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https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/chronique-d-une-semaine-de-repression-ordinaire-en-cisjordanie_6159360_3210.html
L’armée israélienne mène une vaste opération dans les territoires occupés. Depuis un an, 194 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, un bilan inédit depuis la seconde Intifada.
Vingt-neuf morts, plus qu’un par jour en ce mois de janvier. Au total, 194 Palestiniens ont été tués par l’armée ou par des colons israéliens depuis un an en Cisjordanie occupée, selon le ministère de la santé palestinien. Cette violence a atteint un niveau inégalé depuis la fin de la seconde Intifada (2000-2005).
« Briser la vague », c’est le nom de l’opération lancée au printemps 2022 par l’armée, après plusieurs attaques menées contre des civils en Israël. Elle visait dans un premier temps à casser une nouvelle résistance armée palestinienne. Des combattants regroupés en deux mouvements, les Brigades, à Jénine et les Lions, à Naplouse, inspirent ailleurs des loups plus solitaires. Ils sont jeunes, transpartisans, bien armés ; ils vont à l’affrontement, attaquent des soldats et des colons en Cisjordanie, des civils en Israël. Trente Israéliens ont ainsi été tués. Dans leur ombre, un mouvement monte : le Jihad islamique, groupe islamiste qui se veut rassembleur et n’aspire pas au pouvoir.
Au fil des mois, l’opération de l’armée se mue en une répression massive, qui touche le moindre hameau. Ses effets sont aggravés par les violences perpétrées par les colons, enhardis par le retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en décembre 2022, à la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. La Cisjordanie vit tétanisée par un déferlement quotidien de drames et d’incidents divers, qui ne peuvent se raconter un à un. Ils disparaissent dans la masse. Au fil d’une semaine cependant, une série d’épisodes, parmi les plus saillants, résument cet état de guerre ordinaire.
Mardi 17 janvier : un loup solitaire sur la route 60
Mardi 17 janvier au matin, Hamdi Abou Dayyeh a traversé à pied l’étroite vallée où s’effiloche sa ville, Halhul, au nord d’Hébron. Il a longé vignes et potagers jusqu’à un poste militaire israélien qui domine la route 60, la principale artère de Cisjordanie. Là, il a brandi un « Carlo », une arme artisanale grossière de métal noir à courte crosse. Il a tiré sur des soldats sans parvenir à les blesser. Les militaires l’ont abattu, puis ont emporté son corps. Sa famille ignore quand il leur sera rendu.
Hamdi Abou Dayyeh était en cavale depuis le dimanche. Capitaine de police âgé de 40 ans, gratte-papier de l’administration d’un commissariat de Bethléem, il avait tiré sur un bus de colons israéliens, sur la route 60, sans faire de victimes. Il avait incendié sa voiture et s’était caché près d’Halhul.
Le chef de la police palestinienne en Cisjordanie, Youssef Al-Hilou, gêné que l’un de ses officiers ait ainsi pris les armes, a attendu lundi 23 janvier pour rendre visite à la famille en deuil. La force continuera de verser son salaire, l’équivalent de 1 000 euros par mois, à son épouse, Nadwa, atteinte d’un cancer du sein, et à leurs trois enfants.
Ancien prisonnier en Israël durant la seconde Intifada, Hamdi Abou Dayyeh était un policier honteux, déçu par l’Autorité palestinienne, qui paraît hors jeu dans les violences actuelles, liée par ses accords de coopération sécuritaire avec l’Etat hébreu. Hamdi la percevait comme un simple supplétif d’Israël. « La seule chose qui le satisfaisait encore dans le métier, c’était son salaire, raconte son frère aîné, Mohammed Abou Dayyeh. Il vivait branché constamment sur les actualités. Tout s’accumulait, les violences israéliennes, les martyrs [les victimes de l’armée, selon la phraséologie palestinienne]. C’était trop pour lui. »
En secret, il avait rédigé son testament dès le 10 octobre. Il l’a publié sur les réseaux sociaux deux heures avant sa mort. Il s’y proclame nationaliste, se dit déçu par toutes les factions palestiniennes. « On ne peut pas vivre sans dignité, écrit-il. Notre seul espoir, ce sont les loups solitaires. »
Moustapha, son collègue au poste de police de Bethléem, soupire. Cet officier de la brigade antidrogue « comprend » sa lassitude, sa « honte » de policier. Nombre de ses voisins au camp de réfugiés de Dheisheh, dans le sud de la ville, travaillent aussi pour les forces de sécurité. Ce camp est le fief de Majed Faraj, chef du renseignement palestinien.
