Devant la cour d'assises de Paris, une avocate a lu, mardi 14 février, des extraits d’une conversation téléphonique de 49 minutes, le soir de l’incendie, entre Adèle, 31 ans, retranchée sur son balcon, sa mère et un pompier. Un échange terrible qui s’est achevé par la mort de la jeune femme.
L’appel téléphonique dure quarante-neuf minutes. Devant la cour d'assises, mardi 14 février, Me Camille Askolovitch en lit quelques extraits. Insoutenable. Le prétoire est en apnée, comme tétanisé. Dans cet appel, il y a tout ce qu’ont vécu de nombreux habitants du 17 bis rue Erlanger, à Paris, dans la nuit du 4 au 5 février 2019. La confusion, la peur, la panique face à l’arrivée des fumées puis des flammes. Les appels à l’aide, l’attente désespérée des secours. Mais dans cet appel, il y a aussi et surtout les derniers instants de la vie d’une femme de 31 ans, Adèle Gorgatchev. Et ses ultimes messages d’amour à sa mère à l’autre bout du fil.
Des voisins sur le toit
Clerc de commissaire-priseur, Adèle Gorgatchev vivait avec ses trois chats au 8e étage. Elle connaissait un peu ses voisins Laurent et Nelly. « On pouvait se voir depuis nos balcons, c’était assez sympa », racontera Nelly durant l’instruction. Cette nuit du 4 au 5 février, la situation devient très vite dramatique au 8e étage où s’est propagé le feu, allumé au 2e étage par Essia B., l’accusée assise dans le box. Les fumées entrent dans les appartements et les locataires se réfugient sur leurs balcons. Laurent monte sur le toit, accessible par une échelle, puis il y hisse Nelly à la force des bras.
Mais Laurent comprend qu’Adèle est toujours sur son balcon. « Monte, monte », lui hurle-t-il. Mais Adèle ne monte pas, elle est au téléphone. C’est cet appel dont Me Askolovitch livre des bribes à la cour d'assises. Un échange entre trois personnes : Adèle, sa mère Pascale Gorgatchev, arrivée en bas de l’immeuble, et un pompier au standard du 18. La jeune femme dit qu’elle est bloquée dans son appartement, elle parle des fumées qui sont là, des flammes qui sont proches. La mère essaie de la rassurer, le pompier lui dit que ses collègues seront bientôt à sa porte pour venir la chercher.
À un moment, Pascale Gorgatchev suggère à sa fille de monter sur le toit. « Je ne peux pas, je ne peux pas », répond Adèle à quatre reprises. « On va éviter, elle reste là où elle est », dit le pompier qui, à distance, estime préférable qu’Adèle attende les secours sur son balcon. Il répète que les pompiers vont arriver, sans savoir qu’il leur est alors impossible de monter par la cage d’escalier. « Aidez-moi, aidez-moi. Y’a tout l’appartement qui dégringole », crie Adèle. « Tu restes au sol ! », lui dit sa mère. « Y’a les chats qui hurlent à la mort, on va mourir c’est sûr », dit la jeune femme. « Le feu va être éteint », tente de la rassurer sa mère.
« C’est fini pour moi maman, je t’aime »
Et la conversation se poursuit : « C’est irrespirable. Il y a tout qui s’écroule chez moi. Les flammes sont à deux mètres. Les fenêtres se cassent », lance Adèle qui, à cet instant, semble se résigner. « C’est fini pour moi Maman, je t’aime (…). C’est pas grave, maman, j’ai été heureuse. C’est pas grave, Maman, c’est pas grave. J’ai vécu ce que j’ai voulu vivre », dit-elle. « Ma puce reste en ligne. Je suis là, je suis là », supplie la mère. « Tu as été toujours ma Maman, tu as été la plus extraordinaire des mamans », reprend Adèle qui appelle de nouveau à l’aide en hurlant. « Je suis presque morte. Le feu est à un mètre (…). Maman, Maman, je prends feu. » Puis, à un moment, la jeune femme ne dit plus rien. « Elle a raccroché, je rappelle », dit le pompier. Mais au bout fil, Adèle a définitivement cessé de parler. Il est 1 h 30 du matin.
Me Askolovitch achève sa lecture, le président annonce une suspension. La salle est sonnée. Des gens pleurent dans le public. Pascale Gorgatchev, elle, n’a pas souhaité entendre les extraits lus par l’avocate. Mais elle arrive bientôt à la barre. Elle raconte ce qui s’est passé une fois le téléphone raccroché. Sa volonté de continuer à y croire, coûte que coûte. « Je me disais : elle est tellement dynamique, tonique, débrouillarde. C’est pas possible, elle a dû monter sur le toit au dernier moment. » Pascale Gorgatchev parle de son espoir fou quand elle voit ces deux personnes, tout là-haut, sur le toit de l’immeuble. « Je suis allée voir un pompier et je l’ai supplié d’appeler pour voir si c’était ma fille qui était là-haut. Alors avec le porte-voix, il a lancé : si vous êtes Adèle, levez les bras… » Mais sur le toit, personne n’a levé les bras. Sur le toit, c’était Laurent et Nelly, les voisins, bientôt redescendus par les pompiers.
Pascale Gorgatchev parle encore et encore. On sent qu’elle veut tout raconter, aux juges, aux jurés, à la terre entière. Raconter la naissance d’Adèle, son caractère « bien trempé » de petite fille, la mort de son père quand elle avait 6 ans et demi, ses études, sa connaissance très fine de l’histoire de l’art, sa volonté de toujours « tout faire à fond ». Les 49 dernières minutes de la vie d’Adèle Gorgatchev sont dans toutes les têtes mais la cour d'assises remonte doucement à la surface en écoutant cette mère parler de sa fille. Les photos défilent sur les écrans de la salle d’audience. Adèle bébé à la neige, Adèle à 9 ans en train de ramasser des coquillages, Adèle devenue une belle jeune femme au sourire éclatant. « Elle était tellement heureuse de vivre, murmure Pascale Gorgatchev. Elle me disait : Maman, j’embrasse le monde. »
https://www.la-croix.com/France/Proces-lincendie-rue-Erlanger-derniers-mots-damour-dune-fille-mere-2023-02-15-1201255300
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