Je revois le parc Trémaux.
L'ordre du parc et le gardien arabe si sympathique. Il avait posé avec nous.
D'après mes petites recherches, le musée a été créé en 1955. Nous le visitions peu après sa création. Seigneur, comme le temps passe.
Et les copains ? Que sont-ils devenus ? Ils vivent à Nice pour la plupart et je suis en contact avec les familles. Ils sont mariés, ont des enfants et coulent une retraite paisible. Ils parlent souvent de Marengo, de Tipasa et le pays leur colle à la peau. Peut-être pour mieux voir La Vénus de Tipasa
Ah !.. L'ombre fraîche de ces journées d'été dans le parc Trémaux. Puis-je redire combien je garde comme des trésors, ces vieilles photos prises en 1956, 1957 et 1958 ?
Camus :
"Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l'espoir du printemps."
En 1854, un entrepreneur parisien, Demonchy, eut l'idée grandiose de rebâtir Tipasa. L'administration lui accorda une vaste concession; à charge pour lui de construire, à côté de sa ville, un village agricole. L'année suivante Demonchy meurt du paludisme (dans la vallée du Nador au pied du massif du Chenoua subsistait des marais), puis c'est le tour de son épouse du fait du climat malsain qui régnait alors. Le fils, découragé, vend la concession à son beau-frère, Jean-Baptiste Trémaux.
La ville de Tipasa ne renaîtra pas, mais Trémaux crée le jardin-musée pour protéger l'ancienne cité du vandalisme moderne, à côté du futur Parc Trémaux, parc national qui groupe l'essentiel des ruines romaines.
Pour mieux voir la Vénus de Tipasa.
Le patio du musée.
Des objets de terre cuite
Camus. La fin du Retour à Tipasa (1952 donc dix ans avant notre définitif départ d’Algérie.
« Mais peut-être un jour, quand nous serons prêts à mourir d'épuisement et d'ignorance, pourrai-je renoncer à nos tombeaux criards, pour aller m'étendre dans la vallée, sous la même lumière, et apprendre une dernière fois ce que je sais. »
http://tipasa.eu/z_tipasa/le_parc_tremaux.html
Camus quand il avait 39 ans.
« Le secret que je cherche est enfoui dans une vallée d'oliviers, sous l'herbe et les violettes froides, autour d'une vieille maison qui sent le sarment. Pendant plus de vingt ans, j'ai parcouru cette vallée, et celles qui lui ressemblent, j'ai interrogé des chevriers muets, j'ai frappé à la porte de ruines inhabitées. Parfois, à l'heure de la première étoile dans le ciel encore clair, sous une pluie de lumière fine, j'ai cru savoir. Je savais en vérité. Je sais toujours, peut-être. Mais personne ne veut de ce secret, je n'en veux pas moi-même sans doute, et je ne peux me séparer des miens. Je vis dans ma famille qui croit régner sur les villes riches et hideuses, bâties de pierres et de brumes. Jour et nuit, elle parle haut, et tout plie devant elle qui ne plie devant rien : elle est sourde à tous les secrets. Sa puissance qui me porte m'ennuie pourtant et il arrive que ses cris me lassent. Mais son malheur est le mien, nous sommes du même sang. Infirme aussi, complice et bruyant, n'ai-je pas crié parmi les pierres ? Aussi je m'efforce d'oublier, je marche dans nos villes de fer et de feu, je souris bravement à la nuit, je hèle les orages, je serai fidèle. J'ai oublié, en vérité : actif et sourd, désormais. Mais peut-être un jour, quand nous serons prêts à mourir d'épuisement et d'ignorance, pourrai-je renoncer à nos tombaux criards, pour aller m'étendre dans la vallée, sous la même lumière, et apprendre une dernière fois ce que je sais. » (1952)
José Lenzini nous explique que lors de ses pérégrinations dans le parc Trémaux, à Tipasa, Camus observait souvent les "génies des saisons" figurant sur un sarcophage. Il se penchait aussi sur les stèles.
Tombeau criard. Sarcophage de la légende de Pelops et Hippodamie.
http://tipasa.eu/z_tipasa/parc_02.html
Camus :
« Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis :"Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs." Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ?
Est-il même à Démèter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte :"Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses."Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux mystères d'Eleusis, il suffisait de contempler. »
Notre musée. J’avais pris la photo et coupé les pieds des copains peut-être pour mieux voir le hall d’entrée.
Camus :
"Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nés cependant dans le cœur de la terre".
"Le ciel se fonce. Alors commence le mystère, les dieux de la nuit, l'au-delà du plaisir. Mais comment traduite ceci ? La petite pièce de monnaie que j'emporte d'ici a une face visible, beau visage de femme qui me répète tout ce que j'ai appris dans cette journée, et une face rongée que je sens sous mes doigts pendant le retour."
Les captifs
Cette mosaïque décorait l'abside de la basilique civile. Le tableau central représente 3 captifs, les mains liées : un chef de tribu maure assis près de son bouclier, son épouse et leur enfant.
Tipasa était un lieu féerique.
Devant l’entrée du musée.
Objets funéraires.
Cette mosaïque décorait l'abside de la basilique civile
Les captifs.
http://tipasa.eu/z_tipasa/parc_03.html
Nous sortions du parc Trémaux et nous nous dirigions vers la basilique et puis nos pas s’enchaînaient et nous arrivions à la Chapelle Judiciaire.
La Chapelle Judiciaire, elle était là. Nous entendions le chant aveugle des colonnes. Ah, l'odeur du maquis. Les parfums tenaces et enivrants du maquis corse sont dominés par celui, musqué, de l'immortelle d'Italie qui permettait à Napoléon de reconnaître son île bien avant de l'accoster. Et nous, le parfum entêtant des absinthes nous transporte parmi les ruines.
En suivant le Decumanus vers l'est, toujours à proximité de la mer, un petit sentier en escalier nous conduit dans le secteur le plus ancien de Tipasa, couvert par la garrigue. Ici, on trouve la basilique judiciaire datant du IIIe siècle de notre ère, où fut découverte la splendide mosaïque des esclaves, exposée au musée de Tipasa.
"Devant cette odeur d'amour et ses fruits écrasés et odorants, Mersault comprit alors que la saison déclinait. Un grand hiver allait se lever. Mais il était mûr pour l'attendre. De ce chemin on ne voyait pas la mer, mais on pouvait apercevoir au sommet de la montagne des brumes légères et rougeâtres qui annonçaient le soir."
J'ai le souvenir du decumanus et j'y ai peut-être laissé les empreintes de mes pieds. Le vent de l'Histoire les a effacées. Pas très loin du parc, j’ai découvert un peintre tranquille, mal rasé, un chapeau sur la tête, qui montrait bien qu’il ne désirait point être dérangé. J’ai fait des excuses avant de m’approcher du chevalet et j’ai eu la sensation d’avoir le souffle coupé. Le tableau était splendide alors que son auteur se montrait fort désagréable. Rapide coup d’œil en coin et il m’a ignoré, faisant de moi un personnage voilé ou occulte. Il est resté absorbé par des retouches. J’ai vu la signature : Totaro.
J’eusse aimé féliciter monsieur Totaro. Il est resté lointain, méprisant, hautain malgré ses allures de vagabond.
Le decumanus.
La chapelle Judiciaire aux colonnes inégales
http://tipasa.eu/z_tipasa/parc_04.html
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