Moustapha porte deux deuils. Son cousin, Amro Al-Khmour, a été tué, lundi 16 janvier, par l’armée israélienne. Il avait 14 ans. Les soldats sont entrés dans le camp pour arrêter une Italienne réputée liée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation de gauche classée comme terroriste par l’Union européenne. Le jeune Amro, surnommé « Baklava » (une pâtisserie au miel), est réveillé par les tirs, au moment de la prière de l’aube. Il se précipite dehors, où des jeunes lancent des pierres sur les soldats. « Cinq minutes plus tard, il est mort. Une balle de sniper à la tête. Il n’était pas armé », insiste son père, Khaled.
Sur les murs de la ville, le portrait de l’adolescent voisine avec ceux de deux autres « martyrs » : Adam Ayyad, tué par l’armée durant un raid le 3 janvier, à 15 ans, et Omar Manna, à 22 ans le 5 décembre. « Nous avons à peine le temps de défaire la tente de deuil quelques jours, et puis nous la remontons au même endroit pour un autre mort », soupire Moustapha.
Est-ce une nouvelle Intifada qui a commencé ? Le frère aîné d’Amro, Mohammed Al-Khmour, n’y croit pas. « Il faudrait que tout le monde soit solidaire et ce n’est pas le cas. Mon frère est mort parce que nous sommes pauvres. Il n’y a que les pauvres qui sortent et qui se battent. Les hommes d’affaires, les gens de l’Autorité palestinienne, les élites vivent sur une autre planète. Ils bénéficient de l’occupation [des territoires par Israël]. Ce n’est pas dans leur intérêt. »
Jeudi 19 janvier : raid au camp de Jénine
Des salves sont tirées en l’air à l’arme automatique ; dernier hommage aux « martyrs ». Une longue file d’hommes remonte les étroites allées depuis le cimetière. Il est midi, jeudi 19 janvier. Le camp de réfugiés de Jénine vient d’enterrer un combattant de 26 ans, Adham Jabareen, et un enseignant proche de la retraite, Jawad Bawaqneh, tué devant chez lui alors qu’il tentait de porter secours au premier. Un coiffeur de la rue voisine, Raed Lahlouh, sorti voir ce qui se passait, a été grièvement blessé. « A 2 heures du matin, les forces d’occupation [israéliennes] ont pénétré de tous les côtés, assiégeant le camp, raconte Atta Abou Rmeileh, secrétaire local du Fatah, le parti au pouvoir. Les ambulances et les journalistes ont été empêchés d’entrer. Les blessés se sont vidés de leur sang. »
Devant la maison de Jawad Bawaqneh, un voisin indique une terrasse au loin : « Les snipers étaient postés là-bas », dans l’axe de l’entrée. « En moins d’une minute, ils ont tiré sur notre père six balles dum-dum, celles qui explosent en touchant leur cible. Personne d’autre qu’Israël ne les utilise », raconte Saja, l’une des six enfants de l’enseignant, âgée de 30 ans, les mâchoires serrées de colère. Deux ambulances ont tenté de venir le secourir ; en vain, les soldats israéliens ne les ont pas laissées passer. Une sœur de Saja a dû amener son père dans sa propre voiture à l’hôpital ; il a été déclaré mort à son arrivée.
Les magasins et restaurants de Jénine ont baissé le rideau ; la ville se noie dans ses deuils. Les habitants n’en peuvent plus : les incursions de l’armée israélienne y sont quasi quotidiennes depuis le printemps dernier. C’est d’ici que plusieurs assaillants ont préparé leurs attaques perpétrées en Israël.
Le 19 janvier, les militaires étaient venus arrêter Khaled Abou Zeina, commandant du Jihad islamique, et « confisquer une large quantité d’armes », a indiqué l’armée au Monde. L’opération a échoué, les soldats disent avoir riposté à des tirs nourris, un militaire a été blessé. L’armée affirme « examiner » les « circonstances » de la mort de l’enseignant Jawad Bawaqneh – il est douteux qu’une véritable enquête soit ouverte.
