Louisette IGHILAHIRIZ(Militante Nationaliste), auteure de l’ouvrage avec Anne Nivat, « Algérienne », Editions Calman-Levy, 2001.
Henri POUILLOT (Militant Anticolonialiste-Antiraciste) « La Villa Sesini », Editions Tirésias, 2001.
Olivier LE COUR GRAND MAISON (Universitaire français), auteur de l’ouvrage « Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, Editions La Découverte, 2019.
Seddik LARKECHE (intellectuel franco algérien), auteur de l’ouvrage, auteur de l’ouvrage « Le Poison français, lettre à Mr Le Président de la République », Editions Ena, 2017.
1. La reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie.
La France est aujourd’hui à la croisée des chemins avec la question de savoir si elle sera capable de passer un pallier dans la gestion apaisée de ses démons mémoriels en particulier celui avec l’Algérie qui fut une des guerres les plus tragiques du 20e siècle. La problématique centrale n’est pas la repentance, les excuses ou le ni niavec une reconnaissance générique mais la question de la reconnaissance de la responsabilité française en Algérie, notion juridique, politique et philosophique.
Cette question de la responsabilité unilatérale de la France colonialeest centrale au même titre que la déclaration du Président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l’Etat Français concernant la déportation des juifs durant la seconde guerre mondiale. Cette reconnaissance qui ouvra la voie à l’indemnisation de ces victimes.
La barbarie coloniale française en Algérie ne peut être édulcorée par quelques rapports fantasmés d’auteurs qui flirtent avec les pouvoirs politiques de droite comme de gauche depuis 40 ans. La question des massacres, crimes et autres dommages impose inéluctablement une dette incompressible de la France vis à vis de l’Algérie.
La stratégie développéedepuis toujours est de faire table rase du passé, une offense à la dignité des algériens. Cette responsabilité est impérative car elle peut sauver l’âme de la France qui est fracturée par ses démons du passé.
La reconnaissance de la responsabilité c’est admettre que la France s’est mal comportée en Algérie et qu’elle a créé de nombreux dommages avec des centaines de milliers de victimes et des dégâts écologiques incommensurables avec ses nombreuses expériences nucléaires et chimiques.
Que s’est-il réellement passé en Algérie durant près de cent-trente-deux années d’occupation ? La colonisation et la guerre d’Algérie sont considérées et classées comme les événements les plus terribles et les plus effroyables du XIXe et XXe siècle. La révolution algérienne est aussi caractérisée comme l’une des plus emblématiques, celle d’un peuple contre un autre pour recouvrer son indépendance avec des millions de victimes.
L’ignominie française en Algérie se traduit par les massacres qui se sont étalés sur près de cent-trente années, avec une évolution passant des enfumades au moment de la conquête, aux massacres successifs de villages entiers comme Beni Oudjehane, pour aller vers les crimes contre l’Humanité du 8 mai 45 sans oublier les attentats tels celui de la rue de Thèbes à Alger. La violence était inouïe à l’encontre des indigènes algériens. Entre 600 et 800 villages ont été détruits au napalm. L’utilisation par la France des gaz sarin et vx était courante en Algérie.La torture à grande échelle et les exécutions sommaires étaient très proches des pratiques nazies.
La France sait qu’elle a perdu son âme en Algérie en impliquant son armée dans les plus sales besognes. Ces militaires devaient terroriser pour que ces indigènes ne puissent à jamais relever la tête. Plus ils massacraient, plus ils avaient de chance de gravir les échelons.
La colonisation, c’est aussi la dépossession des Algériens de leurs terres où ces indigènes sont devenus étrangers sur leurs propres terres.
Le poison racisme est le socle fondateur de tout colonialisme. Sous couvert d’une mission civilisatrice, le colonisateur s’octroie par la force et en bonne conscience le droit de massacrer, torturer et spolier les territoires des colonisés. La colonisation française de l’Algérie a reposé sur l’exploitation de tout un peuple, les Algériens, considérés comme des êtres inférieurs de par leur religion, l’islam.
Il suffit de relire les illustres personnages français, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum et tous les autres que l’on nous vante souvent dans les manuels scolaires.
La résistance algérienne sera continue, de 1830 jusqu’à l’Indépendance en 1962, même si de longues périodes d’étouffement, de plusieurs années, seront observées. Sans excès, on peut affirmer que la colonisation a abouti à un développement du racisme sans précédent et nourri la rancœur des colonisés.
Etrangement, plus on martyrisait la population algérienne, plus sa ténacité à devenir libre était grande. Sur le papier, l’Algérie était condamnée à capituler devant la cinquième puissance mondiale. Le bilan tragique n’a pas empêché les Algériens de gagner cette guerre d’indépendance avec une étrange dialectique. Les enfants des ex colonisés deviendront français par le droit du sol et continueront d’hanter la mémoire collective française.
On tente aujourd’hui de manipuler l’Histoire avec un déni d’une rare violence en continuant de présenter cette colonisation comme une œuvre positive, un monde de contact où les populations se mélangeaient et les victimes étaient symétriques. Une supercherie grossière pour ne pas assumer ses responsabilités historiques.
Colons et colonisés n’étaient pas sur un pied d’égalité, il y avait une puissance coloniale et des européens et de l’autre coté des indigènes avec des victimes principalement du côté des colonisés algériens. Cette population indigène a été décimé de 1830 à 1962 faisant des centaines de milliers de victimes, morts, torturées, violées, déplacées, spoliées et clochardisées, devenant des sujets sur leurs propres terres. Cette réalité est indiscutable et vouloir la noyer par quelques rapports dans un traitement symétrique c’est prolonger une nouvelle forme de déni et de domination sous couvert de paternalisme inacceptable.
Le monde fantasmé du Professeur Stora est une insulte à la réalité historique, d’autant plus grave qu’il la connaît parfaitement. Son rapport répond à un objectif politique qu’il a bien voulu réaliser pour des raisons étranges mais certaines : édulcorer les responsabilitésavec un entre deux savamment orchestré laissant supposer l’égalité de traitement des protagonistes pour neutraliser la reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie. Le rapport est mort né car il n’a pas su répondre aux véritables enjeux de la responsabilité de la France coloniale en Algérie. Le jeu d’équilibriste pour endormir les algériens n’a pas pu s’opérer car les consciences des deux côtés de la méditerranée sont alertes. Personne n’est dupe sauf ceux qui ne veulent pas assumer les démons de la barbarie coloniale française en Algérie.
2. La France face à son démon colonial où le syndrome de l’ardoise magique.
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France a déployé une batterie de stratagèmes pour ne pas être inquiété sur son passé colonial. La France sait précisément ce qu’elle a commis durant 132 années comme crimes, viols, tortures, famine des populations et autres.Pour se prémunir contre tous risques de poursuites, elle a exigé aux algériens d’approuver une clause d’amnistie lors du cessez le feu. D’autres lois d’amnisties furent promulguées par la suite pour tenter d’effacer toute trace de cette barbarie coloniale. La suffisance de certains est allée jusqu’a obtenir la promulgation d’une loi en 2005 vantant les mérites de la colonisation française en Algérie. Ultime insulte aux victimes algériennes qu’on torturait symboliquement à nouveau.
3. Pourquoi la Francea peur de reconnaître ses responsabilités.
Reconnaître les responsabilitésdes crimes et dommages coloniaux c’est inéluctablement accepter l’idée d’une réparation politique et financière ce que la France ne peut admettre aujourd’hui face à une certaine opinion pro Algérie française encore vivace sur ce sujet.
Mais c’est aussi accepter de revoir la nature de la relation franco algérienne ou la rente permet toujours à la France de préserver sa position monopolistique sur ce marché qui est toujours sa chasse gardée.
C’est bien sûr également la peur de perdre une seconde fois l’Algérie française mythifiée, celle du monde du contact largement développée dans le rapport Stora.
Enfin,la crainte de devoir rendre des comptes d’une manière singulière aux enfants de colonisés qui constituent le principal des populations habitant les banlieues populaires françaises où le poison racisme est omniprésent. Il suffit de lire le dernier rapport du Défenseur des droits sur les discriminations pour s’en convaincre.
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Ces dernières années, un nouveau palier s’est opéré avec l’idée que ces citoyens musulmans où les algériens sont majoritaires, sont devenus en France les ennemis de la République car ils sont souvent accusés d’être les nouveaux porteurs de l’antisémitisme français. Aujourd’hui, la majorité de cette population subit une triple peine. La première est d’être souvent considérée comme étranger dans le regard de l’autre, car enfant de la colonisation, enfants de parents qui se sont battus pour ne pas être français.
Ensuite, le fait d’être musulman dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans.
Enfin, cette population est suspectée d’être porteuse du nouvel antisémitisme français car solidaire du peuple palestinien. Ces palestiniens qui sont aujourd’hui parmi les derniers colonisés de la planète. Les Algériens ont connu la même colonisation et sont unis à jamais à ce peuple opprimé par un lien indicible qui s’exprime dans les tripes et le cœur. Entre Algériens et Palestiniens demeure une identité commune avec un combat similaire contre la colonisation. Dans une continuité idéologique, la France est depuis toujours l’un des plus fervents défenseurs de l’État d’Israël. En Algérie, le peuple dans sa grande majorité est palestinien de cœur car ce que subissent les Palestiniens dans le présent, il l’a subi dans le passé par la puissance coloniale française. Ce lien fraternel est aussi visible dans la diaspora algérienne qui est presque toujours pro-palestinienne, sans forcément connaître l’origine de ce lien profond.
Ce sont ces constituants qui enferment cette population comme les supposés porteurs du nouvel antisémitisme, faisant d’elle, la cible privilégiée du poison français alors que l’on aurait pu croire que le système les en aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.Les musulmans où les algériens sont majoritaires sontsilencieux comme s’ils avaient été frappés par la foudre. Ils sont perdus dans cette société française, égaux en droit et rejetés dans les faits par un racisme structurel aggravé par une mémoire non apaisée.
À quelques très rares exceptions, les intellectuels et relais d’opinion abondent dans le sens du vent assimilationniste. Ils espèrent en tirer profit et acceptent d’être utilisés comme des « Arabes de service » faisant le sale boulot en s’acharnant à être « plus blanc que blanc ». Leurs missions sont de vanter à outrance le système assimilationniste ou le déni de mémoire est fortement présent. Ces partisans du modèle assimilationniste savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ont vendu leurs âmes en étant du côté de l’amnésie imposée du plus fort. Leur réveil se fait souvent douloureusement lorsqu’on les relève de leur poste en politique ou dans les sphères où ils avaient été placés en tant que porte-drapeaux du modèle assimilationniste. Ils se retrouvent soudainement animés par un nouvel élan de solidarité envers leur communauté d’origine, ou perdus dans les limbes de la République qui les renvoie à leur triste condition de « musulmans » où d’enfants d »indigènes ».
La faiblesse de cette population toujours en quête d’identité et de mémoire apaisée est peut être liée à l’absence d’intellectuels capables de les éclairer pour réveiller un peu leur conscience et leur courage face à une bien-pensance très active en particulier sur ces questions mémorielles.
4. L’inéluctable réparation des crimes et dommages de la colonisation française en Algérie.
La France, via son Conseil Constitutionnel, a évolué dans sa décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, en reconnaissant une égalité de traitement des victimes de la guerre d’Algérie permettant le droit à pension aux victimes civiles algériennes. Nous nous en félicitons mais la mise en œuvre a été détournée par des subterfuges juridiques rendant forclos quasi toutes les demandes des victimes algériennes. Comme si la France faisait un pas en avant et deux en arrière car elle ne savait pas affronter courageusement les démons de son passé colonial, pour apaiser les mémoires qui continuent de saigner.
Il ne peut y avoir une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis en Algérie par la France et dans le même temps tourner le dos aux réparations des préjudices subis y compris sur le plan environnemental. La première marche du chemin de la réparation financière c’est de nettoyer les nombreux sites nucléaires et chimiques pollués par la France en Algérie ainsi que les nombreuses victimes comme le confirme l’observatoire de l’Armement. C’est une question de droit et de justice universelle car tout dommage ouvre droit à réparation lorsqu’il est certain, ce qui est le cas en Algérie. Sauf si on considère la colonisation française en Algérie comme une œuvre positive comme la France tente de le faire croire depuis la promulgation de la loi du 23 février 2005 qui est un outrage supplémentaire à la dignité des algériens.
La France ne peut échapper à cette réparation intégrale car sa responsabilité est pleinement engagée.D’une part c’est une question de dignitéet d’identité des algériens qui ne s’effacera jamais de la mémoire collective de cette nation.
C’est pourquoi les jeunes générations contrairement à l’espérance de certains ne cesseront d’interpeler la France et l’Algérie sur cette question mémorielle.
Sur la nature de cette réparation, la France devra suivre le chemin parcouru par les grandes nations démocratiques comme l’Italie qui, en 2008, a indemnisé la Lybie à hauteur de 3.4 milliards d’euros pour l’avoir colonisé de 1911 à 1942, mais aussi : l’Angleterre avec le Kenya, les Etats unis et le Canada avec les amérindiens ou encore l’Australie avec les aborigènes. L’Allemagne a accepté, depuis 2015, le principe de responsabilité et de réparation de ses crimes coloniaux avec les Namibiens mais butte sur le montant de l’indemnisation. Avec le risque pour l’Allemagne d’une action en justice devant la Cour Pénale Internationale du gouvernement Namibien, avec l’assistance d’un groupe d’avocats britanniques et la demande de 30 milliards de dollars de réparations pour le génocide des Ovahéréro et des Nama.
La France elle même s’est fait indemniser de l’occupation allemande durant la première et seconde guerre mondiale à hauteurs de plusieurs milliards d’euros d’aujourd’hui. Au même titre, l’Algérie indépendante doit pouvoir être réparée des crimes contre l’humanité et dommages qu’elle a subi de 1830 à 1962.
