une des plus emblématiques, celle d’un peuple contre un autre pour recouvrer son indépendance avec des millions de victimes.

L’ignominie française en Algérie se traduit par les massacres qui se sont étalés sur près de cent-trente années, avec une évolution passant des enfumades au moment de la conquête, aux massacres successifs de villages entiers comme Beni Oudjehane, pour aller vers les crimes contre l’Humanité du 8 mai 45 sans oublier les attentats tels celui de la rue de Thèbes à Alger. La violence était inouïe à l’encontre des indigènes algériens. Entre 600 et 800 villages ont été détruits au napalm. L’utilisation par la France des gaz sarin et vx était courante en Algérie.  La torture à grande échelle et les exécutions sommaires étaient très proches des pratiques nazies.

La France sait qu’elle a perdu son âme en Algérie en impliquant son armée dans les plus sales besognes. Ces militaires devaient terroriser pour que ces indigènes ne puissent à jamais relever la tête. Plus ils massacraient, plus ils avaient de chance de gravir les échelons.

La colonisation, c’est aussi la dépossession des Algériens de leurs terres où ces indigènes sont devenus étrangers sur leurs propres terres.

Le poison racisme est le socle fondateur de tout colonialisme. Sous couvert d’une mission civilisatrice, le colonisateur s’octroie par la force et en bonne conscience le droit de massacrer, torturer et spolier les territoires des colonisés. La colonisation française de l’Algérie a reposé sur l’exploitation de tout un peuple, les Algériens, considérés comme des êtres inférieurs de par leur religion, l’islam.

Il suffit de relire les illustres personnages français, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum et tous les autres que l’on nous vante souvent dans les manuels scolaires.

La résistance algérienne sera continue, de 1830 jusqu’à l’Indépendance en 1962, même si de longues périodes d’étouffement, de plusieurs années, seront observées. Sans excès, on peut affirmer que la colonisation a abouti à un développement du racisme sans précédent et nourri la rancœur des colonisés.

Etrangement, plus on martyrisait la population algérienne, plus sa ténacité à devenir libre était grande. Sur le papier, l’Algérie était condamnée à capituler devant la cinquième puissance mondiale. Le bilan tragique n’a pas empêché les Algériens de gagner cette guerre d’indépendance avec une étrange dialectique. Les enfants des ex colonisés deviendront français par le droit du sol et continueront d’hanter la mémoire collective française.

On tente aujourd’hui de manipuler l’Histoire avec un déni d’une rare violence en continuant de présenter cette colonisation comme une œuvre positive, un monde de contact où les populations se mélangeaient et les victimes étaient symétriques. Une supercherie grossière pour ne pas assumer ses responsabilités historiques.

Colons et colonisés n’étaient pas sur un pied d’égalité, il y avait une puissance coloniale et des européens et de l’autre coté des indigènes avec des victimes principalement du côté des colonisés algériens. Cette population indigène a été décimé de 1830 à 1962 faisant des centaines de milliers de victimes, morts, torturées, violées, déplacées, spoliées et clochardisées, devenant des sujets sur leurs propres terres. Cette réalité est indiscutable et vouloir la noyer par quelques rapports dans un traitement symétrique c’est prolonger une nouvelle forme de déni et de domination sous couvert de paternalisme inacceptable.

Le monde fantasmé du Professeur Stora est une insulte à la réalité historique, d’autant plus grave qu’il la connaît parfaitement. Son rapport répond à un objectif politique qu’il a bien voulu réaliser pour des raisons étranges mais certaines : édulcorer les responsabilités  avec un entre deux savamment orchestré laissant supposer l’égalité de traitement des protagonistes pour neutraliser la reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie. Le rapport est mort né car il n’a pas su répondre aux véritables enjeux de la responsabilité de la France coloniale en Algérie. Le jeu d’équilibriste pour endormir les algériens n’a pas pu s’opérer car les consciences des deux côtés de la méditerranée sont alertes. Personne n’est dupe sauf ceux qui ne veulent pas assumer les démons de la barbarie coloniale française en Algérie.

2. La France face à son démon colonial où le syndrome de l’ardoise magique.

Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France a déployé une batterie de stratagèmes pour ne pas être inquiété sur son passé colonial. La France sait précisément ce qu’elle a commis durant 132 années comme crimes, viols, tortures, famine des populations et autres.  Pour se prémunir contre tous risques de poursuites, elle a exigé aux algériens d’approuver une clause d’amnistie lors du cessez le feu. D’autres lois d’amnisties furent promulguées par la suite pour tenter d’effacer toute trace de cette barbarie coloniale. La suffisance de certains est allée jusqu’a obtenir la promulgation d’une loi en 2005 vantant les mérites de la colonisation française en Algérie. Ultime insulte aux victimes algériennes qu’on torturait symboliquement à nouveau.

3. Pourquoi la France  a peur de reconnaître ses responsabilités.

Reconnaître les responsabilités  des crimes et dommages coloniaux c’est inéluctablement accepter l’idée d’une réparation politique et financière ce que la France ne peut admettre aujourd’hui face à une certaine opinion pro Algérie française encore vivace sur ce sujet.

Mais c’est aussi accepter de revoir la nature de la relation franco algérienne ou la rente permet toujours à la France de préserver sa position monopolistique sur ce marché qui est toujours sa chasse gardée.

C’est bien sûr également la peur de perdre une seconde fois l’Algérie française mythifiée, celle du monde du contact largement développée dans le rapport Stora.

Enfin,  la crainte de devoir rendre des comptes d’une manière singulière aux enfants de colonisés qui constituent le principal des populations habitant les banlieues populaires françaises où le poison racisme est omniprésent. Il suffit de lire le dernier rapport du Défenseur des droits sur les discriminations pour s’en convaincre.

Advertisements
 

Ces dernières années, un nouveau palier s’est opéré avec l’idée que ces citoyens musulmans où les algériens sont majoritaires, sont devenus en France les ennemis de la République car ils sont souvent accusés d’être les nouveaux porteurs de l’antisémitisme français. Aujourd’hui, la majorité de cette population subit une triple peine. La première est d’être souvent considérée comme étranger dans le regard de l’autre, car enfant de la colonisation, enfants de parents qui se sont battus pour ne pas être français.

Ensuite, le fait d’être musulman dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans.

Enfin, cette population est suspectée d’être porteuse du nouvel antisémitisme français car solidaire du peuple palestinien. Ces palestiniens qui sont aujourd’hui parmi les derniers colonisés de la planète. Les Algériens ont connu la même colonisation et sont unis à jamais à ce peuple opprimé par un lien indicible qui s’exprime dans les tripes et le cœur. Entre Algériens et Palestiniens demeure une identité commune avec un combat similaire contre la colonisation. Dans une continuité idéologique, la France est depuis toujours l’un des plus fervents défenseurs de l’État d’Israël. En Algérie, le peuple dans sa grande majorité est palestinien de cœur car ce que subissent les Palestiniens dans le présent, il l’a subi dans le passé par la puissance coloniale française. Ce lien fraternel est aussi visible dans la diaspora algérienne qui est presque toujours pro-palestinienne, sans forcément connaître l’origine de ce lien profond.

Ce sont ces constituants qui enferment cette population comme les supposés porteurs du nouvel antisémitisme, faisant d’elle, la cible privilégiée du poison français alors que l’on aurait pu croire que le système les en aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.  Les musulmans où les algériens sont majoritaires sont  silencieux comme s’ils avaient été frappés par la foudre. Ils sont perdus dans cette société française, égaux en droit et rejetés dans les faits par un racisme structurel aggravé par une mémoire non apaisée.

À quelques très rares exceptions, les intellectuels et relais d’opinion abondent dans le sens du vent assimilationniste. Ils espèrent en tirer profit et acceptent d’être utilisés comme des « Arabes de service » faisant le sale boulot en s’acharnant à être « plus blanc que blanc ». Leurs missions sont de vanter à outrance le système assimilationniste ou le déni de mémoire est fortement présent. Ces partisans du modèle assimilationniste savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ont vendu leurs âmes en étant du côté de l’amnésie imposée du plus fort. Leur réveil se fait souvent douloureusement lorsqu’on les relève de leur poste en politique ou dans les sphères où ils avaient été placés en tant que porte-drapeaux du modèle assimilationniste. Ils se retrouvent soudainement animés par un nouvel élan de solidarité envers leur communauté d’origine, ou perdus dans les limbes de la République qui les renvoie à leur triste condition de « musulmans » où d’enfants d »indigènes ».

La faiblesse de cette population toujours en quête d’identité et de mémoire apaisée est peut être liée à l’absence d’intellectuels capables de les éclairer pour réveiller un peu leur conscience et leur courage face à une bien-pensance très active en particulier sur ces questions mémorielles.

4. L’inéluctable réparation des crimes et dommages de la colonisation française en Algérie.

La France, via son Conseil Constitutionnel, a évolué dans sa décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, en reconnaissant une égalité de traitement des victimes de la guerre d’Algérie permettant le droit à pension aux victimes civiles algériennes. Nous nous en félicitons mais la mise en œuvre a été détournée par des subterfuges juridiques rendant forclos quasi toutes les demandes des victimes algériennes. Comme si la France faisait un pas en avant et deux en arrière car elle ne savait pas affronter courageusement les démons de son passé colonial, pour apaiser les mémoires qui continuent de saigner.

Il ne peut y avoir une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis en Algérie par la France et dans le même temps tourner le dos aux réparations des préjudices subis y compris sur le plan environnemental. La première marche du chemin de la réparation financière c’est de nettoyer les nombreux sites nucléaires et chimiques pollués par la France en Algérie ainsi que les nombreuses victimes comme le confirme l’observatoire de l’Armement.   C’est une question de droit et de justice universelle car tout dommage ouvre droit à réparation lorsqu’il est certain, ce qui est le cas en Algérie. Sauf si on considère la colonisation française en Algérie comme une œuvre positive comme la France tente de le faire croire depuis la promulgation de la loi du 23 février 2005 qui est un outrage supplémentaire à la dignité des algériens.

La France ne peut échapper à cette réparation intégrale car sa responsabilité est pleinement engagée.  D’une part c’est une question de dignité  et d’identité des algériens qui ne s’effacera jamais de la mémoire collective de cette nation.

C’est pourquoi les jeunes générations contrairement à l’espérance de certains ne cesseront d’interpeler la France et l’Algérie sur cette question mémorielle.

Sur la nature de cette réparation, la France devra suivre le chemin parcouru par les grandes nations démocratiques comme l’Italie qui, en 2008, a indemnisé la Lybie à hauteur de 3.4 milliards d’euros pour l’avoir colonisé de 1911 à 1942, mais aussi : l’Angleterre avec le Kenya, les Etats unis et le Canada avec les amérindiens ou encore l’Australie avec les aborigènes. L’Allemagne a accepté, depuis 2015, le principe de responsabilité et de réparation de ses crimes coloniaux avec les Namibiens mais butte sur le montant de l’indemnisation. Avec le risque pour l’Allemagne d’une action en justice devant la Cour Pénale Internationale du gouvernement Namibien, avec l’assistance d’un groupe d’avocats britanniques et la demande de 30 milliards de dollars de réparations pour le génocide des Ovahéréro et des Nama.

La France elle même s’est fait indemniser de l’occupation allemande durant la première et seconde guerre mondiale à hauteurs de plusieurs milliards d’euros d’aujourd’hui. Au même titre, l’Algérie indépendante doit pouvoir être réparée des crimes contre l’humanité et dommages qu’elle a subi de 1830 à 1962.

Cette dimension historique a un lien direct avec le présent car les évènements semblent se répéter, les banlieusards d’aujourd’hui sont en grande partie les fils des ex-colonisés. On continue à leur donner, sous une autre forme, des miettes avec comme point culminant cette nouvelle forme de discrimination,  poison ou racisme invisible, matérialisé dans toutes les strates de la société.

L’Histoire ne doit pas se répéter dans l’hexagone, les miettes accordées ici et là sont révélatrices d’un malaise profond de la République française. En particulier, son incapacité à fédérer tous ses citoyens, poussant certains à la résignation, au retranchement et parfois aux extrémismes.

Paradoxalement, c’est le modèle français qui produit le communautarisme alors qu’il souhaite le combattre.

Comme un exercice contre-productif, il lui explose au visage car il ne sait pas comment l’aborder. C’est aussi ce modèle qui pousse un grand nombre de ces citoyens franco algériens à ne pas être fier d’être français. Cette révolution algérienne fait partie de l’Histoire de France à la fois comme un traumatisme à plus d’un titre, mais aussi comme un lien sensible entre les Français quelles que soient leurs origines. Le cœur de cette double lecture est lié à cette singularité algérienne qui n’a jamais démenti ses attaches à l’islam. Cet islam a été utilisé par la France comme porte d’entrée pour coloniser l’Algérie et soumettre sa population. Il a aussi donné la force à cette population algérienne de faire face au colonialisme français, comme porte de sortie de la soumission.

En France et ailleurs, cette religion semble interpeller les sociétés dans lesquelles elle s’exprime. A l’heure d’une promulgation d’une loi sur le séparatisme qui risque de stigmatiser un peu plus cette population musulmane ou les algériens sont nombreux, l’enlisement semble se perpétuer comme si l’apaisement des mémoires tant voulue était un peu plus affaibli car nous sommes toujours incapable d’expliquer à nos enfants le traitement différencié à l’égard des victimes de cette tragédie historique.

5. L’Algérie face à ses responsabilités historiques.

Le silence de l’Algérie est lourd car elle n’a pas su appréhender la question de sa mémoire d’une manière énergique et l’illégitimité de ses gouvernances successives a maintenu des revendications peu soutenues à l’égard de la France. Pire, les problématiques algériennes ont trop souvent, surfé sur cette fibre mémorielle pour occulter leurs inefficiences à gérer d’une manière performante le pays.  Aujourd’hui, L’Algérie ne peut plus faire table rase du passé colonial français et se contenter de quelques mesurettes ou gestes symboliques. L’Algérie au nom de ses chouadas doit assumer une revendication intégrale, celle de la reconnaissance pleine et entière de la responsabilité des crimes et dommage de la colonisation en Algérie.

L’objectif de cette réparation n’est pas de diaboliser l’ex-puissance coloniale, mais au contraire de lui permettre de se réconcilier avec elle-même afin d’entrer définitivement dans une ère d’amitié et de partenariat. L’Algérie a laissé perdurer une approche minimaliste comme si elle était tenue par son ex puissance coloniale, tenu par le poison corruption qui la gangrène  de l’intérieur et qui la fragilise dans son rapport avec la France. Comme si l’Algérie enfermée dans une position toujours timorée avait peur de franchir la ligne de l’officialisation de sa demande de réparation alors que la France l’avait faite de son coté en légiférant en 2005 sur les bienfaits de la colonisation française en Algérie. Aujourd’hui, au nom de la mémoire des chouadas, l’Algérie doit également assumer ses responsabilités historiques.

6. L’urgence d’agir.

Sur la question mémorielle, reconnaître la responsabilité de la France sur les crimes et les dommages coloniaux y compris écologiques et les réparer financièrement au même titre que les principales grandes puissances mondiales. Abroger la loi de 2005 sur les bienfaits de la colonisation, la loi Gayssot et la loi sur l’antisémitisme pour déboucher sur une seule loi générique contre tous les racismes permettant de rassembler au lieu de diviser. Nettoyer les sites pollués nucléaires et chimiques et indemniser les victimes. Restituer la totalité des archives algérienne. Signer un traité d’amitié avec l’Algérie et suppression des visas entre les deux pays.

 

 

 

 

23 FÉVRIER 2021

https://www.elwatan.com/edition/contributions/manifeste-pour-la-reconnaissance-et-la-reparation-des-crimes-et-dommages-coloniaux-francais-en-algerie-23-02-2021

 

 

 
 

 


Rédigé le 26/02/2021 à 19:53 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

Le message VF HD COMPLET - Al Rissalah الرسالة

 

 

 

 

.

Rédigé le 15/02/2021 à 19:52 dans Culture, Islam, Religion | Lien permanent | Commentaires (0)

Fatma Zohra Benbrahem. avocate : «Il y a eu mensonge d’Etat pour couvrir un crime contre l’humanité»

 

– Comment l’Algérie s’est retrouvée parmi les plaignants contre la France devant le TPI, dans le dossiers des essais nucléaires ?

Il y a deux ans, j’ai été contactée par l’ancien président polynésien qui me demandait de travailler ensemble sur le dossier des essais nucléaires français et leurs effets.

Il faut savoir que la France n’a mis fin à ces essais qu’en 1996. Après la fin de ceux effectués en Algérie en 1967, elle a poursuivi son programme en Polynésie jusqu’en 1996, année où elle a annoncé officiellement l’arrêt des opérations. Les travaux se faisaient sous surveillance des militaires français.

C’est le même schéma qu’en Algérie. Tous les Atolls ont été atteints par les radiations. Ce programme était ultra secret. Les Polynésiens contaminés que les médias interrogeaient gardaient le silence et fondaient en larmes devant les caméras sans rien dire. Il a fallu attendre 1998 pour qu’un texte international, le Traité de Rome, qualifie le crime contre l’humanité et en identifie une série d’actes, dont les premiers sont : les expériences sur les humains.

Dans le même texte, les crimes contre l’humanité au même titre que les viols, les génocides et les déportations, sont imprescriptibles. Le plus important, en ce qui concerne le dossier nucléaire, c’est qu’ils ont été effectués sur des humains. La France n’a jamais voulu avouer ses crimes jusqu’en 2001.

– Pourquoi les victimes gardaient-elles le silence ?

Les victimes avaient très peur. Dans les reportages, on montre les effets néfastes de ces essais sur l’environnement, la flore et la faune. A la fin de son mandat, le président polynésien a constitué une association de défense des victimes des essais nucléaires et, avec l’aide des sénateurs et députés polynésiens, il a fait un travail extraordinaire en France, qui a permis par la suite de mettre fin aux essais nucléaires dans son pays.

– Comment expliquer ce silence du côté algérien ?

Jusqu’en 2001, la France n’a jamais reconnu les essais nucléaires en Algérie. Dans les Accords d’Evian, le gouvernement français avait demandé de garder la zone du Sud, pour, a-t-il dit, terminer, dans un délai de 5 ans, son programme d’«expériences scientifiques».

Ce délai expiré, il a demandé une rallonge, mais l’Algérie a refusé. Les Français n’ont pas eu le temps de démonter les installations atomiques. Ils ont tout enfoui sous terre. Ils sont partis par Mers El Kébir, à l’ouest du pays. La zone des essais était sous l’administration française jusqu’en 1967.

En 1971, lorsque M. Badani, un commandant de l’Anp, a été dépêché par le ministère de la Défense nationale, il n’a rien trouvé sur place. Cependant, il a constaté un fort taux de radiation partout. Mais il y a plus important que personne ne savait. Les Français avaient emporté avec eux les registres de l’état civil de toute la région. Ce n’est qu’en 1978 que l’Etat algérien a commencé à refaire ces registres.

– Pourquoi ?

Ces registres comportent le nombre de décès. Ils les ont pris pour dire qu’il n’y avait aucune forme de vie humaine. Ce mensonge a été inventé par la France en 1957, lorsque son représentant, Jules Moshé, a demandé aux membres du Conseil de sécurité, à l’Onu, l’autorisation de l’expérimentation d’une bombe atomique.

Advertisements
 

Il a dit que celle-ci se fera dans le Sahara algérien, où il n’y a aucune forme de vie humaine ni animale. Dissimuler les registres de l’état civil, c’est justement pour conforter ce mensonge.

– Comment vous est venue l’idée de faire partie du dossier judiciaire ?

Il faut revenir au contexte. En 2001, il y a eu la fameuse loi sur «les bienfaits de la colonisation», alors qu’il était question, pour nous, de la criminalisation de la colonisation, qui est une suite de crimes contre l’humanité. Nos références sont le tribunal de Nuremberg en 1949, qui a jugé des criminels de guerre au moment où l’Europe était en situation de guerre.

Nous avons beaucoup travaillé avec les vétérans militaires des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie. Jean-Luc Sans, président de l’Aven (Association des victimes des essais nucléaires), a constaté que tous les anciens militaires avaient développé des cancers.

Ces derniers se sont rendus compte qu’ils ont été utilisés eux aussi comme cobayes dans ces essais sans qu’ils le sachent. Ils ont fait appel à un avocat, Me Thaisonnier, pour prendre en charge leur dossier devant la justice française.

