Les dirigeants israéliens devraient tirer les leçons de la victoire du peuple algérien contre l’oppression coloniale.
De jeunes Algériens défilent devant les facultés d’Alger, brandissant des drapeaux algériens, le 2 juillet 1962, au lendemain du référendum d’autodétermination sur l’indépendance de leur pays (AFP/photo d’archives)
Il y a peu, l’Algérie a célébré ses 60 ans d’indépendance après plus d’un siècle de colonialisme français. La guerre génocidaire française contre le peuple algérien a fait selon des estimations algériennes plus de 1,5 million de morts et de blessés.
Les Français ont dépeint leur conquête de l’Algérie comme un retour de l’Empire romain et la reconquête des territoires romains. En 1962, l’Algérie comptait plus d’un million de colons français – un neuvième de la population algérienne.
Des cinq colonies européennes établies dans des pays arabes, seules l’Algérie et la Palestine sont encore colonisées au début des années 1960
En privé, Charles de Gaulle s’inquiétait, en cas de non-indépendance de l’Algérie, que la France soit incapable d’« absorber 10 millions de musulmans qui deviendraient bientôt 20 millions, puis 40 millions ». Il craignait que la France cesse d’être ce qu’elle est – « un peuple européen de race blanche, de culture gréco-latine et de religion chrétienne » – et que les églises soient remplacées par des mosquées.
Déjà, il mettait en garde un député gaulliste : « Vous vous voyez marier vos filles à des Arabes ? »
L’indépendance aurait amené l’égalité entre les colons et les Algériens indigènes, mais les colons ne voulaient pas de ça. Horrifiés par la perspective de l’égalité et la perte des privilèges raciaux et coloniaux, ils ont opté pour un retour en France, où leur privilège blanc serait préservé.
Des cinq colonies européennes établies dans des pays arabes depuis le XIXe siècle (Tunisie, Libye, Maroc, Algérie et Palestine), seules l’Algérie et la Palestine sont encore colonisée au début des années 1960.
Une colonie à terre
Lorsque l’Algérie a été libérée en 1962, l’opinion publique arabe jubilait : une colonie européenne était à terre, plus qu’une ! La colonie italienne de Libye avait été la première à tomber lors de la Seconde Guerre mondiale.
En 1911, les Italiens ont envahi les territoires ottomans de « Tarablus al-Gharb » (traduit par les Italiens « Tripolitaine »), Barqa (rebaptisée « Cyrénaïque ») et Fezzan ; et ils se sont mis à appeler ce territoire, à la suite du géographe Federico Minutilli, par son ancien nom gréco-romain : « Libia ». L’Italie a immédiatement annexé la Libye et s’est lancée dans une colonisation de peuplement.
Comme les Français, les Italiens présentaient leur colonisation comme un « retour » aux anciens territoires de l’Empire romain. La Libye était désignée comme la « quatrième côte » de l’Italie. La colonisation s’est accélérée sous le régime fasciste et, en 1940, on dénombrait plus de 110 000 colons, soit 12 % de la population.
Quand les alliés ont vaincu les Italiens, ceux-ci avaient déjà provoqué la destruction à grande échelle de villes et villages, sans mentionner les famines et les maladies, qui, couplées aux meurtres de masse des résistants libyens, ont éliminé près des deux tiers de la population libyenne.
À la fin de la guerre, il restait environ 50 000 colons italiens. La Libye a obtenu officiellement son indépendance en 1951. Le nouveau statut juridique des colons exigeait qu’ils choisissent la nationalité italienne ou libyenne avant 1960. Rejetant totalement l’égalité et la perte de privilèges raciaux et coloniaux, la majorité d’entre eux sont partis. En 1970, ceux qui étaient restés avaient été rapatriés en Italie.
En ce qui concerne la Tunisie, elle a obtenu son indépendance en 1956, cinq ans après la Libye, à la suite d’une combinaison de guérilla anticoloniale et de négociations. La Tunisie était occupée par la France depuis 1881 et des dizaines de milliers de colons s’étaient installés dans le pays.
En 1956, on comptait 180 450 colons français et 66 909 colons italiens. Au moins la moitié des colons étaient alors nés en Tunisie. Mais en 1957, la moitié des colons français avait quitté le pays. Refusant une fois de plus d’accepter l’égalité avec la population native, les colons avaient commencé à partir rapidement. En 1970, ils n’étaient pas plus de 18 000 colons français et 7 000 colons italiens, dont la plupart allait partir dans les années suivantes.
Le Maroc, que la France a envahi et occupé en 1907, a obtenu son indépendance en mars 1956, même mois que la Tunisie, après une longue lutte anticoloniale.
En 1952, le Maroc recensait 539 000 Européens. Les colons ont commencé à perdre leurs privilèges dans la décennie qui a suivi. Rejetant toute égalité, la plupart sont rentrés en France, où leurs privilèges raciaux étaient préservés.
