Il avait poursuivi les combats de ses parents, Josette et Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957. Pierre Audin a été emporté par la maladie le 28 mai à l’âge de 66 ans.
Pierre et Josette Audin à la Fête de l'Humanité en 2018, pour un débat sur l'Agora du journal.
© Albert Facelly
C’était il y a un an jour pour jour. L’Humanité avait accompagné Pierre Audin en Algérie, où il conduisait une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin. Un retour au pays natal placé sous le signe de la mémoire et de la coopération scientifique, au bout du fil d’Ariane de l’histoire familiale.
Ces dernières années, depuis la reconnaissance en 2018 du crime d’État commis par l’armée française sur son père, Maurice Audin, pendant la guerre d’Algérie, il avait donné de son temps, et de la voix, pour défendre la liberté de la presse.
« Mon père se décarcassait pour le journal du Parti communiste algérien, Liberté. Après cent trente-deux ans de colonialisme avec un peuple bâillonné et contraint de courber l’échine, après sept ans d’une guerre sauvage, violente, l’Algérie aurait dû être la première sur les droits humains et les libertés, expliquait-il. Elle a aujourd’hui les moyens d’avancer vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse ».
Il se vivait tout à la fois Algérien et Français
Pierre Audin venait enfin d’obtenir son passeport algérien promis depuis longtemps. Il se vivait tout à la fois algérien et français. En 2019, il avait suivi au jour le jour le Hirak, ce mouvement populaire irrigué par le désir de liberté et de justice sociale de la jeunesse algérienne. Il nous alertait régulièrement sur la répression des militants et journalistes pris pour cibles par le pouvoir algérien : « Ça ferait un bon papier dans l’Huma » nous suggérait-il sur un ton espiègle, avec son humour corrosif.
Pierre Audin le « fils du chahid » revient, la mémoire au poing
L’Humanité était devenu « son » journal, comme il fut celui de son père. Une photographie avait immortalisé Maurice Audin en éternel jeune homme, levant les yeux au ciel et tenant dans les mains l’ Humanité. Ce cliché, qui trônait sur l’étagère du salon de Josette Audin, dans son appartement de Bagnolet, a accompagné plus de 65 ans le combat mené sans relâche pour exiger justice et vérité.
En 2017, lors d’une nouvelle enquête sur l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française, nous avions longuement rencontré Pierre pour lui soumettre un nouveau témoignage que nous avions recueilli. Celui d’un ancien appelé pensant avoir participé à faire disparaître, en 1957, le corps du mathématicien communiste.
Ce fut le début d’un long travail, mené main dans la main avec la famille, pour enfin faire reconnaître le crime d’État. Pierre s’y était engagé à nos côtés avec opiniâtreté. Des heures et des nuits passées à ausculter chaque nouvelle photographie retrouvée, à recouper nos informations.
« Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret, et on l’a respecté »
Pierre Audin n’a qu’un mois ce 11 juin 1957, l’un des plus meurtriers de la bataille d’Alger, quand des parachutistes tambourinent à la porte du domicile des Audin, militants du Parti communiste algérien. « Quand est-ce qu’il va revenir ? » demande Josette Audin, alors que son mari est enlevé par l’armée. « S’il est raisonnable, il sera de retour dans une heure », lui répond un capitaine. « Occupe-toi des enfants », a le temps de lui lancer Maurice Audin. Ce seront les derniers mots qu’ils échangeront.
« Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret, et on l’a respecté, nous avait confié Pierre Audin en 2017. Il y avait son portrait partout, je me doutais que c’était un héros, mais je ne savais pas pourquoi. Un jour, je suis tombé sur un livre dans la bibliothèque, intitulé l’Affaire Audin (1)…».