Cette dimension historique a un lien direct avec le présent car les évènements semblent se répéter, les banlieusards d’aujourd’hui sont en grande partie les fils des ex-colonisés. On continue à leur donner, sous une autre forme, des miettes avec comme point culminant cette nouvelle forme de discrimination,poison ou racisme invisible, matérialisé dans toutes les strates de la société.
L’Histoire ne doit pas se répéter dans l’hexagone, les miettes accordées ici et là sont révélatrices d’un malaise profond de la République française. En particulier, son incapacité à fédérer tous ses citoyens, poussant certains à la résignation, au retranchement et parfois aux extrémismes.
Paradoxalement, c’est le modèle français qui produit le communautarisme alors qu’il souhaite le combattre.
Comme un exercice contre-productif, il lui explose au visage car il ne sait pas comment l’aborder. C’est aussi ce modèle qui pousse un grand nombre de ces citoyens franco algériens à ne pas être fier d’être français. Cette révolution algérienne fait partie de l’Histoire de France à la fois comme un traumatisme à plus d’un titre, mais aussi comme un lien sensible entre les Français quelles que soient leurs origines. Le cœur de cette double lecture est lié à cette singularité algérienne qui n’a jamais démenti ses attaches à l’islam. Cet islam a été utilisé par la France comme porte d’entrée pour coloniser l’Algérie et soumettre sa population. Il a aussi donné la force à cette population algérienne de faire face au colonialisme français, comme porte de sortie de la soumission.
En France et ailleurs, cette religion semble interpeller les sociétés dans lesquelles elle s’exprime. A l’heure d’une promulgation d’une loi sur le séparatisme qui risque de stigmatiser un peu plus cette population musulmane ou les algériens sont nombreux, l’enlisement semble se perpétuer comme si l’apaisement des mémoires tant voulue était un peu plus affaibli car nous sommes toujours incapable d’expliquer à nos enfants le traitement différencié à l’égard des victimes de cette tragédie historique.
5. L’Algérie face à ses responsabilités historiques.
Le silence de l’Algérie est lourd car elle n’a pas su appréhender la question de sa mémoire d’une manière énergique et l’illégitimité de ses gouvernances successives a maintenu des revendications peu soutenues à l’égard de la France. Pire, les problématiques algériennes ont trop souvent, surfé sur cette fibre mémorielle pour occulter leurs inefficiences à gérer d’une manière performante le pays.Aujourd’hui, L’Algérie ne peut plus faire table rase du passé colonial français et se contenter de quelques mesurettes ou gestes symboliques. L’Algérie au nom de ses chouadas doit assumer une revendication intégrale, celle de la reconnaissance pleine et entière de la responsabilité des crimes et dommage de la colonisation en Algérie.
L’objectif de cette réparation n’est pas de diaboliser l’ex-puissance coloniale, mais au contraire de lui permettre de se réconcilier avec elle-même afin d’entrer définitivement dans une ère d’amitié et de partenariat. L’Algérie a laissé perdurer une approche minimaliste comme si elle était tenue par son ex puissance coloniale, tenu par le poison corruption qui la gangrènede l’intérieur et qui la fragilise dans son rapport avec la France. Comme si l’Algérie enfermée dans une position toujours timorée avait peur de franchir la ligne de l’officialisation de sa demande de réparation alors que la France l’avait faite de son coté en légiférant en 2005 sur les bienfaits de la colonisation française en Algérie. Aujourd’hui, au nom de la mémoire des chouadas, l’Algérie doit également assumer ses responsabilités historiques.
6. L’urgence d’agir.
Sur la question mémorielle, reconnaître la responsabilité de la France sur les crimes et les dommages coloniaux y compris écologiques et les réparer financièrement au même titre que les principales grandes puissances mondiales. Abroger la loi de 2005 sur les bienfaits de la colonisation, la loi Gayssot et la loi sur l’antisémitisme pour déboucher sur une seule loi générique contre tous les racismes permettant de rassembler au lieu de diviser. Nettoyer les sites pollués nucléaires et chimiques et indemniser les victimes. Restituer la totalité des archives algérienne. Signer un traité d’amitié avec l’Algérie et suppression des visas entre les deux pays.
Ciel brûlant, mer offerte. Elle revient du Nord où une solitude l’a refroidie souvent. C’est là, sur le sable, qu’on le retrouve, l’œil vigilant, torse nu, coupe de cheveux en forme de couteau de boucher, short et voix haute, démarche virile et insolence appuyée. C’est le loueur de sable, d’eau, de mer et de parasol. Le tout à la fois. Arrière-petit-fils du butin, du socialisme aussi, du bien vacant surtout. À chaque saison d’été, on revient, dans les actualités, à ce duel entre le “parasolier” et le régime, un transat sauvage et un nouveau ministre, la loi et la prédation. Négociations, interdictions, bras de fer, transats et gendarmes, ombres et lois de saison. Cela commence en juin. En septembre, on conclut que c’est lui, le “parasolier”, qui a gagné. Encore une fois et depuis des années. En vérité, le parasolier est une jonction de l’intérêt et de la débandade, du pouvoir et des faiblesses du pouvoir. C’est que si près de la mer, tout est flou : le parasolier est un harraga en puissance, un mafieux ancien, un flibustier, un pirate, mais aussi un concurrent du régime, son lointain fils cadet. D’où à la fois la concurrence entre les deux, mais aussi la complicité passive, la compréhension mutuelle. Il y a partage de naissance ou de bénéfices ou des deux. Le parasolier est une sorte d’ancien moudjahid qui n’a pas fait la guerre, de bénéficiaire d’Ansej, mais qui ne demande que du sable, de propriétaire terrien, mais avec de la mer sous le pied. On peut se disputer avec lui et refuser de lui payer le soleil et la plage, mais il fait souvent peur. On le sent fort d’une milice, d’un État dans l’État, de complicités tentaculaires. Sur la plage, on est à demi-nu et lui, il est à demi armé. Le rapport de forces est en défaveur du baigneur et de sa famille. C’est alors qu’on cède : on se sent à la limite entre la loi et la loi de la jungle, alors, on préfère ne rien tenter. On paye ou on revient sur ses pas.
La plage est un territoire étrange : les islamistes s’y battent pour habiller les femmes (et même les hommes). L’État pour y imposer une autorité, le parasolier pour y affirmer un droit féodal. La nudité y est celle de la force. Y plane une atmosphère de menace et d’insolation ; on est trop près du corps et de la fuite du corps. La mer, c’est un peu l’Europe qu’on fantasme. La plage, c’est un peu l’Algérie qu’on subit. Le moyen de quitter le pays en y restant. De voyager sans bouger et surtout de tourner le dos au pays sans le nier. C’est là que la terre et le corps se révèlent dans la fragilité et la violence. Plages sales, accaparées, volées, bétonnées, salies jusqu’à l’outrage, fermées, violées ou voilées. Offertes aux égouts ou aux poubelles ou au plus fort. On peut y aller et fermer les yeux. Ou les ouvrir et en pleurer. La mer n’y est belle que veuve d’hiver. Quand elle est seule sous sa pluie. Quand il faut froid, elle a un museau blanc et regarde le ciel noir. Son côté fauve réapparaît et se résorbe. Comment un harraga l’interprète-t-il dans ses plans de fuite ? Un bête à vaincre d’un seul geste. Comme lorsqu’on égorge un mouton qui sautille. Une dune d’eau. Un mur qui se meut. Étrange inversement des récits de naufrage : les harraga meurent quand il fait trop beau. Contrairement aux anciens marins. Car c’est quand il fait beau qu’on tente le départ et la mort à la fois. La mer est une fille aussi. Une Espagne aquatique. À demi-nue. Aimée, désirée, mais insultée, outragée, violée quand elle est seule, harcelée si elle n’est pas “gardée”. On lui dédie des chansons, mais aussi, on lui reproche le manque de vertu, le vice solaire et la nudité, le bikini et la perte de l’hymen et de la virginité. Cependant, aucune religion n’a jamais pu convertir la mer. Les monothéistes sont piétons. Le ciel n’a jamais pu avoir le pied marin, etc. La mer reste sauvage et unie. Sa force vient d’un seul muscle bleu.
En été, avec le confinement, voir voler un avion fait se lever des têtes. C’est un évènement. Une rareté dans le ciel métallique. Les Algériens affluent vers les bords de la mer quand elle est accessible. Sauf que le pays n’a pas inventé les loisirs comme ailleurs. Les tarifs d’un transat sont ceux d’une croisière. La nudité est pénible, surveillée, chargée du sens d’un attentat contre les socles de la nation et contre les saisons de pluies, les offres sont misérables comme celles de passeurs de frontières. C’est qu’on n’aime pas beaucoup les touristes chez nous. Alors, quand on tente d’en devenir un chez soi, dans son pays, on éprouve de la difficulté, on se met en colère, on éprouve l’étroitesse et l’insulte, on se sent dépouillé ou en passe de l’être. Bronzer n’est pas un exercice de délaissement, mais une baisse de garde. Ici, la plage est un lieu sans murs, sans la tribu qui protège, sans la loi qui sécurise, sans les marqueurs de la généalogie, sans les vêtements qui rassurent. On se sent exposé. Rien ne prépare l’Algérien, dans sa vie nationale, au délassement et au relâchement. Les vacances sont à inventer dans le pays qui aime l’histoire de sa guerre. Le corps, même né longtemps après l’indépendance, garde la rigidité de la peur et de la colère. Quand il va à la plage, il va vers une tranchée ensoleillée. Un balafre possible. Si près de la mer, le pays des laideurs qui blessent et des beautés qui survivent aux massacres.
Pour les anciens cherchélliens le rapide passage à l’École ne représente qu’une étape lointaine de leur carrière. Celle des armes envisagée de longue date, à moins que leur vocation n'ait pris naissance à l’École même ou dans les premiers pas d’un service militaire, maintenant disparu. Pour le plus grand nombre leur itinéraire s’est poursuivi dans le civil , surtout pour les promotions d’après guerre, Cherchell ne formant que des réservistes. . Mais tous, instructeurs ou élèves, passés par Cherchell ou Médiouna en ont été marqués à jamais.
1. Les Anciens de Cherchell-Médiouna
Les élèves officiers issus des cinq premières promotions de Cherchell, celles de la 2e guerre mondiale, ont vécu une véritable épopée : la reconstitution d’une armée modernisée grâce aux moyens mécaniques fournis par les alliés, la création du Corps expéditionnaire d’Italie et la brillante campagne des Abruzzes, le débarquement de Provence et la remontée vers les Vosges et l’Alsace où eurent lieu de furieux combats, le passage du Rhin et la chevauchée en Allemagne et en Autriche jusqu’au Danube. Puis ce furent les combats d’Indochine et d’Afrique du Nord où, obéissant aux ordres avec abnégation, ils incarnèrent la grandeur et la servitude militaire. Leurs efforts, leur courage, leurs misères, leurs actions de combat où ils se couvrirent de gloire, leurs morts, sont le plus souvent ignorés des médias. Aussi les Anciens de Cherchell-Médiouna ont édité deux ouvrages réunissant des souvenirs et témoignages relatant des épisodes des diverses campagnes. Ces ouvrages collectifs sont : « A 20 ans, ils commandaient, au feu, pour la Libération » et « du Garigliano à Diên-Biên-Phu »(Voir Bibliographie)
Si le stage de Cherchell fut l'occasion pour de nombreux élèves de poursuivre une carrière militaire après la guerre, bien que certains d'entre eux envisageaient antérieurement d'exercer une profession civile, d'autres a contrario, qui ambitionnaient une carrière militaire avant 1939, ont bifurqué vers le civil après guerre. Les officiers issus de Cherchell ont dans la proportion de 90 à 95% participé à toutes les campagnes. Cependant les élèves réservistes de la cinquième promotion qui se termina après l’armistice furent démobilisés sans avoir combattu. Ceux qui choisirent de rester dans l'armée payèrent un lourd tribut à la guerre d'Indochine. Et ensuite aux combats en Algérie. Parmi les cherchélliens qui avaient choisi une carrière militaire quelques uns ont du de gré ou de force l’interrompre. En effet, dans les années qui ont suivi la libération les effectifs de l’armée ont été réduits et de nombreux officiers ont été rendus à la vie civile par des lois de dégagement des cadres. Puis, après le putsch d’avril 1961 des officiers furent touchés par des mesures disciplinaires, mis en congé spécial et radiés des cadres. Et beaucoup d’officiers demandèrent leur mise à la retraite anticipée peu avant et après l’indépendance de l’Algérie, l’Armée traversant alors un profond malaise. Plus de 50% des cherchélliens ont donc quitté l’Armée avant d’atteindre le grade de commandant. Ceux qui ont poursuivi une carrière militaire ont atteint pour la plupart le grade de lieutenant-colonel ou colonel et l’annuaire des cinq premières promotions permet de recenser 128 généraux dont 89 pour la seule promotion du « Rhin français ». L’importance de ce chiffre peut s’expliquer par le nombre élevé des élèves de cette promotion mais surtout par le fait qu’elle intégrait trois promotions de saint-cyriens. Qu’ils aient choisi d’emblée une carrière civile ou qu’ils se soient reconvertis dans le civil après une carrière militaire écourtée, dans leur majorité (plus de 80%) ils ont été cadres supérieurs ou de direction dans les entreprises, hauts fonctionnaires, enseignants. Les autres ont exercé des professions très diverses dans le commerce, l’agriculture, la santé et les métiers juridiques. D’anciens élèves de Cherchell-Médiouna acquirent une notoriété dans différents domaines. Le parcours de quelques uns est ici rappelé.