Lors de son passage à Alger, pour une conférence internationale sur les essais nucléaires, nous avons longuement discuté et il m’a sollicitée pour représenter la partie algérienne. Il avait accès à tous les documents militaires sur les essais en Algérie, cela nous permettait d’établir les relations de cause à effet. La cause constitue les essais et les effets, les maladies.

Dès que notre travail a commencé à faire bouger le dossier, le ministère français de la Défense a refusé de remettre les documents. L’avocat a obtenu un arrêt du Conseil d’Etat, lui donnant accès à toute la documentation à chaque fois que cela est nécessaire. En 2010, la France a levé le secret sur certains documents militaires et rendu publics les deux rapports des expériences dans le Sahara algérien et en Polynésie, à travers le Net. Quelques jours après, le président Sarkozy demande leur retrait, mais c’était trop tard.

Il interdit cependant la communication de ce dossier et bloque les documents. La loi Maurin détermine la période des essais en Algérie entre le 3 février 1960 jusqu’en 1967, mais aussi la zone qui est Reggane-Hamouda. Elle précise que durant cette période, les personnes qui vivaient dans cette région pouvaient prétendre à une indemnisation pour les 13 maladies retenues comme étant la conséquence de la contamination par les radiations.

Aujourd’hui, nous sommes à 16 maladies, alors que les Américains en ont dénombré 43 et les Japonais 46. Mais  reconnaître qu’il y a eu des essais et des victimes, c’est déjà un pas. Le rapport confidentiel sur ces essais fait état de la présence de 40 000 personnes dans la zone, et 150 caravanes avec 100 à 150 personnes. Les registres de l’état civil  ont été pris pour effacer l’existence de cette population exposée. La France a couvert un crime. Nous sommes devant un mensonge d’Etat.

– Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La Polynésie a déposé plainte devant le TPI, en octobre 2018, pour crime contre l’humanité. Etant dans le collectif des avocats, je représente l’Algérie et je suis en train de préparer le dossier pour en faire de même pour les victimes algériennes. Ce genre de procédure prend énormément de temps. Le tribunal va voir si les éléments constitutifs de ce crime sont réunis, avant de nous répondre.

La France a fait dans la politique de la terre brûlée, pas celle que tout le monde connaît. Elle a fait en sorte que le peuple algérien souffre dans le temps et l’espace.

Le combat juridique ne fait que commencer. J’ai besoin des autorités pour aller loin dans ce dossier. Il faut que nous discutions avec les experts de la santé, de l’hydraulique et de l’environnement pour faire aboutir notre procédure, qui est celle de tous les Algériens. La France a fait exprès de mener ses essais à la fin de sa présence en Algérie.

Elle savait qu’après 50 ou 60 ans, elle reviendra dire à la face du monde qu’elle va en Algérie pour voir les effets de ses essais. Ce qu’elle a fait  est un crime contre l’humanité, puni par les lois internationales. Il faut savoir qu’un atome de plutonium qui affecte l’ADN des humains a une durée de vie de 48 900 ans. Imaginez combien de générations vont être touchées ! 

 

 

 

 SALIMA TLEMCANI
15 FÉVRIER 2021 À 11 H 23 MIN

https://www.elwatan.com/edition/actualite/il-y-a-eu-mensonge-detat-pour-couvrir-un-crime-contre-lhumanite-15-02-2021

 

Rédigé le 15/02/2021 à 15:49 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

France-Algérie : La reconnaissance des crimes de guerre et des crimes coloniaux est avant tout une affaire franco-française

 

Après la publication du rapport de l’historien Benjamin Stora  sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, le gouvernement algérien a réclamé lundi 8 février 2021, « la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France, par la voix de son porte-parole Ammar Belhimer. Mais cette reconnaissance, aussi importante soit-elle pour la société algérienne, et elle l’est au plus haut point, est également une question éminemment importante pour la société française elle-même. 

« La résistance de la France à ne pas reconnaître ses crimes a ses raisons. Elles sont connues de ceux qui ont la nostalgie du passé colonial et l’illusion de l’Algérie française », explique M. Belhimer dans un entretien accordé au journal gouvernemental arabophone El Massa lundi 8 février. Il a également ajouté que « le criminel fait généralement l’impossible pour éviter d’admettre ses crimes, mais cette politique de fuite en avant ne peut pas durer ».

  1. Belhimer salue la remise par Paris des restes de 24 résistants algériens tués au début de la colonisation française au XIXe siècle, en juillet dernier, mais il estime que « l’accomplissement moral le plus important est la reconnaissance des crimes coloniaux de la France ».

Cette injonction algérienne officielle est en réalité comme un miroir réfléchissant qui invite les officiels français et donc la société française dans son ensemble, à un exercice d’introspection sur un point noir, très insuffisamment exploré à l’heure qu’il est, de sa propre histoire. Un exercice qui, en dehors de sa nécessité absolue, est d’ores et déjà inscrit dans une évolution logique qui semble incontournable, à condition de ne pas céder aux pressions électorales et à la tentation du déni. 

J’entends déjà les protestations : il ne s’agit pas pour moi, loin s’en faut, de dire ici que cette introspection n’est pas nécessaire en Algérie également. Car les Algériens, qui ont été les premières victimes de ce qu’on appelle la deuxième colonisation, et cela est indéniable, ont le devoir de regarder en face, et sereinement si possible, leur propre histoire. Mais là n’est pas mon sujet aujourd’hui.  

La seconde guerre mondiale 

La reconnaissance solennelle des crimes de l’Etat français sous l’occupation, a été faite par le Président Jacques Chirac le 16 juillet 1995. Peu de temps après son élection à la présidence de la République, il s’exprimait en ces termes à l’occasion du 53e anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver : « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. »

Cette reconnaissance historique, 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, fut suivie de l’engagement du Premier ministre Lionel Jospin et de son gouvernement de 1997 à 2002, et une politique de reconnaissance poursuivie par Jacques Chirac de 2002 à 2007, jusqu’à la  reconnaissance de la responsabilité de l’État français par le Conseil d’État, dans un avis daté du 16 février 2009 qui fait également état de la réparation nécessaire de « ces souffrances exceptionnelles » qui ne sauraient se résumer, selon lui, à des considérations financières mais appelle la reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l’État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doit à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles.

Des évolutions sur l’Algérie mais le chemin semble encore long

Jusqu’en 1999, la France officielle refuse de parler de « guerre d’Algérie ». Le chemin « pour faire reconnaître la vérité », selon les mots du président Macron au moment de la reconnaissance , qui était la sienne, de la responsabilité de l’État français dans la mort « sous la torture » de Maurice Audin, a été long : il a fallu attendre 1999 et une proposition de loi socialiste pour que l’Assemblée nationale reconnaisse officiellement que la France avait bien mené une « guerre » en Algérie de 1954 à 1962. Jusqu’à cette date, dans les documents officiels, « les événements » étaient qualifiés de simples « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord ».

Au plus haut sommet de l’État, tout ce qui touchait à l’Algérie, qu’il s’agisse de la colonisation ou de la guerre, a été tabou pendant longtemps. Valéry Giscard d’Estaing, premier président français à effectuer, en 1975, une visite officielle dans l’Algérie indépendante, se gardera de condamner la colonisation. Son successeur, François Mitterrand, qui était ministre de l’Intérieur et de la Justice en 1954 lors de l’embrasement de l’Algérie, n’en fera rien non plus. Lui qui avait refusé la grâce de Fernand Yveton, confiera en privé à Robert Badinter : « J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là. ». 

 Jacques Chirac a, de son côté, raconté dans ses mémoires la fin de non-recevoir qu’il avait opposée à la demande d’Alger de faire reconnaître la responsabilité de la France. « Je ne l’ai naturellement pas acceptée », écrivait-il.

En 2007, en visite à Alger, Nicolas Sarkozy déclare que « le système colonial a été profondément injuste » mais souligne « qu’à l’intérieur de ce système, il y avait beaucoup d’hommes et de femmes qui ont aimé l’Algérie, avant de devoir la quitter ». Il évoque aussi les « crimes terribles » commis pendant cette guerre « qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés ». Cette année-là, la veuve de Maurice Audin interpelle Nicolas Sarkozy sur le sort de son mari, sans obtenir de réponse du chef de l’État.

En 2012, François Hollande, également à Alger, reconnaît « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien », ajoutant que « pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal ». Il se recueille, dans la capitale algérienne, devant une plaque en l’honneur de Maurice Audin. En juin 2014, il infirme la thèse de l’évasion avancée à l’époque pour expliquer la mort du mathématicien. « Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention », affirme-t-il dans un communiqué. Le 19 mars 2016, il est le premier président de la République à commémorer la fin de la guerre d’Algérie, une initiative qui provoque une levée de boucliers.

En février 2017, le candidat Emmanuel Macron avait estimé que la colonisation de l’Algérie avait été « un crime contre l’Humanité », ce qui n’a pas manqué de susciter de violentes contestations. 

En reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la mort « sous la torture » de Maurice Audin, Emmanuel Macron opère un tournant mémoriel dont l’ampleur rappelle, selon tous les commentateurs, celui de Jacques Chirac concernant la Shoah en 1995. 

Mais pourra-t-il aller au sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie de manière générale,  aussi loin que Jacques Chirac sur la seconde guerre mondiale ? 

La réalité de l’Algérie française du point de de vue français : « un secret de famille » toujours difficile à percer

Imaginons une famille qui a un lourd secret du type « destructeur » dans la classification des psychologues. Une famille dont les membres vont si mal,  conséquence du choix (facile) de l’occultation d’une vérité difficile à reconnaître. 

Et le mal être se transmet d’une génération à l’autre, aux enfants puis aux petits enfants, sans que ces derniers ne saisissent totalement la vérité qui leur est cachée depuis si longtemps, ou par opposition, la nature du mensonge dans lequel ils ont vécu. Ils se retrouvent alors réduits à toutes sortes de spéculations, ou à des comportements inquiétants et destructeurs pour eux-mêmes et pour leur entourage. 

L’homme est un être d’interaction, nous dit la psychothérapeute Anne Ancelin Schützenberger,  et comme l’a découvert et nommé l’américain Jacob Levy Moreno (1965), il baigne dans un co-conscient et un co-inconscient familial et groupal, auxquels nous pouvons adjoindre une transmission familiale transgénérationnelle inconsciente qui se manifeste au travers de ses angoisses, cauchemars, actes manqués, accidents, etc. – souvent à des dates répétitives marquantes.

Le poids du secret, nous disent toujours les psychologues, peut être terrible et causer des ravages sur plusieurs générations.

Dans « La reine du silence » publié en 2004, la fille de l’écrivain Roger Nimier, tué dans un accident de voiture lorsqu’elle avait 5 ans, Marie Nimier, évoque admirablement les ravages causés par le fait qu’on lui a caché la vérité et qu’on ne l’a pas emmenée à l’enterrement, mais qu’on lui a seulement parlé d’un accident de voiture. Pour Marie Nimier, parler dans ce livre, c’est voir sa souffrance connue et, d’une certaine manière, reconnue par tous. 

Plus récemment, Camille Kouchner, dans son récit « La familia grande », publié en janvier aux éditions du Seuil, met au grand jour un secret qui lui a fait tant de mal et qui a fait tant de mal à sa famille : l’inceste dont a été la victime son frère jumeau. Elle parle dans ce livre pour dire cette horrible vérité dont la dissimulation et l’impunité l’a faite souffrir et a fait souffrir toute sa famille, durant des années. Puisque les faits sont prescrits, parler, pour elle, au grand jour, sans être contredite par l’auteur des faits,  est synonyme de reconnaissance de ce qui est arrivé. 

Selon les psychanalystes Nicolas Abraham et Marie Török, les secrets sont traumatisants à dire, et la première génération a le souci d’en protéger la famille et les enfants trop petits pour y faire face. Pour ce qui concerne la seconde génération, le non-dit devient comme un caveau interne, une tombe ou une crypte dans son cœur, et ensuite comme un “fantôme” clamant et se manifestant par des maux.

Freud disait : « Ce que la bouche tait, s’exprime par les doigts » et Anne Ancelin Schützenberger : « Ce que l’on ne met pas en mots, s’imprime et s’exprime par des maux ».

La psychologue Florence Calicis écrit également : « Parfois, nos patients, qu’ils soient enfants, adolescents ou adultes, souffrent mais, malgré leurs recherches dans leur histoire personnelle, et ce, avec notre aide, ils n’identifient pas d’événements traumatiques majeurs ou de raisons d’aller si mal. Avec l’expérience, j’ai trouvé fort important d’explorer avec eux l’histoire de leur famille d’origine, et parfois sur plusieurs générations. La clé de l’énigme s’y est souvent trouvée. Car on peut avoir hérité des traumatismes de ses ancêtres, sans en être conscient. »

Car il y a les « transmissions invisibles » comme l’écrit clairement également Anne Ancelin Schützenberger. Il y a de l’indicible et de l’implicite dans nos vies, des « habitus » qui se co-construisent, et se transmettent,  mais aussi de grandes blessures.  

La révélation de ces secrets, quelle que soit la difficulté à le faire, est un préalable pour tout travail de reconstruction ou de co-reconstruction, à toute forme de salut. 

Le déni de cette réalité est une grande souffrance pour les parties prenantes, en même temps qu’une bombe à retardement pour tous. 

Seule la vérité peut apaiser 

Quittons donc les familles pour aller plus loin, vers des communautés de femmes, d’hommes et d’enfants. Les liens sociologiques entre les familles et les communautés sont par ailleurs si fort et les analogies existent dans le langage même et dans les fonctionnements. Ainsi une communauté religieuse secrète et ancienne à Paris et révélée récemment s’appelle-t-elle « la Famille ». Il en est de même pour les organisations mafieuses comme les « cinq familles » new-yorkaises fondée à partir du dix-neuvième siècle. Le dictionnaire Larousse donne les deux définitions suivantes d’une communauté : « Ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs. » et « Ensemble des citoyens d’un État, des habitants d’une ville ou d’un village. ».

 Etant entendu que les mécanismes anthropologiques qui régissent ces communautés sont comparables en plusieurs points à celles des familles nucléaires ou élargies et que le lien de « filiation » même recouvre en réalité deux formes différentes : il a une dimension biologique certes, mais également « adoptive » et constitue le fondement absolu de l’appartenance sociale. Au-delà des questions juridiques qui entourent la définition du lien de filiation, les sociologues, mais aussi les psychologues, les psychologues sociaux et les psychanalystes, insistent sur la fonction socialisatrice et identitaire de ce lien. Il contribue à l’équilibre de l’individu dès sa naissance puisqu’il lui assure à la fois protection (soins physiques) et reconnaissance (sécurité affective).  

Tenant compte par conséquent de cette analogie, on conclut que si l’on considère la communauté française dans son ensemble, on peut affirmer  qu’il y a des modes de fonctionnement de cette dernière qui s’apparentent à ceux d’une grande famille : sentiment d’appartenance, histoire et secrets.

Auschwitz est devenu un musée, mais la vérité sur le camp d’extermination a mis plusieurs décennies à être connue et reconnue. 

Quelle vérité ? Qu’Auschwitz fut la plus grande usine de mort de la Solution finale, la plus grande des machines mises en place pour en finir avec les Juifs et les Tziganes.

Longtemps, dans le bloc soviétique tout comme à l’Ouest, on a voulu ignorer la spécificité du génocide. Les « déportés raciaux » furent confondus avec les « déportés politiques ». 

Ne pas reconnaître la réalité des camps de la mort et le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale, c’était à coup sûr saper toute chance de paix entre les français eux-mêmes, toute chance d’apaisement de la société française, et toute chance de réconciliation en Europe. Car dans la grande communauté européenne, il n’aurait pas été possible d’obtenir des relations saines et durables entre les différents membres, avec des secrets et des crimes abominables qui ne sont même pas reconnus. 

De manière générale de surcroit comme chacun sait, et à travers cette lapalissade que j’ose avec une analogie à nouveau (personne- société) :  être en paix avec soi-même précède toute possibilité d’une relation sereine avec les autres. 

C’est le cas pour la reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l’Etat français pendant la seconde guerre mondiale qui touchent à la fois la France elle-même, et ses relations avec les autres pays du monde. 

La reconnaissance est un préalable à toute avancée, notamment lorsqu’il s’agit de crimes. La reconnaissance de la vérité tout simplement,  lorsque cette dernière est de surcroît clairement  établie,  par le travail  des historiens. Il n’y a que la vérité qui puisse apaiser les consciences. 

Un mouvement international en marche, avec une France qui semble encore en retrait

L’Allemagne a décidé de qualifier de génocide les massacres commis sur les Hereros et les Namas entre 1904 et 1908 par son armée, dans l’actuelle Namibie. Cette extermination était « un crime de guerre et un génocide », a reconnu, vendredi 10 juillet 2015, le ministère des affaires étrangères allemand. Par ailleurs, en 2011 et 2014, des crânes d’Africains expédiés en Allemagne à des fins « anthropologiques » ont été restitués aux autorités namibiennes. Des négociations ont effectivement lieu depuis 2015 entre les deux pays en vue de panser ces plaies historiques.

Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Le roi Philippe, héritier de la monarchie belge, exprimait publiquement, et pour la première fois, ses « profonds regrets » pour les « blessures » causées par la colonisation. Dans une lettre remise à Felix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo, il évoquait « les actes de violence et de cruauté qui ont été commis et qui pèsent encore sur notre mémoire collective ».

Partout dans le monde, dans le sillage de la mort de George Floyd, des citoyens s’insurgent contre des avenues ou des statues érigées à la gloire de personnalités controversées, qui ont cautionné l’esclavage ou la colonisation. Des statues d’hommes liés à l’esclavage ou aux colonies sont déboulonnées en Belgique et au Royaume-Uni. 

San-Francisco débaptise un tiers de ses écoles aux noms désormais controversés. Ainsi en a décidé une commission chargée d’éliminer la glorification de personnalités liées à l’esclavage, au racisme ou aux violations des droits de l’homme.

Mais en France, et si on se limite à la colonisation de l’Algérie, aucune reconnaissance officielle à ce jour des nombreux crimes commis, pourtant établis historiquement, au nom de l’Etat français, au nom de la « mission civilisatrice » de la France, depuis 1830. 

Sans être dans l’angélisme vis-à-vis de ce qui est amorcé ailleurs, le constat aujourd’hui est qu’en France, le processus semble plus complexe à s’installer pour des raisons qu’il ne s’agit pas d’analyser ici.

Le Maréchal Bugeaud : ce que dit l’histoire

Prenons ici un exemple, un seul exemple parmi tant d’autres, tristement célèbre, mais il reste, hélas, un seul exemple ;   car ils sont innombrables dans cette histoire d’aliénation, d’humiliation, de mort et de crimes, qui n’en finit pas, cette histoire qui ronge encore l’Algérie et la France  :

Thomas-Robert Bugeaud, maréchal français ayant vécu au 19e siècle, a participé à la colonisation de l’Algérie en commettant d’abominables massacres (parfaitement reconnus par les historiens, qui se sont basés sur des archives tout à fait officielles). 

Nous ne parlons pas ici de supputations, mais de faits établis historiquement et qui ne sauraient être réfutés. 

Le général Bugeaud  instaure une prime à la tête coupée et qui encourage décapitations, vols, pillages, assassinats collectifs par « enfumades » dans des grottes et autres emmurements des combattants… Son disciple, le général Achille de Saint-Arnaud, témoigne avec fierté le 17 juillet 1851 : 

« J’ai fini la campagne comme je l’ai commencée, par une brillante affaire […]. On a tué plus de deux cent kabyles. Le camp est plein d’armes et d’oreilles. ».

Pourtant, on peut toujours se promener rue Bugeaud à Marseille ou Lyon, arpenter l’avenue Bugeaud à Paris, ou prendre en photo une statue du maréchal Bugeaud à Périgueux encore aujourd’hui. 

Dans le même temps et tout à fait logiquement, tous ces crimes qui sont imputables au Maréchal Bugeaud  et qui sont connus encore une fois des historiens ; ces crimes qui ont été commis au nom de la France ne sont toujours pas reconnus officiellement par cette dernière, comme des crimes de guerre, ou des crimes contre l’humanité : L’article 7 du « Statut de Rome » donne la liste des crimes de droit commun qui sont des crimes contre l’humanité dès lors qu’ils sont commis sur ordre « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile » : meurtre ; esclavage ; déportation ; emprisonnement abusif ; torture ; abus sexuels ; persécution de masse ; disparitions ; apartheid…

Il semble évident que sans un regard historique apaisé sur cette réalité (journal télévisé de France 2 récemment : La France doit -elle reconnaitre des torts en Algérie ? Poser la question de cette manière est assez glaçant…) sans qu’elle soit présente dans les manuels d’histoire et sans reconnaissance officielle des crimes commis par le Maréchal Bugeaud au nom de la France (peut-on encore se poser des questions sur le caractère criminel de ces faits historiques ?), il sera très difficile d’apaiser une société française qui est au fond d’elle-même très blessée, malade même de cette réalité, encore cachée puisqu’elle n’est pas reconnue au grand jour. 