En 2018, à défaut de connaître enfin avec certitude le nom des bourreaux de son père et les circonstances exactes de son assassinat, Pierre s’engage à nos côtés, avec l’aide du mathématicien Cédric Villani et du député communiste Sébastien Jumel, pour faire reconnaître le crime d’État. Une lettre ouverte, adressée au président de la République, signée par de nombreuses personnalités, est publiée dans nos colonnes. « Des deux côtés de la Méditerranée, les mémoires algérienne et française resteront hantées par les horreurs qui ont marqué cette guerre, tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue », affirme le texte. L’été suivant, Pierre Audin nous appelle: « Emmanuel Macron va reconnaître le crime d’État ».
Quelques semaines plus tard, devant le palais de l’Élysée, il affiche son sourire des grands jours et savoure le moment. Nous venons de prendre connaissance du texte historique signé du président de la République. La France regarde enfin en face l’une des pages les plus cruelles de la colonisation. C’est l'épilogue d’un long combat, celui de toute une vie, de toute une famille, également soudée par une autre passion : les mathématiques.
Pierre Audin, lui aussi mathématicien, avait à cœur l’accès du plus grand nombre à la culture scientifique ; il a passé l’essentiel de sa carrière au Palais de la Découverte. « Je perds un frère en vulgarisation mathématique, un ami fidèle en toutes circonstances, un collègue militant avec qui j’ai vécu certains des moments les plus émouvants de toute ma vie, l’a salué Cédric Villani. Jusqu’à son dernier souffle, Pierre a levé le poing pour la liberté, l’association Josette et Maurice Audin continuera ses combats ». L’Humanité aussi. Notre journal adresse ses condoléances les plus chaleureuses à son épouse, Line, , à ses filles, à sa sœur Michèle, à tous ses proches, à tous ses camarades.
(1) « L’affaire Audin ». Pierre Vidal-Naquet. Les éditions de minuit. 1958
SOURCE : Pierre Audin, mathématicien, fils de Maurice Audin, est décédé | L'Humanité (humanite.fr)
Dimanche 28 mai 2023
Rosa Moussaoui et Maud Vergnol
http://www.micheldandelot1.com/le-quotidien-l-humanite-aussi-pierre-audin-mathematicien-fils-de-mauri-a214241591
En mémoire à Pierre Audin qui vientde nous quitter à l'âge de 66 ansemporté par un cancer
Maurice Audin avec son fils Pierre, peu avant son enlèvement par les paras
Pierre Audin : TV5 MONDE :
Que représente pour vous le 19 mars 1962 et les accords d'Evian ?
Le 19 mars 1962 (plus précisément le 18 mars) ce sont les accords d'Evian et le cessez-le-feu. Je suis prêt à célébrer le cessez-le-feu. Mais je suis beaucoup moins prêt à célébrer le contenu des accords d'Evian notamment qui ont permis d'amnistier tous les criminels, des criminels de guerre. La France n'a pas reconnu ce terme. Il n'empêche que ce sont des criminels de guerre. Un certain nombre de crimes contre l'humanité ont été commis contre les Algériens durant les huit années de guerre. Je célèbre surtout le 5 juillet 1962, date de l'indépendance.
1er novembre 1954... Au début des années cinquante, la France considère l'Algérie comme faisant partie intégrante de son territoire : ce sont plusieurs départements français... (Sur le papier mais pas dans les coeurs). Pourtant la population musulmane a de plus en plus de mal à supporter l'inégalité de la société algérienne, dans laquelle elle se retrouve sous-représentée politiquement et opprimée par un système économique qui ne profite qu'aux colons.
Des nationalistes, regroupés dans le Front de Libération Nationale (FLN), passent à l'offensive à l'automne 1954. Au cours de la Toussaint Rouge ou sanglante, dans la nuit 31 octobre au 1er novembre, plusieurs attentats sont perpétrés dans une trentaine de points du pays. La guerre d'Algérie a commencé... Une guerre sans nom - on disait "les événements" -, qui durera huit ans, jusqu'à l'indépendance proclamée du pays le 5 juillet 1962.