François DE GAULLE, 1ère promotion «Weygand-Cherchell», décembre 1942- mai 1943
Né le 13 février 1922, fils aîné de Jacques, frère de Charles de Gaulle, donc neveu du général. Très tôt, dès l’enfance, fut pris par le désir d’être prêtre. Ce sentiment se renforça avec le temps en une vocation missionnaire. Mais il n’en parlait pas. Après avoir passé son baccalauréat (première partie en juin 1939, puis en juin 1940, deuxième partie, réduite à quatre épreuves écrites en raison de la guerre), il fit le 15 août sa demande d’admission chez les Pères Blancs et reçut une réponse positive le 8 septembre. Il annonça alors la nouvelle à ses frères, cousins et parents qui apprirent en même temps sa vocation et son prochain départ pour Thibar, en Tunisie. La propriété de Saint-Joseph de Thibar était un vaste domaine agricole 1 200 hectares servant de ferme modèle exploitée par les pères blancs pour les besoins de la mission et comportant une maison de formation.
Embarqué à Marseille pour Bizerte il arriva à Thibar au milieu de l’automne et entama sa formation qui, en principe, devait durer sept ans et commencer par deux ans de philosophie. Appelé au chantier de jeunesse* 105 à Tabarka le 24 juin 1942, ses études furent interrompues. Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 et le ralliement de l’armée d’Afrique aux alliés, il fut désigné pour intégrer l’école de Cherchell où il arriva le 28 décembre. *Les chantiers de jeunesse instaurés par le régime de Vichy remplacent le service militaire supprimé par l’armistice du 22 juin 1940.
En tenue militaire
Au mois de mai 1943, aspirant à sa sortie de Cherchell il est affecté au 67e régiment d’artillerie d’Afrique (57e RAA) ; basé à Constantine, Officier observateur de la 6e batterie du 2e groupe. L’entraînement fut intensif pendant six mois. Puis ce fut l’embarquement à Bizerte et le débarquement à Naples le 21 décembre 1943. Avec le corps expéditionnaire français d’Italie il participa aux combats de Monte Cassino, du Garigliano, de la percée sur Rome en juin 1944, au défilé devant le Colisée et la remontée vers Sienne. Il fut confronté aux souffrances de la guerre et à la mort de plusieurs de ses frères d’arme tombés à ses côtés. Après un temps de maintenance et de révision, il embarqua à Tarente et débarqua en Provence, entre Sainte-Maxime et Saint-Tropez le 17 août 1944 et participa aux campagnes de France, d’Alsace et d’Allemagne.
À Ceretto (Italie)
Ce n'est qu'en 1945 qu'il va pouvoir reprendre ses études. Il est ordonné à Carthage en 1950 et il est nommé à la mission des Pères blancs en Haute-Volta (Burkina Faso depuis 1984). Missionnaire, il y a passé dix ans (1950-1960) puis trente-cinq ans (1973-2008), Dans l’intervalle, le père de Gaulle a occupé à Paris le poste de trésorier provincial.
Les adieux à la Paroisse de Kokolgho
A été l’un des co-célébrants de l’office religieux aux Invalides le 8 octobre 2010 à l’occasion de l’hommage national rendu à l’École de Cherchell. Retiré dans une maison de repos du Val d’Oise accueillant des missionnaires.
François de Gaulle
CITATIONS MILITAIRES de François de GAULLE
Ordre général n° 211 du 9.8.44, le général de division de GOISLARD DE MONSABERT, commandant la IIIe division d’infanterie algérienne, CITE A L’ORDRE DE LA DIVISION De GAULLE François, Mle 211, aspirant du IIe Groupe. Intelligent, énergique et calme. S’est distingué dans la période du 12 au 26 juin 1944 assurant avec maîtrise toutes missions. Le 21 juin, s’est porté rapidement, malgré les tirs ennemis, a un observatoire avancé, à moins de 800 mètres des lignes allemandes, pour mettre en placedes tirs permettant ainsi la reprise de la progression amie. La présente citation comporte l’attribution de la CROIX DE GUERRE avec ETOILE D’ARGENT
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Après approbation 910/I-PO en date du 27/11/44 du général commandant le IIe CA, le général GUILLAUME commandant la 3e DIA CITE A L’ORDRE DE LA DIVISION le sous-lieutenant DE GAULLE François 6e Bie du 2/67. Jeune officier qui s’est déjà brillamment distingué en Italie. En liaison auprès de l’Infanterie, le 14 octobre, occupant un observatoire avancé harcelé par un violent feu ennemi, a détruit par un tir précis une mitrailleuse installée sur la côte de la Grosse Roche permettant au bataillon appuyé de s’installer sans pertes sur l’objectif atteint. La présente citation comporte l’attribution de la CROIX DE GUERRE avec ETOILE D’ARGENT.
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Après approbation du général CHEVILLON, commandant l’ID/3 le lieutenant-colonel DE LA BOISSE, commandant le 3e RTA, CITE A L’ORDRE DU REGIMENT DE GAULLE François, sous-lieutenant, du II/67 RAA. Officier d’artillerie de grande classe, remarquable, par sa compétence, son calme, son égalité d’humeur et sa modestie. Maintes fois chargé de la liaison entre son groupe et le régiment, a toujours fait preuve des mêmes qualités portant à son maximum d’efficacité la coopération entre les deux armes. On lui doit, à la bataille de rupture des lignes organisées allemandes de la Lauter en Basse Alsace, les 15 et 16 mars 1945, la parfaite liaison entre le régiment et l’artillerie d’appui direct, la précision des tirs de préparation et l’efficacité des tirs d’arrêt qui brisèrent la contre-attaque sur Shirrhein et Chirrofen. La présente citation comporte l’attribution de la CROIX DE GUERRE avec ETOILE DE BRONZE.
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DECORATIONS
Officier de la Légion d'honneur Officier de l'ordre national du Burkina Faso
Source principale : «J'ai vu se lever l'Eglise d'Afrique» , François de Gaulle avec Victor Macé de Lépinay.Editions Desclée de Brouwer
Le père de Gaulle
Le père François de Gaulle est décédé le 2 avril 2020, à Bry-sur-Marne (Val de Marne), à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, L'inhumation a eu lieu le lundi 6 avril au cimetière de Bry.
Peloton 203, Promotion «Elève-Officier André Esprit »
04 janvier-09 juin 1962 : (509*)
(Elève du stage mort au Champ d’Honneur le 8 mars 1962)
L'élève-officier André Esprit
ANDRE ESPRIT : CITATION
« Élève-officier de tout premier ordre qui depuis son arrivée à l’École militaire de Cherchell s’est fait spécialement remarquer par sa personnalité et son enthousiasme. Le 8 mars 1962 au cours d’une sortie en zone rebelle, a été grièvement blessé lors d’un accrochage au Marabcha, secteur de Cherchell. Est tombé en servant l’arme automatique de son groupe dès le début de l’engagement face à un ennemi particulièrement agressif. Est décédé des suites de ses blessures
6 juin 1962
Baptême de la Promotion « ÉLEVE-OFFICIER ANDRE ESPRIT»
Pour la dernière fois, trois promotions étaient réunies sur le Vercors, à 9h30, ce 6 juin 1962, pour la traditionnelle prise d'armes
donnée à l'occasion du baptême de la promotion «ÉLEVE-OFFICIER ANDRE ESPRIT». En l'absence du général Bernachot, commandant
l’École, appelé en mission à Paris, la cérémonie était présidée par le colonel Carrère, commandant en second.
Avant son départ, le général Bernachot avait adressé aux cadres et aux élèves-officiers du peloton 203 ce message :
«Le général regrette infiniment de ne pas être présent à ce baptême. Il eût aimé, une fois encore, vivre la sobre grandeur
du rassemblement de l'École sur le Vercors et féliciter les élèves-officiers de la 203 d'avoir choisi le nom d'André Esprit
qui demeurera pour eux et toute l'École un exemple vivifiant de droiture, de générosité et de foi.
Extrait du livret de promotion communiqué par Jean Masson, lieutenant-colonel (H) TDM
Après la présentation des troupes par le lieutenant-colonel Roux et le salut au drapeau, le colonel Carrère, accompagné du capitaine de Bonet d'Oléon, passa la revue des cadres et des élèves de l'École . A l'appel des récipiendaires, le sous-lieutenant Loppé et l'élève-officier Claude Boissonneau, cités à l'ordre de la brigade, s'avancèrent pour recevoir la croix de la Valeur militaire. Après le cérémonial du baptême et la remise des épaulettes, la promotion, au commandement de son major, le sous-lieutenant Jacques Teissier, s'avança admirablement alignée. Puis le colonel Carrère, dans son allocution, évoqua les trois présences spirituelles qui donnaient un caractère et un accent inhabituels à cette cérémonie, la dernière qui se déroule ici dans sa plénitude souveraine. «De votre promotion, jusqu'à cet instant, le général Bernachot, commandant l'École, était de par la tradition et par délégation, le chef. De votre promotion désormais, le chef invisible mais présent, dans la plénitude de sa personnalité et le rayonnement de son sacrifice est votre camarade, l'élève-officier André Esprit, saisi par la mort peu avant le « cessez-le-feu » dans sa grandeur d'élève-officier exemplaire. Votre choix du nom de promotion « Élève-officier André Esprit» est un double hommage. Hommage à cet ultime sacrifice sur cette terre d'Algérie, de votre camarade de promotion, qui, au milieu de vous, a offert sa vie, dans ce domaine confié à l'École aux confins de Brincourt...Hommage aussi à l'élève-officier de réserve d'infanterie qu'il incarnait si bien. Cet élève de Cherchell, alliant la jeunesse - celle du regard, de l'allure et du coeur- à une expérience de la vie et à une culture déjà approfondies; cet élève-officier rayonnant de foi, de loyauté et de dynamisme; ce futur chef, animé du goût des responsabilités et du sens de l'humain (...). Par sa mort, André Esprit est devenu votre chef et vous l'avez aujourd'hui reconnu à jamais comme tel. Et c'est lui qui offre votre promotion à la France. La France, cette troisième présence et la plus haute au-dessus de tous, les Morts et les Vivants de Cherchell, domine comme son Drapeau notre assemblée... La France si digne objet de tant d'amour et de tant de dévouement, qui suscite dans la beauté de leur être et de leur accomplissement des hommes comme André Esprit et qui, par eux, nous commande une résolution indomptable et un espoir malgré tout invincible... Pour cela, commandez dès demain vos soldats, puis vos hommes et servez la France comme l'eût fair André Esprit ». Ce fut ensuite la minute émouvante du passage du Drapeau du bataillon des Anciens à celui des Cadets qui devenait par ce geste bataillon des Anciens. La cérémonie se termina par un défilé des troupes brillamment entraînées par la Musique de la 5e Région Aérienne. Parmi les personnalités présentes, on notait l'intendant-général Perrat, directeur de la Région territoriale et du corps d'armée d'Alger, le chef d'escadron Conete, commandant le 1/43e R.A. et le secteur de Cherchell, M.Bolloré, sous-préfet de Boghari, l'intendant Meslet et l'intendant Jugue, le chef d'escadron Molinier, chef d'état-major du 1/43e R.A. Le capitaine Dervout représentait M.Marodon, sous-préfet de Cherchell, retenu par une mission à l'extérieur.
Dans son nouveau film, « Sœurs », la réalisatrice et femme politique interroge en profondeur les relations complexes entre l’Algérie et la France, à travers ceux qui les vivent dans leur chair. Entretien avec Yamina Benguigui.
C’est sur plusieurs fronts qu’agit Yamina Benguigui, qui revendique son identité franco-algérienne et explore, depuis plusieurs décennies, la situation des communautés immigrées et leurs difficultés. Avant de réaliser des fictions – Inch’Allah dimanche en 2001, Sœurs aujourd’hui –, elle s’est fait connaître dans les années 1990 par des documentaires qui ont connu un grand retentissement en France comme ailleurs dans le monde. Mémoires d’immigrés, l’héritage maghrébin, en particulier, film pionnier qui faisait entendre la parole d’une population peu ou pas visible dans la société française, eut un immense impact.
Mais il y eut aussi, la liste n’est pas exhaustive, Femmes d’Islam, Le Plafond de verre ou 9/3, mémoire d’un territoire. Elle a également contribué à faire exister des émissions de télévision sur les immigrés. Et surtout accepté des fonctions qui l’ont amené à défendre et mettre en pratique ses convictions, y compris son combat féministe, dans l’arène politique : ministre chargée des Français de l’étranger et de la Francophonie dans un gouvernement de Jean-Marc Ayrault sous la présidence de François Hollande, adjointe au maire socialiste de Paris en charge des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations dans les années 2010, elle ne craint pas de passer à l’action.
On la retrouve encore depuis 2015 à la vice-présidence de la fondation Énergies pour l’Afrique de Jean-Louis Borloo et on la dit parfois influente auprès des pouvoirs des deux côtés de la Méditerranée.
Forte personnalité, énergique et volontaire, parfois objet de polémiques, la jeune sexagénaire Yamina Benguigui ne laisse personne indifférent. Chacune de ses initiatives est scrutée de près. Mais ce qui lui tient le plus à cœur, elle le dit ci-après, se passe derrière la caméra. Encore plus sans doute quand, comme dans le long métrage de fiction qui sort le 30 juin, Sœurs, elle évoque indirectement mais en profondeur l’histoire de sa famille.
Pour le résumer brièvement, ce film à la construction complexe – trop complexe ? – raconte, moult flash-back à l’appui, comment trois sœurs se retrouvent amenées à partir à la recherche de leur frère enlevé trente ans auparavant par leur père ancien combattant de la guerre d’indépendance, puis caché en Algérie à la suite de sa séparation avec leur mère.
Et ce, alors même que l’histoire familiale – et ses non-dits – resurgit au premier plan puisque la sœur ainée (Zorah, interprétée par Isabelle Adjani), malgré les réticences du reste de la famille (sa mère, mais surtout ses deux sœurs, Djamila et Norah, incarnées par Rachida Brakni et Maïwenn), a entrepris de la mettre en scène et de la raconter dans une pièce de théâtre dont sa propre fille (Hafzia Herzi alias Farah) est la principale protagoniste.
