Livres
L'Absente. Recueil de Nouvelles de Meriem Guemache. Casbah Editions, Alger 2023, 153 pages, 1.000 DA
C'est le texte- hommage à sa mère intitulé «L'absente», qui donne son titre à l'ouvrage. L'auteure raconte le quotidien vécu avec une mère atteinte de la maladie d'Alzheimer. Dans le détail, elle propose au lecteur la vision de la fille qui doit assister sa maman dans ces moments très délicats. Avec beaucoup de tendresse, l'auteure évoque les bêtises enfantines de «sa maman, sa fille», et décrit la métamorphose que cette situation a imposée à son caractère devenu beaucoup plus souple, calme et patient, confiant avoir «beaucoup grandi à l'ombre de la maladie» pour pouvoir assister celle qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, jusqu'à son dernier voyage laissant «tant de présence dans son absence». Un texte plus qu'émouvant, sorte d'appel aux enfants se pensant éternellement jeunes et de rappel aux parents se devant d'être plus attentifs à leur hygiène de vie.
Les autres nouvelles nous permettent d'aller de découverte en découverte :
A tout seigneur, tout «honneur» : Le Covid... une pandémie qui a bouleversé la vie quotidienne de tout un chacun. Les essais nucléaires français au Sahara et leurs conséquences sur les populations locales... aujourd'hui encore. Ce que cache une «Voix» très radiophonique. La mort. Le portrait d'un 3a'chaq Ettaqa, un «Omar Gatlato» plus sérieux, trop sérieux pour mener sa flamme jusqu'au bout. Une Harga et ses conditions. Les rêves érotiques d'un prisonnier. Puissance (politique), décadence... et puissance, accompagnée de vengeance... et, pour couronner le tout, le coup de foudre et la grande désillusion.
Tout cela dit avec une écriture rapide et avec des phrases assez courtes et directes presque recueillies de la vie alentour et sentant le style journalistique fluide abordant donc plusieurs sujets, en dehors d'un thème unique, ce qui donne une lecture agréable. D'autant plus qu'on y rencontre bien des expressions populaires algériennes et pas mal d'humour.
L'Auteure : Née à El Biar, études en Lettres anglaises (Université d'Alger).1989 : Intègre la «Chaîne 3» de la Radio publique algérienne... produisant et animant des émissions culturelles et de divertissement. Journaliste. 2017 : premier livre destiné aux enfants... suivi d'un second en 2018. Second recueil de nouvelles (après «La demoiselle du métro»). Aussi une biographie romancée de Fadhma Ait Mansour Amrouche et un roman, «Zelda» (2021)
Sommaire : Dix (10) nouvelles
Extraits : «La science a vaincu la peste noire, la grippe espagnole, le choléra, la grippe asiatique. L'homme a toujours triomphé. Virus-horribilis finira par disparaître. Un jour» (p27), «La France n'a pas voulu assumer ses responsabilités. Elle s'en est tenue à sa grandeur, se lavant les mains des conséquences de ses essais (note : nucléaires au Sahara algérien), niant aussi bien la mort qu'ils avaient directement causés, que leurs victimes collatérales» (p59), «D'après une étude très sérieuse, 90% des personnes exècrent leur voix. Des journalistes, des animateurs, des chroniqueurs et même des chanteurs vous le diront ; ils ne supportent pas de s'écouter» (p 61), «Monsieur Kadour par-ci, monsieur Kadour par-là, il était là pour tous, et eux rôdaient autour de lui, serviles, le caressant dans le sens du poil pour ne jamais le hérisser. Il est vrai qu'ils lui faisaient des cadeaux, vacances à l'œil, montres de luxe, fringues de marque pour sa femme et sa fille. C'était normal. Le renvoi d'ascenseur était bien huilé. Hypocrisie et faux-semblants à tous les étages. Tout en haut, monsieur Kadour pesait lourd, en ce temps-là. Son avis comptait, monsieur Kadour pesait lourd, en ce temps-là.» (p130)
Avis : Que de «bonnes» nouvelles ! La société algérienne à travers ses défauts et ses qualités, ses forces et ses faiblesses... tous ceux et toutes celles qui ne sont pas immédiatement remarquées, mais qui sont bel et bien là.
Citations : «Pour un peuple de méditerranéens, tactile comme nous, garder les distances est un supplice» (p18), «Passer l'arme à gauche entouré des siens, dans la chaleur de son foyer, c'est le nec plus ultra de la finitude terrestre» (p70), «Ah l'humain ! Prétentieux, infatué, orgueilleux, plein de lui-même jusqu'à se croire invincible. Il préjuge de son pouvoir et oublie qu'il a une date de péremption» (p74), «Pour vivre heureux, vivons cachets» (graffiti... p 81), «L'enfer est souvent là où on pense être en sécurité» (p113)
Les fleuves ont toujours deux rives. Roman de Wadi Bouzar. Entreprise nationale du livre, Alger1986, 157 pages, 24,84 dinars... en 1986. Prix de l'Afrique méditerranéenne 1987.
