Livres
J'habite en mouvement. Poésie. Anthologie (2001-2021) de Samira Negrouche. Editions Barzakh, Alger 2023, 281 pages, 900 dinars
Une œuvre à nulle autre pareille tant dans le fond que dans la forme. Assurément sortant de l'ordinaire. De la poésie, de la prose mais aussi, en filigrane, de l'essai. Une anthologie qui puise dans la totalité de l'œuvre de Samira Negrouche durant deux décennies. Une œuvre ample et protéiforme où résonne «la profondeur du chant du monde». Une œuvre qui au fil des ans et des créations s'est complexifiée, interrogeant les lisières, les frontières, toutes les frontières, le dialogue avec l'Autre, le lien à la Terre et ses subtilités, aux langues, au corps, à l'amour... Bref, comme elle le dit assez bien dans un entretien de presse, «un livre né d'une concordance de désirs et de la fin d'un cycle manquant».La sélection s'est faite à partir de livres publiés entre 2001 et 2021, certains n'ayant jamais été publiés en Algérie. Les textes ne se suivent pas par ordre chronologique, l'important étant, semble-t-il, que la sélection tienne d'un tenant, «qu'elle soit construite comme un livre avec plusieurs fils tendus du début à la fin»
L'Auteure : Née à Alger où elle y vit. Poète, essayiste et traductrice. Médecin de formation. Plusieurs publications .Elle a, aussi, coordonné, durant dix ans, à Alger, un festival de poésie. Traduite dans une trentaine de langues et plusieurs publications. Elle collabore avec nombre d'artistes (peintres, musiciens...)
Extraits : «Nous nous aventurons un soir sur des mots déjà peints à chaque vingt ans palpitants, nous écrivons les mêmes paysages et en sommes les seuls créateurs» (p 49), «Il y a des pages sans écriture qui vous traversent au bout de la nuit celles qu'un éditeur n'attend pas et qui sont le chemin vers un livre imaginaire que vous regardez s'éloigner à mesure que le temps passe vous préférez penser qu'il est à jamais dans la mémoire morte de l'ordinateur» (p 99)
Avis : Il faut aimer l'expression poétique, la gymnastique des mots et l'art de la mise en page pour apprécier pleinement. Un ensemble thématique, musical et visuel très original. Il faut seulement ne pas se décourager. A lire. Puis à relire... et bien regarder.
Citations : «C'est avec des «nœuds en zigzag» qu'on va au bout de soi -au bout du monde» (Nimrod, poète, romancier et essayiste tchadien, préface, p 10), «Les poètes sont des êtres de solitude. Ils embrassent tout : vivants et non-vivants, lesquels les envahissent pour les faire naître à leur destin» (Nimrod, poète, romancier et essayiste tchadien , préface, p 10), «Il me semble difficile/qu'un mot-clé/puisse ouvrir quoi que ce soit/qui en vaille la peine/les mots n'ouvrent rien/véritablement/la fonction paralyse le mot/j'assume la statistique/ paralyse/tout logiciel/ par saturation» (p 159), «Je ne dors pas la nuit. Quand le silence tombe, ce sont les visages qui remontent dans ma mémoire, ceux que je n'ai jamais vus aussi» (p245), «Toute vie est mouvement, c'est une des évidences qu'il faut pourtant se rappeler chaque jour, qu'il faut s'entendre dire chaque jour, qu'il faudrait observer à chaque instant» (p251)
En ouvrant le livre de ma vie... Récit(s) de Fatiha Belkacem. Editions El Qobia, Alger 2023, 204 pages, 900 dinars
Souvenirs au coin du feu... Souvenirs d'un temps passé... Souvenirs de moments de bonheur, de joies partagées, mais aussi de craintes, de peines, de douleurs, de souffrances, mais aussi d'espérance continuelle. C'est là tout le contenu de cette œuvre toute de tendresse, de pudeur et d'émotions, mais aussi d'idées bien arrêtées sur la société... celle d'hier, et celle d'aujourd'hui. Idées formulées simplement et franchement.
