Livres
Le pot de départ. Roman de Laure Ramenah. Casbah Editions, Alger 2023, 206 pages, 1000 dinars
L'histoire est toute simple... ce qui facilite amplement la lecture et la compréhension. Mansour Malassoud vit en France depuis plus de quarante ans et l'heure de sa retraite (de travailleur et de syndicaliste apprécié tant par collègues que par son employeur). Avant de lui dire au revoir, ses collègues lui organisent une petite fête. La chanson Ya Rayah, revisitée par Rachid Taha, égrène ses notes chaâbi, dans une ambiance festive. Un cadeau est offert à Mansour : une réservation pour deux personnes en direction de l'Algérie. Apprécié aussi par l'environnement indigène (dont les abonnés du bar du coin). A l'aise matériellement. Un homme tranquille, coi ! Car sans histoires. Même son histoire d'amour avec une de ses collègues, Marie-Andrée, une Européenne, est tranquille et... sans histoires. Si, peut-être une demande en mariage qui tarde. Son père, lui aussi émigré de la première heure, est dans une maison de retraite attendant tranquillement son heure. Ses deux grands enfants, issus d'un premier mariage sont indépendants,... bien loin de lui et cela lui manque. Mansour a eu deux enfants avec Fadela, son ex-femme (décédée depuis peu) dont il a divorcé il y a très longtemps. Il n'a pas vu grandir sa fille Leila (installée aux Usa) et son fils Younès (qui «file» du mauvais coton). La culpabilité de les avoir abandonnés le ronge insidieusement et pèse lourdement sur ses épaules.
Bref, une histoire que l'on peut trouver banale... sauf. Sauf que malgré ses nouvelles occupations (formateur bénévole en langue française auprès de nouveaux émigrés), ses nouvelles amitiés (un voisin plus âgé, Smadja ), un lien retissé avec ses enfants et son petit-fils, et le projet de mariage avec son amie, il lui manque quelque chose... quelque chose qu'il avait mis de côté durant quatre décennies et que le décès du père, Jibril, a réveillé... Le besoin d'Algérie. Pour se retrouver (il se remet d'ailleurs à faire la prière) et, surtout, me semble-t-il, pour retrouver ses racines... et pour ne plus sentir dépossédé de son identité profonde. Algérien un jour, Algérien toujours !
L'Auteure : Psychologue et psychanalyste française. A vécu trois années de son enfance en Algérie après l'Indépendance, ayant accompagné ses parents.
Extraits : «La vieillesse était l'âge de la tendresse, de la réconciliation et du pardon qui, seuls, pouvaient la justifier. Il notait, entre autres choses, que rien n'était donné. Chaque jour, tout recommencer» (p 39), «Son ambition en France était d'être à sa place, pas autre chose. De déplacé, il devait se replacer. Pour lui, cette question était vitale, il avait un besoin de s'enraciner, de croître, en hauteur, de s'élancer. Pas de se répandre» (p 56), «Être à sa place dans ce pays, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Être un bon travailleur, ne pas parler arabe, ne pas parler de religion, ne pas épouser une Française ? (p 56), «L'arabe me reste comme la langue de la discorde, du secret, c'est la langue de l'enfant qui se cachait sous la table... C'est la langue de l'absent, mais aussi de l'amour» (p 197)
Avis - Un roman sur l'exil, l'identité, la vieillesse, les liens père-enfants. Un roman assez «gentil», parcouru par une tendresse infinie autour d'une famille qui s'est «répandue» (en exil) puis s'est retrouvée
Citations : «La fierté, c'était autre chose, comme un don de vie, une fulgurance qui vous certifiait être un humain» (p 61), «Le mariage, on ne plaisante pas avec ça ! Ce n'est pas oui, et puis non, et puis peut-être, c'est une prise de risque qui demande de la force» (p120), «Ambitieux, c'est se voir réussir quelque chose... c'est le désir de s'élever, de réaliser ses rêves» (150)
La vérité attendra l'aurore. Roman de Akli Tadjer. Casbah Editions, Alger 2018, 248 pages, 900 dinars. (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/culture/bibliotheque d'almanach, 20 juin 2012)