Il sera, bien entendu, et dans le même temps, impossible d’aboutir à des relations apaisées en Français et Algériens. Entre la France et les rive sud de la méditerranée par extension.  

Au lieu de cela, de cette logique implacable d’une vérité qui prend l’escalier (en lieu et place de l’ascenseur que prennent souvent le mensonge et le déni) mais qui finit toujours par s’imposer, la société française est encore confrontée pour ce qui concerne son histoire algérienne, à une ignorance qui s’est historiquement installée, et dont il serait bien long ici encore d’expliquer les mécanismes mis en place sciemment et méthodiquement et tout au long de cette histoire, toujours dans le but de justifier l’injustifiable. 

Elle est également confrontée au déni, mais aussi à une résurgence (même si elle a toujours été là), d’une dangereuse pensée raciste et néocolonialiste que nous aurions pensée désuète. 

On peut citer dans le même ordre d’idée d’autres exemples historiques édifiants : du siège de Zaatcha, en 1849 par les troupes du général Herbillon, à la guerre de 1871 de Mokrani et de Cheikh Aheddad, en passant par les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata, déclenchés par les évènements du 8 mai 1945, jusqu’aux massacres du 14 juillet 1953 à Paris, puis du 17 octobre 1961 toujours à Paris, la torture, les viols et les  exactions commises pendant la guerre de 1954 – 1962…et c’est loin d’être exhaustif. 

No future ? 

La réalité encore aujourd’hui, est le  déni, le refoulé de la colonisation et de la guerre d’Algérie, mais  aussi le « complexe de Néron », encore bien installé et théorisé par Albert Memmi dans son « Portrait du colonisé ». Le complexe de Néron consiste à continuer à chercher par tous les moyens des justifications à des actes, encore une fois, injustifiables, jusqu’à par exemple, pointer les effets « positifs » de la colonisation (loi du 23 février 2005) voire à assumer publiquement le crime pour certains, comme on a pu le voir récemment de la bouche d’un chroniqueur français, pourtant d’origine algérienne, qui a affirmé qu’il se situait “aujourd’hui du côté du général Bugeaud”. 

Cette réalité n’est pas seulement un grand obstacle à des relations algéro-françaises sereines en 2021, elle est un obstacle pour la société française elle-même ; elle implique tous les français, qu’ils soient d’origine algérienne ou non. Des citoyennes et des citoyens de la famille « France » qui ont besoin de cette reconnaissance, donc de la vérité pour apaiser leurs esprits. Car justice ne pouvant être faite en raison des nombreuses lois d’amnistie qui se sont étalées de 1962 à 1982, il ne reste donc plus qu’un acte politique qui puisse s’accompagner d’une pédagogie, d’un travail de grande ampleur, pour résoudre une ancienne équation qui ne saurait ne pas trouver de solutions, car il y va de chacun, et surtout des jeunes. Il y va de l’avenir…

…A moins que le qualificatif envisageable juridiquement** de « crime contre l’humanité » remette en cause l’ordre établi, car (seuls) les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, comme l’a rappelé Robert Badinter récemment.

Toutes les affirmations de cet article sont référencées. L’auteur, faute de temps, ne les a pas toutes citées, mais se tient à disposition des lecteurs si nécessaire pour cela.  

*Hafid ADNANI est né en Algérie. Journaliste et cadre supérieur de l’éducation nationale, il est également doctorant en anthropologie au Laboratoire d’Anthropologie sociale du Collège de France. 

**y compris sur le plan juridique contrairement à ce qu’on entend : une convention internationale, ratifiée par la France, puis entrée en vigueur le 23 décembre 2010, fait de la disparition forcée (par exemple) un crime contre l’humanité. Et trois ans plus tard, le code pénal français reprend cette qualification : article 211-1 et définit la disparition : article 221-12. 

 

 

 

HAFID ADNANI
15 FÉVRIER 2021

https://www.elwatan.com/edition/contributions/france-algerie-la-reconnaissance-des-crimes-de-guerre-et-des-crimes-coloniaux-est-avant-tout-une-affaire-franco-francaise-15-02-2021

 

 
 

Rédigé le 15/02/2021 à 15:07 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

France-Algérie : les essais nucléaires au cœur des questions mémorielles

 

61 ans après le premier essai nucléaire français dans le Sahara algérien, la question des indemnisations et de la décontamination des sites est toujours d’actualité.

 

 À l'orée du Tanezrouft, le terrible « désert de la soif » embusqué dans le sud-ouest du Sahara algérien, il est difficile d'imaginer que là, à quelques encablures de la petite bourgade de Taourirt, ensevelie par l'ennui et la poussière, la France est devenue la quatrième puissance nucléaire. C'était un 13 février 1960, après son premier essai – le plus puissant premier essai nucléaire jamais réalisé – : l'opération Gerboise bleue et ses 70 kilotonnes de fracas et de radiations. Mais ce désert, dans la région de Reggane, n'est pas aussi désertique qu'il y paraît. L'essai nucléaire (quatre fois la puissance d'Hiroshima) s'effectue en présence de soldats et de journalistes français, d'ouvriers algériens, et tout proche (à peine 70 km) des villages alentour.

 

« Les hommes ont pleuré »

Le nuage radioactif se propagera, en 24 heures, jusqu'en Afrique centrale, et, trois jours plus tard, atteindra les côtes espagnoles et la Sicile… Sur place, l'impressionnant cratère noir carbonisant le sol est toujours visible, même sur les images satellitaires. « Avant l'explosion, les Français nous ont demandé de sortir des maisons. Ils avaient peur qu'elles s'effondrent. Et puis, on nous a dit de nous mettre à plat ventre par terre, le bras devant les yeux », se souvenait Mohamed Belhacen, dernier survivant de son équipe de quinze ouvriers sur le chantier de la base de Reggane, rencontré il y a quelques années. « Il y a d'abord eu une lumière, comme un soleil. Puis un quart d'heure après, un bruit assourdissant et, enfin, l'onde qui s'est propagée dans le sol, pareille à celle d'un tremblement de terre qui vous emporte dans les profondeurs… On a vu de la fumée noire, jaune, marron qui montait très haut. On ne comprenait pas, mais on savait que c'était un jour noir. Les hommes ont pleuré », poursuit Mohamed Belhacen, dont les deux enfants en bas âge sont tombés malades quelques mois après l'explosion. « C'était écrit, ou bien c'était la bombe. »

Son cas n'est pas isolé. Mais longtemps, son drame, et celui de milliers d'autres, sera enseveli sous le silence officiel et les roches contaminées de cet immense désert. Car la question des essais nucléaires est restée un tabou : peut-être est-ce lié au fait que la France a continué à faire exploser ses bombes (17 en tout) dans le Sahara algérien jusqu'en… 1966, quatre ans après l'indépendance. Sans oublier que ces mêmes zones contaminées avaient, au début des années 1990, abrité les « camps du Sud » où l'armée cantonnait les milliers de suspects islamistes.

Préconisation de la poursuite du travail conjoint sur les lieux des essais nucléaires

Ce n'est qu'en 1996 que la question s'officialise par le biais de l'ancien ministre des Moudjahidine (anciens combattants), Saïd Abadou, seul officiel à oser se déplacer au « point zéro » de l'impact de Gerboise bleue, et, du haut d'un bunker scellé de l'ancienne installation française, dénoncer le « crime ». En parallèle, les toutes premières recherches indépendantes sur les conséquences des essais nucléaires ont débuté en 1990, grâce à l'Observatoire des armements.

Dans son rapport sur la mémoire de la guerre d'Algérie remis le 20 janvier à Emmanuel Macron, l'historien Benjamin Stora a préconisé « la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pose de mines aux frontières ». En 2007, dans le sillage de la visite à Alger du président Nicolas Sarkozy, un groupe de travail algéro-français a été mis en place pour expertiser les sites nucléaires, établir un état des lieux sur leur dangerosité et un diagnostic pour une décontamination. Deux autres groupes de travail mixtes ont été créés à l'occasion pour plancher sur la question des archives et sur celles des disparus de la guerre d'Algérie. Mais depuis une dernière réunion en 2016, aucune nouvelle n'avait filtré de ces trois groupes de travail jusqu'à août 2020. Le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, avait alors affirmé que « les diverses commissions » reprendraient leurs réunions après la pandémie.

Les limites de la loi Morin

À rappeler aussi qu'après la loi française du 5 janvier 2010, ou loi Morin, sur la reconnaissance et sur les indemnisations des victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie, certains dossiers concernant des cas algériens ont été déposés. « Si 75 propositions d'offre d'indemnisation ont été faites auprès de victimes civiles et militaires ayant séjourné en Algérie durant la période des essais, une seule victime habitant en Algérie a reçu une indemnisation en près de dix ans ! » expliquent les auteurs de l'étude « Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du traité sur l'interdiction des armes nucléaires », publiée par la fondation Heinrich-Böl et rendue publique fin août 2020.

 

« Cette importante différence de traitement s'explique en grande partie par l'impossibilité pour les habitants et les populations laborieuses des oasis (PLO), selon le nom donné aux travailleurs algériens recrutés pour effectuer différents travaux, de prouver leur présence par des documents écrits sur les zones désignées par la loi, sans oublier l'absence de documents pour la demande d'indemnisation en langue arabe… » Pour l'historien algérien Mohame El Korso, cette loi serait « évasive » et « injuste » : il appelle à la révision de la loi du 5 janvier 2010 et demande à Paris de « tenir ses engagements d'indemniser les victimes, dont la plupart sont décédées », indiquant « que les séquelles radioactives persistent à travers les générations ». « L'historien évoque, à ce propos, la recrudescence, dans ces régions, de plusieurs types de cancer, notamment la leucémie et le cancer de la peau, l'apparition d'anomalies congénitales et l'enregistrement de problèmes d'infertilité à large échelle », rapporte l'agence officielle algérienne APS. 

L'armée algérienne et l'option TIAN

« Je reconnais que les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires », avait reconnu l'ancien président François Hollande en 2016. Alger semble attendre la même reconnaissance. Et c'est par la voix de l'armée qu'elle le rappelle à travers le magazine officiel du ministère de la Défense, El Djeïch, début février. « La France doit assumer ses responsabilités historiques, surtout après que 122 États de l'Assemblée générale de l'ONU ont ratifié, le 7 juillet 2017, un nouveau traité sur l'interdiction des armes nucléaires [Tian], qui vient s'ajouter aux traités antérieurs. Le principe du pollueur payeur y a été d'ailleurs introduit et reconnu officiellement », a déclaré le chef de service du génie de combat, le général Bouzid Boufrioua.

Or, la France n'est pas signataire du Tian, le jugeant, comme l'explique le site du Quai d'Orsay, « inadapté au contexte sécuritaire international marqué par la résurgence des menaces d'emploi de la force, le réarmement nucléaire russe, les tensions régionales et les crises de prolifération ». De son côté, l'Algérie a signé ce traité, en 2017, sans pour autant le ratifier. « La ratification du traité lui permettrait notamment de faire appel aux autres États parties du traité pour l'aider dans ses obligations de prise en charge des victimes et de réhabilitation de l'environnement affectés par les essais. Cela renforcerait sa demande à la France de réparation », explique l'Observatoire de l'armement.

 

Par Adlène Meddi, à Alger

Publié le 13/02/2021 à 12h38

https://www.lepoint.fr/afrique/france-algerie-les-essais-nucleaires-au-coeur-des-questions-memorielles-13-02-2021-2413833_3826.php

 

 

Patrice Bouveret. Directeur de l’Observatoire des armements et co-porte-parole de l’ICAN France : «La ratification du TIAN par l’Algérie renforcerait sa demande à la France de réparation»

image from www.elwatan.com
Photo : D. R. - Patrice Bouveret
 
 
 

– A l’appui du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur le 22 du mois de janvier dernier, l’Algérie peut-elle amener l’Etat français à assumer ses responsabilités quant aux conséquences environnementales, sanitaires et humaines des essais qu’il a réalisés en Algérie et dont les séquelles perdurent à ce jour ?

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) oblige, pour la première fois dans le droit international, les Etats membres à prendre en charge les victimes et à réhabiliter l’environnement impacté par l’utilisation des armes nucléaires. Cela représente une avancée importante qui ne figurait pas, par exemple, dans le Traité sur l’interdiction des essais nucléaires adopté par l’ONU en 1995, bien que cela avait été souhaité par certains Etats.

L’Algérie a non seulement participé à l’ONU au processus de négociation du TIAN, mais elle est également intervenue pour que la réparation des dégâts provoqués par les essais nucléaires soit intégrée dans le traité. Il serait important qu’elle ratifie au plus vite le traité, qu’à ce jour elle a seulement signé depuis le 20 septembre 2017, jour de l’ouverture à la signature.

En effet, la ratification du traité lui permettrait notamment de faire appel aux autres Etats parties du traité pour l’aider dans ses obligations de prise en charge des victimes et de réhabilitation de l’environnement affecté par les essais. Cela renforcerait sa demande à la France de réparation.

Toutefois, la France refusant de reconnaître le TIAN et donc d’y adhérer, ce dernier ne lui confère aucune obligation juridique, compte tenu des règles actuelles de fonctionnement des instances internationales. Pour autant, il n’en est pas de même au niveau politique et éthique, d’autant plus pour un pays qui se veut le fer de lance du respect du droit international.

– L’ICAN France (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) dont vous êtes co-porte-parole, déclarait dans un communiqué que «malgré les dernières tentatives de pression des Etats nucléaires, de la France notamment, ce traité va fonctionner pour engager le désarmement nucléaire, renforcer la lutte contre la prolifération nucléaire, prendre en compte l’environnement pollué par les essais nucléaires et assurer aux populations victimes de ces essais une assistance sanitaire». Est-ce que vous pouvez nous donner plus de précisions ?

Dans leur conception même, les armes nucléaires sont illégitimes au regard du droit international depuis leur création. Avec l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction sur les armes nucléaires, elles sont désormais illégales, c’est-à-dire que leur fabrication, leurs tests, leur utilisation et la menace d’utilisation, leur commerce, leur financement, sont interdits.

Certes, la communauté internationale reposant sur la règle de la souveraineté nationale, les traités adoptés par l’ONU n’engagent que les Etats qui en sont membres. Toutefois, le TIAN crée une nouvelle norme internationale qui vient notamment renforcer les engagements du Traité de non-prolifération (TNP), en vigueur depuis 1970.

Le TNP prévoit l’obligation pour ces 193 Etats membres – dont la France et les principales puissances nucléaires – de négocier «de bonne foi» et «à une date rapprochée» un désarmement nucléaire généralisé.

Le TIAN vient donc accroître la pression pour renforcer la sécurité collective et donne aux citoyens, aux ONG et à une majorité d’Etats de la planète, des outils supplémentaires pour libérer le monde des armes nucléaires.

Parmi eux, l’interdiction du financement de l’industrie d’armements nucléaires, mais aussi l’obligation de réparation comme évoqué précédemment. Ce nouveau traité renverse la charge de la preuve : en voulant maintenir leur arsenal, les puissances nucléaires deviennent des «délinquants» au regard du droit international.

– En présentant en août 2020 l’étude «Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires»*, vous aviez indiqué que de nombreuses raisons techniques, juridiques et politiques expliquent pourquoi le dossier des essais nucléaires ne peut être clos. Là aussi, pouvez-vous être plus explicite ?

Il faudrait pouvoir sortir la gestion du dossier des conséquences des essais nucléaires français au Sahara de la question coloniale qui gangrène les relations entre les deux pays. Ce qui est extrêmement difficile, dans la mesure où l’Algérie est le seul pays à avoir subi des essais de son ancien colonisateur après en avoir eu comme colonisé. La majorité des essais – 11 sur 17 – ont eu lieu après 1962, donc de fait avec l’accord du gouvernement algérien.

Les accords d’Evian n’ont pas défini de cadre précis pour la restitution des zones où ont eu lieu les explosions nucléaires. Or, la situation nécessite une collaboration étroite entre les deux pays. Le dossier ne peut être clos juste en indemnisant quelques milliers de personnes ou en enfermant les déchets les plus visibles.

Nous sommes face à des problèmes qui s’inscrivent dans une échelle de temps qui dépasse les évolutions politiques de nos sociétés, les conflits d’intérêts et donc qui nécessitent une véritable volonté politique de coopération sur le long terme en faveur du bien commun des populations.

En effet, les explosions nucléaires ont enfermé dans les galeries creusées dans le Tan Affela des quantités de matières hautement radioactives, et ce, pour des milliers d’années.

Un certain nombre de déchets laissés sur place, une partie des laves radioactives issues principalement de l’accident Béryl du 1er mai 1962, peuvent être récupérés et envoyés sur un site conçu pour le stockage des matières nucléaires. Mais la boule de matières radioactives créée par l’explosion au fond des galeries peut se fissurer et libérer de la radioactivité venant contaminer, par exemple, la nappe phréatique ou la chaîne alimentaire.

Advertisements
 

De même, sur le plan sanitaire, l’impact des explosions ne concerne pas seulement les personnes présentes à l’époque des essais, mais également leurs descendants sur une ou plusieurs générations !

– Qu’entendiez-vous lorsque vous avez affirmé qu’avec cette étude, vous souhaitez contribuer à un «débat qui aborde les trois dimensions des essais nucléaires : leur irresponsabilité du point de vue de l’environnement et de la santé publique, leurs effets déstabilisateurs d’un point de vue politique et leur injustice d’un point de vue postcolonial» ?

Nous souhaitons sortir le débat des contingences historiques, politiques, dans lequel il est enfermé pour remettre au cœur du sujet la sécurité sanitaire, environnementale, des populations impactées par les essais contre leur gré. Les effets de la radioactivité ne se sont pas éteints avec le départ du colonisateur, comme nous le soulignons dans la question précédente.

Mais une prise en compte concrète des conséquences sanitaires et environnementales du nucléaire nécessite également une remise en cause de la place de l’arme nucléaire au sein même de la société française, comme dans ses relations avec les autres Etats de la planète.

– Comment expliquez-vous l’absence d’avancées diplomatiques sur ce dossier des essais nucléaires français en Algérie alors qu’une commission mixte a été mise en place en 2007 et qu’en 2014, un nouveau groupe de travail algéro-français a été désigné en application de la «Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie», signée le 19 décembre 2012 ? Lequel groupe de travail ne s’est réuni qu’une fois en Algérie en 2016…

Il me paraît important de préciser en préalable pour les lecteurs algériens que les victimes polynésiennes ou métropolitaines rencontrent, elles aussi, de nombreuses difficultés pour faire valoir leurs droits. La loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin, a été obtenue en 2010 après plus de dix ans d’actions menées par les associations et leurs soutiens auprès des parlementaires, des autorités politiques et militaires, des médias.

Il a fallu ensuite encore quasiment une dizaine d’années pour que la loi puisse commencer à bénéficier aux victimes. De janvier 2010 à décembre 2019, seulement 363 personnes ont reçu une indemnisation. Certes, parmi elles, seulement une personne réside en Algérie. C’est extrêmement peu au regard du nombre de victimes !

Nous nous heurtons à une absence de volonté politique et un refus des autorités françaises de reconnaître que les essais nucléaires – au Sahara comme en Polynésie – ont pu mettre en danger la vie et l’environnement d’une partie de la population.

Du côté de l’Etat algérien, la question, me semble-t-il, se complexifie avec l’imbrication de la question coloniale et du fait de l’acceptation de sa part de la poursuite des essais durant les cinq premières années de l’indépendance qu’il s’agit de masquer. Il y a aussi la difficulté des associations de victimes algériennes à pouvoir faire entendre leurs revendications de manière plus forte.

– Qu’est-ce qui empêche, selon vous, la levée du secret-défense et la déclassification des archives soixante-et-un ans après les faits ?

La difficulté de l’Etat français de reconnaître son implication dans la prolifération nucléaire et qu’il a mis en danger, en connaissance de cause, la santé et la sécurité des populations en Algérie comme en Polynésie. L’ouverture des archives pourrait conduire, par exemple, à des actions juridiques à l’encontre de certains responsables.

