Il y a 50 ans, le 7 juin 1974, Messali Hadj, décédé 4 jours plus tôt (ou 5 jours, selon les versions) dans la petite ville française de Gouvieux, (à une soixantaine de kilomètres au nord de Paris) était enterré au cimetière de Sidi Senouci de sa ville natale, Tlemcen. Depuis, à cette date, tous les ans, dans la discrétion ou sous le regard de reporters et de photographes, des citoyens fidèles à sa mémoire se recueillent sur sa tombe en récitant des versets du Saint Coran. Ces dernières années, avec le recul et la relative sérénité des esprits retrouvée, chaque Algérien s'est au moins rendu compte que le destin de ce grand patriote a été exceptionnel. Lorsqu'on revoit les photos de Messali Hadj haranguant la foule dans un meeting ou tenant par la main son épouse Émilie Busquant, vêtu d'une gandoura, un fez sur la tête, le contour de son visage anobli par une longue barbe blanche, on se convainc sans difficulté que sa vie a été hors normes, sans pareille, unique.
Sur le plan politique, nous nous contenterons d'écrire, dans le cadre de cet article, que pour lui comme pour tous les acteurs de la cause nationale, le verdict de l'Histoire est plus important et objectif que les jugements versatiles de l'actualité. Messali n'obtiendra la nationalité algérienne qu'en 1965 et il sera finalement réhabilité par l'ancien président feu Abdelaziz Bouteflika. En 2007, l'aéroport de Tlemcen-Zenata fut baptisé de son nom.
Sa fille Djanina Messali-Benkalfat, dans un chapitre de son livre de mémoire paru à Alger en 2014, «Une vie partagée avec mon père» décrit, comme elle l'a ressenti, l'enterrement de Messali à Tlemcen, le vendredi 7 juin 1974, après la Grande prière du midi à «Djamaâ El-Kebir». De son côté, l'ami et l'avocat de Messali, maître Yves Dechezelles, a eu l'occasion, de son vivant, de s'exprimer sur cet événement. Pour les lecteurs du Quotidien d'Oran, nous avons résumé leurs deux témoignages.
Deux jours (ou trois, selon les versions) après le décès de Messali, soit le mercredi 5 juin 1974, l'ambassade d'Algérie à Paris, qui devait transmettre à la famille le permis d'inhumer établi par la mairie de Tlemcen, ne s'était toujours pas manifestée. En fin d'après-midi de ce 5 juin, toujours sans nouvelles, le docteur Anouar Benkalfat, le gendre de Messali, s'impatiente et joint l'ambassade par téléphone : «Je ne réponds plus de rien. Il y a une foule immense ici au cimetière musulman de Bobigny, qui va descendre sur l'ambassade pour chercher ce permis». Une demi-heure plus tard, l'autorisation arrive enfin !
Le soir même, Ali Messali accompagne la dépouille de son père jusqu'à Marseille par route. Le lendemain, le reste de la famille et maître Dechezelles prennent l'avion de Paris jusqu'à Marseille où ils récupèrent les premiers nommés, avant de poursuivre leur vol sur Oran. À l'arrivée en terre algérienne, à 18h30, ce jeudi 6 juin 1974, il y avait un important détachement de soldats le long du mur de l'aérogare d'Oran. La fille de Messali demande au porte-faix de service d'ouvrir la caisse de bois blanc qui protège le cercueil de son père, sort de son sac un drapeau vert et blanc au croissant et à l'étoile rouges puis le déploie sur le cercueil, en s'inclinant. C'est à ce moment-là qu'un youyou de femme, venu de nulle part, brise le silence tendu alentour, puis une prière fuse d'une bouche anonyme : «Allah yachtmen el-batâl Messali Hadj »!
Ce n'est qu'à 22h30, soit quatre heures après l'atterrissage de l'avion transportant le corps sans vie de Messali, que le cortège funèbre quitte enfin Oran en direction de Tlemcen. Il aura fallu à la famille beaucoup d'attente et de patience avant de réussir à accomplir une banale formalité sanitaire. Vers minuit trente, à la première heure de ce vendredi 7 juin 1974, le cortège entre dans Tlemcen endormi. La maison de Larbi Hamidou, au quartier tlemcénien de Fekharine, où devait se dérouler la veillée mortuaire (une demeure qui abrita pendant la guerre de Libération, des moudjahidine comme Abdelhafid Boussouf ou Larbi Ben M'hidi) était pavoisée du drapeau national.
Ce 7 juin 1974 fut, d'après la fille de Messali, «long et tumultueux». Dès la prière de l'aube, un homme attendait à l'intérieur de «Djamaâ El-Kebir», au centre-ville de Tlemcen, pour être au plus près du défunt, le moment venu : Hocine Lahouel (l'un des compagnons les plus proches de Messali). La Grande mosquée de Tlemcen ne put contenir toute la foule venue assister à l'enterrement du père du nationalisme algérien. Les témoins racontent que des femmes de la ville dérogèrent aux usages et accompagnèrent Djanina, la fille du défunt, en tête du cortège, jusqu'au cimetière de Sidi Senouci. Les adeptes de la confrérie Darkaoua, derrière le cercueil de Messali, porté à épaules d'hommes, recouvert du drapeau national, déclamèrent à voix haute la «Borda» (une célèbre louange du Prophète/PSDL) tandis que fusaient de temps à autre, les youyous de femmes tlemcéniennes éplorées.
Au cimetière de Sidi Senouci, après une mise en terre sobre et émouvante dans le carré familial, Mohammed Mamchaoui (le neveu de Messali Hadj, un militant messaliste de la première heure) prononcera en arabe une oraison funèbre, suivi par un discours en français de maître Yves Dechezelles. Noyé dans la foule, un jeune étudiant assistera à l'enterrement sans attirer l'attention : le futur historien Benjamin Stora qui consacrera, une vingtaine d'années plus tard, une biographie à Messali.
Pour informer ses lecteurs de l'événement (ou plutôt du «non-événement»), le journal «El Moudjahid» fera paraître dans ses pages intérieures, un bref entrefilet libellé comme suit : «Messali n'est plus. Il est décédé dans une clinique parisienne, le dimanche 2 juin. Rappelons qu'il a été le cofondateur du PPA et le président du PPA et du MTLD».
Ce vendredi 7 juin de l'année 1974, Messali Hadj a rejoint pour l'éternité la terre de ses ancêtres, cette terre bénie qu'il aura tant aimée. Est-ce ainsi que les hommes meurent ?
par Amine Bouali
Jeudi 6 juin 2024
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