L’opium et le bâton
près plus d’une semaine de confinement, on retourne aux classiques. Aujourd’hui, Oussama nous parle du film “L’Opium et le Bâton”, sorti en 1971.
L’Opium et le Bâton est une adaptation du roman à succès portant le même nom, et écrit par Mouloud Mammeri. Réalisé par Ahmed Rachedi en 1969, il sortira dans les salles obscures en 1971. Il demeure à ce jour l’un des films mythiques de l’âge d’or du cinéma algérien.
Appartenant à l’une des premières unités cinématographiques du FLN, Ahmed Rachedi est connu pour ses films traitant de la colonisation et de la libération de son pays natal, l’Algérie. Son film, L’Opium et le Bâton, contient des dialogues en français et en arabe.
Dans la fin des années 50, les parachutistes contrôlent la ville d’Alger. Bachir Larzak est médecin, il a étudié à Paris, il vit et exerce sa profession dans la capitale algérienne. Par peur de se faire arrêter par les autorités françaises et pour aider les services sanitaires de la Wilaya III (l’un des sept départements pendant la Guerre d’Algérie), Bachir quitte rapidement la capitale pour rejoindre son village natal (Thala) dans les montagnes de Djurdjura en Kabylie.
À Thala, dans les coins les plus reculés de l’Algérie, deux camps se font la guerre, celui des maquisards algériens et celui des français (force d’occupation). Bachir, le protagoniste du film, est décrit comme un bourgeois de la capitale, partageant sa vie avec une française. A Thala, Bachir a deux frères, Ali et Belaïd. Le premier est engagé avec l’ALN (L’Armée de libération nationale) et se bat contre les français, il rêve d’admirer le drapeau vert , blanc et rouge flotter sur Alger. Son deuxième frère Belaïd l’ainé, est quant à lui un collaborateur du régime colonisateur.
Tourmenté par la fracture que connaît sa famille, Bachir décide de s’engager dans la guerre et prend conscience d’un sentiment national, il commence à affronter la répression de l’armée française. Avec l’aide des collaborateurs, l’armée française essaie en vain de retourner la population contre les insurgés. Plus le temps passe à Thala, et plus les habitants du village et des alentours rallient la cause du FLN. Fait marquant du film et assez représentatif de la cruauté dont peut faire preuve l’armée en temps de guerre, tous les habitants de Thala sont amenés à se réunir sur la place du village. Une fois rassemblés, ils assistent au martyr de leur héros Ali (frère de Bachir) puis à la destruction de leurs maisons et de leurs champs.
Dans l’Opium et le Bâton, on assiste à la volonté de rayer de la carte un petit village algérien par les Français, mais ce qui retient notre attention tout au long de cette adaptation, c’est le nombre de contextes et de destins personnels et intimes où la chaleur humaine, l’amitié, la famille, le patriotisme, l’attachement à des valeurs d’indépendantisme, font la force de Thala. On nous montre de façon assez claire la mince frontière entre « bien » et « mal » au fil du film, ainsi que la tourmente de Bachir face à la situation de contradiction de ses deux frères.
L’Opium et le Bâton décrit le dur quotidien de ces villageois, qui, acculés, montreront dans l’épreuve douloureuse de la guerre leur lâcheté ou leur héroïsme. Tout au fond d’eux, les habitants de Thalas mettront leur nature à nu face à des blessures morales, physiques, et des humiliations subies par l’armée française.
Sous pression constante et poussés dans leurs derniers retranchements, on observe la vraie nature des habitants du village, l’héroïsme et la lâcheté de certains, face aux techniques de renversement de l’Occupation.
L’Opium et le Bâton reprend assez fidèlement la trame du roman de Mouloud Mammeri. En plus de nous décrire avec précision le drame du conflit opposant les forces du FLN face aux « colonisateurs », l’Opium et le Bâton nous offre une vraie morale quant aux liens sociaux dans un village en temps de guerre et d’occupation. Ce film nous livre une vision pessimiste et agressive de la Guerre d’Algérie ainsi qu’un réalisme et une exactitude des exactions commises par l’armée française, en Algérie.
Chronique des années de braise
“Chronique des années de braise” : Donia nous fait découvrir le premier film algérien ayant remporté la Palme d’or du Festival de Cannes, et le seul à ce jour.
Sorti en 1975, “Chronique des années de braise” est un film de guerre réalisé par Mohammed Lakhdar-Hamina.
Raconter la grande Histoire, celle avec un H majuscule, celle qui s’inscrit dans les livres scolaires, en passant par la plus petite. L’individuelle, qui nous rassemble dans notre solitude. Celle qui nous touche, tous. C’est le pari plutôt osé et franchement réussi du réalisateur algérien Mohammed Lakhdar Hamina, avec son chef-d’oeuvre — oui, on ose l’hyperbole – des Chroniques des années de braise: partir de ce pauvre paysan du Sud algérien, Ahmed, pour dresser un état des lieux précis de la colonisation mais surtout du cheminement spirituel de la révolte des Algériens. Partir d’un cas, pour s’adresser au corps tout entier. Partir d’un exemple, pour en dresser une vérité générale. Avec pour seul but : montrer que la Guerre d’Algérie n’est pas un accident de l’histoire, qui a surgi sans aucune raison, mais bien l’aboutissement d’un long trajet entrepris par tout un peuple contre le colonisateur français. Les Chroniquesracontent les étincelles, les braises qui rougissent, des décennies avant la grande explosion. Le moment où l’histoire s’écrit en secret, où les consciences se politisent, les aspirations démocratiques fusent. Elles éclateront au grand jour, bientôt. Ce moment charnière où la révolte précède la révolution.