L'auteure nous raconte son enfance, sa jeunesse, sa famille, la société environnante (celle durant la colonisation, celle de l'Algérie indépendante... et celle d'aujourd'hui). Elle décrit (presque) toute sa vie, ses espoirs, son parcours, ses craintes, ses désirs, ses colères, ses questions sur son devenir porté en son cœur... Aussi son amour pour le sport, la pêche, le savoir culinaire, tout particulièrement celui hérité. Résumé ainsi : Des instants de petits bonheurs ou de coups de gueule, des chagrins, des craintes, des jalousies sur des pages sans retenue.
43 grands et courts textes, tous aussi prenants les uns que les autres. Avec un summum atteint dans le chapitre consacré à la «cellule familiale» où le père et la maman sont les piliers sécurisants et formateurs ; dans le chapitre consacré l' «apparition du Corona», un mal qui a ravagé tout ce qui se trouvait sur son chemin», Blida ayant été une seconde «Wuhan» ; et dans le chapitre consacré à «mon coloc, le cancer»... un mal ayant atteint le corps de la «guerrière» qui continue à «réfuter le mot Impossible».
L'Auteure : Née à Boufarik en 1949. Etudes en philosophie, correspondante d'un journal, carrière dans une banque en tant que cadre dirigeante... Aujourd'hui, résidant à Blida, elle gère un établissement de restauration où l'on consomme, dit-on, de la très, très bonne cuisine. Note : sœur du défunt journaliste Kamel Belkacem.
Sommaire : Préface (de Dehbia Ammour, poétesse) / 43 chapitres (Chapitre I : Le village de Sidi Moussa... Chapitre 42 : Apparition du Corona... Chapitre 43 : Mon coloc, le cancer)
Extraits : «Pour moi, les enseignantes étaient synonymes d'aptitude, d'érudition, de respect» (p27), «Après l'indépendance, (note : à Blida), plus de concours, plus de bataille des fleurs, plus de princesses sur des chars fleuris, ces derniers ont fini au cimetière de la ferraille» (p36), «Être indigène ne voulait pas dire nécessairement être vêtu de haillons ou guenilles» (p38), «Les Fatma, les Mohamed, les Indigènes, les Bougnoules étaient des termes adoptés par les Colons français racistes» (p 89), «Les mentalités du respect étaient ancrées dans notre subconscient et tous nos faits et gestes durant nos balades étaient liés à la protection de la nature ; une prise de conscience héritée de nos parents» (p121), «C'était la guerre, et pourtant il existe et il y aura toujours des souvenirs désagréables durs à oublier, des étapes douloureuses à surmonter, des moments ineffaçables de la mémoire mais chaque minute est là pour nous ramener à la valeur de la vie. Tout cela, c'était autrefois !» (p139), «Autrefois, malgré la lutte acharnée des Algériens à arracher leur indépendance, il n'existait pas cette morosité chez les gens .Tout était occasion de festoyer, rire et partager et, malgré les deuils, les chagrins, la misère, l'allégresse était partout» (p171.)
Avis : Un recueil de souvenirs, une sorte de bloc-notes du temps passé et du présent proche, pleins de fraîcheur (s) et de nostalgie qui détricotent le temps et se souvenir. Il faut, pour bien apprécier, se laisser «aller» et se souvenir... de son enfance, de sa jeunesse, de ses parents, de sa famille, de ses amis, de ses voisins, de ses joies, de ses peines, des souffrances du pays...Un livre que chacun de nous (sexagénaires et plus) porte en soi. Car, selon la préfacière, une «histoire mise en chair», relatant les souvenirs indélébiles d'une vie qu'il fallait tracer quelque part.
Citations : «De propriétaires d'origine, ces Algériens sont devenus (note : sous la colonisation) esclaves sur leurs terres « (p 39), «Être seul, c'est être en mauvaise compagnie, c'est hériter d'une maladie grave aux douleurs incontrôlables enrobées de regrets et d'amertume sans aucune reconnaissance. Pour beaucoup, la mort reste une délivrance face à la souffrance morale» (p 71), «Ne pas oublier, c'est bien, mais reconstruire c'est mieux. Le passé ne doit pas être l'alibi pour zapper le présent» (p150).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 7 septembre 2023
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5323623
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