Dans la nuit du 1er au 2 juillet, à Marseille, Mohamed Bendriss est mort d’une crise cardiaque à 27 ans après avoir été touché par un tir de lanceur de balles de défense en pleine poitrine. Il circulait à scooter quand il a croisé la route du Raid, envoyé pour « rétablir l’ordre » et empêcher les pillages de magasins.
C’est le seul mort causé par l’action de la police pendant les émeutes qui ont touché la France cet été, après le décès de Nahel Merzouk, tué par un tir policier à Nanterre le 27 juin 2023.
Au mois d’août, trois policiers du Raid ont été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». L’un d’entre eux dément avoir fait usage de son arme. Les deux autres reconnaissent avoir tiré, mais invoquent la légitime défense : ils affirment que Mohamed Bendriss fonçait sur eux et menaçait la sécurité des agents. Mais les images les contredisent.
Grâce à de nombreuses vidéos enregistrées par les caméras de surveillance de la ville, par une riveraine et par le Raid lui-même, Mediapart et Libération ont pu reconstituer le trajet du scooter et des policiers ce soir-là. Certaines de ces images montrent les secondes cruciales où le Raid tire sur Mohamed Bendriss, à 0 h 58.
À cet instant, le scooter remonte la colonne de sept véhicules, dans une rue calme et presque vide. Alors qu’il roule près des façades, laissant de l’espace entre lui et les policiers, six détonations retentissent sur son passage. Un projectile l’atteint au thorax, un autre à la cuisse, le dernier explose le phare de son scooter.
Bien qu’il soit touché, Mohamed Bendriss parvient à s’enfuir. Il s’effondre deux minutes plus tard, devant chez sa mère. Ni les pompiers ni les médecins de l’hôpital ne parviendront à le réanimer.
Le Raid pas coutumier du maintien de l’ordre
Le Raid, une unité d’élite spécialisée dans les prises d’otages et les opérations antiterroristes millimétrées, n’avait jamais été déployé en métropole pour contenir des violences urbaines. C’est le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin lui-même qui a décidé de les envoyer en renfort pour impressionner les émeutiers, dissuader les pillards et les interpeller si nécessaire. Sauf que les opérateurs du Raid n’ont pas l’habitude d’intervenir en pleine rue. Ils ne disposent pas non plus du matériel de protection adéquat.
Cette unité a sa propre logique. « Tout ce qui s’approchait de notre bulle de protection était considéré comme dangereux », a déclaré un policier du Raid lors de sa garde à vue. « Il faut vraiment être stupide pour forcer un barrage de convoi du Raid », a avancé un autre. Les images mettent en évidence le décalage entre leur perception subjective du danger et la réalité objective de la menace.
Contactés par Mediapart et Libération, les avocats des trois policiers mis en examen n’ont pas souhaité répondre, ni donné suite.
À ce stade, l’enquête peine à établir quel policier a tiré à quel moment. Contrairement aux autres services de police, le Raid ne remplit pas le fichier national permettant de tracer et justifier chaque munition tirée. Il ne demande pas non plus à ses agents de déclarer par écrit qui a emprunté quelle arme, LBD ou lanceur de « bean bags », une autre arme du même type.
La veille de la mort de Mohamed Bendriss, son cousin germain, Abdelkarim Y., a été éborgné en centre-ville de Marseille. Dans cette affaire, deux policiers du Raid qui ont tiré simultanément au LBD ont été mis en examen le 15 novembre 2023.
Ces nuits d’émeutes marseillaises ont donné lieu à au moins deux autres enquêtes visant des policiers. Quatre agents de la brigade anticriminalité ont été mis en examen pour des violences commises sur Hedi, qui a dû subir l’amputation d’une partie du crâne. Une autre enquête concerne des violences commises sur un jeune homme prénommé Otman.
Camille Polloni
30 novembre 2023 à 16h56
https://www.mediapart.fr/journal/france/301123/mort-de-mohamed-bendriss-marseille-la-version-du-raid-contredite-par-l-image
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