Ahmed, un héros « extra-ordinaire »
Il y a tout d’abord des dates, marquantes, qui jalonnent l’intrigue. La première, 1939 le début de la Seconde Guerre mondiale et la dernière, le 1er novembre 1954, le déclenchement de l’insurrection, appelé aussi la Toussaint rouge, menée par le FLN, le Front de Libération nationale. Et entre, quatre tableaux : la défaite de la France en 1940, une épidémie de typhus, les élections de 1947, l’organisation des premiers maquis… Une période marquée par la paupérisation de la paysannerie, l’exclusion des « Algériens musulmans » (les autochtones), dépossédés des terres fertiles par la France. Au coeur de cette fresque, Ahmed, un héros « extra-ordinaire » dans le sens qu’il n’est pas le sauveur sur son cheval blanc, mais un paysan, comme les autres, qui vit cette misère aux premières loges. Il est identifiable, et c’est bien cela sa force : il cristallise les désillusions, les craintes, les questionnements et les colères de tout un peuple, qui finit par se rebeller contre l’occupant mais aussi, et surtout, « contre la condition d’homme », explique Mohammed Lakhdar Hamina. Sans être misérabiliste, les Chroniquessoulignent avec une justesse folle la misère sociale, sanitaire de l’Algérien musulman, exclu du corps dominant.
Ma tribu
Pourquoi parler de ce film et pas d’un autre? Il y a d’abord son importance historique : réalisé en 1975, soit treize ans après l’indépendance, il est le premier long-métrage dirigé par un Algérien. Il obtient la même année le Graal pour tout réalisateur, la Palme d’Or au festival de Cannes, faisant de Mohammed Lakhdar Hamina, le premier cinéaste algérien, que dire arabe, récompensé. Et puis, il y a l’ego. Se dire que nous aussi, malgré les plaies encore ouvertes, saignantes et rougeâtres, sommes capables de créer du beau. Il y a surtout l’histoire personnelle, la mienne. Algérienne du côté de ma mère, pendant longtemps on me parlait de « cette fresque incroyable qui nous raconte, par bribes » assurait ma mère. « La plus grande fierté, made in chez nous », qu’elle disait. Quand elle disait « chez nous », elle ne parlait pas de l’Algérie, mais du cercle familial. Et oui, j’ai appris, après plusieurs visionnages, que ce « grand homme »venait de « chez nous », de notre petite ville, M’sila, qu’il était marié à un de nos proches — à qui? Je ne saurais vous dire — et que par conséquent, c’était « mon grand-oncle ». Que cet homme que je n’ai jamais vu, sauf à l’écran — il interprète l’un des rôles phares dans le film — était l’un des nôtres. Choc. Je me rappellerais toujours le moment où j’ai revu ce film, cette info en tête. J’étais subjuguée, changée. Ma vision avait évolué. Il parlait des miens, des Algériens certes, mais surtout de mon cercle, de ma tribu. On les voyait à l’écran. Chaque obstacle qu’affrontait Ahmed devenait plus douloureux à supporter, chaque étape plus difficile à surmonter. La fiction devenait réalité : cette histoire était la mienne, celle de mon sang.
Une force démocratique libératrice
Je ne dis pas que le film est parfait en tout point : spoiler, il ne l’est pas. Parfois, Mohammed Lakhdar Hamine trébuche, prend le chemin de la facilité… Mais ces imperfections sont le reflet d’une réalité aussi puissante que déroutante. C’est d’ailleurs, l’une des grandes qualités du film : son ancrage dans le concret. Mais ne vous détrompez pas, les Chroniquesn’ont pas la prétention d’être un cours d’histoire. D’ailleurs, ce n’est pas l’intention du réalisateur qui avoue volontiers que son long-métrage « n’est qu’une vision personnelle même s’il prend appui sur des faits précis ». Par sa force salvatrice — car je crois avant tout qu’il est cathartique —, ce chef-d’oeuvre cinématographique met un terme à cette idéologie qui court encore dans les coeurs des « nostalgiques de la colonisation »: la guerre d’Algérie serait l’aboutissement d’une histoire d’amour entre ces deux pays qui auraient tourné au vinaigre. Non. Les Chroniques des années de braisemontrent le pillage, l’exclusion du groupe majoritaire — oui, oui MAJORITAIRE —, la pauvreté, la colère. On imagine le peuple qui vit, épanoui aux manettes du pays et on voit le sous-peuple qui survit, assoiffé d’une force démocratique libératrice.
Par Donia Ismail
Publié le 25 mars 2020
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