L’arme nucléaire a été imposée en France dans le secret, sans que soit organisé de débat sur sa pertinence, son coût, ses conséquences à tout point de vue, les risques que cela entraîne. Rendre visibles tous ces éléments entraînerait une remise en cause de sa pertinence, ce que les autorités politiques se refusent au mépris de la démocratie, au niveau national comme d’ailleurs au niveau international.

– Dans son rapport sur «La colonisation et les mémoires de la guerre d’Algérie», Benjamin Stora fait un certain nombre de préconisations. Contribueront-elles à faire avancer le dossier, pour peu que le président Macron décide de les mettre en œuvre ?

La remise du rapport de l’historien Benjamin Stora au président Emmanuel Macron a provoqué une avalanche de réactions virulentes de part et d’autre de la Méditerranée, reposant souvent sur des malentendus et des jeux de concurrence des mémoires.

Parmi les nombreuses recommandations, celle concernant les essais nucléaires peut paraître bien «timide» et limitée face aux enjeux : «la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences». Quand on sait que la première décision de ce travail conjoint date de 2007, et qu’elle est restée lettre morte !

Mais il faut maintenant attendre la publication du rapport et des recommandations que doit remettre Abdelmadjid Chikhi au président Tebboune. C’est à partir de la publication de ces deux documents que pourra s’élaborer une nouvelle feuille de route entre la France et l’Algérie.

Pour que le dossier avance, il faut qu’il y ait une volonté partagée de part et d’autre d’accepter de sortir d’une résolution globale de la situation tumultueuse et conflictuelle entre les deux pays et mettre en place des actions pragmatiques en s’appuyant sur les différentes études déjà réalisées et les besoins exprimés par la population concernée.

Coauteur avec Jean-Marie Collin de Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, étude de l’Observatoire des armements et de ICAN France, publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020. Disponible par téléchargement sur : www.obsarm.org

 
 



NADJIA BOUZEGHRANE
13 FÉVRIER 2021 À 10 H 36 MIN

https://www.elwatan.com/edition/actualite/la-ratification-du-tian-par-lalgerie-renforcerait-sa-demande-a-la-france-de-reparation-13-02-2021

Rédigé le 14/02/2021 à 19:23 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

Avoir 17 ans dans l'OAS, le combat perdu pour l'Algérie française

 

image from tipaza.typepad.fr

 

L'attentat qui m'a le plus marqué, ça a été au Cirque Monte-Carlo en septembre 1960. Là vous réagissez de manière brutale et bestiale". Peu de temps après, Régis Guillem rejoignait l'Organisation armée secrète (OAS) qui allait à son tour ensanglanter l'Algérie.

Soixante ans après la création de l'OAS, le 11 février 1961, ces trois lettres restent associées aux pages les plus noires de la Guerre d'Algérie, entre insurrection pro-Algérie française et coups de force d'ultras de l'extrême droite qui débordèrent en métropole.

Pour Régis Guillem, jeune aide-comptable de Mostaganem (Ouest de l'Algérie), l'OAS devient alors l'ultime rempart contre le Front de libération nationale (FLN) qui mène lui-même une lutte sans merci pour l'indépendance de l'Algérie depuis 1954.

"A l'âge de 12 ans, j'avais déjà vu des têtes décapitées le long d'une voie ferrée. C'était des garde-barrière, le mari et la femme", raconte-t-il.

Mais le "déclic" qui le conduit à prendre les armes, ce sera l'attentat du Cirque Monte-Carlo à Mostaganem, qui fait cinq morts et une cinquantaine de blessés.

La voix de Régis Guillem, aujourd'hui âgé de 76 ans et directeur commercial à la retraite à Royan (Ouest de la France), se brise encore au souvenir de cette soirée-là.

"Quand mon ami a pris sa fiancée, qui était là, elle n'avait plus de jambes. La bombe était tombée sur elle", dit-il.

"Je me suis dit +maintenant ce sera œil pour œil, dent pour dent+", ajoute le futur combattant de l'OAS, d'abord passé par Jeune Nation, un mouvement nationaliste révolutionnaire né en métropole qui s'implanta en Algérie à la fin de l'année 1956.

- "Un travail à faire" -

"A partir de ce moment-là, avec des amis, on a commencé à faire ce qu'on appelait du contre-terrorisme. Ensuite, l'OAS est arrivée, j'ai été recruté parce que j'avais déjà un petit commando", relate Régis Guillem.

"Récupération" de véhicules, d'armes, hold-up pour collecter des fonds: le jeune combattant de l'Algérie française participe d'abord à la logistique inhérente à toute organisation clandestine.

Passé de Mostaganem à la grande métropole voisine d'Oran, où la guérilla urbaine fait rage, il se retrouve aux prises avec les gardes mobiles, parfois dans de véritables combats de rue.

Mais il va aussi être associé à des opérations beaucoup plus musclées au coeur même de l'ADN de l'organisation: le "ciblage" et l'élimination des "adversaires" de l'Algérie française.

Avocats de militants FLN, commerçants suspectés d'alimenter l'organisation, fellaghas, communistes, policiers et militaires traquant l'OAS ... au moins 2.200 personnes seront tuées en Algérie ou en métropole, victimes de plasticages, d'exécutions sommaires ou d'attentats collectifs.

S'il dit ne "rien regretter", Régis Guillem reste peu disert sur les homicides volontaires qui lui seront reprochés quelques années plus tard par la justice française. Des accusations auxquelles il échappera en s'engageant dans la Légion étrangère.

"J'avais un travail à faire, je le faisais", esquive-t-il. "Notre mission au départ était d'interdire l'accès de Mostaganem à toute femme voilée. Les gens du FLN utilisaient ce stratagème pour entrer et jeter des grenades", concède-t-il tout au plus, laissant entendre que certains contrôles ont pu alors être fatals.

Accusés d'assassinats et de terrorisme par leurs détracteurs, Régis Guillem et ses compagnons préfèrent se définir comme des "résistants" au service de l'Algérie française.

- "Cul-de-sac de l'Histoire" -

"L'OAS, ça a été l'ultime recours pour sauvegarder le drapeau tricolore en Algérie. On a perdu. L'Histoire donne toujours raison aux vainqueurs", lance-t-il.

Un constat qui fait bondir Jean-Philippe Ould Aoudia, 79 ans, fils d'un des six dirigeants de Centres sociaux éducatifs tués par l'OAS le 15 mars 1962 à Alger, juste avant les accords d'Evian qui allaient acter l'indépendance de l'Algérie.

"Ils étaient résistants contre quoi? Contre la France? C'étaient des nationalistes contre la Nation! ", réplique le fils Ould Aoudia, aujourd'hui médecin à la retraite à Clamart, près de Paris.

"Ce n'est pas en assassinant de sang-froid et de dos, par traîtrise, des individus dans la rue, qui n'ont rien à voir, qu'on va ennoblir la cause qu'on prétend défendre", juge-t-il.

Chez lui aussi, un attentat allait bousculer toute une vie. Un commando OAS, composé en partie de militaires, pénétra dans le bâtiment où les six dirigeants des Centres sociaux, dont l'écrivain Mouloud Feraoun, tenaient une réunion de travail.

Les six responsables, d'anciens instituteurs soupçonnés de sympathie pour la cause algérienne, furent conduits à l'extérieur, dos au mur, et abattus de sang-froid au fusil-mitrailleur.

"Les tueurs ont tiré d'abord dans les jambes pour que les corps s'écroulent et que le supplice dure quelques secondes de plus", raconte Jean-Philippe Ould Aoudia.

"Ils ont tiré 103 balles (..) J'ai eu du mal à reconnaître le visage de mon père qui avait été défiguré par deux coups de grâce de 11,43", se souvient Jean-Philippe Ould Aoudia.

Pour lui, le combat de l'OAS était sans issue. "Je comprends qu'ils continuent à ne pas accepter d'être un cul-de-sac de l'Histoire. Si leur but, c'était de rester en Algérie (...) ils s'y sont pris de la pire des manières", assène-t-il.

 

 

 

 

Le vétéran Régis Guillem, ancien membre de l'OAS, montre des photographies de cette époque, le 5 février 2021 chez lui, à Royan
Le vétéran Régis Guillem, ancien membre de l'OAS, montre des photographies de cette époque, le 5 février 2021 chez lui, à Royan
afp.com - MEHDI FEDOUACH
 
13 FÉV 2021
 
Mise à jour 13.02.2021 à 20:00
Par Valérie LEROUX
© 2021 AFP

https://information.tv5monde.com/info/avoir-17-ans-dans-l-oas-le-combat-perdu-pour-l-algerie-francaise-396218

 

 

Rédigé le 14/02/2021 à 18:39 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

LETTRE A MON PERE, LE COMMANDANT AZZEDINE

 

Fifi Lamia Hadjouti Chellali,

 

J’ose enfin te dire, dans cette missive, ce que pudeur filiale m’empêche de t’exprimer de vive voix. D’abord l’inaltérable fierté d’être la fille d’un combattant légendaire de la guerre de libération, qui me conforte et me fortifie dans les épreuves tragiques. Je te vois te lever, grand-père débonnaire, comme le jeune homme que tu fus à l’aube des luttes glorieuses, pour braver une guerre médiatique sans merci après l’enlèvement de mon mari, sous mes yeux terrifiés, par des barbouzes dûment munis de cartes officielles, et son assassinat dans les sinistres cachots de torture. Je te vois démasquer, avec une vigueur juvénile, les véritables meurtriers, les langues fourchues de l’inavouable, les fossoyeurs de la vérité dans la tombe du martyr. Je te vois noyer ton sanglot dans ton écharpe de deuil. Je te vois étrangler leurs mensonges dans ton mugissement de fauve.
 
Inutile de rappeler tes faits d’armes, le temps les immortalise. Je te vois, au fil des années, au moment où d’autres valeureux se reposent sur leurs lauriers, déjouer de ta plume les révisions falsificatrices de l’histoire. Je te vois régénérer, contre vents et marées, les fibres ardentes de la mémoire. Je te vois ressusciter, par ton irréfutable témoignage, les figures authentiques de la dignité populaire. N’as-tu pas choisi comme emblème l’incorruptible devise : « Un seul héros, le peuple » ? Je te vois inlassablement lire tout ce qui se publie, débusquer le faux, confirmer le vrai, séparer le grain de l’ivraie. Je te vois infatigablement écrire, élucider de preuves irrécusables les obscurités savamment entretenues, restituer la guerre d’indépendance dans ses contradictions nues.Tes livres, « On nous appelait fellagas », « Alger ne brûla pas », tes nombreux articles, ne sont-ils pas des références incontournables des historiens ? Tes films, où l’auteur sans parti se double d’un scénariste averti, ne sont-ils pas investis de messages d’espérance à l’usage des générations futures ? Je te vois répondre comme au premier jour, dans les périodes noires, aux menaces dévastatrices, lever, à l’âge de la retraite, des brigades citoyennes, battre sur leur terrain les ténèbres exterminatrices. Je te vois battre la chaussée aux cotés des damnés de la terre, des tâcherons condamnés à la misère, des journalistes accablés de muselières, des femmes traitées comme des serpillères. Je te vois brandir, en toute circonstance, l’étendard de la culture comme une bouée salutaire, animer dans ta demeure des salons littéraires, soutenir des poètes et des artistes dans leurs traversées du désert. Je te vois t’éveiller chaque matin en cherchant de quoi servir l’humanité première…
 
Je t'aime papa... 

Fifi Lamia Hadjouti Chellali   

image from lh3.googleusercontent.com

 

image from www.lematindalgerie.com

LE COMMANDANT AZZEDINE

 

 

.

 

 

 

Rédigé le 14/02/2021 à 13:49 dans Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

MOI, JUIVE ALGÉRIENNE, JE N’AI PAS OUBLIÉ LES CRIMES COLONIAUX DE LA FRANCE

 

image from www.lapatrienews.com

 

L’auteure de cette tribune est une descendante de juifs algériens, elle répond à Benjamin Stora et lui rappelle le génocide culturel de la France coloniale en Algérie qui a visé tous les Algériens sans distinction de religion. Tribune d’un extrême intérêt que nous devons lire parce qu’elle nous parle d’une histoire non écrite à laquelle B. Stora y ajoute ses « omissions majeures ».

 

Cher Benjamin Stora, 


En 2017, le président français Emanuel Macron a reconnu que la colonisation de l’Algérie était un crime contre l’humanité. Comme beaucoup d’autres, j’attendais avec impatience la lecture de votre rapport récemment publié sur le sujet, que vous avez rédigé à la demande du président. Cependant, après l’avoir lu, je suis consterné par l’absence de discussion sur les crimes impériaux – je ne comprends pas ces omissions. Bien qu’elles soient nombreuses, je me concentrerai sur l’une d’entre elles : la destruction des cultures juives au Maghreb.

Comme vous, j’ai un intérêt personnel dans ces questions. Je suis né en 1962, l’année de la fin de la guerre, lorsque ma famille, la vôtre et 140 000 autres juifs ont été contraints de quitter l’Algérie, conséquence directe de sa longue colonisation. Comme vous l’avez noté dans votre livre de 2006 Les trois exils des Juifs d’Algérie, deux autres exils ont précédé celui-ci. Le premier s’est produit en 1870, lorsque le décret Crémieux a séparé les Juifs du reste de la population algérienne et les a transformés en citoyens français dans leur propre pays ; le second en 1940, lorsque le gouvernement de Vichy a révoqué ce décret et la citoyenneté française qui l’accompagnait. Votre livre m’a été très utile lorsque, il y a plus de dix ans, j’ai commencé à poser des questions sur l’identité fabriquée qui m’avait été attribuée à la naissance – « israélienne ».

Plus j’étudiais les structures mises en place pour me dissocier de mes ancêtres juifs algériens, moins je me reconnaissais dans cette identité assignée. Je l’ai rejetée à deux reprises : d’abord comme une forme d’appartenance, puis comme un modèle impérial d’histoire – un effort pour marquer un nouveau départ (en 1948), une rupture entre ce qui a été fait « passé » et ce qui a été autorisé à être l’avenir. La création de l’État d’Israël a proclamé des affiliations et des formations antérieures soit inexistantes (Palestine), soit inappropriées (Juifs algériens, Juifs irakiens, etc.). Elle a dévalorisé la singularité de divers groupes de Juifs, les remodelant et les concoctant en un groupe indifférencié. Ce mouvement a effectivement poursuivi le projet napoléonien de régulation de la vie juive, faisant du « peuple juif » un sujet historique-national qui ne peut être pleinement réalisé que par un État souverain propre.

Lorsque j’ai commencé à rassembler des histoires et des souvenirs de ce que nous étions, nous, les Juifs algériens, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, j’ai remarqué une similitude frappante entre l’identité coloniale qui m’a été attribuée et celle qui a été attribuée à mes ancêtres algériens en 1870. Mon père a quitté l’Algérie pour Israël en 1949, et le reste de ma famille a dû partir en 1962 pour la France, laissant derrière lui plus de deux millénaires de vie juive arabe au Maghreb. Nous pouvons dire que nous sommes d’origine algérienne, mais le colonialisme a détruit le monde commun dans lequel cette identité s’est matérialisée.

Lorsque mes ancêtres ont été faits citoyens français, ils n’ont pas cessé d’être colonisés ; leur « accorder » la citoyenneté coloniale de colons était une autre forme de colonisation française, et non sa fin. En effet, cela a initié un processus de déracinement. Les Juifs ont été séparés du peuple parmi lequel ils vivaient et avec lequel ils partageaient la langue, les cosmologies, les croyances, les expériences, les traditions, les paysages, les histoires et les souvenirs. Certains Juifs algériens ont accueilli la citoyenneté française, mais en 1865, la plupart ont refusé d’en faire la demande. Les trois exilés que vous décrivez dans votre livre sont des exemples du lourd tribut payé par les Juifs pour la citoyenneté de leurs colonisateurs, une décision qui a également eu un impact sur leurs descendants.

Le fait que certains aient choisi de se conformer à cette décision – et qu’ils aient ensuite trouvé des moyens de tirer profit de leur citoyenneté – n’enlève rien au caractère colonial du procédé qui pousse les gens à devenir différents de ce qu’ils sont.
L’étude du lien entre ces deux identités de colonisateurs, les Français et les Israéliens, m’a aidé à comprendre le rôle qu’ils ont joué au service des intérêts des grandes puissances coloniales européennes : à savoir, dissocier les Juifs des Arabes et des Musulmans et les incorporer dans la « tradition judéo-chrétienne » fabriquée de toutes pièces. Bien sûr, certains juifs se sont portés volontaires pour se placer dans le « cadre plus large de la civilisation occidentale », comme le décrit Susannah Heschel.

Mais ce fait ne fait que démontrer le rôle important que l’attaque coloniale contre la diversité humaine et ses incitations à « assimiler » ont joué – et continuent de jouer – dans le projet colonial. Lorsque les Juifs du Maghreb et du Moyen-Orient ont été assimilés de force au personnage européen du Juif en tant que citoyen, ils ont été formés à considérer les Arabes et les musulmans comme des personnes à part. Et à travers l’État d’Israël, ils en sont venus à les voir comme leurs ennemis.

Malheureusement, ce contexte est totalement absent de votre rapport, qui ne fait aucune mention des trois exilés dont vous avez parlé précédemment. Pourtant, le premier exil devrait être compris comme le contexte sur lequel l’État colonial d’Israël – fondé sur la destruction de la Palestine – pourrait être créé. Et lorsque le troisième exil a eu lieu en 1962, Israël a déjà cimenté l’inimitié entre les Juifs et les Arabes en une fixation de la condition juive. Pour dire les choses crûment, l’État d’Israël fonctionne, entre autres, comme le liquidateur de la responsabilité française pour les crimes coloniaux de la France contre les Juifs en Algérie et dans d’autres pays musulmans.

Dans cette transaction, la citoyenneté coloniale et un État juif colonisateur sont des « cadeaux » coloniaux destinés à rembourser ses victimes avec la monnaie coloniale afin de maintenir le projet colonial. La citoyenneté française « accordée » et un État-nation juif, les Juifs de l’empire et leurs descendants sont censés simplement aller de l’avant, oublier le monde détruit dont ils pourraient encore faire partie et devenir à la place une partie du monde impérial, des citoyens-opérateurs des technologies qui continuent à perpétrer des crimes contre l’humanité.

Je ne considère pas les crimes impériaux comme des événements passés ; ils sont toujours en vigueur, et les institutions, les structures et les lois qui les rendent possibles doivent encore être démantelées et abolies.
Eh bien, je refuse. Ces marchandages ne mettent pas fin à la colonisation, mais la perpétuent. Ils facilitent la nomination de certains Juifs pour persécuter d’autres Juifs qui continuent à lutter pour la décolonisation complète de tous ceux qui ont été et sont colonisés et des institutions qui ont été mises en place pour le projet colonial. Nos ancêtres au Maghreb ont été directement victimes de la violence coloniale, alors même qu’ils acceptaient progressivement les marchandages qui leur étaient imposés par ces trois exilés.

Nous, leurs descendants, devons-nous les accepter et être liés par eux ? N’avons-nous pas le droit de poursuivre la lutte contre le colonialisme français et le colonialisme israélien, et de lutter pour inverser le cours des crimes impériaux ?
Je pense que nous n’en avons pas seulement le droit, mais l’obligation. Je ne considère pas les crimes impériaux comme des événements passés ; ils sont toujours en vigueur, et les institutions, les structures et les lois qui les rendent possibles doivent encore être démantelées et abolies.

L’histoire ne peut pas générer le miracle que les architectes impériaux attendent d’elle – nous faire croire que les crimes impériaux ont pris fin lorsque les impérialistes ont proclamé qu’ils l’avaient fait. Votre rapport remplit une fonction similaire, en tentant de reléguer ces événements au passé, même s’ils perdurent dans le présent.
En fait, votre rapport illustre ce que je propose d’appeler le quatrième exil des Juifs algériens : leur effacement de l’histoire de la colonisation de l’Algérie. En 160 pages, votre rapport ne donne que deux paragraphes sur une communauté juive qui existait autrefois en Algérie. En réalité, il n’y avait pas une seule communauté mais de multiples et diverses communautés juives arabes berbères.

Ce n’est que par le crime colonial contre l’humanité qu’elles ont été contraintes de ne faire qu’une, en prélude à sa disparition. La liquidation de ces communautés millénaires est donc faite comme un non-événement dans votre rapport, et qualifiée de signe de progrès. Il n’est pas fait mention des crimes perpétrés à leur encontre : les trois exilés, l’antisémitisme européen importé, la rééducation forcée, le détachement de leur culture, l’enfermement dans les camps de concentration algériens.