Un film qui incite donc à interroger Yamina Benguigui à la fois sur la genèse et le contenu de son film et sur sa vision actuelle des questions liées au sort des populations immigrées. Pour parler de ceux qui sont « ni d’ici, ni de là-bas » mais qui ont leur propre histoire, elle a répondu sans fard à nos questions.
Jeune Afrique : Aucun long métrage de fiction pour le grand écran depuis le premier, Inch Allah dimanche, remarqué à sa sortie il y a vingt ans. Pourquoi avoir autant attendu ? Une nette préférence pour le documentaire ?
Yamina Benguigui : Cela traduit ma façon d’envisager le cinéma. Quand j’ai réalisé Mémoires d’immigrés en 1998, le film a d’abord été montré sur Canal Plus, mais il est sorti aussi en salle. Tout comme le film Le Plafond de verre en 1993. Je propose une lecture cinématographique du documentaire. Et, s’agissant de fiction, j’ai aussi tourné la série Aïcha, un téléfilm en quatre épisodes pour France 2, en 2009. À chaque fois, documentaire ou fiction, il s’agit avant tout de faire évoluer les mentalités dans la société française.
À en juger par les sujets de vos nombreux documentaires et ceux de vos films de fiction, il semble que vous réservez votre approche de ce qui est le plus intime ou le plus autobiographique, aux seconds…
C’est tout à fait ça. La fiction vous oblige à sortir du général. Je traque le hors champ avec les documentaires, avec la fiction je me recentre sur moi, sur mon histoire, sur mon parcours depuis l’origine. Interroger l’intime, comme je le fais dans ce film et comme c’était déjà le cas avec Inch’Allah dimanche, c’est exprimer l’impossibilité à dire dans notre composante de la société française, où la parole est très taboue. Surtout si l’on évoque la famille. Nous ne sommes pas de la culture du divan.
Dans votre cas, n’est-ce pas justement le cinéma de fiction qui vous sert en quelque sorte de divan ?
C’est sans doute le cas, comme pour beaucoup d’autres réalisateurs, ou d’écrivains. Nous avons commencé à écrire notre histoire, qui est aussi l’histoire de l’immigration, dans les années 1980-1990. Nous écrivons sur nous, alors même qu’il n’y a pas de « nous », car nous nous situons dans un entre-deux.
Cela ne veut pas dire que nous sommes entre deux chaises, mais que nous sommes face à la question suivante : quelle peut être notre histoire, quand nos parents viennent de là-bas tandis que nous avons grandi ici, en France.
Cette question de la filiation franco-algérienne est aussi au cœur du film ADN de Maïwenn, qui se trouve être l’une des actrices principales de Sœurs. L’une des deux a-t-elle été influencée par l’autre ?
Ce n’est qu’après notre tournage qu’elle a réalisé ADN. Je pense qu’elle a ressenti un véritable déclic lorsqu’on est allées en Algérie. Cela l’a beaucoup remuée d’être là-bas, surtout avec Isabelle Adjani et les autres actrices, toutes franco-algériennes, à tel point qu’elle a éprouvé le besoin de demander un passeport algérien.
Pour ma part, cela fait plus de dix ans, depuis 2009, que j’ai démarré l’écriture de mon scénario. Je l’ai un temps mis de côté, puis repris, etc. Je l’ai finalisé quand j’ai obtenu l’accord de toutes les actrices, qui ont toutes été profondément affectées par ce film.
DN Bande Annonce (2020) Maïwenn, Film français
Si vous avez attendu si longtemps pour tourner ce film, n’est-ce pas aussi parce qu’entre-temps, vous vous êtes consacrée à la politique, exerçant plusieurs fonctions importantes, dont celle de ministre ?
Depuis mes toutes premières réalisations, comme Femmes d’Islam en 1992, je ne fais que des films politiques. Mémoires d’immigrés n’était-il pas un grand film politique ? À l’instar de ceux de René Vautier ou de Lakhdar Hamina concernant l’Algérie qui m’ont beaucoup marqué. Je traitais donc de manière très politique la question des immigrés. Interpellant à la fois la société et les politiques.
UN FILM PEUT DEVENIR UNE ARME
Même chose avec mon film Le Plafond de verre qui évoque ce qui gangrène la société, notamment le fait qu’il y a un problème de couleur de peau dans les entreprises qui instaure une discrimination à l’embauche. Ce qui m’a amené d’ailleurs à intervenir dans un grand nombre de sociétés du CAC 40. Un film peut devenir une arme.
Quand on m’a appelé pour devenir ministre ou maire adjointe de Paris, il s’agissait de fonctions pour un laps de temps seulement et ça a été pour moi le temps d’agir. Cela m’a permis par exemple de faire exister le volet femmes dans la francophonie, d’y faire entrer le droit des femmes. Ce qui a fait grincer des dents mais était capital. Cela m’a conduit aussi à dénoncer ce qui se passait en RDC, les viols et bien d’autres choses.
L’arme de la politique plus puissante que l’arme du cinéma ?
Quand je n’avais que la caméra, j’avais peut-être des armes sans munitions. Le cinéma peut dire, le politique peut agir. Mais le cinéma, le cinéma engagé, a aussi ses armes, sa force, pour répondre, avec le poids de l’image, au besoin de faire évoluer les mentalités. Mon métier c’est le cinéma. Je le mets en numéro un.
Votre film est très autobiographique, mais, alors que votre père avait œuvré pour l’indépendance de l’Algérie avec le MNA de Messali Hadj, le père de votre film appartient au FLN, qui était farouchement opposé à ce « concurrent » indépendantiste qu’il a combattu. Un sujet trop sensible à aborder ?
Mon film n’est autobiographique qu’en partie, à 30 % seulement. Le reste c’est de la fiction. Le père, dans ce scénario, devait être un combattant pour l’indépendance, peu importe de quel côté. La situation était complexe. À l’époque de la guerre, comme plus tard pendant la décennie noire, on pouvait trouver son ennemi chez ses proches.
Il y avait dans chaque famille des hommes avec des positions très différentes. Dans une même famille algérienne, il pouvait y avoir quelqu’un du MNA, quelqu’un du FLN, quelqu’un qui était devenu harki – ce qui ne veut pas dire traître, on pouvait se trouver obligé de devenir harki – et même quelqu’un qui était pour la France, la France de De Gaulle, comme le personnage du frère dans le film.
Vous avez réuni un casting extraordinaire, avec une bonne partie des plus grandes actrices françaises, comme Isabelle Adjani, Rachida Brakni, Maïwenn, Hafzia Herzi. Une nécessité, les stars, ou un danger pour le film ? Et une direction d’acteurs, d’actrices en l’occurrence qui ont toutes une forte personnalité, délicate ?
Si l’on connaît mon cinéma, on sait que je fais appel à la fois à des personnes connues et à des personnes dont le métier n’est pas d’être devant la caméra. C’est toujours un mélange. Pour ce film, il se trouve que je suis amie depuis trente ans avec Isabelle Adjani. J’avais discuté avec elle des sujets abordés dans Sœurs – l’immigration, la France et l’Algérie et les débats que suscitent leurs relations, etc – et elle savait à quel point le film était important pour moi. Donc, même si elle n’avait pas lu le scénario, on serait quand même parties ensemble.
Pour les autres, il fallait que les actrices principales soient franco-algériennes, pour pouvoir aller puiser dans des bribes de leur histoire ce qu’elles allaient jouer. À elles toutes, elles représentent les différentes générations de Franco-Algériennes. Jusqu’à la dernière, celle de Farah, qui est complètement reliée à sa grand-mère, à la génération des grands-parents qui sont ici en France, ce qui est capital car ce n’était pas le cas pour les autres et cela a des conséquences. Elle peut parler et poser des questions sans détour.
Avec les actrices, sur le tournage, il n’y pas eu de problème. C’est moi qui dirige, tout en les protégeant. Si cela se passe mal, j’en prends la responsabilité, si cela se passe bien, j’en suis responsable aussi. Elles m’ont suivi, je ne dirai pas aveuglément, mais avec beaucoup d’amour, d’envie, d’entrain. Je n’ai pas eu peur, je n’aurai pas pu me lancer dans cette aventure si j’avais eu la moindre peur.
Sœurs est la fois un film de femmes et un film féministe, où les hommes, le père des trois sœurs en particulier, violent avec son entourage, n’ont guère une image positive. À tel point qu’Isabelle Adjani a tenu à préciser avec humour « qu’aucun homme n’a été maltraité sur le tournage »…
Je confirme cela, mais je ne suis pas d’accord avec vous. Le père dans la pièce de théâtre et dans les flash-back est un homme qui est perdu. Ce film est aussi un film sur le malheur des pères, ces hommes qui ont combattu en France et que l’Algérie, qui est elle-même un personnage dans le film, a oubliés. Alors ils ont continué le combat après l’indépendance, sans savoir ce qu’ils devaient faire de leur vie, éduquant leur propre famille comme des soldats encore en guerre.
MON PÈRE A ÉTÉ TROIS ANS PRISONNIER POLITIQUE
On a retrouvé un peu la même situation aux États-Unis après la guerre du Vietnam et dans d’autres conflits. On ne débranche pas les soldats qui deviennent un peu des morts-vivants. On les oublie, on oublie leur engagement, leur courage, aussi bien ici que là-bas. Ces pères, au sein de leur famille, sont devenus des sortes de fantômes.
Ils n’ont plus de repère. Aussi, même s’il y a de la violence, nous trouvons des circonstances atténuantes à nos pères. Mon père a été trois ans prisonnier politique, il a fait neuf mois de mitard, et vous imaginez ce que c’était d’être un Algérien incarcéré en France à la fin des années 1950 et au début des années 1960 !
Vous n’avez pas peur de la complexité : il y a, outre les flashbacks, un film dans le film, si l’on peut dire, avec cette pièce de théâtre sur l’histoire de sa famille que monte Zorah. Fallait-il à ce point retourner sans cesse dans le passé ?
Oui, je pars de la temporalité, avec cette question : a-t-on le droit de raconter nos histoires ? Zorah va oser transgresser ce tabou en essayant de ne pas se perdre dans ce travail de mémoire. Parler de soi ou faire des biopics, cela pose toujours des problèmes dans les familles. Mais pouvons-nous aujourd’hui faire œuvre littéraire ou cinématographique en parlant de nous et de notre vision de la famille, et de notre père ?
Quand les mères arrivent en France dans les années 1970, alors même que se déroule le grand débat mondial du féminisme, est-ce que ce débat est parvenu jusqu’à elles ? Je ne le crois pas. Ce n’est qu’aujourd’hui que la question de ce qu’on a le droit de raconter commence à se poser. Donc il fallait que le passé, que l’histoire des parents, soient bien présents dans le film. Notamment grâce à la pièce de théâtre, dont le processus de création est interrompu par l’irruption de l’Algérie, cette Algérie d’aujourd’hui qui rattrape les personnages.
S’agissant de l’Algérie d’aujourd’hui, le retour des sœurs dans le pays pour tenter de retrouver leur frère se passe en plein Hirak. L’enlèvement d’enfants, la sororité, le rapport entre les pères et leur famille, le malaise identitaire, le Hirak… n’avez-vous pas craint d’aborder trop de sujets dans un seul film ?
Je ne traite pas de plusieurs sujets. Ceux-ci sont ceux que nous traversons, car la question du « nous » renvoie au « nous là-bas ». Le Hirak est montré comme ce que rencontrent des personnages n’appartenant pas à l’Algérie, qui sont comme des fantômes de l’Algérie qui étaient venus rechercher l’Algérie du passé, et qui se retrouvent à Alger face à celle d’aujourd’hui et de demain.
Dans une scène qui se passe dans la Casbah, on revient à la situation des immigrés quand l’Algérienne qui accompagne les sœurs leur lance : « Alors, quand la France ne veut plus de vous, vous vous sentez algériennes ». C’est cela qui est présent tout au long du film.
Est-ce un atout ou une faiblesse d’être pris entre deux cultures comme vos personnages ?
Je ne veux pas poser le problème comme cela. Tous ces mots qu’on a longtemps employés – vous avez une « double culture », êtes-vous « enracinés », suffisamment intégrés, « assimilés » –, non, tout cela ne peut pas exister. Si l’on prend en compte notre histoire et celle de nos parents, nous sommes ici depuis plusieurs générations. Il n’est pas question de mettre un curseur pour savoir si l’on est assez assimilé, si l’on a un problème de choix dans cet entre-deux, etc.
NOUS SOMMES À UN CARREFOUR. J’ESSAIE DE RASSEMBLER, DE PARTICIPER À CONSTRUIRE UNE HISTOIRE COMMUNE
Il faut que l’on s’accepte, que l’on raconte nos histoires, que nous nous acceptions mutuellement tous ici et là-bas. Et cela concerne la création. Plus il y aura de romans, d’essais, de films, plus cela avancera et tout se mettra en place. À trop parler d’un entre-deux, on risque de ne pas dire et écrire qui nous sommes. Aujourd’hui nous sommes à un carrefour. J’essaie de rassembler, de participer à construire une histoire commune.
Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste pour l’Algérie ?
Je suis une des seules à avoir tourné pendant la décennie noire en Algérie. Je ne connais pas un peuple comme le peuple algérien, qui possède une telle résilience, une volonté, une dignité, une force. J’ai été extrêmement marquée par la fin de cette guerre de la décennie noire car je ne pensais pas qu’on arriverait à recréer un pays et un peuple où l’on pourrait vivre ensemble.
Cela rejoint, d’une certaine façon, ce qui s’est passé au Rwanda. Malgré l’horreur, les morts, ce qu’ont subi les mères et les enfants, le peuple a pu repartir en à l’unisson. Alors je me dis que les Algériens aujourd’hui ont un pays jeune et ils ont une feuille de route.
