Son portrait orne une grande murale en France et en Russie son profil est devenu l’une des illustrations de tatouage les plus en vogue parmi la jeunesse muscovite.
Comble du paradoxe, il n’a pris connaissance de sa célébrité transcendant nos frontières que tardivement. Il a su d’ailleurs grâce aux réseaux sociaux. Lui, c’est Ali Bouchachi de Tipasa. Un artiste de 71 ans qui a voué sa vie à la mer et à son insatiable quête des symboles qu’il reproduit dans ses œuvres, souvent le fruit d’une composition, mêlant différentes techniques de peinture et usant d’une palette de matériaux où le sable et les nœuds marins en esquissent les contours.
Dans sa ville qui l’a vu naître, il ne passe pas inaperçu. Avec son look de marin, sa barbe rousse en pointe, assaillie par la blancheur des ans, ses yeux verts et les rides qui burinent son visage, Ali Bouchachi, il attire l’attention, notamment celle des touristes qui n’hésitent pas à faire des selfies avec lui.
Son histoire avec la mer a commencé très tôt, lui qui habitait à son jeune âge à proximité du port. «A l’âge de six ans, je fréquentais déjà le port. Non pas pour jouer, mais pour assister les pêcheurs en déchargeant le poisson, nettoyer le matériel de pêche. Encontre partie, j’ai droit à quelques livres de la sardines que je ramenais fièrement à la maison. Car en ces temps ci, la misère fut notre quotidien», se remémore-t-il, ses premiers pas dans le monde de la mer. De là est née une relation fusionnelle avec la grande bleue. A peine dix ans, il maîtrisait la pêche à la ligne, à telle enseigne qu’il reconnaissait les espèces des prises ferrées, dès qu’elles mordent, en se fiant seulement au mouvement de la ligne. De cette proximité avec la mer, naîtra sa passion artistique. «Le déclic remonte à 1963, lorsque j’ai trouvais un livre des techniques de matelotage. Je l’étudiais tous les jours et j’avais la chance d’être pris sous l’aile d’un ancien marin qui m’a appris à manier les cordes et les fils pour en faire des nœuds marins. Une passion pour les marins qui meublent leur temps lorsqu’il sont en mer», révèle-t-il. Le temps passe est le don artistique de Bouchachi s’aiguise.
Dans sa quête, il s’est découvert d’autres passions. Celle notamment de la collection des coquillages qui lui servent à réaliser des portraits et de cadres. Dans ce domaine, il est imbattable, dès lors qu’il distingue même les nuances qui départagent une espèce de coquillage d’une autre. Il avait d’ailleurs la chance de trouver le plus petit spécimen de coquillage qui, même à l’âge adulte, ne dépasse pas les 2 millimètres. Un coquillage très rare dans tout le pourtour de la Méditerranée. Exploreur de nature, il aime passer le clair de son temps dans les fonds marins. Maître nageur, moniteur de planche à voile et de plongée sous-marine, il a des années durant formé des dizaines d’amateurs de sports aquatiques et subaquatiques. En dehors de Tipasa, il a découvert d’autres mondes. Celui notamment des dessins rupestres de Tassili et la faune de Tamanrasset qu’il n’a pas hésité à intégrer dans ses œuvres a portée universelle.
Il a participé avec des tableaux et ses produits artisanaux à base notamment de nœuds marins et de sable à plusieurs manifestations artistiques. Et c’est au cours de l’une d’elles, que son portrait à emprunter la voie de la célébrité. C’était en septembre 2015, lors d’une exposition d’une cinquantaine de ses œuvres, intitulée «Universalité» au complexe culturel de Chenoua qu’il a fait la rencontre du défunt célèbre photographe Lamine Bensaou qui a pris de lui quelques clichés. «L’un des portraits photographiques en noir et blanc me représentant en été primé lors d’un concours. Et la collection de mon portrait a été acquise par des Italiens», confie-t-il. Une photo de profil qui a par la suite inspiré un artiste peintre en France. «L’artiste en question croyait au début que l’illustration est celle d’un marin portugais. Pour lui, il vient de mettre un visage à Santiago, le protagoniste principal du roman le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway», raconte-il. Désormais son portrait orne une façade de 70m2 dans la ville de Morlaix (Quimper). «Après l’avoir contacté, le peintre en question a corrigé la fiche technique de son œuvre en précisant que le portrait est celui d’un marin de Tipasa (Algérie)», précise Bouchachi. Et d’ajouter : «Un ami m’a envoyé la même photo de moi que des tatoueurs russes proposent comme modèle d’illustration.» A dire vrai, cette notoriété le fait sourire dans le fond. Modeste et fuyant autant faire se peut les feux de la rampe, son souhait se limite à posséder un atelier et avoir à sa disposition les matériaux nécessaires pour se consacrer à ses arts. Un rêve qu’il ne peut réaliser faute de moyens. Et pourtant, avec la nouvelle orientation des pouvoirs publics qui se base sur la valorisation de la culture par l’économie peut être une aubaine pour Ali Bouchachi, d’autant que Tipasa renferme des richesses patrimoniales qui représentent un tremplin pour le lancement de ce genre d’initiative.
Amirouche Lebbal
Publié le 4 Juil 2021
https://www.horizons.dz/tipasa-ali-bouchachi-ou-le-santiago-dernest-hemingway/
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