Mohamed est un artiste ébéniste, installé à Paris, passage du Grand-Cerf. Père et mère (des émigrés de la première heure... un père travaillant dur et ne supportant pas sa «nouvelle colonisation» - dans une usine d'équarrissage de peaux et une mère passant son temps à dépenser l'argent amassé durement auprès des vendeurs de babioles) décédés. Il vit seul, célibataire, goûtant de temps au temps, aux joies des amours passagères. Heureux en apparence mais malheureux comme pas possible. Car, il a eu deux vies... totalement contraires. Une enfance et une jeunesse presque heureuses (à noter que sa maman vivait comme une malédiction d'avoir mis au monde un rejeton avec une tête à s'appeler Patrick... une tête de roumi et des yeux clairs), avec une scolarité en dents de scie, assez médiocre car plus porté sur l'art du travail sur bois... et, surtout sur la jeune et belle Nelly (fille d'un «ancien d'Algérie» revenu en France «avec le dégoût de tous les Mohamed» ), qu'il aimait et qui laimait. Des pelles roulées à pleine bouche en veux-tu en voilà! En attendant bien plus et bien mieux quand ils seront grands... et, aussi, un jeune frère, Lyès, qu'il protège, le chouchou de maman, un «intello» qui réussit sa scolarité les doigts dans le nez, bien plus porté sur la réflexion et le rêve que sur l'agir.
Un jour, c'est le départ en famille pour l'Algérie. Vacances d'été et visite au «bled». El Kseur... Cap Carbon... les joies de la mer... le retour tardif... la nuit... la panne de la voiture (le tacot du papa)... Le drame... Tout va alors basculer. Ils avaient oublié que le pays était alors en pleine période de terrorisme. (... )
Cest pour cela que l'auteur (du roman) nous gratifie de passages consacrés à une description assez (sur-) réaliste (quelque peu déplacés à mon avis, car exagérés et se limitant aux propos et aux comportements «populaires» et «populistes» recueillis ou vus ça et là... à l'aéroport, à l'hôtel, en taxi, dans la rue... )... de la ville (Alger) et du pays, la «paix» retrouvée. Très compréhensible de la part d'un visiteur, simple passager venu d'un «autre monde» fait d'art et de libertés... d'un visiteur traumatisé par des «chocs» ayant mis à mal bien de ses certitudes.
L'Auteur : Né en 1954 à Paris. Auteur de plusieurs romans dont trois adaptés à la télévision. Romans traduits dans de nombreux pays
Avis - Pour un conteur, c'est un conteur. Un très bon conteur même qui arrive à vous garder «scotché» à un récit à rebondissements, souvenirs d'enfance et de jeunesse, vie d'émigrés (en France), art, amour... et terrorisme mêlés... et beaucoup (un peu trop ?) d'Algérie. Se lit d'un trait.
Extraits : «Sélecto, le soda made in Algeria, qui a caramélisé les intestins de tous les Algériens depuis l'Indépendance» (p20), «Passé minuit, le whisky n'a rien d'euphorisant ni d'anesthésiant, il fait mal à la nuque et vous renvoie au point de départ» (p 47), «Souvent, il m'est arrivé de penser q'Allah, le clément et miséricordieux, ne pouvait épargner toute cette engeance de barbares qui avait plongé l'Algérie dans les ténèbres, durant une décennie avant d'essaimer à travers le monde, d'autres monstres sévissant avec la même cruauté, le même fanatisme, la même lâcheté. Allah est plutôt bienveillant avec les criminels qui prospèrent en son nom» (p 165), «Je n'ai jamais aimé l'idée de racines. Elle me renvoie à l'arbre figé dans sa terre qui ne voit pas plus loin que le bout de ses branches... J'aime ma trouble identité. J'aime ma schizophrénie normale» (p 193).
Citations : «En vieillissant, on est toujours rattrapé par sa race» (p 16), «La vie parfois, c'est magique, parfois c'est merdique» (142) , «Ce n'est ni tout à fait l'Orient, ni tout à fait l'Occident, c'est l'Algérie : un puzzle auquel il manquerait des pièces» (p 185).
Par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 20 juin 2024
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5330550
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