J’ai grandi en écoutant les chansons de Slimane Azem. Pour mes frères, ma sœur et moi, il était ce lien d’attache avec la Kabylie natale de nos parents. Une de ces fragrances qui se dégagent à l’ouverture d’une valise qui renferme encore de ce dernier voyage au pays.
Il était le pied d’ici et de là-bas. Une musique qui accompagnait tantôt un texte en kabyle tantôt un texte en français nous permettait de nous plonger dans l’univers de ce poète aux allures de chansonnier.
Il nous faisait rire au même moment où il faisait pleurer nos parents.
Le ton humoristique d’un « Dites-moi mes amis… » réveillait la douloureuse nostalgie d’un pays et ravivait l’espoir, le mythe du retour au village pour nos aînés…
J’adore la chanson de Slimane Azem depuis toujours. Elle continue d’accompagner ma vie chaque jour. Je crois que s’il y a une chose que nous avons toutes et tous en commun et que l’on partage assurément tel que l’air que l’on respire, c’est bien l’œuvre de Slimane Azem.
Enfant, l’on s’est surpris à imaginer que Slimane pouvait être un membre de la famille. Un grand oncle, un cousin que l’on citait à chaque leçon de vie. Ses mots flottaient du salon à la cuisine en traversant parfois les murs de nos voisins.
« Tiens ?! Un Kabyle qui chante aussi en français ?! C’est drôle ! » Oui drôle mais, plus que tout, c’est poignant quand il s’agit de chanter l’amour de son pays jusqu’au dernier souffle.
Ce pays, cette terre si chère à son cœur et qu’il n’a jamais pu oublier.
Elle était en lui, indissociable de sa chair…
De sa chanson, il ressort que Slimane Azem était un homme d’une immense culture, d’une grande humilité et humanité.
Certes, rien ne prédestinait ce petit berger, issu d’une modeste famille à devenir l’un des plus grands poètes kabyles. Sauf peut-être ses prédispositions à la poésie et à la récitation ou encore une enfance bercée de la poésie de sa mère, de celle de Si Muhend U Mhend ou encore de La Fontaine…
Mais par un destin incroyable, des années plus tard Slimane Azem est propulsé sur le devant de la scène.
Aujourd’hui, Slimane Azem est sans aucun doute l’artiste kabyle le plus repris, adapté, revisité. Il inspire encore la nouvelle génération, au talent prodigieux, qui se délecte à reprendre ses chansons à travers différents genres musicaux poussant parfois l’humour ou l’émotion à son paroxysme.
C’est dire à quel point son œuvre est immortelle !
Je fais chaque semaine l’expérience de faire écouter Slimane Azem à mon cher et tendre papa. Sa maladie qui s’efforce à lui faire oublier le moindre de ses souvenirs n’a toujours pas eu raison de la poésie et des mélodies de Slimane Azem. Quelques notes et voilà que papa chante « Ay afrux ifirelles » « Effeɣ ay ajrad tamurt-iw » ou encore « Azger yεaqel igma-s ». Il m’en explique même la morale.
Alors à quoi bon me tracasser de savoir s’il se rappelle de son repas du midi quand je sais qu’il peut me réciter d’aussi belles poésies ?!
L’œuvre de Slimane Azem est telle la madeleine de Proust. Son parfum enivrant titille les sens les plus primaires et redonne vie à la plus infime mémoire qu’il reste en nous.
C’est cela la magie de Slimane Azem.
Nassima Chillaouidimanche
28 janvier 2024
https://lematindalgerie.com/slimane-azem-entre-memoire-collective-et-souvenirs-personnels/
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