L’effacement de cette histoire reflète les marchandages coloniaux qui ont fait de ces exilés les supposés « acquis » des Juifs, leur entrée dans le monde éclairé de la modernité laïque. Vous avez ainsi fourni à l’État français la « preuve » scientifique que sa colonisation visait exclusivement les musulmans et les Berbères (ces derniers étant supposés exclure les Juifs). Ces omissions ont de graves conséquences. Ayant été touché par les projets coloniaux français et israéliens d’ingénierie humaine, ce n’est qu’à l’âge de cinquante ans que j’ai pu reconstituer l’histoire de milliers d’années de vie juive au Maghreb et acquérir certains des souvenirs de mes ancêtres qui m’ont été refusés dans le processus de faire de nous de bons citoyens de l’empire.

Pour ce retrait rétroactif des Juifs de 132 ans de colonisation, il faut considérer le résultat de la violence impériale comme un progrès. Sinon, pourquoi effacer ce groupe de l’histoire du projet colonial français ? Mais est-il si facile de se rallier à cette histoire de progrès ? Les Juifs ont-ils choisi d’être la cible de l’antisémitisme des colons une fois qu’ils sont devenus français ? Ont-ils voulu quitter l’Algérie en 1962 ? Ont-ils choisi d’être complices de la fin de la vie des Juifs en Algérie ? Ont-ils signé un départ collectif du monde de leurs ancêtres ? Comment en êtes-vous venu à assumer le rôle d’enterrer ce monde ?
Cette dernière question – pourquoi vous avez été choisi pour écrire le reportage – requiert une attention particulière.

Au-delà de votre expertise, je pense que je ne suis pas la seule à penser que vous avez été sélectionné en partie parce que vous êtes juif – et à cause de la position du juif dans le projet colonial. Il est difficile de parler ouvertement de cette possibilité à un moment où la signification de l’antisémitisme est gardée par les États-nations impériaux qui soutiennent le désastre du régime de l’État d’Israël. Néanmoins, nous devons réfléchir à ce que cela signifie.

Le fait que le gouvernement ait choisi un Juif pour rédiger ce rapport n’est pas une coïncidence, mais un piège. Dans ce monde encore impérial, on attend des Juifs qu’ils agissent comme des citoyens vierges – pour prouver, comme l’écrit Houria Bouteldja, leur « volonté de se fondre dans la blancheur … pour incarner les canons de la modernité ». Cette position a été créée par au moins trois accords impériaux qui ne doivent pas être remis en question. Le premier est le marché de la citoyenneté : un bon citoyen français d’origine juive ne doit pas manquer de laisser sa judaïcité chez lui, surtout dans l’exercice de sa profession. Déjà dans votre livre, vous avez prouvé ce genre de patriotisme français en présentant ces trois exils des Juifs comme des événements passés, objets d’enquête historique. Leur vie commune avec les musulmans étant devenue un passé révolu, ils pouvaient être intégrés dans l’histoire européenne. Le second accord accepte le décret Crémieux tel que ses architectes l’ont conçu – comme l’octroi d’un don plutôt que comme un usage unilatéral de la force, qui a contribué à la destruction de leurs divers modes de vie. Cette représentation omet la manière dont il a volé aux Juifs leur héritage, leur monde et leurs traditions.

La troisième suppose que la France avait déjà réglé ses dettes envers « le peuple juif » en tant que sujet historique en 1995 lorsque la nation a reconnu sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale. Peu importe que les crimes de Vichy contre les Juifs algériens aient eu lieu en Algérie et que leur vie en Algérie ne puisse être transportée rétroactivement en France.
En acceptant ces accords, votre rapport se présente comme une histoire impartiale, faisant avancer consciencieusement la mission de l’État. Mais c’est exactement le problème. Il n’y a rien de solennel à s’engager dans des crimes impériaux.

L’Empire a inventé le passé et a chargé des archivistes et des historiens de transformer ses crimes en objets d’enquête historique impartiaux. Il utilise même ses victimes pour affirmer qu’aucun crime n’a été commis à leur encontre. Pour résister à ces effacements impériaux, il ne faut pas être impartial : nous devons notamment exiger que l’histoire soit écrite par les victimes de ces crimes. Seuls ceux d’entre eux qui refusent d’oublier, qui peuvent parler de ce point de vue, sont en mesure de défaire le travail de l’empire et de faire avancer la cause de ce que j’appelle le désapprentissage de l’impérialisme. Aucun historien ne devrait être autorisé à commettre de telles omissions majeures. Vous ne devriez pas non plus supposer que les victimes des crimes coloniaux et leurs descendants consentent à ces accords dont le sens était et continue d’être la liquidation de leur monde divers.

Au lieu de servir ce projet impérial, votre rapport aurait pu offrir un répertoire sans concession des crimes français commis contre les Algériens et des crimes coloniaux contre l’humanité. Il aurait pu dresser une cartographie des liens entre ces crimes et les institutions impériales – police, prisons, capitalisme racial, archives, musées, citoyenneté, etc. – qui leur ont permis et continuent de faciliter leurs conséquences en France, en particulier à l’égard des Algériens, visés à la fois par l’islamophobie et l’antisémitisme d’État.

Si vous aviez répondu à cette invitation, en affirmant votre position d’arabo-juif, victime de la colonisation française de l’Algérie, vous auriez également demandé à cosigner le rapport avec un Algérien français musulman. Cela aurait été l’occasion de dresser un tableau plus complet des crimes impériaux et de leurs conséquences persistantes, et de renverser le cinquième exil des Juifs – leur aliénation des Arabes et des musulmans dans le nouveau monde qu’ils se sont trouvés à partager en dehors de leur patrie, en France.
Avec ces gestes, même un rapport officiel aurait pu fournir à nos descendants des ressources pour poursuivre le travail d’abolition de l’impérialisme. Sans eux, votre rapport ne sert qu’à l’enraciner.

 

 

Ariella Aïsha Azoulay

 

https://www.lapatrienews.com/moi-juive-algerienne-je-nai-pas-oublie-les-crimes-coloniaux-de-la-france/?fbclid=IwAR3ggDEw47ikvGFkOG5AYaY828YF8B6vpnIkhSLT3wh2Dr7kVL_1okMJJ7w 

Rédigé le 14/02/2021 à 13:22 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

«Il faut s’engouffrer dans la brèche ouverte par Benjamin Stora»

 

image from www.elwatan.com
PHOTO : D. R.
 

Nul chercheur, nul passionné d’Histoire, nul lecteur qui s’intéresse à l’histoire de l’Algérie ne peut se dispenser de connaître l’œuvre de Benjamin Stora, qui a déjà consacré nombre d’ouvrages à sa terre natale.

Il était certainement l’un des plus qualifiés – parmi d’autres, on pense particulièrement à la génération qui a commencé à publier au début du présent siècle – pour tenter un travail de synthèse sur les relations franco-algériennes.

En ce qui me concerne, j’ai le plus grand respect pour Benjamin, avec qui je dialogue depuis quelques décennies (à Paris, à Alger et même à Hanoi…). Outre ses qualités d’historien, il est un homme de convictions. Je l’ai vu affronter (verbalement !) des pieds-noirs nostalgiques de l’Algérie française avec un rare courage.

Une qualité majeure de son rapport est de ne pas s’être limité à la guerre d’indépendance de 1954-1962, même si celle-ci en est évidemment le cœur.

Le ton général de son travail est mesuré, reprenant un certain nombre de demandes mémorielles, dont la portée symbolique est forte. Un seul exemple : la demande de la restitution du canon Bab Merzoug, l’un des premiers vols de l’histoire coloniale (juillet 1830), épisode totalement oublié en France mais d’une grande importance pour l’histoire – et pour la fierté – nationales en Algérie. Ou encore la demande de l’inauguration d’une plaque en l’honneur d’Abdel Kader en 2022, à Amboise, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance.

D’où vient, alors, cette impression d’inachevé que laisse la lecture de ce rapport ? Il me semble que cela tient à la nature même de la mission confiée par le président de la République au chercheur. En acceptant les termes, Benjamin Stora était nécessairement, fatalement, tiraillé entre les mémoires toujours à vif, nombreuses et souvent antagonistes.

Un exemple parmi d’autres. La demande d’associer à l’histoire douloureuse de Maurice Audin celle d’Ali Boumendjel, victimes des mêmes pratiques, est sans conteste la bienvenue. Mais chacun sait, en particulier depuis la création du site 1000, autres, que les soi-disant disparus se chiffrent par milliers, dont une liste non exhaustive pour la seule Bataille d’Alger est aujourd’hui rendue publique. Je sais bien que la mémoire a besoin de figures emblématiques, à forte connotation émotionnelle.

Advertisements
 

Mais puisque le président Macron a lui-même employé le mot de «système» pour qualifier les tortures et «disparitions», pourquoi ne pas demander que ce travail de recensement soit plus systématique encore ? Ou, si l’on doit absolument focaliser sur des figures, pourquoi ne pas évoquer l’assassinat d’Amokrane Ould-Aoudia, avocat du FLN ? Parenthèse : les assassinats de Maurice Audin ou d’Ali Boumendjel furent des épisodes des nombreux crimes de l’armée. Jeter l’opprobre sur les seuls sinistres Massu et Ausaresses est à la limite facile.

Celui d’Amokrane Ould-Aoudia fut un assassinat organisé, ordonné par l’Etat français (le premier ministre Michel Debré, les services français, dans le silence complice de l’Élysée), en plein cœur de Paris, dans cette ville qui persiste à se dire «des droits de l’homme». Ceci explique sans aucun doute le pesant silence officiel sur ce crime. Raison de plus pour l’évoquer.

Je poursuis sur ce que je qualifie de limites avec l’exemple de l’émir Abdelkader. Une plaque à Amboise, lieu de sa résidence forcée, très bien. Mais pourquoi ne pas reprendre une vieille idée, émise pour la première fois par l’écrivain Henry de Montherlant dans les années 1930, que j’avais évoquée il y a quelques années (El Watan, 13 septembre 2017) : une statue dédiée à l’émir au cœur de Paris ?

En juillet 2006, Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, avait inauguré une place de ce nom dans le Ve arrondissement. Au centre de cette place, un espace ouvre les bras à l’érection d’une statue. En 2022, cela aurait un certain parfum…

En conclusion, je pense que le rapport de Benjamin Stora a ouvert la voie. Et ce n’est pas un mince compliment. Mais il faut s’engouffrer dans cette brèche.

Nous tous, Algériens et Français, historiens et non spécialistes, confronter, confronter encore les opinions, multiplier les études. Et, puisque 2022 marque l’anniversaire de la fin du conflit, pourquoi ne pas jeter les bases dès à présent d’un grand colloque organisé en deux étapes, sur les rives nord et sud de la Méditerranée ?

Alain Ruscio

Alain Ruscio, spécialiste de l’histoire de la colonisation française. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, parmi lesquels Les communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 (La Découverte, février 2019) ; La Guerre française d’Indochine, 1945-1954 (Complexe, 1992) ; Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS. (La Découverte, 2015).

 

 

 

ALAIN RUSCIO
02 FÉVRIER 2021 À 10 H 22 MIN

https://www.elwatan.com/pages-hebdo/france-actu/histoire-il-faut-sengouffrer-dans-la-breche-ouverte-par-benjamin-stora-02-02-2021?fbclid=IwAR3ud-RvtsGnpYaIcXZXtFofH8I8GlwsiP6yN3nKKYPG3tKnoOLF17DPEZA

 

 

Rédigé le 14/02/2021 à 13:11 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

Guerre d'Algérie : révélations sur l'affaire Audin

 

En juin 1957, des militaires français ont arrêté le mathématicien de 25 ans. Le jeune homme, jamais retrouvé, est devenu l'un des symboles des atrocités de ce conflit. Exclusif, "le Nouvel Obs" relance l'enquête.

image from media.nouvelobs.com

Derrière la porte en contreplaqué, le vieil homme fait le mort. Il n'a jamais répondu aux courriers envoyés. Il a raccroché d'un ton sec à l'interphone, quelques minutes auparavant. "Je suis dans mon lit, je n'ai rien à voir avec cette histoire, je ne vous ouvrirai pas..." Une voisine sortie faire ses courses, prend un air entendu :

"Oh, vous savez, il n'est pas facile, même moi qui habite dans son immeuble depuis des années, il ne me laisse pas entrer. C'est un ancien militaire. Quand il était plus jeune, il marchait à grandes enjambées, droit comme un i. On dit qu'il a fait la guerre d'Algérie, avec ce général, comment il s'appelle, déjà, ce général ? ...

- Aussaresses ?

- Ah oui, c'est ça, Aussaresses. Mais enfin les rumeurs..."

La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles

Derrière cette porte qui va rester close, au quatrième étage d'un bâtiment blanc et jaune, surgi dans les années 1970, près du chenal d'une ville de Bretagne, se cache peut-être l'un des derniers secrets de la guerre d'Algérie. Le vieil homme a été un adolescent volontaire qui a pris les armes contre les Allemands, dans le maquis du Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale, a décroché ses galons d'officier sur les bancs de Saint-Cyr, a servi la France, partout dans le monde puis s'est retrouvé de l'autre côté de la Méditerranée pendant la bataille d'Alger en 1957, l'une des périodes les plus sombres de notre histoire.

Il a travaillé aux côtés du général Jacques Massu, le "chef de la police" à Alger, avant de rejoindre comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement. La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles, une de ces majestueuses demeures blanches, noyées sous les bougainvilliers, où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants.

"L'agent d'exécution" pensait avoir été oublié

Le vieil homme a plus de 80 ans aujourd'hui. Il pensait sans doute avoir été oublié. Son nom figure noir sur blanc dans un document manuscrit, écrit de la main du colonel Yves Godard, dont "le Nouvel Observateur" révèle aujourd'hui l'existence et qui sera publié d'ici quelques jours dans "le Camp de Lodi", aux éditions Stock (de Nathalie Funès, à paraitre le 14 mars 2012).

L'ancien commandant de la zone Alger-Sahel, l'un des plus hauts gradés de l'époque, aujourd'hui décédé, le désigne comme "l'agent d'exécution" de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques de la faculté d'Alger, arrêté par les parachutistes le 11 juin 1957, conduit au centre d'interrogatoire d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, avant de disparaître à tout jamais. Ce texte inédit, conservé avec les archives de Godard, à l'Université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Et qu'il ne s'est pas évadé, comme le veut la thèse officielle, encore soutenue de nos jours. [...]

"Le Nouvel Observateur" s'est procuré ce document inédit, révélant pour la première fois l'identité probable de son meurtrier et le publie dans l'enquête de Nathalie Funès parue dans le numéro du 1er mars 2012.

 
 
 
 
Maurice Audin (photo non datée) (AFP)
 
 

Derrière la porte en contreplaqué, le vieil homme fait le mort. Il n'a jamais répondu aux courriers envoyés. Il a raccroché d'un ton sec à l'interphone, quelques minutes auparavant. "Je suis dans mon lit, je n'ai rien à voir avec cette histoire, je ne vous ouvrirai pas..." Une voisine sortie faire ses courses, prend un air entendu :

"Oh, vous savez, il n'est pas facile, même moi qui habite dans son immeuble depuis des années, il ne me laisse pas entrer. C'est un ancien militaire. Quand il était plus jeune, il marchait à grandes enjambées, droit comme un i. On dit qu'il a fait la guerre d'Algérie, avec ce général, comment il s'appelle, déjà, ce général ? ...

- Aussaresses ?

- Ah oui, c'est ça, Aussaresses. Mais enfin les rumeurs..."

La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles

Derrière cette porte qui va rester close, au quatrième étage d'un bâtiment blanc et jaune, surgi dans les années 1970, près du chenal d'une ville de Bretagne, se cache peut-être l'un des derniers secrets de la guerre d'Algérie. Le vieil homme a été un adolescent volontaire qui a pris les armes contre les Allemands, dans le maquis du Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale, a décroché ses galons d'officier sur les bancs de Saint-Cyr, a servi la France, partout dans le monde puis s'est retrouvé de l'autre côté de la Méditerranée pendant la bataille d'Alger en 1957, l'une des périodes les plus sombres de notre histoire.

Il a travaillé aux côtés du général Jacques Massu, le "chef de la police" à Alger, avant de rejoindre comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement. La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles, une de ces majestueuses demeures blanches, noyées sous les bougainvilliers, où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants.

"L'agent d'exécution" pensait avoir été oublié

Le vieil homme a plus de 80 ans aujourd'hui. Il pensait sans doute avoir été oublié. Son nom figure noir sur blanc dans un document manuscrit, écrit de la main du colonel Yves Godard, dont "le Nouvel Observateur" révèle aujourd'hui l'existence et qui sera publié d'ici quelques jours dans "le Camp de Lodi", aux éditions Stock (de Nathalie Funès, à paraitre le 14 mars 2012).

L'ancien commandant de la zone Alger-Sahel, l'un des plus hauts gradés de l'époque, aujourd'hui décédé, le désigne comme "l'agent d'exécution" de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques de la faculté d'Alger, arrêté par les parachutistes le 11 juin 1957, conduit au centre d'interrogatoire d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, avant de disparaître à tout jamais. Ce texte inédit, conservé avec les archives de Godard, à l'Université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Et qu'il ne s'est pas évadé, comme le veut la thèse officielle, encore soutenue de nos jours. [...]

"Le Nouvel Observateur" s'est procuré ce document inédit, révélant pour la première fois l'identité probable de son meurtrier et le publie dans l'enquête de Nathalie Funès parue dans le numéro du 1er mars 2012.

 

 

Nathalie Funes
 
https://www.nouvelobs.com/l-enquete-de-l-obs/20120301.OBS2698/guerre-d-algerie-revelations-sur-l-affaire-audin.html 
 

Rédigé le 13/02/2021 à 20:32 dans Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

Histoire de la guerre d’Algérie 3

 

Car, contrairement à une idée reçue, ce conflit a produit un grand nombre d’images, après le conflit mais aussi pendant.

La censure s’est bien sûr exercée et a donc empêche de voir certaines d’entre elles. Et d’autres n’étaient là que pour accompagner la propagande gouvernementale, fluctuante tout au long de la guerre.

Certains de ces films n’ont pu d’ailleurs être projetés car, conçus dans une époque de la guerre, ils auraient été diffusés à contretemps.

Quant à ceux qui ont été produits après la fin de la guerre, ils témoignent de visions diverses : films mettant les soldats et leurs problèmes au cœur, films de la nostalgérie, films produits par l’Algérie indépendante...

Invité(s) : Sébastien Denis, maître de conférences en cinéma à l’Université de Provence (Département SATIS) et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique du CNRS et Benjamin Stora, professeur des universités, enseigne l’histoire du Maghreb contemporain (XIXe et XXe siècles), les guerres de décolonisations, et l’histoire de l’immigration maghrébine en Europe, à l’Université Paris 13 à l’INALCO (Langues Orientales, Paris).

Note : Jean-Pierre Bertin-Maghit, historien et professeur d’études cinématographiques à Sorbonne Nouvelle Paris III, a entamé une étude sur les films amateurs réalisés par les soldats pendant la guerre d’Algérie. Il se propose d’écrire à partir de l’analyse de ces films un ouvrage « Lettres filmées d’Algérie (1954-1962)/ Une histoire des combattants ». Dans un premier temps, il a rassemblé les films qui ont été déposés par les soldats dans différentes cinémathèques régionales en France (ECPAD forum des images, cinémathèque de Brest, d’Angoulême, de Monaco, Pôle image de Rouen...). Après avoir visionné les films, Jean-Pierre Bertin-Maghit rencontre les soldats cinéastes pour les interviewer afin de mieux comprendre leur geste cinématographique. Cependant, tous les soldats n’ont pas eu l’idée de déposer leurs films dans ces institutions patrimoniales. Beaucoup d’entre eux doivent avoir encore chez eux ces petits films tournés en 8mm. Il s’agit donc de lancer un avis de recherche pour que ces soldats se fassent connaître et prennent contact avec l’historien pour qu’il puisse visionner ces films et les interviewer (contact : [email protected].