Une alliance étroite
Étant donné qu’elles étaient les deux dernières puissances coloniales européennes dans le monde arabe, la France et Israël ont noué une alliance étroite pour coordonner la préservation de leurs colonies.
Comme la France et l’Italie, les sionistes juifs européens prétendaient être les descendants des anciens hébreux de Palestine et ne faire que « retourner » sur leurs terres ancestrales. Israël, qui a établi une majorité juive en chassant la majorité du peuple palestinien en 1948, a voté contre la résolution 1952 de l’ONU reconnaissant les autodéterminations tunisienne et marocaine.
L’alliance militaire de la France avec Israël et son hostilité envers le président égyptien Gamal Abdel Nasser s’est renforcée, en particulier quand le dirigeant égyptien est devenu synonyme de force derrière le Front national de libération (FNL) algérien.
Cela se combinait à l’antisoviétisme des socialistes au pouvoir en France, Nasser s’étant rapproché de l’URSS en 1955 après avoir été snobé par l’administration Eisenhower, qui conditionnait leurs bonnes relations à la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël.
Le nationalisme panarabe socialiste était fustigé par les Français comme réactionnaire et cherchant à rétablir les gloires « islamiques ». À l’inverse, le panjudaïsme du sionisme européen, qui cherchait à recréer les gloires « judaïques » des Hébreux palestiniens, dont on a fait les ancêtres des convertis européens au judaïsme, était dépeint comme progressif et socialiste.
Par exemple, l’institution coloniale ashkénaze juive du kibboutz n’était pas vue comme un exemple de socialisme de la race des maîtres mais comme une alternative progressiste au stalinisme. À cette époque, la France fournissait à Israël des avions de combat modernes Mystère IV, utilisés contre l’Égypte en 1956.
L’alliance entre la France et Israël
Malgré les négociations secrètes entre les Français et les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) basés au Caire, l’armée française a mené, le 22 octobre 1956, le deuxième acte de piraterie aérienne de l’histoire.
Les Français ont intercepté au-dessus de l’Algérie un appareil transportant les dirigeants politiques du FLN qui ralliaient le Maroc à Tunis, parmi lesquels Ben Balla, pour l’une de ces réunions secrètes. Les cinq dirigeants capturés du FLN n’ont pas été relâchés avant 1962.
Les généraux français expliquaient que leur alliance avec Israël faisait partie du combat contre les Algériens, et contre Nasser
Et les Français ont adopté la tactique de détournement d’avion de leurs alliés, car le premier acte de piratage aérien a été la capture par Israël d’un avion civil de Syrian Airways en décembre 1954. Les pirates israéliens ont forcé l’avion à atterrir à l’aéroport de Lydda et ont retenu ses passagers en otage, exigeant la libération de cinq prisonniers de guerre israéliens en Syrie, une pratique dans laquelle les Israéliens ont continué à exceller pendant les décennies suivantes.
Dans ce contexte, la France a lancé son invasion de l’Égypte avec les Britanniques et les Israéliens en 1956, aventure qui s’est achevée sur leur défaite et n’a fait qu’accroître la popularité de Nasser.
Frantz Fanon, qui avait rejoint le FLN, expliquait les motivations de la France : « L’expédition de Suez visait à frapper la tête de la révolution algérienne. L’Égypte, accusée de diriger la lutte du peuple algérien, a été bombardée de manière criminelle. »
L’alliance précoce de la France avec Israël s’est renforcée en 1952 lorsque son ambassade a ouvert à Tel Aviv. Que les deux pays demeurent les seules colonies européennes en territoire arabe était capital dans leurs calculs.
Les généraux français expliquaient que leur alliance avec Israël faisait partie du combat contre les Algériens, et contre Nasser. Une grande partie des renseignements reçus par Paris sur les expéditions d’armes égyptiennes au FLN venait d’Israël, ce qui a permis à la France en octobre 1956 d’arraisonner l’Athos, navire battant pavillon soudanais qui transportait des armes pour le FLN, dans les eaux internationales au large du Maroc. L’alliance était telle qu’Israël a même participé à des manœuvres militaires conjointes avec la France sur le territoire algérien.
Après son séjour de treize mois en tant que gouverneur général de la France en Algérie, Jacques Soustelle a participé à la création et la direction du lobby pro-Israël Alliance France-Israël en 1956. Cela faisait suite à l’invasion tripartite de l’Égypte.
Pendant ce temps, le grand rabbin de France a fait pression sur le New York Times pour le compte des Français contre l’indépendance algérienne et a obtenu la « promesse d’un rédacteur du New York Times de continuer à soutenir fidèlement la ligne française lors des débats à l’ONU ».
En 1958, Soustelle a enjoint non seulement Israël mais les communautés juives du monde à soutenir l’apartheid colonial français en Algérie : « Nous croyons que, étant donné l’influence que non seulement Israël mais, par-dessus tout, les communautés juives à travers le monde exercent sur l’opinion internationale, les fruits de cette alliance nous seront bénéfiques. » Soustelle a rejoint l’organisation coloniale terroriste Organisation Armée Secrète (OAS) en 1960 pour combattre l’indépendance algérienne.