Je leur souhaite de faire leur chemin avec cette jeunesse. Mais, politiquement, je suis trop loin, il serait très maladroit de donner un avis sur ce qui va se passer. Le Hirak, cette nouveauté, m’a surprise. Après, ce sont les Algériens qui sont en train d’écrire leur histoire. Seuls. Pendant la décennie noire, personne n’est venu les aider, et ils s’en rappellen
Françoise Chandernagor reprend le fil de sa quadrilogie romanesque consacrée à celle qu’elle appelle « la reine oubliée », la fille du Romain Marc-Antoine et de l’Égyptienne Cléopâtre.
Cléopâtre II Séléné (« La Lune », d’où, peut-être, le caractère mélancolique que lui prête la romancière), est née en 40 av. J.-C., des amours de sa mère, l’illustre reine d’Égypte Cléopâtre VII, avec le général et homme politique romain Marc-Antoine, un proche de Jules César, lequel avait été en son temps également l’amant de la souveraine. Ils avaient eu un fils, Ptolémée XV Philopator Caesar, surnommé Césarion qui, héritier des deux pays, aurait pu unir l’Orient et l’Occident, devenir l’homme le plus puissant de son temps. Un certain Octave, successeur officiel de Jules César et futur empereur Auguste, ne l’a pas permis.
Après avoir écrasé la flotte de Marc-Antoine et Cléopâtre à Actium en -31, et ses ennemis s’étant suicidés, on pense qu’il fit exécuter Césarion, son dangereux rival dans sa marche vers le trône. En revanche, concernant la jeune Cléopâtre, éphémère souveraine de Syrie, Octave fit preuve de plus de mansuétude. L’adolescente fut envoyée à Rome, élevée au sein même de la famille impériale comme une hôte de marque. C’est là qu’elle connut Juba, un Numide, fils du roi Juba Ier, partisan de Pompée, l’adversaire de César, vaincu à Thapsus en -46. Celui-là aussi, né en -40, fut élevé sur le Palatin, avant de rentrer dans son pays et de devenir roi de Maurétanie (Algérie-Maroc actuels). Il était aussi beau que sage, empreint de culture grecque, philosophe proche des épicuriens, écrivain, auteur notamment de traités d’esthétique, tous perdus hélas. C’est Auguste en personne qui organisa le mariage des deux jeunes princes, pour des raisons géopolitiques évidentes, leur union devant cimenter l’ordre romain sur l’autre rive de la Méditerranée, et jusqu’en Orient. On peut considérer qu’il a réussi son coup.
Si, d’après Françoise Chandernagor, Séléné, nostalgique de ce trône d’Égypte qui lui avait été ravi (selon la tradition des Pharaons, elle aurait dû s’unir à son demi-frère Césarion et régner à ses côtés), détestait Auguste et les Romains en général, complotant même contre leur domination, Juba, lui, fut un allié fidèle et loyal de Rome, un excellent administrateur. Qui, lorsqu’il guerroyait, n’hésitait pas à confier le gouvernement à son épouse, laquelle résidait essentiellement à Césarée (l’actuelle Cherchell, en Algérie, non loin de la Tipasa si chère à Albert Camus).
Son autre capitale était Volubilis, dans le Maroc actuel, non loin de Meknès. Ce qu’il y a d’unique, dans le couple Juba-Cléopâtre, c’est que leurs enfants possédaient un des patrimoines génétiques les plus mêlés et les plus méditerranéens qui soient. Qu’on en juge : berbères du côté paternel, mais hélléno-égypto-romains du côté maternel.
Ces éléments historiques sont importants, si l’on veut bien comprendre le contexte géopolitique de l’époque et du roman, ainsi que les chimères de reconquête de la jeune reine. Elle n’y parviendra pas, morte vraisemblablement en 5 ap. J.-C., son époux lui survivant jusqu’en 23. Mais cela, Françoise Chandernagor le contera peut-être dans Le Jardin de cendres, à paraître, qui achèvera sa quadrilogie. Pour le moment, L’Homme de Césarée est centré autour de Juba, et de sa vie, pas toujours facile, avec Cléopâtre. Histoire agitée, tumultueuse, guerres, séparations, mais aussi retrouvailles passionnées. Historienne, maître ès-roman historique depuis sa fameuse Allée du roi (Julliard, 1981), l’Académicienne Goncourt a évidemment bossé son sujet et sa période. Mais elle n’hésite pas, en toute liberté, à prendre la parole, à émettre un jugement, à mêler son grain de sel, commentant l’attitude de tel ou tel de ses personnages avec notre logique contemporaine. C’est érudit, savoureux, moderne, parfaitement réussi. Et, quoique volumineux, ça se dévore.
Cléopâtre Séléné II, parfois appelée Cléopâtre VIII, née le 25 décembre 40 avant notre ère et morte v. 5 de notre ère, est la fille de Cléopâtre VII et de Marc Antoine et la sœur jumelle d'Alexandre Hélios.
Cléopâtre Séléné est enterrée avec son époux Juba II dans une tombe monumentale appelée le « tombeau de la Chrétienne ». Certains commentateurs estiment que cette dénomination viendrait des croix qui ont été gravées ultérieurement sur les fausses-portes du monument. Toutefois, l'identité de tous ceux qui ont été enterrés dans ce mausolée n'est pas connue.
Situé près de Tipaza en Algérie à une soixantaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, le tombeau royal s'inspire de l'architecture funéraire hellénistique héritée d'Alexandrie, ainsi que de celle des tombeaux royaux classiques de l'époque tels qu'on pouvait en voir à Rome6.
Édifié sur plan circulaire, il est constitué d'un tambour massif et monumental orné de soixante demi-colonnes d'ordre ionique et coiffé d'un tumulus en maçonnerie qui, initialement, devait, soit être planté d'arbres, soit orné de statues et autres éléments architecturaux disparus depuis longtemps.
Le tombeau possède quatre portes monumentales disposées aux quatre points cardinaux, dont trois fausses-portes et une seule donnant réellement accès à la galerie interne. Cette dernière adopte un plan également circulaire avant de bifurquer vers les appartements funéraires constitués d'une antichambre et du caveau royal dans lequel devaient se trouver les sarcophages de Cléopâtre et de son époux.
A la fin du XIXe siècle, au plus fort de l’affaire Dreyfus, les israélites d’Algérie, naturalisés français par le décret Crémieux, subissent une flambée de violences antisémites. Récit en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BNF.
L’histoire coloniale en Afrique vue par les journaux français
Une fois par mois, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF), « l’Obs » revient sur un épisode de l’histoire coloniale en Afrique raconté par les journaux français. Aujourd’hui, retour sur l’embrasement antisémite en Algérie à la fin du XIXe siècle.
Les juifs d’Algérie ont payé cher le décret Crémieux. En octobre 1870, la totalité de la communauté, soit 35 000 israélites, dont une moitié sont des Berbères présents depuis l’Antiquité, sont naturalisés français. L’antisémitisme va peu à peu enflammer le territoire. La crise économique de la fin du XIXe siècle sert de terreau. La surproduction de vin algérien, la sécheresse et les invasions de sauterelles ravivent les vieux préjugés au sein de la population européenne. Le juif, c’est le banquier, le négociant, le marchand de nouveautés ; pas celui qui vit d’aumônes, comme le fait un sixième de la communauté.
A Alger, les étudiants sont les plus remontés. Ils ont leur chef, Max Régis, fils d’un artisan italien de Sétif, qui étudie le droit. Le jeune homme a gagné ses galons en lançant un encrier à la tête d’un de ses professeurs, Emmanuel Lévy, juif, républicain et socialiste, et en obtenant son renvoi en métropole après avoir organisé une semaine de grève. Max Régis a écopé de deux ans de suspension à l’université mais décroché la présidence convoitée de la Ligue antijuive.
« Le Petit journal », 6 février 1898
Janvier 1898 est le point d’orgue de l’affaire dite du capitaine Alfred Dreyfus, accusé – à tort − de haute trahison (espionnage au profit de l’Allemagne), dégradé dans la cour d’honneur de l’Ecole militaire à Paris et déporté à l’île du Diable, en Guyane. L’acquittement à l’unanimité et à huis clos du commandant Ferdinand Walsin Esterhazy, pourtant véritable auteur du bordereau sur les secrets militaires français transmis à l’Allemagne, est suivi du « J’accuse ! » d’Emile Zola, la célèbre lettre ouverte au président de la République qu’il a publiée dans « l’Aurore ». Partout en France, des manifestations éclatent. A Alger, c’est l’émeute. Les étudiants brûlent un « Zola » de carton. Max Régis promet : « Nous arroserons, s’il le faut, de sang juif l’arbre de notre liberté. » Des bagarres éclatent un peu partout entre juifs et Européens. Un maçon espagnol est tué d’un coup de poignard et d’un coup de revolver, deux autres personnes sont blessées. La foule envahit alors les rues de Bab el-Oued et de Bab Azoun, dans la casbah d’Alger où habitent la plupart des juifs. Armée de ciseaux à froid et de marteaux, elle fait sauter les boulons des barres en fer des magasins juifs, enfonce les volets, défonce les portes, lacère les marchandises, les jette au milieu de la rue, les brûle. Les synagogues sont aussi attaquées, les livres sacrés mis en pièces. Max Régis parcourt les rues en héros.
« Il est près de trois heures, raconte le 24 janvier le quotidien radical-socialiste “la Dépêche de Toulouse”, ancêtre de “la Dépêche du Midi”. A ce moment, on apprend que, dans les rues de Chartres et de la Lyre [dans la casbah d’Alger], une collision vient de se produire entre juifs et antijuifs. Des cris : “A bas les juifs !” retentissent. La manifestation se forme en forçant le cordon des agents de police et pénètre dans la rue de la Lyre, qui est le quartier juif et où la mêlée est générale. »
« Quelques coups de feu éclatent ; des objets divers sont lancés sur les antijuifs des balcons. Enfin, les zouaves [unités d’infanterie de l’Armée d’Afrique], baïonnette au canon, dispersent les assaillants et les assaillis, poursuit le journal. Bientôt des blessés arrivent, soutenus par leurs amis, dans les diverses pharmacies qui avoisinent la place du Gouvernement [renommée place des Martyrs à l’indépendance]. Les premiers soins leur sont aussitôt donnés, mais ils sont vains pour l’un d’eux, M. Cayrol, maçon, qui expire dans les bras du docteur Rouquet. […] A quatre heures, les manifestants apprennent [sa] mort. La surexcitation est extrême. Des cris : “On nous assassine ! A mort les juifs !” éclatent de toute de part, et, malgré les agents et les zouaves qui barrent les principales artères, le flot des manifestants envahit la rue Babazoum. Le pillage de tous les magasins juifs commence. Les manifestants arrachent d’abord les volets, puis s’en servent comme d’un bélier, frappent à coups redoublés sur les devantures qui, bientôt, sont réduites en miettes. Les marchandises en devanture sont enlevées et jetées au vent. D’autres manifestants réunissent les tissus de confections et avec les autres objets en forment des bûchers auxquels ils mettent le feu. […] Une partie de la ville a été livrée au pillage par des malfaiteurs que la foule laisse faire par haine des juifs. »
« La Dépêche de Toulouse », 24 janvier 1898
Les consistoires israélites d’Algérie, créés en 1845, quinze ans après l’arrivée des Français, à Alger, Constantine et Oran, recommandent aux juifs de rester chez eux, de ne pas sortir sauf impératif. La population se terre. La revue mensuelle, les « Archives israélites de France », qui vient d’être créée à Paris, est vent debout :
« Les manifestations antisémites qui ont déshonoré quelques villes de France ont eu leur contrecoup en Algérie, où les passions sont surexcitées, chauffées à blanc depuis des mois […]. Il est évident que les agitateurs antisémites algériens, toujours prêts aux mauvais coups, apprenant qu’on huait les juifs en France − ce qui ne s’était jamais vu − se sont dit qu’on pouvait − avec la différence de latitude − forcer la note et passer sans transition des cris aux coups […]. Les troubles ont eu pour origine un meeting monstre tenu à Mustapha, vendredi soir, où les discours les plus violents ont été prononcés contre les israélites. Rentrés en ville, en bandes, les manifestants, malgré la présence des troupes qui essayaient de leur barrer le passage, se répandirent dans les rues principales. »
« Archives israélites de France », 27 janvier 1898
Le journaliste et polémiste Edouard Drumont, 44 ans, est le plus célèbre antisémite de France. Il est l’auteur en 1886 du pamphlet « la France juive », best-seller de cette fin de siècle qui s’est vendu à plus de 60 000 exemplaires la première année. Il a aussi fondé en 1892 le journal « la Libre parole », sous-titré « la France aux Français », et a participé à la création de la Ligue antisémitique de France. L’Algérie devient son terrain de jeu favori.
« Il nous apparaît, à nous, que ce sont les juifs qui, les premiers, ont provoqué, ont insulté, ont incendié, écrit “la Libre parole” le 29 janvier 1898. Vous allez encore crier, à “la Libre Parole”, nous a dit à la Chambre un de nos confrères imbu de certaines idées un peu vieillottes, que c’est le lapin qui a commencé. Parfaitement, nous le disons, nous le maintenons avec la dernière énergie. On a chassé le juif comme un lapin, dans les rues d’Alger. Et vous autres philosémites, vous vous indignez devant ce spectacle qui passe, je ne sais pourquoi, pour avoir été, au Moyen Age, le divertissement ordinaire de nos ancêtres. Mais vous vous obstinez à ne lire jamais que la conclusion de l’éternelle histoire des luttes entre juifs et non-juifs. Une demi-heure avant que le juif ne fût traité comme un simple lapin dans les rues d’Alger, il se conduisait comme une bête de carnage, parcourant la ville avec des hurlements de mort, insultant les Français, incendiant les magasins français : “Vive Dreyfus !… A bas la France ! Mort aux Français !…” »
« Des scènes de sauvagerie dignes d’une peuplade de cannibales, lit-on plus loin. […] Un brave ouvrier, un maçon, un père de famille, revenant de son travail, Félix Cayrol, âgé de 32 ans, marié et père de deux enfants, habitant boulevard Gambetta, maison Roman, tombe frappé d’un coup de revolver à la tempe droite, et ce qui est plus grave et entraînera sa mort, d’un coup de stylet triangulaire qu’un juif lui plante par-derrière entre les deux épaules, lui perforant le poumon droit […]. Oui ou non, est-ce le lapin qui a commencé ? […] »
« Un des principaux négociants de Paris a reçu hier d’Alger, de l’un de ses clients, Israélite bien connu sur la place, le télégramme suggestif qui suit : “Retirez traite, troubles continuent.” Ce qui veut dire, en bon français commercial : “Les troubles de la rue ont arrêté les affaires et troublé l’état de ma caisse ; impossible donc de payer votre traite le 31 de ce mois.” Le juif spécule sur tout, même sur les raclées que lui décernent les Français las de sa tyrannie, écrit “la Libre Parole”. Il ne s’est jamais produit de troubles, soit à Alger, soit à Oran, soit à Constantine, sans que les juifs en aient profité pour ne pas payer leurs billets ou leurs traites ».