Une histoire en apparence banale, celle d'un intellectuel (journaliste) durant les premières années de l'Algérie indépendante... en butte aux tracasseries et les jalousies internes de la part de ceux qui font et défont le secteur, le directeur, le red'chef et même son ancien ami d'études, le ministre en charge du secteur. Trop compétent, honnête, professionnel engagé jusqu'au bout de sa plume, il s'est assez vite retrouvé «mis en disponibilité sans salaire» et obligé de s'exiler à Paris, l'herbe étant plus verte. Il y sera bien accueilli et il y rencontrera même l'amour d'une réfugiée d'origine arabo-égyptienne. Mais cela ne va pas suffire à calmer sa douleur... être loin de son pays, constater qu'un système prédateur est en place, voir le monde arabe s'empêtrer dans des conflits sans fin... Pour finir, il s'engagera auprès des Libanais pour combattre les envahisseurs sionistes.
Une histoire en apparence banale mais multipliée par dix, par cent, par mille, elle résume le mal-vivre, le mal-être de toute une génération de journalistes et d'intellectuels (l'enseignement y compris) arrivés (fin des années 60 et années 70-80) sur la nouvelle scène nationale pleins d'espoirs et de projets mais qui se heurtent au mur de l'affairisme, de la corruption, du ben'amisme, des amitiés douteuses, des compromissions intellectuelles et politiques... La solution ! L'exil... cette autre forme de suicide.
En juin 2019, l'auteur avait accordé un entretien à un quotidien algérien. Il donnait à lire l'importance du droit et de l'Etat de droit en partant du terrain social et politique: «La priorité est de créer un Etat de droit, tâche difficile, longue et délicate, parcours semé d'obstacles en raison des habitudes prises depuis longtemps par des groupes et des individus. (...) Le citoyen doit avoir le droit de réclamer, de se plaindre, de porter plainte sans difficulté. L'Etat de droit se joue d'abord dans ces «détails», dans la vie quotidienne.». C'est tout dit et cela résume assez bien le roman.
L'Auteur : Né en 1938 à Rabat, professeur des Universités (sociologie culturelle). Un des plus grands sociologues du Maghreb, au savoir singulier et l'un des plus inventifs. Il a écrit beaucoup, mais apparemment peu connu en Algérie, lui qui a formé énormément de monde à l'université d'Alger et ailleurs. Plusieurs œuvres : Romans, études universitaires, articles de presse, essais (dont le monumental «La mouvance et la pause : Regards sur la société algérienne», Alger 1983, 819 pages), édités en Algérie (Sned,Enal, Enag, Opu...) et à l'étranger.
Extraits : «Le fait religieux devait se vivre d'abord face à sa propre conscience et devant Dieu et non seulement sous le regard d'autrui» (p 26), «Allez donc faire comprendre cela (note : la réalité) aux grandes personnes ! Elles avaient leur monde à elles, un monde bien étrange, lui aussi, fait de conversations sérieuses, soudain entrecoupées de rires inexplicables. Un monde de certitudes» (p38), «Avant d'être ainsi emportés (note : par le fleuve), nous nous immergeons tant et plus, en général, nous revenons toujours à la rive familière où nous sommes nés» (p133)
Avis : L'Algérie des années 60-80. Autre temps, autre style, mais même récit. Les (més) aventures d'un intellectuel vrai, engagé... et broyé par le «Système». Lecture déprimante mais utile, pour comprendre les crises d'aujourd'hui.
Citations : «L'impérialisme des grandes puissances, multiforme, existait toujours mais c'était aussi l'impérialisme interne, la soif de puissance, l'héritage féodal de tout un chacun qu'il fallait combattre» (pp 26-27), «Quand vous n'étiez pas un responsable, vous n'aviez pas droit à un bureau, même en travaillant comme un forcené. Dans un tel contexte, n'être pas chef revenait à n'être pas» (p 29), «Le temps ne nous suffit jamais de vivre, de revivre et de faire revivre» (p44), «Être un intellectuel complique plutôt les choses. On est plus informé, plus conscient, plus lucide. On est enclin à dramatiser davantage, du moins aux yeux de la majorité. Un intellectuel n'est jamais indifférent et, en fait, il n'est jamais désengagé. Quand on est devenu un véritable intellectuel, il n'est pas sûr qu'on l'ait toujours choisi» (p110), «L'hiver arabe est un homme arabe en colère» (p135)
PS : - Ouvrage publié à l'étranger en français par un auteur algérien : «L'Algérie, une société en mouvement» .Essai du Pr Ahmed Cheniki. Editions Amazone Kdp, 190 pages. Une lecture des réalités socioculturelles de l'Algérie d'après l'Indépendance.
-Ouvrage publié en Algérie en arabe par un auteur algérien : «Dhahaia El ( Les victimes de l'imaginaire) Makhial». Roman de Wahid Ziadi. Editions Dar el Qobia, Alger 2023, 102 pages. Un jeu d'allégories et de symboles. Une fable métaphysique dont la trame est un réseau complexe de références littéraires, historiques, philosophiques et religieuses.
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 20 juillet 2023
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5322606
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