Emmanuel Laurentin : Troisième temps de notre semaine consacrée à la Guerre d’Algérie et son histoire à cinquante ans des manifestations d’Oran, d’Alger et d’ailleurs, à l’occasion de la visite, en décembre 1960, du général de Gaulle sur place. Après avoir évoqué ce sujet avec Constantin Melnik, lundi, il travaillait à l’époque auprès du Premier ministre Michel Debré, puis nous être intéressés hier, dans le documentaire du mardi, aux rappelés d’il y a 55 ans, les rappelés de 1955 et à leur refus de se rendre en Algérie, et avant demain de nous demander, dans le débat du jeudi, comment les pays étrangers ont perçu ce conflit pendant qu’il se déroulait, nous allons, dans cette journée des archives du mercredi de « La Fabrique de l’Histoire », en écouter un certain nombre tirées de films documentaires d’actualités ou de fiction sur la Guerre d’Algérie. Anaïs Kien, qui a préparé cette semaine avec nous, les a choisies pour leur variété, nous les ferons commenter par Benjamin Stora, historien bien entendu, qui, avec « Imaginaires de guerre. Les images dans les guerres d’Algérie et du Viêt-nam, a été un pionnier de la recherche sur ce type de cinéma, dont le dernier maillon de la chaîne sort en salle aujourd’hui, il s’appelle « Un balcon sur la mer », un film de Nicole Garcia qui traite des traumatismes de ces pieds-noirs qui ont dû quitter l’Algérie dans la précipitation en 1962. Sébastien Denis, qui est maître de conférences en cinéma à l’Université de Provence, sera également avec nous. Il a publié sa thèse sur le cinéma de propagande en Algérie, aux éditions Nouveau Monde, cette année, sous le titre « Le cinéma et la Guerre d’Algérie ». Il sera avec nous pour commenter certaines des archives, tirées des films documentaires et d’actualités, gravées en DVD dans son livre. Et on en écoute d’ailleurs une première.

Extrait du film « La Corniche d’amour » : « Ahmed ? Alors ? / La corniche de Bougie, c’est la plus belle promenade de l’Afrique, y compris le Transvaal, le Kenya et le Hoggar, avec retour par la Haute Kabylie. / Combien de jours ? / Trois-quatre au maximum. / Bon, d’accord ! / Je vais préparer la voiture. / C’est ça ! / Chasseur, soyez gentil, dites au directeur d’avertir le capitaine de mon yacht d’aller mouiller à Tigzirt. / Bien, monsieur. / Merci. »

Emmanuel Laurentin : Voici donc cette première archive, pour pouvoir nous mettre dans une ambiance, qui n’est pas encre celle de la guerre. Il s’agit d’un extrait d’un film touristique, pourrait-on dire, qui s’appelle « La Corniche d’amour ».

Bonjour Anaïs Kien.

Anaïs Kien : Bonjour.

Emmanuel Laurentin : Et bonjour à vous, Sébastien Denis ainsi qu’à Benjamin Stora, qui est avec nous également pour parler de ce, comment on appelle ça d’ailleurs, des « pop-up », je crois maintenant dans l’édition, des livres avec plein de petites choses dedans…

Benjamin Stora : Des livres objets.

Emmanuel Laurentin : Des livres objets, qui a un énorme succès.

Benjamin Stora : Un énorme succès, on en a vendu 40000 en un mois...

Emmanuel Laurentin : Qui se vendent, parrainés également par nos confrères de France-Info, avec Tramor Quéméneur, aux éditions des Arènes, et qui s’appelle « Algérie 1954-1962 », c’est un livre dans lequel il y a des facsimilés, énormément de documents de soldats, de tracts, etc., etc., qui ont été diffusés pendant cette Guerre d’Algérie.

Benjamin Stora : Ce sont des documents que l’on peut sortir du livre, qu’on peut prendre, qu’on peut toucher, ce sont des documents d’archives en français…

Emmanuel Laurentin : C’est ça, des facsimilés.

Benjamin Stora : Ce sont des facsimilés que l’on extraie de l’ouvrage avec des affiches, des documents, des cartes postales, des cartes routières, des archives militaires, policières que l’on peut sortir du livre, que l’on peut déplier et regarder en tant que telles.

Emmanuel Laurentin : C’est très étonnant, une façon de se replonger justement dans l’ambiance et dans les documents de l’époque.

Sébastien Denis, ce document que l’on vient d’entendre, cette archive de « La Corniche d’amour », date de 1955. il fait partie de que vous appelez les films touristiques, dans votre travail sur le cinéma et la Guerre d’Algérie qui vient de paraître aux éditions du Nouveau Monde. Les films de tourisme sur l’Algérie qui vont d’ailleurs s’arrêter et s’interrompre immédiatement à partir de 1955, quasiment à partir de 1955.

Sébastien Denis : Oui, c’est un film assez étrange, qui rend compte d’une atmosphère passée, puisque quand même à partir de novembre 1954, on est quand même dans un climat insurrectionnel. Ce film rend compte effectivement de ce qui a pu se faire avant, c’est-à-dire dans les années entre 1945 et 1955.

Emmanuel Laurentin : Et même dans les années 30 d’ailleurs, il y avait un cinéma colonial.

Sébastien Denis : Même dans les années 30, dans les années 20. Il y a des films muets qui rendent compte de cet aspects-là des choses, c’est-à-dire une Algérie touristique. Donc des films qui sont faits pour vendre, entre guillemets, l’Algérie en tant que pays où on peut faire du tourisme, aller sur la corniche, voir la mer, etc. c’est un film assez étonnant, en total décalage, il sort en 1955, il n’est d’ailleurs pas diffusé à l’époque puisqu’il évidemment il tombe complètement à rebours de l’actualité.

Emmanuel Laurentin : Je vais vous prendre un petit peu à contre-pied, Benjamin Stora, ça m’amuse parce que vous êtes un bon interviewé dans ce cas-là. Vous vous souvenez d’avoir vu ce type de films, quand vous étiez jeune garçon à Constantine, dans les cinémas ? Des films comme ça qui en première partie ou en seconde partie de grands films de fiction spécifiquement destinés au public vivant en Algérie dans ces années-là, est-ce que cela vous dit quelque chose ou pas du tout ?

Benjamin Stora : Là, Emmanuel, on passe de l’histoire à la mémoire.

Emmanuel Laurentin : Justement, c’est pour ça que je…

Benjamin Stora : Un transfert directement sur la mémoire. Non, personnellement non, on était à Constantine…

Anaïs Kien : Je pense que ces films n’étaient pas diffusés en Algérie. Ce sont plutôt des films à destination de la Métropole.

Benjamin Stora : Non, ce sont des films de propagande que l’on ne voyait pas dans les salles de cinéma. Il y avait des actualités qu’on voyait en France. L’Algérie, c’était la France. En 1955-56, les gens allaient beaucoup, beaucoup au cinéma, ils voyaient tous les films qui passaient à Paris, on les voyait à Constantine pratiquement en même temps, et il y avait les actualités. Donc, ce genre de documents d’images d’archives, devenus des images d’archives, on les voyait surtout dans le bled, dans les campagnes, c’étaient surtout des films de propagande pour la population paysanne.

Sébastien Denis : En l’occurrence pas ce type de films. Effectivement, il y a des films dont on parlera peut-être tout à l’heure, qui sont des films davantage de propagande destinés aux populations dans le bled, mais ce type de films étaient faits au contraire pour ramener des touristes en Algérie.

Benjamin Stora : Donc, plutôt faits en France.

Sébastien Denis : Non, faits en Algérie.

Benjamin Stora : Faits en Algérie mais montrés en France.

Sébastien Denis : Faits en France pour un public en occurrence assez aisé, puisque les personnages qui sont dans le film, c’est un photographe et une artiste…

Emmanuel Laurentin : Propriétaires de yacht qui vont le tour de cette belle côte du côté de Bougie…

Anaïs Kien : D’ailleurs l’Algérie n’est qu’un décor dans ce film.

Sébastien Denis : Oui, absolument. C’est une Algérie de carte postale. Objectivement, on est tout à fait dans les clichés des années 30, il n’y a pas grand-chose qui a changé.

Emmanuel Laurentin : On traitait l’Algérie comme on pouvait traiter par exemple la Côte-d’Azur, avec peut-être un exotisme un peu supplémentaire mais c’était à peu près la même chose.

Sébastien Denis : Oui, avec effectivement des films aussi un petit peu spectaculaire et un peu dangereux qu’il pouvait y avoir dans les défilés, etc. C’est-à-dire des choses … Une sorte d’Algérie un peu mystérieuse, un peu dangereuse.

Emmanuel Laurentin : On va écouter tout de suite une deuxième archive, qui évidemment change par rapport à cette première archive de 1955. C’est un film sur l’armée et le drame algérien, là la guerre s’est déclarée.

Extrait du film « L’armée et le drame algérien » : « Révoltaient par les meurtres fellagas et la pression féroce que ceux-ci exercent sur eux, les Français Musulmans, chez qui la notion de justice est plus forte que la peur, viennent à nous. Le renseignement arrive. Le capitaine continue à tenir sa liste à jour, de nouveaux noms s’ajoutent avec de nouvelles précisions. Maintenant, nous sommes certains de l’identité des membres de la cellule du village. Il faut agir. Une compagnie ou un escadron se rend au douar, trois sections cernent le village, tandis que le capitaine pénètre à l’intérieur avec la quatrième section. À la population rassemblée, il recommande d’abord de ne pas tenter de fuir, le village est cerné par la troupe qui ne laissera s’échapper aucun fugitif. Il procède alors à l’arrestation de ceux qui se sont placés hors la loi française, les membres de la cellule terroriste. »

Emmanuel Laurentin : Voilà, ce film s’appelait « L’armée et le drame algérien », on voit bien la tonalité évidemment tragique, une musique également assez impressionnante. Il date de 1957. alors, il faut dire que votre travail, Sébastien Denis, est un travail de thèse de cinéma, c’est important de le dire, et que vous travaillez beaucoup sur les archives de ces producteurs et de ces réalisateurs de films qui dans les années 50 sont passés de ce film touristique à des films de propagande en faveur de la guerre pour certains d’entre eux. Il y avait des films de fiction, des films documentaires, des films d’actualités. Il y avait une production cinématographique, qui n’était pas totalement négligeable, faite sur le territoire algérien souvent d’ailleurs, disons commanditée par le gouverneur général et par les autorités sur place, quand elle n’était pas directement commandée par l’État français du côté de la Métropole.

Sébastien Denis : En fait, ce que je voulais montrer dans ce travail c’est qu’il y avait une continuité très forte entre une production civile qui est faite pendant la période juste avant la guerre, entre 1945 et 1955,…

Emmanuel Laurentin : C’est pour ça d’ailleurs que vous avez choisi de travailler pour votre thèse de 45 à 62 et pas de vous intéresser simplement à 54-62, pour voir justement comment il y avait une relation entre la période d’avant la guerre et la période de la guerre.

Sébastien Denis : Absolument. J’ai choisi cette périodisation parce que je pense que cela permet bien de montrer la continuité qu’il y a au niveau institutionnel, dans la pensée de l’Algérie, de l’Algérie française, et la continuité aussi en termes de production. Vous disiez qu’il y avait des films touristiques mais c’est une production infime les films touristiques, la plupart des films, et il y en a des centaines, la plupart de ces films qui ont été produits entre 45 et 54, sont des films de propagande lourde. Ce sont des films de propagande pour mettre en avant ce qu’est…

Emmanuel Laurentin : Les réalisations françaises.

Sébastien Denis : Les réalisations françaises.

Emmanuel Laurentin : On est après Sétif et Guelma et le 8 mai 45.

Sébastien Denis : Bien sûr, justement la production s’intensifie après 1947-48, au moment où effectivement on essaye de museler ceux qui veulent justement l’indépendance de l’Algérie. On a une sorte de matraquage assez massif en termes de propagande.

Anaïs Kien : Moi, ce qui m’impressionne dans l’extrait du film que l’on vient de voir, c’est peut-être cette musique, qui déréalise quasiment le propos. On a vraiment des images documentaires, on nous montre des soldats en relation avec des Arabes. D’ailleurs les Arabes, lorsqu’ils ne sont pas représentés seuls à l’écran alors qu’ils sont en groupe, ils sont assis par terre, alors que les soldats sont debout. Par ailleurs, cette musique, qui est une musique de fantasia, déréalise quasiment le propos du documentaire et de cette propagande. C’est très étrange.

Sébastien Denis : Oui, la musique est extrêmement importante en propagande. C’est vrai que le régime musical qui a été choisi par l’armée est systématiquement un régime qui est de deux ordres : un qui est, quand on veut montrer la puissance militaire à l’œuvre, qui est justement une musique américaine, à l’américaine, soit dans une formule jazz qui est très dynamique, soit dans une formule un petit peu symphonique comme ça, puis de l’autre côté, on a l’autre versant, qui est davantage, comment on peut dire,…

Anaïs Kien : À la fois on rassure et on met à distance, le danger ?

Benjamin Stora : C’est à la fois de la musique western aussi.

Emmanuel Laurentin : Oui, il faut le rappeler aussi.

Sébastien Denis : C’est le cinéma américain et aussi des actualités américaines. On est effectivement dans un modèle, qui est le modèle américain, qui est un modèle dynamique où on essaye effectivement de masquer, autant faire se peu, toutes les réalités du moment sur le terrain algérien, pour au contraire construire une image extrêmement positive, oui très positive de l’armée française.

Emmanuel Laurentin : Ce modèle américain, vous le décrivez assez précisément dans votre thèse, publiée aux éditions, Nouveau Monde, « Le cinéma et la Guerre d’Algérie », Sébastien Denis, en expliquant qu’à partir de ces années 54-55, on comprend l’intérêt des relations publiques au gouvernement, on comprend l’intérêt de ce qui a permis des campagnes électorales victorieuses pour Eisenhower aux États-Unis, etc., donc de ces conseillers en communication, de ce début de professionnalisation de ce milieu-là. Et donc on va mettre cela au service du cinéma de propagande qui va progressivement changer dans cette période entre 1955 et 1962. Sébastien Denis, puis Benjamin Stora sur ce point-là

Sébastien Denis : Ce changement, moi je le situe davantage au moment de l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle…

Emmanuel Laurentin : Oui, c’est ça.

Sébastien Denis : Et surtout à partir de 1959-60, c’est-à-dire quand effectivement de Gaulle, après septembre

Emmanuel Laurentin : Avec le plan de Constantine…

Sébastien Denis : Voilà, déjà avec le plan de Constantine et aussi avec son discours de septembre 1959, où de Gaulle met clairement en avant le fait qu’il veut changer l’image de l’Algérie. Du coup, il va mettre en avant effectivement un arsenal médiatique qui va être beaucoup plus tourné vers la télévision et où le cinéma va du coup devenir une sorte de courroie de transmission entre ce qu’était le cinéma traditionnel de propagande et une nouvelle propagande tournée vers les relations publiques.

Benjamin Stora : Ce qui est remarquable de penser aujourd’hui, c’est que ces documentaires de propagande qui sont fabriqués en grande partie par l’armée française, dans la période qui précède la Guerre d’Algérie, en 54, mais qui la suit ensuite, sont tombés dans l’oubli. Ce qui est par contre très important,…

Emmanuel Laurentin : Ce sont des images très importantes.

Benjamin Stora : Ce sont des images très importantes, on peut les visionner à l’ECPAD, il y en a des tonnes. Ce sont des documents absolument extraordinaires.

Emmanuel Laurentin : Et on peut les voir dans le DVD qui accompagne votre livre.

Benjamin Stora : Oui, il y a un DVD aussi dans cet ouvrage de Sébastien Denis. Mais ce qui est important à signaler, c’est qu’en fait à l’époque, on insiste sur l’importance de la communication mais sans voir que la communication dans le fond, la plus importante, celle qui pénètre le plus les consciences, c’est le cinéma de fiction. On va s’en apercevoir plus tard, avec le cinéma américain, la Guerre du Viêt-nam. On verra que c’est par la fiction en fait, par le cinéma tout court, la puissance du cinéma que les images de guerre traversent les esprits, restent et s’incrustent dans les imaginaires. Ce qui est assez incroyable, c’est que les gens, comment dirais-je, de l’armée française n’aient pas pensé par exemple à mettre en œuvre un chantier de films, disons de fiction, de manière élaborée, sophistiquée, avec des acteurs, etc., et se soient essentiellement centrés sur la question des documentaires de propagande, alors qu’il y a effectivement un champ qui s’ouvre sur le cinéma de fiction, qui n’est quand même pas très important.

Emmanuel Laurentin : Vous y travaillez aussi, Sébastien Denis, et vous expliquez qu’il faut travailler aussi sur la réception de ces films. Parce que ces films qui sont produits, très nombreux, mais ils ne sont pas toujours diffusés, dites vous. Donc il faut se méfier, en tant qu’historien, de l’idée que ces films-là ont eu un effet quelconque sur la population, puis quand ils sont diffusés, ces films de propagande, le public n’est pas idiot, dites-vous, il voit la différence entre information et propagande et entre des actualités qui sont manipulées et d’autres qui le sont moins, à partir de ce moment-là, il fait la distinction, et vous tentez de la faire vous-même, en disant : attention, l’historien doit se méfier justement de cette masse d’images produites, qui n’est peut-être pas parvenue telle quelle dans les esprits, les yeux et les cerveaux de ceux qui les regardaient.

Sébastien Denis : Bien sûr, la propagande c’est quelque chose qui existe en tant que telle. On peut voir ces films aujourd’hui et déterminer qu’effectivement il y a tout un arsenal médiatique qui fait de la propagande, mais c’est effectivement important de chercher un petit peu de savoir si ces films ont été diffusés et où.

Emmanuel Laurentin : Comme on disait tout à l’heure, le bled, la ville où la Métropole. Est-ce que c’est la même chose ? Est-ce que c’est la même chose de les diffuser à Constantine ou dans le bled ?

Sébastien Denis : Bien sûr que ce n’est pas du tout pareil parce qu’on a dans les villes, Benjamin Stora en parlait tout à l’heure, on a un public cinéphile, qui va énormément au cinéma, et on a au contraire dans le bled évidemment des populations reculées auxquelles on va essayer de faire gober, entre guillemets, des messages extrêmement lourds.

Emmanuel Laurentin : Et simplistes.

Sébastien Denis : Et simplistes qui ne passeraient absolument pas en ville, mais qui d’ailleurs ne passent pas non plus dans ces populations qui se rendent bien compte qu’on les met en scène, on met en scène le fellah, le paysan local, tout comme on mettrait en scène le fellaga, de manière un peu limitée.

Emmanuel Laurentin : Benjamin Stora, sur cette question qu’il faut faire en tant qu’historien, de la réception possible de toutes ces sources.

Benjamin Stora : Oui, tout à fait. C’est-à-dire que l’on a, dans les villes en particulier, les gens vont en masse voir les films de fiction, un immense triomphe des films de fiction, de cinéma américain d’ailleurs, en Algérie, c’est évident. Dans les campagnes, l’arrivée du camion de l’armée qui va projeter le film…

Sébastien Denis : Le ciné-bus.

Benjamin Stora : Qui va, disons, déplier sa grande toile, rassembler les paysans, les fellahs, est un événement. C’est une sortie, c’est un événement pour les chefs du village, les chefs des tribus, etc. C’est un événement incontestable, donc la foule se rassemble. Mais est-ce que cette foule rassemblée, ces paysans rassemblés, va automatiquement adhérer aux idéaux proposés par ces écrans déployés par les officiers de l’armée, ça, c’est une autre paire de manches.

Anaïs Kien : Sébastien Denis, quand on considère effectivement cette question de la réception, finalement quand on regarde les films cela nous renseigne plus sur l’image que le gouvernement et l’armée a peut-être à ce moment-là de la population à laquelle il s’adresse plutôt qu’un renseignement direct sur la réception qui est toujours très difficile à évaluer en histoire. Finalement, on développe des codes et des vocabulaires très différents selon le public cible. Est-ce qu’on a des documents d’archives qui indiquent ces différentes grilles d’exposition des événements d’Algérie qui nous renseignent sur les représentations que l’armée notamment peut avoir justement d’un public du bled, d’un public métropolitain, d’un public des villes algériennes aussi.

Sébastien Denis : Pour ça, il faut effectivement scinder en deux : la période 45-62 et la Guerre d’Algérie. La période de la guerre est très importante parce qu’il y a une vraie scission dans le sens où l’armée va entrer en lice et va continuer un travail qui a déjà été fait avant, à partir de 45, avec les ciné-bus, cela s’appelle les ciné-bus. L’armée va continuer cette dimension-là en projetant aussi des films qu’ils soient civils ou militaires, aux populations non seulement dans le bled mais aussi quelquefois en ville. Le problème que vous posez est celui de la production.

Emmanuel Laurentin : Oui, est-ce qu’on a les dossiers de production ? Est-ce qu’on sait ce qu’ont été les motivations de ceux qui produisaient ?