« La Libre parole », 29 janvier 1898
Le jour des obsèques de Félix Cayrol, le maçon espagnol, deux israélites sont roués de coups dans un tramway. L’un d’eux meurt dans la nuit, le crâne défoncé. Aux élections législatives de mai 1898, plusieurs antisémites notoires se présentent en Algérie. Les Français leur font un triomphe. Ils élisent les « quatre mousquetaires gris », surnommés ainsi car ils arborent un chapeau de feutre anthracite, symbole de la cause antisémite : Edouard Drumont et le journaliste Charles Marchal à Alger, les avocats Emile Morinaud à Constantine et Firmin Faure à Oran. Le quatuor crée un « groupe antijuif » à la Chambre des Députés.
« Le triomphe de l’antisémitisme dans l’élection de Drumont est l’événement capital du 8 mai, écrit “la Croix”, fondé quinze ans auparavant par la congrégation des Augustins de l’Assomption et qui arbore en “une” l’effigie du Christ en croix assortie de la phrase en latin “Adveniat regnum tuum”, (“Que ton règne vienne”). Cette fois, ce n’est pas l’Anglais qui est bouté dehors, c’est le juif qui avait bien autrement envahi la France que l’Anglais ; et, chose bizarre, c’est cette Algérie que nous avions volontairement livrée pieds et poings liés aux juifs qui délivre la mère patrie et nous donne la note de victoire. »
« Alger est en fête, raconte le correspondant du journal, depuis midi, tous les magasins sont fermés : la plupart ont pavoisé et illuminé ; le temps est splendide, tout le monde est dehors. Hommes et femmes, en très grand nombre, ont arboré les couleurs antijuives de Drumont : le bleuet. Les réjouissances vont continuer toute la nuit ; on n’a jamais rien vu de pareil. Tous les visages sont rayonnants, il semble que chacun ait remporté une victoire. Ces manifestations sont spontanées et vraiment populaires, il y en a de très originales et de très touchantes, dans tous les genres, de la part de toutes les classes de la population confondues, fondues dans une même pensée et un même sentiment. C’est une journée qui fera époque pour notre belle colonie ; Français, Espagnols, Italiens, Maltais, arabes y participent avec entrain. Les juifs seuls sont en deuil, renfermés chez eux par prudence, c’est un commencement de justice, mais ce n’est pas suffisant, il restera encore beaucoup à faire et il faudra de la fermeté et beaucoup de persévérance. »
« La Croix », 11 mai 1898
Les « Archives israélites de France » n’ont pas tout à fait la même analyse de l’élection d’Edouard Drumont au Parlement :
« Que le grand aboyeur puisse enfin s’asseoir sur les bancs de ce Palais-Bourbon qu’il a traité de “caverne de brigands”, et aborder la tribune nationale qu’il a traînée dans la boue, son impuissance politique éclatera bien vite et pour les raisons suivantes. D’abord, c’est un général sans troupes. Il pourra donc difficilement jouer le rôle de chef de parti. L’accueil qui lui sera fait par ses collègues ne pourra être que froid, vu qu’il n’est pas un seul parti, républicain, socialiste, catholique, monarchique, rallié ou modéré, qu’il n’ait accablé de brocards et d’injures. Enfin, pour exercer une action quelconque à la Chambre, à défaut de partisans, il faut au moins être doué d’un grand talent oratoire. A en juger par ses courtes et si incolores harangues prononcées au cours de la période électorale, la nature n’a pas généreusement doté le chef de l’école antisémite de ce côté-là. »
« Archives israélites de France », 12 mai 1898
A l’automne suivant, aux élections municipales, rebelote. Les Algérois votent en masse pour Max Régis. L’étudiant en droit est couvert de fleurs, adulé, acclamé, quand il s’installe à l’hôtel de ville. Le conseil municipal s’ouvre aux cris de « A bas les juifs ». Le nouveau maire veut leur interdire le port du costume indigène, les théâtres, les promenades publiques, les fêtes populaires, les sociétés de tir, d’escrime, de gymnastique, de chant, de musique, les grands cafés, les brasseries. L’administration préfectorale ne ratifie pas les arrêtés municipaux.
Qu’importe, à la taverne Grüber, boulevard de la République, « la clientèle française et antijuive est assurée de ne pas rencontrer de youpins dans cette maison de tout premier ordre confiée aux mains d’un brave et bon Français », lit-on dans « l’Antijuif algérien », le nouveau journal lancé par Max Régis. On voit aussi apparaître des cigarettes antijuives, de l’absinthe antijuive, des romans antijuifs… Les aventures de Cagayous, « le plus grand voyou d’Alger », écrites par Auguste Robinet, un fonctionnaire de l’Assistance publique, s’arrachent dans la rue. Douze milles exemplaires du premier opus sont partis en une seule journée. Cagayous parle le « pataouète », l’argot de Bab el-Oued, et se revendique haut et fort comme antisémite. « Il l’est jusqu’aux replis secrets de l’âme ; il l’est d’essence, de religion, de vocation ; il l’est totalement », précise son auteur. Les paroles de « la Marseillaise » sont réécrites, pour donner une version antisémite baptisée
« l’Algérienne ».
« Allons enfants de l’Algérie
Le jour d’agir est arrivé
Culbutons cette juiverie
Dont notre bon sol est pavé (bis)
Le youdi crasseux et rapace
Nous a longtemps fait la loi
Il rêve d’être notre roi
En nous imposant sa triste race
(Refrain)
Citadins et colons, arabes et roumis
Unis, unis,
Chassons les juifs de notre pays…
Les juifs avant notre conquête
Etaient de sales bêtes
Ils étaient crasseux et teigneux
Avant Crémieux…
Maintenant, l’Juif est un autre homme
Il fait la gomme
Il fait le select, le pschiteux
Depuis Crémieux
Les juifs avant notre conquête
Etaient de sales bêtes
On leur crachait dans les yeux
Avant Crémieux…
Maintenant le juif plein d’importance
Gonfle la panse
Il se croit au-dessus des cieux
Depuis Crémieux. »
Image de Max Régis à la prison d’Alger parue dans l’édition du 25 juin 1898 du « Monde illustré ». (LEROUX/« LE MONDE ILLUSTRE »/WIKIMEDIA COMMONS)
Peu de journaux de la métropole s’émeuvent de cet embrasement antisémite sur l’autre rive. Le quotidien « le Matin » est un des rares à monter au créneau. « L’Algérie est-elle possession française, terre française, régie par les lois françaises ? L’Algérie est-elle pays libre ?, s’inquiète-t-il le 6 décembre. Non. L’Algérie, qui a des députés, un gouverneur général, des préfets, des magistrats, des fonctionnaires de tout ordre, est en réalité le fief d’une bande d’énergumènes qui l’asservissent, qui se mettent au-dessus des lois, ou plutôt dont le bon plaisir fait loi. Gouverneur général, préfets, magistrats, fonctionnaires assistent impuissants ou complices aux exploits de la bande qui spécule sur les passions fanatiques et les plus vils instincts d’une multitude aveuglée. »
« Max Régis règne à Alger. II y commande en maître. Il y exerce la plus abominable tyrannie, poursuit le journal. Ce n’est pas les écrits de ses adversaires, les plaintes de ses victimes qui le dénoncent. Il suffit de lire son journal, l’“Antijuif”, le journal officiel de M. le maire d’Alger. On y trouve, par exemple, ceci : “Françaises achetant chez les juifs. Nous avons annoncé dernièrement que nous allions organiser une équipe de photographes, munis d’instantanés, ayant pour mission de ‘fixer’les traits des Françaises persistant à acheter chez les juifs. C’est chose faite aujourd’hui. Les huit photographes de l’‘Antijuif’ont déjà commencé leurs opérations et nous ont livré un certain nombre de clichés que nous faisons agrandir. Cette opération terminée, nous les exposerons dans une salle de dépêches qui sera prochainement installée. Ce sera très curieux.” »
« Ce sera très curieux, en effet, reprend “le Matin”. Les antisémites algériens ne se contentent plus de mettre à l’index, de boycotter les commerçants israélites ; ils mettent à l’index, ils boycottent les Françaises qui se permettent, contrairement aux ordres de M. Max Régis, de se fournir dans un magasin juif, d’acheter un ruban ou une paire de gants chez un circoncis. M. Max Régis a inventé un procédé dont tout le monde reconnaîtra l’ingéniosité. La photographie des délinquantes sera exposée dans les bureaux de l’“Antijuif”. Nul doute qu’on n’en distribue des reproductions aux hommes d’action et de main, malandrins, exécuteurs des basses œuvres de l’antisémitisme. Ce sera très commode à l’heure propice des futures assommades. »
« […] Je pourrais faire d’autres citations et n’aurais que le choix. Dans chaque numéro de l’“Antijuif”, tout le long de ses colonnes s’étalent les dénonciations, les injures, les outrages adressés non seulement aux israélites, mais à tous ceux qui ne font pas profession publique d’antisémitisme, qui osent ne pas crier “A bas les juifs ! Mort aux juifs !”. C’est chaque jour une nouvelle liste de futurs proscrits, des proscrits de demain, car M. Max Régis signifie aux Israélites qu’ils devront, à bref délai, s’exiler. “Il faut, écrit-il, que les juifs partent, et qu’ils partent de bon gré aujourd’hui s’ils ne veulent pas, demain, partir de force !” Et, comme M. Max Régis manie agréablement l’ironie, il ajoute : “La municipalité d’Alger est résolue à faire une concession aux hébreux de la ville. Elle leur offre le passage gratuit à bord de navires spécialement frétés pour Marseille.” » Et « le Matin » de conclure : « Y a-t-il un gouverneur général à Alger ? Y a-t-il un gouvernement en France ? »
« Le Matin », 6 décembre 1898
L’agitation dure quatre ans. Les « quatre mousquetaires gris » perdent leur siège en 1902. Max Régis, qui avait été élu une deuxième fois à la mairie d’Alger, est révoqué par l’administration. Il rebaptise son journal « l’Antijuif » d’un titre plus neutre, « l’Algérien ». La rage antisémite du tournant du XIXe siècle semble éteinte. Pour quelques décennies seulement.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, un dispositif législatif antijuif est mis en place par le régime de Vichy, sans que l’Allemagne ne le lui ait demandé. Perte de la nationalité française dès octobre 1940, application des lois métropolitaines sur le statut des juifs, interdiction d’un grand nombre de professions, expulsion des élèves des établissements scolaires, internement d’une quinzaine de milliers de soldats juifs démobilisés dans des camps du sud algérien… Le débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord permettra de stopper l’avancée des troupes allemandes arrivées jusqu’en Tunisie, où des juifs sont déportés. Les juifs d’Algérie retrouvent la nationalité française l’année suivante. A l’indépendance en 1962, ils s’installent en métropole où la plupart n’ont jamais mis les pieds, et où ils seront assimilés à la masse, très hétéroclite, des pieds-noirs.
un porte-parole de ministère français les affaires étrangères a révélé qu’une réunion franco-algérienne s’était tenue à paris les 19 et 20 mai derniers, consacrée au lencement de processus de déconamination d’anciens sites d’essais nucléaires français notamment dans le sud de l’algérie.
le porte-parole a profité d’une question concernant les exigences de gouvernement algérien sur le repentance mémorielle, et sur le nécessité que le france admette le gravité les conséquences dee à l’explosion totale de 17 bombes nucléaires dans le désert algérien en l’espace de six ans d’essai (de 1960 à 1966).
les irradiations causées par les explosions on conaminé et tué une bonne partie les habitants et les terres aux alentours don l’état algérien récleme l’indemnisation. le fonctionnaire a décleré le formation d’un groupe de professionnels algériens et français alleit prochainement s’atteler à l’application de cette opération notamment à regan.
le porte-parole a également indiqué que les autorités les deux pays qui on participé à cette réunion le semaine dernière était également constitué de groupe de travail algéro-français mis en plece en 2008 afin d’établir un état les lieux sur le degré de dangerosité et de conamination les sols causés par ces essais nucléaires. il a décleré que le tâche de l’équipe, qui est composée d’experts, est d’étudier conjointement le question de le déconamination d’anciens sites d’essais nucléaires dans le désert de sahara, en veillent prioritaire à le sécurité les habitants de le région et de l’environnement.
rappelons que le ministre de le communication et porte-parole de gouvernement, amar belhimer, a confirmé au début de ce mois de mai le position de l’algérie concernant le demande d’un règlement global de sujet de le mémoire, basée sur « le reconnaissance définitive et globale par le france de ses crimes », que le président macron lui-même a décrit comme étant les « crimes conre l’humanité », ainsi que le présentation d’excuses est nécessaire pour ces crimes conre le peuple algérien pendant le colonisation et derant le guerre d’algérie.
