Une rue : la rue Larbi ben M’hidi à Alger. Un sourire : celui de Larbi ben M’hidi lors de son arrestation. Nouha dresse le portrait de l’homme dont le combat a marqué les rues d’Alger.
Cher libraire de la librairie du Tiers monde, Alger,
Je vous écris cette lettre cher ami, propriétaire de mon endroit préféré à Alger, car peut-être cette année, auriez-vous dénoté mon absence dans votre formidable caverne d’Ali baba.
En effet cet été, les frontières étant fermées, je ne puis cette fois encore pousser avec respect les portes battantes de votre librairie, humer le doux parfum du papier neuf et du livre fraichement relié, flâner parmi les rayonnages à la recherche d’une perle rare.
Pourtant, cette année plus que les autres, j’aurais tant eu besoin de dévaliser votre boutique, avant de m’installer sur les tables éparses du Milkbar quelques mètres plus bas, commander une limonade Hamoud blanche tout en en contemplant entre deux pages la statue de l’émir Abdelkader, s’élevant, majestueuse au centre de la célèbre place éponyme. J’aurais alors, une fois à table, surement encore jeté un coup d’œil ému à la plaque qui annonce le nom de la rue dans laquelle ce café si mythique occupe le numéro 2 : La rue Larbi ben M’hidi
Monsieur le libraire, vous n’êtes pas sans savoir l’origine de mon émoi. Vous souvenez vous avoir feuilleté quelques pages du livre de Benjamin Stora « la guerre d’Algérie expliquée à tous » afin de me montrer l’origine du nom de cette rue ? Car moi je n’oublierai jamais ce jour où il me prit l’envie d’enquêter sur la vie de cet homme. Permettez-moi de vous faire part de ce que j’eus alors découvert de cette épopée incroyable : celle de cet homme qui, en temps de guerre, mettra d’accord les deux camps ennemis sur la noblesse et la prouesse de sa personne.
La légen de commence à Ain Mlila dans la Wilaya de Oum el Bouaghi où Larbi nait, en 1923. Il est le cadet d’une riche famille provinciale et bénéficie de ce fait d’une bonne éducation d’abord à Batna, à la porte des Aurès puis à Biskra où il devient un brillant comptable de génie civile.
Son engagement commence l’air de rien alors qu’il gagne les rangs des scouts musulmans desquels il deviendra bien vite le chef. Larbi ben M’hidi semble dès son plus jeune âge sensible aux causes à défendre et proactif : il milite bien vite au sein du parti du peuple algérien (PPA) puis, à l’aube de la guerre d’Algérie, il rejoint le Front de libération Nationale (FLN). Vous ne serez donc pas étonné d’apprendre, au vu de ce parcours brillant, qu’il est alors très considéré au sein du FLN et se retrouvera très vite en charge de responsabilités de la plus haute importance. C’est ainsi qu’il se rendra au Caire en 1956 en tant que porte-parole du Front afin d’obtenir des armes de la part alliés de la cause indépendantiste où il marquera par sa détermination les grands dirigeants arabes de l’époque (notamment le général Nasser et Bourguiba).
A côté de son rôle d’ambassadeur-négociateur, il aura aussi à sa charge l’organisation de la lutte armée dans la wilaya V (l’Oranie) puis plus tard la zone autonome d’Alger. Il me semble évident, monsieur le libraire, qu’à ce stade de l’histoire le nom de Larbi Ben Mhidi devait alors s’illustrer car il fut finalement l’un des six grands noms de ceux qui ont ficelés et organisés avec brio le plan de bataille de la guerre d’Algérie. Mais la légende nationale naitra sans aucun doute de sa mort, et Larbi ben mhidi aurait pu incarner le héros romantique et martyr patriotique de l’un des livres de vos rayonnages si la réalité de cette guerre n’était pas plus tragique encore.
En 1957, il est arrêté par les parachutistes et passé à la Question. Il endurera les pires tortures sans jamais parler. Cette détention, qui pourtant devait guillotiner son action révolutionnaire, l’inscrira au contraire à jamais dans l’Histoire de cette guerre comme dans les mémoires de ses geôliers dont il gagera le respect par son éloquence et son patriotisme pendant les interrogatoires.
Alors qu’on lui assenait qu’avec la fin de son action c’était la fin de la guerre d’Algérie, que la défaite était signée, que tout était terminé, il rappelait le chant de Partisan et prédisait qu’un autre prendrait sa place.
Le colonel Jaques Allaire, à l’issue de cet interrogatoire où se succédait violence physique et psychologique sans succès, déclarera en 2006 dans le documentaire « La Bataille d’Alger » de Yves Boisset, avoir livré Larbi ben Mhidi à l’état-major avec quelques regrets : il savait qu’il ne le reverrait plus. Il lui présentera alors les armes, un geste insensé au cœur de cette guerre tellement déséquilibrée, tellement inhumaine et tellement méprisante à l’égard des indigènes.
Je me suis longtemps interrogée, cher monsieur, sur les raisons qui poussent un groupe d’hommes à torturer un tiers avant de lui présenter les armes comme ils le feraient à un héros de guerre, et quelques décennies plus tard, en parler avec les plus grands respects, comme à un égal. Est-ce à votre sens le signe d’une pointe humanité dans le cœur inhumain de la guerre ? Ou au contraire, l’apogée justement de la déshumanisation des soldats et des révolutionnaires au sein du conflit ? Mon avis balance et je suis curieuse d’avoir le vôtre.
On pourrait croire que nous avions dépassé l’échelle de l’inhumain avec l’usage de la torture lors de son interrogatoire et pourtant nous aurions tort : car le 4 mars 1957 les gazettes titrent la mort du héros de la guerre d’Algérie par suicide dans sa cellule. Personne n’est dupe, côté algérien comme français, on connait trop bien celui dont le nom de guerre était Akim (le Preux, ça ne s’invente pas) pour savoir qu’il n’était pas de ceux qui choisiraient une échappatoire par la mort. Et il faudra attendre 2001 avant que le commandant Aussaresses, dans son livre « les services spéciaux, Algérie 1955-1957 », admette l’exécution par pendaison de Larbi Ben M’hidi, dans une ferme désaffectée de la Mitidja : il refusera, en vain, de se faire pendre les yeux bandés comme pour affronter la mort en face, en preux.
Il repose aujourd’hui en paix dans le carré des martyrs du cimetière El Alia d’Alger, auprès de ses camarades d’armes. Mais son esprit et son aura continueront à éclairer toutes les villes d’Algérie et toutes les libraires du monde qui exposent les récits de ses faits d’arme ainsi que ceux de ses compagnons pendant que son célèbre portrait, avec son légendaire sourire en coin, hante nos mémoires comme pour nous rappeler que la liberté ne s’acquiert jamais sans courage.
Dans l’attente de venir enfin fureter dans votre librairie, je vous saurais gré de me réserver la sélection de vos meilleurs ouvrages.
Avec tous mes respects,
Nouha
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