Adoption des tactiques israéliennes
Cette alliance n’a pas seulement fourni des armes et une formation aux militaires israéliens, elle a permis aux Français eux-mêmes d’apprendre les techniques israéliennes, notamment celle du « bombardement de convoi » ensuite utilisée par la France en Algérie.
Les officiers français ont été envoyés en Israël pour apprendre les techniques de guerre psychologique. Le général Maurice Challe, commandant en chef des forces armées françaises en Algérie (1958-1960), insistait sur le fait que les Israéliens étaient de « véritables artistes » dans la gestion des Palestiniens.
Challe espérait faire du kibboutz raciste le modèle de son programme de pacification en Algérie, mais l’indépendance a empêché son projet de se concrétiser. Des missions d’études israéliennes se sont rendues en Algérie pour apprendre comment les Français utilisaient les hélicoptères pour combattre la guérilla algérienne.
Challe, comme d’autres généraux amis d’Israël, a participé à la tentative ratée de coup d’État des colons en avril 1961 contre le gouvernement français et a été poursuivi par un tribunal militaire. Le témoignage d’au moins un participant au coup d’État manqué précise que ses responsables s’attendaient à un soutien du « Portugal, de l’Afrique du Sud, de [certains pays de] l’Amérique du Sud, et peut-être d’Israël ».
L’OAS a renoncé à son antisémitisme traditionnel pour établir un front populaire antimusulman. Les membres de l’OAS faisaient valoir qu’accorder l’indépendance à l’Algérie s’inscrivait dans une conspiration internationale visant à « étrangler l’État d’Israël » et respirait l’antisémitisme. N’étant pas en reste, le Premier ministre d’Israël David Ben Gourion avait conseillé aux Français en 1958 de ne pas faire confiance aux Algériens arabes, « qu’importe leur degré d’assimilation ».
Des Algériens juifs opposés à Israël ont contribué financièrement à la libération de leur pays et ont rejoint ses rangs
Mécontent de son isolation en tant que dernière colonie européenne dans le monde arabe, Israël a fourni un soutien logistique aux colons français, notamment un appui à Soustelle, qui avait le soutien de Ben Gourion et a été financé par de riches Américains de confession juive, de droite et pro-israéliens qui s’opposaient à de Gaulle et à l’indépendance algérienne.
Des Algériens juifs opposés à Israël ont contribué financièrement à la libération de leur pays et ont rejoint ses rangs, notamment des médecins et des avocats.
En 1956, les Algériens juifs contre la colonisation ont salué les déclarations officielles du FLN à l’attention des dirigeants de la communauté juive proclamant leur appartenance à la nation algérienne. Des petits groupes d’Algériens juifs ont affirmé en réponse qu’ils ne faisaient qu’un avec leurs compatriotes musulmans et qu’ils soutenaient de tout leur cœur la libération.
D’autres groupes ont néanmoins formé des commandos juifs algériens et se sont organisés à Oran contre les musulmans algériens. Ils souhaitaient la partition de la colonie en fonction des « races ».
Ils se seraient inspirés dans leur quête de la politique du gouvernement israélien. Israël a réquisitionné au moins un juif algérien, qui avait rejoint l’OAS, dans son réseau d’espions. Il s’agissait de l’un des dirigeants de l’OAS, Jean Ghenassia, qui avait des contacts avec des agents israéliens, ce qui lui a valu d’être ensuite poursuivi par les Français.
Encerclement de l’Algérie
Après l’indépendance, l’Algérie est devenue le plus grand partisan de la résistance mondiale au colonialisme, en Palestine et à travers l’Afrique : en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud, en Namibie et en Rhodésie (aujourd’hui Zambie et Zimbabwe).
Bien que mal avisée, la réunion organisée par les dirigeants algériens lors des célébrations du 60e anniversaire de l’indépendance du pays en juillet entre le dirigeant du Hamas Ismaël Haniyeh et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, qui collabore avec Israël, était motivée par le soutien continu de l’Algérie à la lutte palestinienne.
Ces dernières années, la normalisation des relations d’Israël avec le Maroc et le Soudan ainsi que son travail en coulisses pour normaliser ses relations avec la Tunisie et certains dirigeants libyens font partie de sa stratégie pour encercler l’Algérie, qui refuse catégoriquement d’abandonner la lutte palestinienne et de normaliser ses relations avec Israël.
La terreur ressentie par les Israéliens après la victoire du peuple algérien était telle que le plus important général d’Israël, Ariel Sharon, conservait un exemplaire du récit classique de la lutte algérienne écrit par Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, sur sa table de chevet.
Peut-être que d’autres dirigeants israéliens devraient tirer les leçons de la libération algérienne.
- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan ; Desiring Arabs ; et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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