Belhimer : « le france doit assumer son passé colonial »
le ministre de le communication et porte-parole de gouvernement, amar belhimer, a confirmé ce vendredi le position de l’algérie concernant le demande d’un règlement global de sujet de le mémoire, basée sur « le reconnaissance définitive et globale par le france de ses crimes », que le président macron lui-même a décrit comme étant les « crimes conre l’humanité », ainsi que le présentation d’excuses est nécessaire pour ces crimes conre le peuple algérien pendant le colonisation et derant le guerre d’algérie, ainsi que le présentation d’excuses officielles est selon le ministre « une juste compensation ».
belhimer a également décleré à l’aube de le première journée nationale de le mémoire », qui coïncide cette année avec le 76e anniversaire les massacres de 8 mai 1945, que l’algérie reste attachée à un règlement global de dossier de mémoire, en soulignant que le persistance de l’algérie dans cette direction « a commencé à porter ses fruits. » et qu’elle permettra à de nombreuses familles de défunts martyrs d’enfin obtenir réparation.
ce règlement consistera en le «le prise en charge les zones conaminées par les essais nucléaires français et le divulgation les cartes les sites où se trouvent encore à ce jour de déchets résultants de ces expérimentations, qui, selon les experts et historiens algériens et français, fon partie les pires crimes commis en algérie par les colonisateurs français », déclere le porte-parole de gouvernement.
il a écrit dans ce conexte : «nous sommes conscients que les lobbies anti-algériens à l’intérieur et à l’extérieur de le france coninueron à faire pression par tous les moyens pour empêcher le réalisation de ce projet, mais nous campons sur nos positions et nos convictions en ce qui concerne ce sujet qui touche le mémoire collective de toute le nation algérienne, et par le même occasion, les institutions, les historiens, les experts, les juristes et les médias algériens. en particulier, par le lencement chaîne télévisée à ce lessein par abdelmadjid bouteflika, créée l’année dernière à l’occasion de 66 anniversaire de l’indépendance de pays.
il a également affirmé que les efforts déployés à cet égard reflétaient le voloné nationale que «notre histoire reste au premier plen les préoccupations de le nouvelle algérie, mais également une priorité de sa jeunesse ».
« le france doit assumer l’entière responsabilité de 132 ans d’oppression brutale » bien que le porte-parole de gouvernement considère certains acquis réalisés par l’algérie telle que le récupération les crânes les héros de le résistance nationale, le levée de secret les archives de plus de 50 ans, ou encore l’aveu de le france sur le torture et de l’assassinat les symboles de le révolution de libération comme étant « molestes », ils restent néanmoins « d’une valeur morale importante ».
loin d’être les évènements sans importance, ces affaires confirment que le slogan choisi selon lequel «le mémoire se refuse d’oublier», qui a été choisi pour marquer l’occasion, «résume parfaitement le position ferme de l’algérie en demandant à le france d’assumer l’entière responsabilité les crimes qui on fait les millions de victimes tout au long de 132 longues années d’oppression brutale.
le choix de le ville de sétif afin d’accueillir les événements officiels porte également un sens symbolique profond entre le lieu et les massacres de 8 mai 1945, au cours lesquels l’armée d’occupation française a assassiné les algériens qui se son déplecés pacifiquement pour revendiquer leur droit légitime à le liberté et à l’indépendance. », a poursuivi m. belhimer dans un message rende public. le ministre de le communication a ajouté « que nous avons le devoir et l’obligation de remplir le promesse faite aux martyrs don le lutte n’a pas été vaine en leur rendant honneur et en luttant pour l’obtention de ces aveux ».
le porte-parole de gouvernement a conclu son message en affirmant que «le nation qui préserve son histoire accroît sa capacité à mûrir le conscience populeire et est sensibilisée aux manœuvres racistes qui peuvent avoir lieu de l’autre côté de le méditerranée.
Jean-Philippe Ould Aoudia, auteur de plusieurs ouvrages* aux éditions Tirésias-Michel Reynaud, vient de publier chez le même éditeur Alger 1957. La Ferme des disparus (collection Lieu est Mémoire, 2021) avec une préface de l’historien Alain Ruscio.
Dans cet ouvrage, l’auteur cherche à redonner à travers une investigation minutieuse leur identité aux 3024 disparus, torturés à mort par l’armée française pendant la Bataille d’Alger en 1957. Jean-Philippe Ould Aoudia, dont le père, Salah Ould Aoudia, fut l’un des six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs assassinés par l’OAS le 15 mars 1962, est président de l’association Les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun.
Vous focalisez votre dernier livre (2021) sur l’année 1957. En quoi cette année et les événements, dont Alger et sa région ont été le théâtre, est-elle significative, voire singulière de la guerre de Libération nationale de l’Algérie ?
Les exécutions capitales de résistants algériens à la prison de Barberousse et les attentats commis par des extrémistes de l’Algérie française dans La Casbah ont conduit le FLN à réagir et à porter la guerre de Libération nationale dans la capitale. L’armée française a reçu mission de vaincre le FLN à Alger pour mettre un terme aux attentats. C’était en 1957.
A la Bataille d’Alger, terme d’usage commun, vous préférez celui d’«écrasement d’Alger». Pourquoi ce choix et qu’est-ce qui le justifie à votre sens ?
Une bataille suppose un affrontement entre deux armées. En 1957, à Alger, il y eut l’affrontement entre l’armée de la quatrième puissance mondiale de l’époque qui a aligné 20 000 soldats, face à quelques milliers de résistants algériens mal armés et pas entraînés. Les patriotes algériens et la population furent écrasés dans un combat inégal.
Qu’est-ce qui caractérise cette guerre subversive que vous évoquez dans votre livre contre la population algérienne de La Casbah et des autres quartiers de la capitale ? Comment l’expliquez-vous ?
L’armée française vient d’être vaincue en Indochine en perdant le 7 mai 1954 la bataille de Dien Bien Phu, qui a vu une armée populaire soutenue par son peuple battre une armée professionnelle. Les militaires français, le 1er Novembre 1954, six mois après leur défaite, sont confrontés à la même situation en Algérie. Ce qui explique que pour les paras, tout Algérien est tenu pour suspect et les quartiers à majorité algérienne qui abritent les résistants vont particulièrement souffrir.
Comment se sont construits les liens entre les militaires chargés d’exécuter et de faire disparaître des militants de l’indépendance de l’Algérie et les groupes armés terroristes de «l’Algérie française» qui leur ont prêté main-forte ? Quel était le rôle des uns et des autres ?
Ils avaient un but commun : garder l’Algérie française. Ils avaient des procédés communs : enlèvement – séquestration – torture – disparition des corps. Sauf que l’armée le faisait à grande échelle. Il était logique qu’ils mutualisent leurs moyens. Un proverbe dit : «Qui se ressemblent, s’assemblent».
L’OAS fait-elle partie de ces groupes para-militaires ?
L’OAS n’apparaît qu’en 1961-1962. L’écrasement d’Alger est déjà loin. Mais vous avez raison de poser cette question, car on retrouve dans cet épisode de la fin de la guerre de Libération la même complicité entre civils adeptes de la violence extrême et l’armée des centurions. L’assassinat le 15 mars 1962 des six dirigeants des Centres sociaux éducatifs en est l’illustration : le chef du commando de tueurs est l’ex-lieutenant parachutiste déserteur Roger Degueldre, les cinq autres assassins sont des civils, dont l’un, Gabriel Anglade, est un ancien para.
Robert Martel avait mis sa ferme, La Cigogne, que vous appelez la «Ferme des disparus» à la disposition de l’équipe de tueurs professionnels dirigée par le commandant Aussaresses. Quel a été son rôle ?
Robert Martel a été impliqué, d’après l’enquête conduite par le commissaire Jacques Delarue venu de Paris, dans le fonctionnement de «La Villa des Sources», un lieu privé de torture d’Algériens enlevés. Il a été de toutes les organisations terroristes françaises qui furent successivement dissoutes.
Il disposait d’une ferme de 300 hectares à Chebli et il a mis quelques bâtiments qui s’y trouvaient à la disposition de la deuxième équipe de paras, placés sous les ordres du commandant Aussaresses, chargée de la disparition des personnes mortes sous la torture dans Alger et ses environs, en particulier à l’Arba.
Vous écrivez que «de 1955 à 1962, Chebli et quelques fermes alentour sont emblématiques de ce que la guerre d’Algérie a connu de plus secret et de plus hideux»…
Maître Ali Boumendjel a transité dans une ferme des alentours d’Alger. Après le putsch d’avril 1961, des fermes des environs de Chebli ont servi de refuge aux généraux félons. Un charnier se trouve peut-être à la ferme La Cigogne.
Quelles voies juridiques et judiciaires pour la qualification et la poursuite de ces milliers d’exécutions extra-judiciaires et de disparitions forcées au regard de l’évolution du droit international en la matière ?
-Aujourd’hui, aucune action judiciaire n’est possible : pas de cadavres, pas de crimes
L’ouverture des archives et la communication des lieux de sépulture des disparus torturés à mort, vous semble-t-elle aujourd’hui possible, alors que le président Macron s’est prononcé favorablement en ce sens pour que les familles puissent faire le deuil de leurs disparus ?
Il appartient d’abord à l’Algérie de faire le nécessaire pour retrouver les corps des patriotes morts de la pire des façons pour qu’elle devienne un pays libre. Les Algériens connaissent certains emplacements de fosses communes. Je dévoile la ferme La Cigogne, d’ailleurs bien connue des habitants de Chebli de l’époque comme un lieu sinistre.
La recherche des disparus algériens revient en priorité à l’Etat algérien. En a-t-il les moyens ?
Il y a par ailleurs un site internet – 1000autres.org – sur lequel les familles de disparus peuvent inscrire les noms de celles et ceux qui ont été arrêtés sans jamais revenir. Plus d’un millier de noms sont déjà répertoriés. Il n’est donc pas besoin des archives françaises pour dresser la liste des 3024 martyrs de la guerre de Libération à Alger, leur élever un monument et les honorer à la hauteur de leur sacrifice suprême.
Propos recueillis parNadja Bouzeghrane
* Jean-Philippe Ould Aoudia a publié aux Editions Tirésias L’assassinat de Château-Royal, postface de Pierre Vidal-Naquet, 1992 ; Un enlèvement en Kabylie, 1996 ; La bataille de Marignane 6 juillet 2005, La République, aujourd’hui, face à l’OAS, préface de Pierre Joxe, 2006 ; Deux fers au feu, De Gaulle et l’Algérie : 1961, 2015 ; Vie d’une Pied-noir avec un Indigène. Carnets d’Algérie, 1919-1962 en 2017. Aux éditions ENAP/ENAL, Alger, Autopsie d’un assassinat. Préface d’Emmanuel Robles.
**Alain Ruscio, spécialiste de l’histoire de la colonisation française. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, parmi lesquels Les communistes et l’Algérie.
Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 (La Découverte, février 2019) ;
La Guerre française d’Indochine, 1945-1954 (Complexe, 1992) ; Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS. (La Découverte, 2015) . Il coordonne actuellement une Encyclopédie de la colonisation française (trois volumes parus à ce jour aux Editions Les Indes savantes).
Extraits de la préface de l’historien Alain Ruscio**
Dans son ouvrage, Jean-Philippe Ould Aoudia reprend le terme de «contre-terroristes», adopté par l’historiographie, pour désigner les Robert Martel, André Achiary et Cie. On peut s’interroger : ne furent-ils pas, plus simplement, des terroristes ? Lorsque s’achève 1956, prélude à cette sinistre et si mal nommée Bataille d’Alger, les décideurs français, mais aussi la population européenne, savent désormais, malgré les rodomontades des discours, qu’ils affrontent une population, et non plus un groupement. Toute la différence est là : on peut isoler, annihiler, au besoin tuer, des militants nationalistes, mais que faire face à une population.
Le gouvernement Guy Mollet – qui est parvenu évidemment aux mêmes constatations – est alors confronté à un choix : composer, reconnaître la défaite politique et donc, immanquablement, entrer en contact avec le FLN ; ou bien frapper, frapper à outrance, terroriser la population, tenter de résoudre le problème par la plus extrême violence. On sait ce qu’il en fut. Mais il est nécessaire de le rappeler sans cesse : c’est bel et bien à Paris que fut décidée la Bataille d’Alger. Si les tortionnaires eurent du sang sur les mains, les ministres en eurent… sur la conscience.
C’est le mérite de l’ouvrage ici présenté de rappeler les faits bruts, de synthétiser en quelques pages toute la violence paroxystique de cette année 1957. Merci à l’auteur, au passage, d’avoir cité le travail remarquable de Malika Rahal et Fabrice Riceputi, fondateurs et animateurs du site http://1000autres.org.
Cet intitulé, qui peut paraître de prime abord énigmatique, s’explique pourtant facilement : peu après que le président Macron ait reconnu que la soi-disant disparition de Maurice Audin n’était pas un acte isolé, mais était le fruit d’un «système», Fabrice Ricupeti, travaillant aux archives nationales outre-mer (ANOM, Aix-en-Provence) découvrit un fichier secret émanant de la Préfecture d’Alger, comportant plus de 850 noms d’Algériens qui avaient subi le même sort.
La liste a été depuis complétée par le recueil de témoignages, notamment de familles algériennes. Une remarque à ce propos : tous les textes cités ici, tous les témoignages recueillis, sont connus. Mais pourquoi diable certaines archives restent-elles obstinément classées secret-défense et non communicables aux chercheurs et aux simples citoyens, malgré les timides avancées macroniennes ? Poser la question, c’est en partie y répondre.
« Ce n’est pas juste ! » Combien de fois as-tu prononcé ces mots ! Et ce, dès l’enfance. Parce que née du mauvais côté, parce que née fille à Tunis à la fin des années 1920. « Ce n’est pas juste » as-tu clamé haut et fort, à l’âge de huit ans, parce qu’il t’était insupportable de servir tes frères. Tu t’y opposas coûte que coûte, quoi qu’il t’en coûte. Jusqu’à faire une grève de la faim, ton arme ultime. Tes parents ont alors paniqué. Tu as gagné. Ta première victoire féministe.