Sébastien Denis : On en a certains mais on est obligé quand même souvent de les deviner, à partir du contenu dire quel était le travail, - avec des séries tout simplement, de manière sérielle - on s’aperçoit qu’effectivement il y a des codes qui reviennent de film en film. Mais il y a très rarement des archives qui disent il faut faire-ci ou il fat faire ça.

Emmanuel Laurentin : Ou alors en interviewant les producteurs de ces films, comme vous avez pu le faire. Par exemple Georges Derocles, qui était un grand producteur des films Studios Africa, qui a beaucoup travaillé pour le gouverneur général à l’époque et en gros pour les productions d’État, qui permet de comprendre quels étaient les financiers, comment arrivaient les flux financiers pour pouvoir fabriquer sur place ces films-là.

Sébastien Denis : Oui, bien sûr. Il y a quand même une vraie pensée du cinéma, c’est là qu’effectivement on sait qu’il y a des films qui sont faits pour tel ou tel public. Alors, c’est particulièrement clair, ça, à partir du moment où de Gaulle arrive parce que justement, c’est à partir de Gaulle seulement qu’on a une détermination par public cible.

Benjamin Stora : C’est particulièrement vrai, ce que dit Sébastien Denis. C’est au moment de l’arrivée de de Gaulle aussi qu’un tournant est pris, à la télévision, sur les documentaire, par « Cinq colonnes à la une ». le premier documentaire de « Cinq colonnes à la une » est consacré à la Guerre d’Algérie, c’est la vie du sergent Charlie Robert. C’est la première fois en 1959 bien sûr que la télévision française officiellement montre des images de la Guerre d’Algérie. Images certes montées, images certes reconstituées, mais c’est la première fois quand même, c’est sous le général de Gaulle.

Emmanuel Laurentin : Et là, puisque vous parlez de l’arrivée du général de Gaulle, on peut parler aussi du cinéma de fiction, vous l’évoquiez tout à l’heure, Benjamin Stora, 1960, « Le petit soldat », Jean-Luc Godard.

Extrait du film « Le petit soldat » : « J’habitais chez Alfred Latouche ou alors chez son frère Etienne, qui vient me chercher mais ils ont fini par se faire pincer. Et moi. / Les bagarres éclatèrent alors avec les CRS qui furent usage de grenades lacrymogènes. Vers 20h, les parachutistes intervenaient. Telles sont donc les dernières informations que nous avons reçues d’Alger. / Bonjour Jacques / Bonjour Bruno / Allez, monte !/ Le commando contreterroriste dont je faisais partie était financé par un ancien député poujadiste, qui autrefois avait eu son heure de gloire, sous Vichy. / Ça va ? / Bonjour, ça va. / Vous connaissez Jacques ? Tout se passe bien. / Ça va, oui. / C’est lui ? / L’autre je ne le connaissais pas. / Celui dont tu m’avais parlé ? / Non, il est derrière, dans la 403. /Qui c’est ? / Si on te le demande, tu diras que tu ne le sais pas. »

Emmanuel Laurentin : C’est toujours bien, le cinéma à la radio, Benjamin Stora. On a l’impression que l’on peut se faire les images que l’on veut. Et comme disait Orson Welles, je pense que c’est mot apocryphe : l’avantage de la radio sur le cinéma c’est que l’écran est plus grand. Alors, quand on écoute Jean-Luc Godard, en l’occurrence cet extrait du « Petit soldat », on peut évoquer le fait que contrairement à l’idée reçue, vous l’avez combattue longtemps évidemment, il y a des images de fiction de la Guerre d’Algérie, pendant la Guerre d’Algérie, après la Guerre d’Algérie. Il n’y a pas ce trou de mémoire supposé de la France, par son cinéma, vis-à-vis de cette guerre, et là, en l’occurrence ce film-là est un peu particulier parce qu’il va provoquer une énorme polémique, à l’intérieur de ce milieu de cinéphiles. Il faut rappeler que Jean-Luc Godard avait fait, en 59, « À bout de souffle », et que là, en 60, il fait produire ce film par Georges de Beauregard, qui est son producteur habituel, et ce film-là fait polémique. Pourquoi ?

Benjamin Stora : Il faut signaler d’abord le fait que s’il y a trou de mémoire c’est parce que les films sont censurés pendant la Guerre d’Algérie, les films importants, donc ils sortent après coup. Ils sortent en 63, comme « Muriel » d’Alain Resnais, etc., d’où la sensation d’absence de films puisque les films sortent après coup de la guerre, donc ils tombent un peu dans le vide. C’est un peu ça le problème.

Emmanuel Laurentin : À un moment où l’on ne veut pas se souvenir.

Benjamin Stora : Au moment où l’on veut tourner la page, oublier la Guerre d’Algérie et les films arrivent. À partir de là, évidement on a la sensation qu’il n’y a plus rien qui existe. Mais sur « Le petit soldat », pour en revenir à cette polémique, effectivement la surprise a été très grande parce que quand on a découvert ce film, une fois la censure levée, on s’est aperçu qu’en fait c’était un film sur le terrorisme, sur la violence où Godard était très ambigu par rapport à l’OAS. Ce n’était pas du tout un film de dénonciation de l’OAS, puisqu’il cherchait au contraire à restituer, à comprendre les motivations d’un activiste de l’OAS. C’est ce qui a crée la surprise lorsque le film est sorti. Il est sorti encore une fois après l’indépendance de 1962.

Emmanuel Laurentin : Ce qui a expliqué par exemple que Rachid Boudjedra, par exemple, a tiré à boulets rouges sur ce film-là.

Benjamin Stora : Ce qui explique aussi pourquoi Godard ne l’a pas tellement revendiqué par la suite dans sa filmographie, puisque comme on le sait il a eu des positions beaucoup plus radicales et différentes dans la suite de sa carrière cinématographique, de sorte que le film est lui-même tombé dans l’oubli. Or, c’est un film tout à fait passionnant. C’est un film qui montre très, très bien le drame de conscience par rapport à la question du terrorisme, de l’action. C’est un drame à huit-clos, c’est une réflexion sur la guerre, c’est un film très important. À mon sens, c’est un des films les plus importants sur la Guerre d’Algérie, par toutes les questions qu’ils soulèvent. C’est un film très, très intéressant.

Emmanuel Laurentin : Il y a d’autres films de fiction, bien moins connus, qui sont tournés dans ces années-là. Vous mettez l’accent, Sébastien Denis, sur l’un d’entre eux, je dois reconnaître que j’en avais pas entendu parler, je ne l’avais vu. C’est le film tourné par Georges Derocles, dont on parlait tout à l’heure…

Sébastien Denis : Pas tourné mais produit.

Emmanuel Laurentin : Tourné par James Blue, qui est un cinéaste américain sorti de l’IDHEC, produit par Georges Derocles, en 1961, qui s’appelle « Les oliviers de la justice ». Il sort en août 62, au moment de la catastrophe, de l’arrivée des premiers pieds-noirs en France, et il parle justement des relations des pieds-noirs et des Musulmans, dans l’Algérie en train de devenir indépendante.

Sébastien Denis : C’est un film tout à fait important, déjà parce que c’est un des rares films de fiction, dont parlait Benjamin Stora, à être sorti pendant, même si c’est juste après, dans le contexte immédiat, on va dire, de la guerre. Et surtout il est important en tant que tel mais c’est vrai que ce que là j’apporte dans le livre c’est aussi l’historique de ce film.

Emmanuel Laurentin : Oui parce qu’il a souvent été considéré, en particulier par certains pieds-noirs et certains milieux pieds-noirs comme étant un film, disons, pied-noir en tant que tel alors que vous expliquez très bien que c’est un film qui a été produit, financé, en grande partie, par l’État et qu’il participe aussi d’une nouvelle politique de gestion de fonds publics en faveur de ce cinéma tourné en Algérie.

Sébastien Denis : Bien sûr, il fait partie, là, d’une vraie politique d’État en termes de média, qui est de voir comment on va gérer la fin de la Guerre d’Algérie, et comment on va gérer justement les relations avec les Algériens et la relation avec les pieds-noirs dans le contexte de la fin de la guerre. Du coup, il y a tout un tas de films qui sont produits en arabe dialectal pour le public algérien,…

Emmanuel Laurentin : Des courts-métrages, beaucoup.

Sébastien Denis : Des courts-métrages, beaucoup, dont certains par James Blue d’ailleurs, qui était là avant « Les Oliviers de la justice », et puis…

Emmanuel Laurentin : D’autres par une société tenue par Fred Orain, c’est ça ?

Sébastien Denis : Absolument, Castella Film, Fred Orain, qui est quelqu’un de très important, qui a été le producteur de Tati notamment, et qui a produit une très, très grande partie sinon la totalité de ces films en arabe dont je parle à l’instant. Il s’agit quand même d’une production importante de dizaine de films, qui ont été projeté pour le coup dans le bled, et qui sont des films de fiction. Donc, on a quand même toute une production qui est rare, que l’on connaît très peu, dont malheureusement je n’ai pas pu mettre d’exemple dans le DVD mais qui sont des films très importants et « Les Oliviers de la justice » sont dans ce contexte-là. Donc, c’est un film qui est très clairement orienté et d’après Georges Derocles, c’est un film qui a été fait à la demande expresse du président de la République.

Benjamin Stora : Sébastien Denis a raison d’insister sur cet aspect, c’est un film qui tente de redéfinir les rapports entre les communautés, c’est-à-dire les communautés européennes et musulmanes pour aller vite, et essayer d’entrevoir les possibilités d’une cohabitation entre les communautés pour préparer le passage à l’indépendance.

Emmanuel Laurentin : Pas de chance parce qu’il est tournée en 61 et il sort au moment où tout s’arrête.

Benjamin Stora : Au moment où tout est fini. Il y a un autre film comme ça, qui est très important et très intéressant, qui est lui un film documentaire, qui est passionnant à regarder aujourd’hui, qui est le film d’Edgar Morin et Jean Rouch, ce documentaire extraordinaire « Joli mois de mai » (Note de GD [1]), qui a été fait en 1961, c’est la même année que James Blue. C’est film où l’on voit le jeune Régis Debray, qui a 20 ans, qui discute avec Edgar Morin, qui discute avec Jean Rouch sur la question de la Guerre d’Algérie. C’est pour ça que c’est très rare parce qu’il y a des gens qui parlent librement : il y a des ouvriers, il y a une femme italienne,… Je ne vais pas faire l’énumération de tous les personnages de ce documentaire absolument incroyable, et tout ce monde-là débat de la transformation de la société française, du poids de la Guerre d’Algérie, du poids de la Seconde Guerre Mondiale et du génocide juif en rapport avec ce qui se passe dans le mouvement de décolonisation, parce qu’on voit la présence, ça c’est dû à Jean Rouch bien sûr, de Noirs à l’écran, ce qui est quand même rare dans le cinéma français de cette époque-là. Et, on peu comparer effectivement ces deux films, celui de James Blue et celui d’Edgar Morin et Jean Rouch, parce qu’ils ont été tournés en même temps et ils racontent une même histoire, c’est-à-dire la possibilité ou non d’une cohabitation intercommunautaire.

Sébastien Denis : Avec des techniques semi-documentaires, on va dire, ce qui donne aussi la puissance du film de James Blue.

Anaïs Kien : Ce qui frappe peut-être effectivement dans la comparaison que vous faites entre ces deux films, c’est la quotidienneté du rapport à la Guerre d’Algérie et au problème algérien et l’absence des écrans, parce que des projets de fictions il y en a, Sébastien Denis, mais ces films ne sont jamais réalisés. On a peut-être des scénarios, ils sont censurés immédiatement, mais la fiction existe avant 1960 malgré tout.

Sébastien Denis : La fiction existe effectivement sous forme de scénario. Benjamin Stora parlait tout à l’heure de cette absence de films pendant la guerre, il se trouve que c’est une absence un petit peu paradoxale, parce qu’effectivement il y a eu, dans le contexte qui est celui justement de de Gaulle et de cette volonté de changer un peu l’image de l’Algérie, toute une série de scénarios produits sur la Guerre d’Algérie, des scénarios qui ont été analysés à la fois à Alger et à Paris, il se trouve que ces scénarios plaisaient soit à Alger soit à Paris mais jamais aux deux, ce qui fait que ces films ne sont jamais sortis. Benjamin Stora connaît bien ce problème de la diffusion des images.

Benjamin Stora : C’est fondamental.

Sébastien Denis : Je crois que ça a été une erreur absolument inouïe de ne pas faire ces films. Parce qu’effectivement ça aurait permis, il y a des scénarios tout à fait intéressants qui existent, il y en a un qui est très, très proche de « Avoir 20 ans dans les Aurès »

Benjamin Stora : Oui, oui, tout à fait. Il y a effectivement beaucoup de scénarios qui existent, peu sont tournés et ceux qui sont tournés sont censurés. Vous savez, le cinéma c’est une industrie, lorsque les producteurs savent qu’un film peut être censuré, c’est la perte d’argent donc on ne va pas s’amuser à se lancer. Cette censure fonctionne plus par autocensure disons économique et financière que par la censure d’État. Ça, c’est très important à signaler. Il faut dire aussi…

Sébastien Denis : Plus pour ces films-là, notamment…

Benjamin Stora : Bien sûr. Ce qu’il faut signaler aussi, c’est qu’il y a beaucoup de grands cinéastes qui ont des projets sur l’Algérie et qui vont ensuite transformer ces projets immédiatement après la Guerre d’Algérie mais sans la montrer directement. Je pense à des grands films, comme « Cloé de 5 à7 », un film absolument magnifique d’Agnès Varda. On connaît l’histoire, c’est celle d’une chanteuse qui croît qu’elle est victime d’un cancer et qui va rencontrer un jeune soldat qui part pour l’Algérie, et les deux par conséquent font en quelque sorte cette sorte de déambulation dans Paris dans un rapport à la mort, c’est un film de 1963, dans un rapport à la peur du départ vers l’Algérie. C’est un film évidemment qui ne traite pas directement, de manière explicite de la guerre, tous les spectateurs ont dans l’esprit ce rapport à la guerre, ce rapport à la mort et ce rapport à la déambulation tragique de ces deux personnages.

Emmanuel Laurentin : Vous évoquiez tout à l’heure, Sébastien Denis, ces films de propagande de la période gaulliste, entre 1958 et 1962, en voilà un extrait tiré de votre livre et du DVD qui l’accompagne, « Demain l’Algérie ».

Extrait du film « Demain l’Algérie » : « Aujourd’hui, c’est l’Algérie tout entière qui doit et qui peut devenir paisible et heureuse. C’est là le désir profond de chaque Algérien. Les moyens de réaliser cette Algérie indépendante et prospère sont déjà là, à la portée de chacun, si l’aide généreuse du peuple de France est acceptée par la population de l’Algérie. Cette population est parmi les plus jeunes du monde. Plus de la moitié des Algériens sont âgés de moins de 20 ans. Cinq millions de très jeunes gens à éduquer, à instruire, c’est là le plus grave problème de l’Algérie d’aujourd’hui mais c’est sa plus grande chance de demain. »

Emmanuel Laurentin : Difficile d’y croire quand même : petite musique au piano, demain l’Algérie, on va parler de la façon dont les élèves vont être scolarisés dans le cadre du plan de Constantine. Sébastien Denis, on est quand même assez loin de la guerre et cette propagande a peut-être du mal à passer tout de même ?

Sébastien Denis : Je ne crois pas parce qu’on est à la fin de la guerre, c’est un film de 61 qui prépare objectivement l’indépendance de l’Algérie. Donc, on est dans autre chose, on a passé un cap et c’est le dernier film d’ailleurs produit pour un public large par le SCA à l’époque, le Service cinématographique des armées. C’est un film politique, clairement. Il n’y a absolument rien de militaire dedans.

Anaïs Kien : On parle de développement en vue d’une possible autonomie quand même.

Sébastien Denis : C’est clairement dit, et ça suit de ce point de vue-là tout à fait ce que veut le président de la République. C’est un film qui est la doxa pure et intégrale. Le rejet, si rejet il y a eu, ce qui est difficile à savoir, il est sans doute venu plus de la population pied-noir européenne d’Algérie que des Algériens eux-mêmes évidemment.

Benjamin Stora : Oui, c’est-à-dire qu’on a effectivement un cinéma à la fois documentaire et de fiction qui bascule, entre 1961 et 1963, puisque dans le cinéma de fiction, les projets qui sont mis en œuvre et que l’on verra encore une fois plus tard, en 62-63, sont déjà des films de l’après-guerre, même pendant la guerre.

Emmanuel Laurentin : ceux qui pensent ces projets les pensent déjà dans un contexte de fin de guerre ?

Benjamin Stora : Ils les pensent comme ça. J’ai parlé tout à l’heure de « Cloé de 5 à7 » mais on peut parler aussi de deux autres films de fiction qui sortent dans l’après-coup mais qui ont été réalisés ou pensés avant : « Muriel », d’Alain Resnais, qui est un très beau film, et qui déjà aussi dans cette sorte de traumatisme. Il s’agit de l’histoire d’un soldat français qui a violé une femme algérienne et qui sans cesse est obsédé par cette histoire, par cette séquence. Et Alain Resnais avait conçu ce projet bien avant l’indépendance de l’Algérie et le film sortira après. Donc, on voit déjà que l’on est dans l’après, dans le remord, dans la culpabilité, dans le traumatisme, et ça, c’est quelque chose d’important. Et il y a un autre film, beaucoup moins connu, de Robert Enrico, qui s’appelle « La belle vie », qui est là-aussi pensé avant, Enrico le fait en 1961 qui sortira plus tard, en 63, et qui est le retour d’un soldat de la guerre et qui n’arrive plus à trouver sa place dans la société qui a changé, et qui est complètement perdu par rapport à ce qu’il va vivre lui comme personne, comme individu, au retour de cette guerre. Donc, on voit bien que la fiction, le cinéma de fiction lui-même épouse ce changement d’époque.

Emmanuel Laurentin : D’où l’importance, Sébastien Denis, de temporaliser, comme vous le faites, cette question du cinéma de propagande et du cinéma de fiction aussi autour de la Guerre d’Algérie. Parce qu’effectivement des films peuvent être produits, commencer à être mis en production, à un moment donné de la guerre, être développés à un autre moment de la guerre, puisque évidemment cela évolue assez rapidement, et puis sortir à un autre moment de la guerre et au bout du compte être en décalage, ou au contraire, parce qu’ils ont une sorte de prescience de ce qui va se passer épouser l’époque au moment où ils sortent. Tout cela, c’est très important de le savoir, ce n’est pas la même chose que dans une période relativement calme où l’on peut produire tranquillement des films qui sortiront avec des spectateurs qui ont à peu près le même imaginaire qu’au moment de la mise en production.

Sébastien Denis : C’est vrai en particulier de deux films produits par l’armée, qui sont des films de propagande mais de fiction, qui n’ont pas pu sortir en salle parce que justement ils sont arrivés à contretemps.

Emmanuel Laurentin : C’est très important ça.

Sébastien Denis : Il y en a un qui a été tourné en 57, qui a eu des problèmes de production, donc il est sorti en 58 au moment où justement du coup le climat politique a totalement changé, donc il n’a pas pu être diffusé en salle contrairement à un film qui avait été produit, qui s’appelle « Képi bleu », un film de 57, qui est un film vraiment d’action psychologique, qui lui était sorti en salle avec un grand succès. Le film qui a été produit l’année d’après, lui, n’a pas fonctionné du tout et n’a pas pu sortir. C’est des films en production lourde, en couleur, tournés en Algérie. Il y a un autre film comme ça aussi, qui a été produit en 60 et qui a eu des problèmes évidemment dus au contexte de l’OAS, etc., donc il n’a pas pu sortir.

Emmanuel Laurentin : Archive de l’ECPAD, que l’on peut trouver dans un documentaire, qui m’a été conseillé par son réalisateur, sachant qu’on travaillait sur cette semaine, il m’a envoyé le lien avec le site de LCP, la chaîne parlementaire sur laquelle il a été diffusé. Ce documentaire s’appelle « À mon inconnu que j’aime » il traite de la question des marraines de guerre pendant la Guerre d’Algérie, avec des interviews formidables de femmes qui écrivaient à des soldats qui étaient partis. Pour certaines d’entre elles, elles se sont mariés avec eux, pour d’autres pas du tout. Dans ce film documentaire produit par LCP, la chaîne parlementaire, on trouve cet extrait d’archives de l’ECPAD. On est à Noël, après justement l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir.