A Paris, François Mitterrand, ministre de l'intérieur, affirme « Nous ne tolérerons aucun séparatisme ». La guerre ? Jamais ce terme n'a été utilisé. «Événements», « Flambée de violence » sont les expressions les plus employées pendant longtemps. Personne ne pensait alors que la Toussaint rouge, le 1er novembre 1954, serait le début d'une affaire qui allait marquer l'histoire des deux côtés de la Méditerranée pendant les dix années suivantes. Le début d'une guerre qui allait causer tant de malheurs, coûter tant de sang et de larmes et provoquer tant de blessures encore mal cicatrisées, 65 années après le commencement de la tragédie.
"La levée des sanctions à l’égard de responsables d’atrocités commises pendant la guerre d’Algérie interdit de vider l’abcès, puisqu’il y a effacement des repères qui distinguent entre ce qui est crime et ce qui ne l’est pas. Les simples exécutants ne seront jamais déchargés d’une partie de leur culpabilité, ou de leur honte. Les responsables, jamais identifiés. Les Français ne feront donc jamais ce que les Américains ont fait pour le Vietnam : juger leurs criminels de guerre. Et, bien vite, cette loi de 1982 qui avait pour justification le pardon commencera, d’abord, par réveiller l’ardeur des nostalgiques de l’OAS. Les leaders d’une extrême droite à 0,8 % des voix, au moment de l’élection présidentielle de 1981, “réintègrent” la vie politique."
A partir de la fin de la guerre d’Algérie, les autorités françaises ont promulgué toute une succession d’amnisties et de grâces.
Ce furent d’abord les décrets promulgués lors des accords d’Évian (les 20 mars et 14 avril 1962) qui effaçaient à la fois les "infractions commises avant le 20 mars 1962 en vue de participer ou d’apporter une aide directe ou indirecte à l’insurrection algérienne", et celles "commises dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne". Puis vinrent quatre lois successives. La première, du 17 décembre 1964, concernait les "événements" d’Algérie et fut suivie, le 21 décembre, d’une grâce présidentielle pour 173 anciens membres de l’OAS. Celle du 17 juin 1966 amnistiait les "infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie". Vint ensuite, en pleine crise de Mai 68 et liée directement à elle, la grâce du 7 juin 68 concernant, cette fois, tous les membres de l’OAS qui étaient encore détenus ; elle fut suivie de la loi du 24 juillet effaçant toutes les infractions liées aux "événements" y compris celles "commises par des militaires servant en Algérie pendant la période". Cette loi, malgré le dépôt d’un amendement socialiste allant dans ce sens, ne stipulait pas encore la réintégration des intéressés dans leurs fonctions civiles ou militaires ni dans leurs droits à porter leurs décorations.
Ce fut chose faite après l’arrivée de la gauche au pouvoir. Déjà, en 1965, l’extrême droite proche de l’OAS avait été appelée à se rallier à la candidature de François Mitterrand ; l’année suivante, un projet de loi déposé par Guy Mollet, Gaston Deferre et le même François Mitterrand avait proposé le rétablissement des condamnés de l’OAS dans leurs grades et leurs fonctions ; et, en 1972, le programme commun de la gauche ne comportait aucune référence ou allusion aux suites de la guerre d’Algérie ni à la lutte pour la décolonisation. Avant les élections présidentielles de 1981, des négociations menées par des proches du candidat François Mitterrand aboutirent à l’appel du général Salan à voter Mitterrand et, entre les deux tours, à celui de l’organisation de rapatriés le RECOURS à "sanctionner" Valéry Giscard d’Estaing. C’est donc bien dans la ligne de cette politique que fut votée le 3 décembre 1982 la dernière des lois d’amnistie réintégrant dans l’armée les officiers généraux putschistes et permettant même les "révisions de carrière" nécessaires à la perception de l’intégralité de leurs retraites. Cela, au nom de l’argument formulé par François Mitterrand : "Il appartient à la nation de pardonner."
http://www.micheldandelot1.com/pierre-audin-tv5-monde-que-represente-pour-vous-le-19-mars-1962-et-les-a212264143
.
Les commentaires récents