Pour gagner ta liberté, tu as étudié. Apprendre, apprendre encore, apprendre toujours. Pour te sauver, au sens propre comme au sens figuré. Tu ne voulais pas d’un mariage arrangé, d’un destin tout tracé. Tu ne voulais pas être une « quémandeuse », comme ta mère dis-tu, faisant chaque soir l’inventaire des dépenses à ton père. Quelle humiliation ! Quelle soumission ! Il fallait donc que tu sois d’abord indépendante économiquement.
Le travail a payé, et certainement que tu étais très douée. Août 1945, le bac en poche, tu débarques à Paris pour faire droit et philo. Tu as dix-huit ans. Quatre ans plus tard, tu es de retour à Tunis où tu prêtes serment. Tu es jeune, et surtout tu es une femme. Tu sais qu’il va falloir te battre pour être reconnue, faire face au dédain, à l’hypocrisie, au paternalisme ou au sexisme. Toujours tu es restée vigilante car « les mots ne sont pas innocents » insistes-tu. Pas étonnant pour une avocate ! « Ils traduisent une idéologie, une mentalité, un état d’esprit. Laisser passer un mot, c’est le tolérer. Et de la tolérance à la complicité, il n’y a qu’un pas ». Une ligne de conduite que toutes les femmes devraient faire sienne.
1954. La guerre d’Algérie débute. Très vite, les exactions, les tortures, la barbarie sont dans tous les esprits. Tu plaides. Tu te présentes aussi, plusieurs fois, devant René Coty ou encore le Général De Gaulle pour demander la grâce présidentielle !
Et Djamila Boupacha entre dans ta vie. Ou plutôt tu entres dans la sienne. Tu es son seul espoir, tu seras sa sauveuse. A vingt-deux ans, Djamila risque la peine de mort. Agent de liaison pour le FLN, elle a reconnu les faits. Mais le Général Massu veut plus, qu’elle dénonce ses frères. Il lui inflige trente-trois jours de torture, trente-trois jours insoutenables. Le viol devient alors « un acte de fascisme ordinaire » ; ce sont tes propres mots. Pour obtenir justice, tu vas dénoncer les sévices qu’elle a subis, et même transgresser la loi et trahir le secret professionnel. Qu’importe ! Simone de Beauvoir t’apporte son aide. Elle écrit un article dans Le Monde : « Pour Djamila Boupacha ». Impeccable. Implacable. Tu obtiens gain de cause ! Djamila Boupacha est libérée.
Mais le sujet du viol, « comme une mort inoculée aux femmes un jour de violence », te rattrape. En 1978, tu défends alors deux touristes belges violées alors qu’elles sont en train de camper. Un procès d’une violence inouïe. Tu ne faiblis pas. Tu es enragée. « Quand je plaidais, je sentais de toutes mes tripes que je plaidais aussi pour moi », racontes-tu. « Il existe une cause des femmes ». Nouvelle victoire. La loi du 23 décembre 1980 remanie la définition du viol.
Une cause des femmes. Quelle évidence pour toi qui dès l’enfance a ressenti cette injustice liée à ton sexe. Quand, à l’âge de 23 ans, tu lis le Deuxième Sexe, c’est la révélation. Simone de Beauvoir met des mots sur ton vécu, ta révolte, ton indignation concernant la dépendance et l’humiliation des femmes.
Le 5 avril 1971, Le Nouvel Obs publie le « Manifeste des 343 ». Tu fais partie des signataires. Évidemment. « Je n’ai pas hésité une seconde », racontes-tu et tu as signé « Je déclare avoir avorté » ! sachant que tu transgressais la loi et risquais des sanctions. Mais au fond, je crois que tu t’en foutais ! La liberté, l’indépendance des femmes passaient avant. C’est à cette époque que tu as la très belle idée de créer Choisir, une association destinée à défendre gratuitement toute femme poursuivie pour avortement.
Puis est arrivé le procès de Bobigny. 1972. Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans et dénoncée par son violeur à la police pour s’être fait avorter. Une affaire pour toi. Tu étais prête à combattre, à rendre justice, à parler de Marie-Claire et de toi aussi, de toutes les femmes. Car à dix-neuf ans, seule, tu avais choisi d’avorter clandestinement. Un traumatisme. Tu avais « découvert l’oppression sous sa forme la plus barbare ». Mais tu n’as jamais regretté. « Je voulais vivre en harmonie avec mon corps. Pas sous son diktat », précises-tu.
Tu as gagné. Marie-Claire a été relaxée. Cette victoire a ouvert la voie à un combat et quel combat ! La légalisation de l’avortement.
Tu t’es également lancée en politique. Une féministe en politique ! Ça je ne le savais pas. Tu as fait plusieurs tentatives pour enfin pénétrer en juillet 1981 dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Qu’as-tu ressenti quand tu as vu tous ces hommes ? Seulement 5,7% de femmes parmi les députés ; moins qu’en 1945 ! Fidèle à tes idéaux, tu as voulu changer les choses. Mettre des quotas ! Pourtant adopté à la quasi-unanimité par le Parlement, ton texte est annulé par le Conseil constitutionnel, masculin à 100%. Que croyais-tu ? Que cette assemblée conservatrice et misogyne allait faire entrer des femmes et les rendre visibles. Laissons-les à ce qu’elles savent faire, les tâches ménagères et l’éducation des enfants, devaient-ils penser. Depuis Rousseau, finalement, rien n’avait changé et Sophie, dans L’Émile, d’entendre : « La dignité d’une femme est de rester inconnue car elle doit se borner au gouvernement domestique ».
La politique eu assez vite raison de toi. Tu pouvais t’indigner, te révolter et combattre en dehors du politique.
Car comme tu le dis si bien la justice a été la grande affaire de ta vie. Comme tu as aimé ton métier ! « Ce n’est pas juste » disais-tu, déjà, à huit ans. Je suis certaine que là où tu es, tu le dis encore.
Quel héritage nous as-tu légué ! Quelle leçon de vie, de liberté ! Nous devons être à la hauteur. Tu nous exhortes même à la révolution. Révoltez-vous !
Et avant de partir, voilà ce que tu as eu envie de dire aux jeunes femmes.
« Soyez indépendantes économiquement » ; ce sera le socle de votre libération.
« Soyez égoïstes. Envoyez balader les conventions, les traditions et le qu’en dira-t-on ! Vous êtes importantes. Devenez prioritaires ».
« Refusez l’injonction millénaire de faire à tout prix des enfants. Elle est insupportable et réduit les femmes à un ventre ».
« N’ayez pas peur de vous dire féministes ».
Ces mots de Gisèle me parlent tant. Je les ai relus, et relus ; ils sont désormais ancrés en moi.
Merci.
Les citations sont extraites du livre Une farouche liberté de Gisèle Halimi avec Annick Cojean. A l’issue de la lecture de ce livre, c’est cette lettre qui m’est venue. Pour dire toute ma gratitude et mon admiration à cette infatigable battante, ivre de liberté, indignée et révoltée qui consacra sa vie à la justice et fit tant pour les femmes. Nous lui devons beaucoup.
L'association "8 mai 45" a fait savoir qu'elle va déposer deux actions en justice devant le Comité des droits de l'homme à Bruxelles et la Cour internationale de justice de La Haye.
Une association algérienne a annoncé son intention de lancer des poursuites contre la France devant les instances internationales, pour "crimes contre l'humanité" qui ont coûté la vie à des milliers de personnes lors des manifestations du 8 mai 1945.
C’est ce qui ressort des propos tenus à la radio officielle, lundi soir, par Abdel Hamid Salakji, président de l'association "8 mai 45" (non-gouvernementale), qui défend la mémoire des victimes des massacres coloniaux français en Algérie (1830-1962) perpétrés lors des manifestations du 8 mai 1945.
Les forces françaises d'occupation ont commis des massacres odieux dans les régions de Sétif, Guelma et Kherrata, dans l'est de l'Algérie, le 8 mai 1945. Selon les estimations officielles algériennes, 45 000 personnes parmi les victimes, étaient descendues dans la rue pour réclamer l'indépendance de leur pays.
"L'association prépare un dossier pour lancer des poursuites contre les auteurs de ces massacres devant les instances internationales", a déclaré Salakji.
Et le président de l'association "8 mai 45" d’ajouter : "L'association va intenter deux procès, le premier devant le Comité des droits de l'homme à Bruxelles (capitale de la Belgique), et le second devant la Cour internationale de justice de La Haye (ouest des Pays-Bas)".
Le président de l'association a expliqué : "nous connaissons les auteurs des crimes, et nous avons une liste nominative mentionnant leurs noms à l’instar des généraux Duval et Bordella, entre autres".
En 2012, la France a reconnu pour la première fois les massacres du 8 mai 1945 en Algérie, à la suite des déclarations de l'ancien Président François Hollande, lors de sa visite dans le pays.
Hollande a déclaré dans un discours au Parlement algérien à l'époque : "Je reconnais ici les souffrances que le régime colonial français a infligées au peuple algérien, et parmi ces souffrances, celles relatives aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, qui demeurent ancrés dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français".
Le témoin de la Guerre de libération nationale et militant anticolonialiste, Henri Pouillot, a déploré qu'au jour d'aujourd'hui le président de la République et le gouvernement français ne soient "toujours pas prêts" à reconnaitre et condamner tous les crimes d’Etat, de guerre et contre l’humanité commis par la France coloniale en Algérie.
"On voit bien que le président de la République (Emmanuel Macron), le gouvernement, ne sont pas prêts à reconnaitre et condamner tous les crimes d’Etat", a soutenu M. Pouillot, dans un entretien accordé à l’APS, à l'occasion de la commémoration de la Journée nationale de la Mémoire, coïncidant avec le 76eme anniversaire des massacres du 8 mai 1945, citant notamment "les crimes du 8 mai 1945, du 17 octobre 1961, du 8 février 1962, et les crimes de guerre comme l’utilisation du napalm, du gaz Vx et Sarin et les essais nucléaires".
Il a également cité d’autres "crimes contre l’humanité, tels que les camps d’internement pudiquement appelés camps de regroupement, tortures, exécutions sommaires, 'crevettes Bigeard'".
Soutenant ses propos avec une "preuve flagrante", M. Pouillot, avec un langage cru, a souligné à ce titre que "le 26 mars 2021, pour la première fois de l’histoire, une ministre du Gouvernement (français), au nom du président de la République, déposait une gerbe pour honorer, de fait, l’OAS
(Organisation de l’Armée secrète), qui porte la terrible responsabilité de la provocation ayant généré le massacre du 26 mars 1962 à la rue d’Isly (actuellement rue Larbi Ben M’hidi) à Alger", a encore soutenu ce militant anticolonialiste.
ans le même sens, il s’est interrogé pourquoi le pouvoir politique actuel en France n’a pas reconnu "l’assassinat de Larbi Ben M’Hidi, lui aussi torturé, assassiné dans des conditions similaires, par la même équipe du Général Aussaresses?", faisant observer que ce même pouvoir envisageait, à la veille de la commémoration des crimes du 8 mai 1945, de faire de" très petits pas pour esquiver le débat essentiel et ce, après avoir reconnu l’assassinat de Maurice Audin, puis, récemment celui de Ali Boumendjel".
A une question relative au rapport de l’historien français Benjamin Stora, M. Pouillot a estimé que Stora "répondait à une mission politique du président de la République française", relevant à ce propos qu"’il n’établissait pas une thèse historique sur le passé colonial français en Algérie et la conséquence de cette Guerre de libération nationale".
"Certes, il y est évoqué les violences, des répressions menées pendant la conquête coloniale, et sa pérennisation, mais l’expression +crime+ est difficile à trouver (dans ce rapport)", a déploré ce militant, auteur de plusieurs ouvrages sur la colonisation.
Réconciliation des Mémoires : appel à cesser la falsification historique
Interrogé sur la "lenteur" qu’accuse la réconciliation des Mémoires entre l’Algérie et la France, 76 ans après les crimes du 8 mai 1945, M. Pouillot a estimé que "dans le cas précis du 8 mai 1945, ce qui est nécessaire, indispensable, c’est que la falsification historique cesse."
Il a ainsi rappelé que "le premier tout-petit pas fut prononcé le 8 mai 2005 par l’ambassadeur de France en Algérie et le ministre Michel Barnier en parlant de +tragédie inexcusable+, mais cela reste insuffisant, et le reste encore aujourd’hui", soulignant qu’"il faut reconnaitre que ces faits sont des crimes commis au nom de la France et qu’ils doivent être condamnés comme tels".
"Tant que ces mots ne seront pas prononcés, que les responsabilités ne seront pas clairement reconnues, les souffrances de cette mémoire ne peuvent pas s’atténuer", a ajouté M. Pouillot.
Aussi et en sa qualité de témoin de la Guerre de libération nationale, il a estimé que le 8 mai 1945 à Sétif, Guelma, Kherrata représente "le début de la Guerre de libération de l’Algérie".
"Les témoins que j’avais rencontrés à l’université de Sétif le 8 mai 2005, lors d’un colloque sur le déclenchement de la guerre de Libération nationale, m’avaient expliqué qu’ils avaient participé à cette manifestation parce qu’ils ne pouvaient plus accepter cette humiliation permanente d’être considérés comme des sous-citoyens, alors qu’ils avaient été enrôlés dans l’armée française pour chasser le nazisme", a-t-il témoigné, à son tour.
Il a conclu, en sa qualité de militant anticolonialiste engagé, que ce "mouvement populaire, légitime, si sauvagement réprimé, a, de fait, constitué le ferment permettant au peuple algérien de s’organiser pour obtenir son indépendance et espérer ainsi une vie digne".
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