Archive de l’ECPAD, « Noël en Algérie » : « Noël en Algérie. Ceux qui sont à la pointe des combats ont vécu cette soirée avec gravité. Qu’ils sachent que le cœur de la nation est sans cesse avec eux. Qu’ils soient persuadés que l’armée toute entière travaille en premier lieu pour eux, pour l’Algérie et pour faire face à tous les dangers d’un monde à la recherche de son équilibre. Le général de Gaulle l’a dit : un pays doit être capable d’envisager toutes les hypothèses qui peuvent concerner son destin, y compris celle de la guerre. Il faut que notre force soit faite pour agir où que ce soit sur la Terre, mais si l’armée doit disposer d’armes modernes, il faut se rappeler que le matériel n’est rien sans l’homme, l’homme avec sa conviction, sa foi nationale, son énergie, sa conscience, son courage et souvent son héroïsme, l’homme en dernier ressort, l’arme suprême. »

Emmanuel Laurentin : Sébastien Denis, extrait du film de Rémy Collignon, que l’on peut voir sur le site de la chaîne parlementaire, « À mon inconnu que j’aime », une archive de l’ECPAD que vous connaissez par cœur, puisque vous les connaissez toutes par cœur pour les avoir visionnées, « Noël en Algérie » en l’occurrence.

Sébastien Denis : Un film assez étonnant, là évidemment on n’a pas l’image, mais c’est un long travelling dans un mess de…

Emmanuel Laurentin : D’officiers…

Sébastien Denis : Non, de soldats, avec un sapin de Noël, des décorations, avec cette espèce d’air que l’on entend, tout à fait angélique…

Emmanuel Laurentin : Là aussi on est dans le western. Tout à l’heure on parlait de musique de western, c’est tout à fait une musique de fin de western…

Sébastien Denis : Pas tout à fait.

Anaïs Kien : Là, on parle plutôt aux familles des soldats pour les rassurer.

Sébastien Denis : Absolument. C’est quelque chose dont on n’a pas parlé, mais il y a une dimension de propagande qui est une dimension de soutien moral aux familles. Certains films de l’armée, dont celui-là effectivement, sont diffusés réellement pour les familles et pour les soldats eux-mêmes, dans les cantonnements, pour les rassurer pour donner une image positive de leur travail et aussi pour fixer leur action dans le renouvellement de l’armée, puisque c’est un des projets aussi du général de Gaulle que de renouveler totalement l’armée. Il mélange les deux dans cette archive.

Benjamin Stora : Trois mois après ça sera, je le disais tout à l’heure, le 1er numéro de « Cinq colonnes à la Une » qui s’ouvre ^précisément avec un message pour les familles françaises, restées en Métropole, la vie d’un sergent, le sergent Charlie Robert. C’est un sujet pour les familles, c’est le premier sujet qui ouvre « Cinq colonnes à la Une ».

Emmanuel Laurentin : Évidemment, il y a l’après Guerre d’Algérie. Et dans cet après Guerre d’Algérie, on a fait une place particulière à un film que vous traitez également, Benjamin Stora, dans votre « Imaginaires de guerre », « Avoir vingt ans dans les Aurès ».

Extrait du film, « Avoir vingt ans dans les Aurès » : « Tu crois que tu as tout perdu ? / Oui, même ma jambe. / Ta jambe, ce n’est pas du tout sûr que tu la perdes. L’hélico arrivera demain matin. Je pense que dans trois mois, tu ne boiteras même plus. Pour le reste… Quand tu as accepté de faire partie de ce commando de chasse, tu pensais que cela serait un petit duel avec moi, hein ? Qu’avec tes petits copains Bretons, entêtés, antimilitaristes, tu réussirais à passer à côté du truc, à faire une petite guerre bien propre. Ce n’est pas toi qui as perdu, le jeu était faussé au départ. J’avais tous les atouts. / Avec ton baratin !/ Tu es aussi fort que moi pour le baratin, sergent, peut-être plus même. Mais toi et les gus de ton syndicat, vous n’êtes que des idéalistes. Des fils de prolos, même sous l’uniforme, ça restera toujours des fils de prolos. / Tu parles ! / Il faut bien vous mettre dans le crane que quand on a un uniforme sur le dos et que l’on fait partie d’un groupe, surtout dans un pays où les gens n’ont pas la même couleur de peau que vous, ce qui existe, c’est les copains, le groupe. Puis tout autour les autres, les ennemis forcément, c’est ça qu’il faut que vous appreniez à votre syndicat des instituteurs. »

Emmanuel Laurentin : Voilà, extrait de « Avoir vingt ans dans les Aurès ». Benjamin Stora, un film là aussi important, qui montre aussi les clivages des mémoires par la fiction, par le cinéma. Parce qu’il y a les films ensuite anti Guerre d’Algérie, il y a les films pour la Guerre d’Algérie, il y a les films de la « nostalgérie », films pieds-noirs, tout cela va conduire à une multiplication des types de films qui s’adressent là-aussi à des publics particuliers.

Benjamin Stora : Oui, des publics séparés. « Avoir vingt ans dans les Aurès », le titre est culte. Tout le monde maintenant a gardé en esprit cela. C’est la période de l’après 68. On est en 1971, 72, 73, il y aura « R.A.S. », d’Yves Boisset, qui va aussi marquer les esprits, qui sera un succès, incontestable. Un autre film de Laurent Heynemann, « La question », qui est l’adaptation du livre d’Henri Alleg, bien sûr, qui sont des films de dénonciation, des films accusateurs dans la foulée de 68. Puis, Schoendoerffer, lui, va essayer faire un film, « L’honneur d’un capitaine », qui racontera une autre histoire de soldat. Puis le film de Gérard Mordillat, « Cher frangin ». Bref, on est dans le film de soldat, celui qui est aux prises avec sa vie…

Emmanuel Laurentin : Qui va jusqu’au film de Florent Emilio Siri, « L’ennemi intime », d’il y a deux ou trois ans.

Benjamin Stora : Absolument, qui va jusqu’à « L’ennemi intime » en passant par le très beau film de Philippe Faucon, à mon avis l’un des plus beaux films sur la Guerre d’Algérie, qui est « La trahison ». Donc, on a effectivement une sorte de continuité du film d’appelé, de soldat de la Guerre d’Algérie. Et face à cela, il y aura d’autres mémoires bien sûr. La mémoire des pieds-noirs avec « Le coup de sirocco », d’Alexandre Arcady, qui par parenthèses joue dans le film de René Vautier, « Avoir vingt ans dans les Aurès ». Ça, les gens ne le savent pas beaucoup. Il va tourner son film, « Le coup de sirocco », en 79, puis ensuite le « Le grand carnaval », etc. Et ça, effectivement, on va avoir, jusqu’à l’« Outremer », le très beau film de Brigitte Roüan, on aura effectivement cette mémoire très particulière…

Emmanuel Laurentin : Jusqu’à aujourd’hui, « Un balcon sur la mer », qui traite de cette mémoire des pieds-noirs en Algérie…

Benjamin Stora : Jusqu’à aujourd’hui, le film de Nicole Garcia, qui elle-même traite de cet arrachement, de l’exil, du traumatisme du départ d’Algérie, qui a aussi trouvé quelque part sa place dans le cinéma de fiction. Puis, il y a bien sûr ce qui est nouveau, je ne sais pas si l’on aura le temps d’y revenir, ce cinéma nouveau qui traite des immigrés algériens en France. Ça, c’est un cinéma nouveau, avec des films comme « Vivre au paradis », avec Roschdy Zem, qui est un très, très beau film.

Emmanuel Laurentin : Un film formidable, qui se passe pendant la Guerre d’Algérie mais dans le bidonville de Nanterre…

Benjamin Stora : En 61. C’est à mon sens l’un des films, avec « Élise ou la vraie vie », avec Marie-José Nat, un des plus beaux films sur ce cinéma français, l’immigration algérienne pendant la Guerre d’Algérie, avec bien sûr, « Nuit noire » d’Alain Tasma, et le film qui a fait polémique, vous le savez, « Hors la loi » de Rachid Bouchareb. Donc il y a cette espèce de cinéma nouveau depuis une dizaine d’années qui traite des questions d’immigration donc d’une autre mémoire de la guerre. Et puis enfin, on n’aura pas le temps d’en parler, il y a le cinéma algérien de la guerre.

Emmanuel Laurentin : Eh, oui ! « Chronique des années de braise », Mohammed Lakhdar-Hamina, en 75…

Benjamin Stora : Avec sa propre mémoire, avec bien sûr un grand événement au Festival de Cannes, 1975, « Chronique des années de braise ». Il y a d’autres mémoires bien sûr mais les principales mémoires autour de la guerre sont représentées dans des films, et ça c’est un autre débat, qui n’ont pas tous marqués les esprits, bien sûr.

Anaïs Kien : « Avoir vingt ans dans les Aurès », Sébastien Denis, c’est un film sur le vécu des soldats pendant la Guerre d’Algérie. René Vautier avait réalisé plusieurs documentaires pendant la Guerre d’Algérie, qui ont été censurés les uns après les autres, là il passe à la fiction, comment peut-on montrer une image évolutive de la représentation du soldat français, en situation de Guerre d’Algérie, entre « Avoir vingt ans dans les Aurès » et le film dont vous parliez, Benjamin Stora, « La trahison » de Philippe Faucon, qui est sorti en 2005 ?

Sébastien Denis : Je crois que le contexte a quand même beaucoup changé et ce que veulent dire les cinéastes n’est pas du tout la même chose. Il se trouve que l’intérêt, je trouve, - les films ont chacun leur intérêt évidemment - du film de Vautier, c’est qu’il est situé historiquement dans une période,…

Emmanuel Laurentin : L’après 68…

Sébastien Denis : De l’après 68, donc effectivement il contient tout ça. Il a d’ailleurs un petit vieilli mais c’est un film extrêmement intéressant. C’est un film qui contient toutes ces données historiques. Je trouve que le film de Faucon, lui, est très intéressant parce que il parle réellement de l’Algérie et des soldats algériens.

Anaïs Kien : Engagés dans l’armée française.

Sébastien Denis : Les soldats musulmans, qui, c’est un des seuls films à réellement parler…

Benjamin Stora : Ce n’est pas un film sur les harkis.

Sébastien Denis : Ce n’est pas les harkis [Note de GD [2]), non, c’est les engagés de l’armée française et du coup il a aussi un point de vue qui est extrêmement original, y compris formellement, sur cette période historique. Je pense que c’est un des films à mon avis, les plus importants.

Benjamin Stora : Si le film de Philippe Faucon est si important et si intéressant, y compris sur le plan cinématographique, c’est parce qu’à la différence de beaucoup d’autres films de fiction, il a été tournée en Algérie. Et ça, c’est fondamental parce qu’on sent l’Algérie, on la touche, on vit dans ce pays. Ça, c’est fondamental.

Emmanuel Laurentin : C’est d’ailleurs très intéressant parce que dans le film de Nicole Garcia, qui sort aujourd’hui, par exemple, on a une ouverture de scène de nuit dans une ville totalement vide, dont on ne sait pas si c’est Marseille ou si c’est Alger, donc on joue sur cette espèce de contradiction ou d’ambigüité entre les deux côtés de la Méditerranée mais il a été tourné effectivement en Algérie.

Benjamin Stora : Certains plans ont été tournés en Algérie. Quelques plans ont été tournés à Oran effectivement, d’après ce que j’ai pu en voir. L’événement effectivement qui vient, c’est le film qui a été entièrement tournée en Algérie, celui-là, qui va sortir l’an prochain, qui est l’adaptation du roman d’Albert Camus, « Le premier homme », qui est fait par un réalisateur italien, Gianni Amélio, dont tout le monde attend la sortie. Lui, sortira l’année prochaine. C’est dans un an, mais le film a été entièrement tourné en Algérie. Et ça, on va découvrir, redécouvrir pour certains, de grands paysages algériens, on parlait western tout à l’heure, les grands espaces algériens. C’est un pays absolument gigantesque et très beau. Donc on va effectivement à travers ce film, j’espère, voir l’Algérie physiquement. C’est très important pour le cinéma, parce qu’il y a des films qui ont été tournés au Maroc et en Tunisie, eh bien ce n’est pas la même couleur : la Méditerranée n’est pas l’Atlantique, la Tunisie n’est pas l’Algérie, le Maroc atlantique n’est pas l’Algérie du point de vue encore une fois des couleurs, de la mer, des sensations et du parler, du parler dialectal algérien qui n’est pas identique à celui de l’arabe dialectal marocain, par exemple. Donc avec ce retour vers le tournage en Algérie, on revient aussi sur des paysages réels. Vous parliez tout à l’heure de déréalisation, la déréalisation elle vient aussi du fait que la plupart des films de fiction n’ont pas été tournés en Algérie. Et ça, cela se sent bien entendu.

Emmanuel Laurentin : Tout de même, vous êtes un spécialiste de l’Algérie et pas seulement du cinéma et de la Guerre d’Algérie, Benjamin Stora, est-ce que vous y voyiez dans ces productions de films récents par exemple, autour de la Guerre d’Algérie, un rapport avec les discussions, les débats que la société française et la société algérienne portent en eux autour de cette Guerre d’Algérie ? Par exemple, est-ce qu’il y a des traces d’apaisement, des traces de ré exacerbation sur d’autres points ? Est-ce vous sentez justement qu’il y a des possibilités de connivences entre le débat public et le cinéma qui est produit ?

Benjamin Stora : Il y a un phénomène intéressant à observer, c’est le nombre de films tournés autour de la question de l’Algérie, de la Guerre d’Algérie, qui font événement, qui font problème. En France bien sûr, on a cité « La trahison » de Philippe Faucon, mais il y a d’autres films, « Mon colonel », de Laurent Herbiet…

Emmanuel Laurentin : Tiré du roman de Francis Zamponi.

Benjamin Stora : Voilà, absolument, tiré de ce roman de Francis Zamponi. Il y a aussi un film de Mehdi Charef, en 2008, je crois, « Cartouches gauloises » [3], qui est un très beau film aussi, qui se situe en 1962.

Anaïs Kien : C’est vu avec un point de vue d’un petit garçon.

Benjamin Stora : Vu avec les yeux de deux enfants, un Européen et un Musulman. Il y a l’adaptation encore en cours qui commence du roman de Yasmina Khadra, « Ce que le jour doit à la nuit », qui doit être réalisé je pense par Alexandre Arcady, dont le tournage va commencer en Algérie d’ailleurs et au Maroc, donc on a par conséquent au moins 7-8 films de fictions qui témoignent de l’intérêt, de la passion, du désir aussi de mieux se comprendre, d’essayer de comprendre, de traverser des miroirs. Et du côté algérien, on en parle pas en France parce que c’est toujours comme ça, mais il y a un grand film qui est sorti cet été en Algérie, qui a remporté un succès considérable, un film de fiction qui a été diffusé à la télévision algérienne sous la forme d’un feuilleton, tout l’été en Algérie, et suivi par des millions de téléspectateurs, qui s’appelle « Mustapha Benboulaïd ». Benboulaïd, c’est un héros de la révolution algérienne, qui est mort dans les Aurès en 1956. C’est un grand film de fiction qui dure 3h 30 mais qui a été diffusé en 5h et ça a remporté un énorme succès d’audience à la télévision algérienne. Et il y a d’autres films en préparation pour 2012, sur Larbi Ben M’Hidi,…

Emmanuel Laurentin : En 2012, donc pour l’anniversaire...

Benjamin Stora : Pour la sortie l’an prochain. Donc, les Algériens, eux aussi, essayent disons à travers le cinéma de fiction de raconter leur histoire mais en essayant aussi de ne pas caricaturer, entre guillemets, l’adversaire. Il y a aussi une volonté de l’autre côté de la Méditerranée. Mais attention de l’autre côté de la Méditerranée, il y a aussi des tendances nationalistes, extrêmement puissantes de mise en accusation, etc.

Emmanuel Laurentin : Sébastien Denis, sur ces cinémas et cette dernière évolution, bien que vous soyez spécialiste, vous, de la période de la Guerre d’Algérie même ?

Sébastien Denis : Ce que je trouve intéressant, j’ai vu, hier soir, le film de Nicole Garcia, c’est la manière dont elle intègre l’Algérie dans un film de genre, qu’est le film français, le drame romantique, etc., ça apparaît dans des films qui ne sont pas des films de guerre et où…

Emmanuel Laurentin : On peut même dire que l’autre film, qui s’appelle « Le nom des gens », qui vent de sortir, d’une tout autre histoire, il y a une partie qui se passe également en Algérie, là aussi filmée façon super8, racontant d’un côté les soldats en Algérie, la vie en Algérie, à ce moment-là.

Sébastien Denis : Ce que je trouve dans cette production récente sur la Guerre d’Algérie, c’est, par exemple « L’ennemi intime » de Siri, la volonté de tout mettre la dedans, c’est-à-dire un peu de faire des cours d’histoire.

Benjamin Stora : C’est très bien fait, c’est des films qui racontent l’histoire.

Sébastien Denis : Oui, mais c’est un peu des synthèses où l’on veut mettre tout et c’est évidement impossible.

Emmanuel Laurentin : Et c’est plus intéressant quand ça entre…

Sébastien Denis : Par la petite porte.

Emmanuel Laurentin : Par contrebande à l’intérieur des scénarios qui n’ont rien à voir a priori…

Benjamin Stora : C’est compliqué parce que par ellipse bien sûr, c’est toujours très intéressant de vouloir faire figurer « une guerre sans nom » mais cela témoigne aussi de la difficulté à montrer la Guerre d’Algérie tout simplement, qui était une guerre sans fronts, une guerre invisible, une guerre où l’on avait du mal à identifier l’autre, une guerre qui était aussi une double guerre civile. Donc, c’est très difficile aussi pour le cinéma de mettre en scène cette guerre. C’est une guerre qui est difficile à montrer tout simplement, une guerre où l’on ne savait plus trop qui était le véritable ennemi. C’est un des grands défis du cinéma de fiction, même si la fracture essentielle bien sûr elle passait sur la question coloniale, c’est sûr.

Emmanuel Laurentin : Merci, Benjamin Stora. Je rappelle que l’on peut lire de vous, sur ce sujet très précisément : « Imaginaires de guerre. / Les images dans les guerres d’Algérie et du Viêt-Nam », avec une comparaison très utile justement avec le cinéma américain sur la Guerre du Viêt-Nam, c’est aux éditions la découverte, en Poche, mais également qu’il faut conseiller, parce que c’est vraiment un ouvrage très intéressant, qui a déjà du succès, « Algérie 1954-1962 », aux éditions des Arènes, un « pop-up », avec beaucoup de documents, qui sont en facsimilés, à l’intérieur, sur cette Guerre d’Algérie. Vous l’avez fait avec Tramor Quemeneur. Puis, aux éditions Nouveau Monde, Sébastien Denis, « Le cinéma et la Guerre d’Algérie, la propagande à l’écran », c’est votre thèse éditée aux éditions Nouveau Monde. Je rappelle que Rémy Collignon est l’auteur de ce documentaire dont je parlais tout à l’heure, « À mon inconnu que j’aime », sur ces marraines de guerre qui témoignent aujourd’hui sur ce qu’elles écrivaient et les lettres qu’elles recevaient des soldats en Algérie. On peut le voir sur le site de LCP.

Vous vouliez annoncer autre chose aussi, Anaïs Kien ?

Anaïs Kien : Oui, sur les images de la Guerre d’Algérie, au Palais de Tokyo, jusqu’au 2 janvier 2011, une exposition de Zineb Sedira, sur les photos du photographe de guerre Mohamed Kouaci.

Emmanuel Laurentin : C’est jusqu’au 2 janvier, au Palais de Tokyo, à Paris.

Comme d’habitude cette émission de « La Fabrique de l’histoire » a été préparée par Maryvonne Abolivier et Aurélie Marsset. À la technique on trouvait aujourd’hui Ariane Herbay ( ?) et à la réalisation Séverine Cassar.

Vous pouvez écouter cette émission pendant 55 jours, sur le site franceculture.com, rubrique les émissions à « La Fabrique de l’Histoire », la télécharger pendant une semaine, trouver des bibliographies complémentaires, bien entendu. Et puis, vous pouvez également laisser vos commentaires sur ces pages et vous ne vous êtes pas privés d’en laisser d’ailleurs à propos du documentaire d’Anaïs et de Sévérine, sur les rappelés de 55, continuez à l’écouter et laissez vos commentaires. Vous pouvez également discuter avec nous sur le site du

 

 

 

http://www.fabriquedesens.net/La-Fabrique-de-l-Histoire-Histoire,413

 

Rédigé le 13/02/2021 à 14:49 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)

« | »