La mémoire collective fait remonter l’état de guerre dans le camp à juin 2021 : Jamil Al-Amouri, militant charismatique du Jihad islamique, devenu un héros local, est alors tué à 23 ans par les forces spéciales israéliennes. Depuis, la résistance armée s’est musclée et le désespoir s’est épaissi. Dans une allée près du cimetière, Khalil Abou Atieh déboule, les yeux bouffis. « Personne ne dort », marmonne-t-il. L’armée a tué son frère, Sanad, en mars 2022 ; il venait d’avoir 18 ans. Lui est recherché, il fait partie des Brigades de Jénine, symbole de la résistance, qui se veulent indépendantes des factions traditionnelles. « Quand l’armée arrive, il n’y a plus ni Hamas, ni Jihad islamique ou FPLP : on est tous sous le contrôle de Dieu », explique l’homme de 25 ans. Il navigue entre son métier de cuistot et le cimetière. « Les gamins sortent de l’école pour apprendre à faire des bombes. De toute façon, l’occupation [israélienne] tue aussi les professeurs, les docteurs, les ingénieurs… On aime la vie, mais on veut mourir. Moi, parce que je veux revoir mon frère. »
Au bout de la ruelle, des voisins entrent et sortent d’un petit immeuble étroit, auquel de nouveaux étages ont été ajoutés à la va-vite. Trois frères, dont le père du combattant tué, Adham Jabareen, vivent ici avec leurs familles. La mère d’Adham s’est effondrée dans une chambre. Elle dort, assommée par les calmants. « Notre famille est détruite », soupire Thaer, l’oncle, ancien combattant aux traits usés. Il a déjà perdu deux de ses neveux en 2014 et 2017. Lui et le père d’Adham ont fait plusieurs années de prison, leur génération a été marquée par la destruction du camp en 2002, lors de la seconde Intifada. Leurs enfants portent à leur tour leurs propres deuils. « Cette hémorragie va continuer, ils ont tous 17-18 ans, souffle-t-il. Adham avait perdu une vingtaine de ses amis, il n’avait plus de vie. »
Vendredi 20 janvier : une nouvelle colonie à Naplouse
Une poignée de préfabriqués blancs ont été montés à la hâte, à la faveur de la nuit vendredi 20 janvier, sur une colline ocre, au bord de la route qui relie le sud de Naplouse à la vallée du Jourdain. Un carton sur une pierre indique le nom de cette colonie sauvage toute neuve : Or Haïm (« lumière de Haïm »). Ses fondateurs rendent hommage au rabbin Haïm Druckman, l’un des patriarches du mouvement colon, mort le 25 décembre 2022. Son petit-fils se tient parmi eux.
Leur entreprise est illégale, même selon le droit israélien. Mais ils entendent tester le nouveau gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Ils constatent que sa coalition n’emploie plus que le vocabulaire de la force et de l’annexion. Elle a cessé de prétendre que l’occupation des territoires palestiniens, en vigueur depuis la conquête de 1967, était temporaire. Quelques heures plus tard, ils sont déçus : le ministre de la défense ordonne leur évacuation par l’armée, suscitant la colère de ses alliés d’extrême droite.
L’armée les escorte hors du terrain, sans heurts. Des soldats traînent vers leurs voitures les plus récalcitrants, des gamins à peine sortis de l’adolescence, tantôt hilares, tantôt agressifs. Les préfabriqués gisent brisés à terre. Un peu plus tôt, les colons et les Palestiniens du village voisin, Jourish, se sont lancé des pierres. Le maire palestinien, Raed Abou Jamous, affirme que des colons ont caillassé sa voiture sous ses yeux, pendant que les militaires lui bloquaient le passage. Six Palestiniens et trois Israéliens ont été blessés.
Plus tard dans l’après-midi, le maire réunit chez lui quelques proches et l’édile de la commune voisine, Aqraba. Certains suggèrent de cultiver la terre, vite, pour assurer une présence. Tous ont en tête un précédent : la colonie d’Evyatar, établie en mai 2021 à quelques kilomètres de là. Durant un an et demi de manifestations, sept Palestiniens ont été tués par l’armée. La colonie a fini par être évacuée, mais les terres sont désormais sous contrôle militaire, inaccessibles à leurs propriétaires. Dimanche 22 janvier, les colons sont revenus à Or Haïm. Ils ont été une nouvelle fois évacués.
A une demi-heure de là, plus à l’ouest, c’est la même guerre de position qui se joue à Kafr Qaddum, chaque vendredi depuis 2011. Le village veut récupérer son accès à la route principale, coupée par les militaires. Cette route traverse la colonie de Kedumim, fondée par des proches du rabbin Haïm Druckman, qui ont ouvert la voie dès 1975 à la colonisation du nord de la Cisjordanie.
La manifestation est à peine commencée après la prière, qu’elle étouffe déjà sous les gaz lacrymogènes. Des gamins masqués viennent narguer les soldats avec des lance-pierres. Des tirs de balles en métal recouvertes de caoutchouc retentissent. Cinq Palestiniens sont blessés. Un drone surveille la scène. L’armée a arrêté un homme dans le village cette année, huit en 2022.
Les manifestants arborent au front le bandeau jaune du Fatah. Kafr Qaddum est un symbole de la résistance populaire non armée, encouragée par l’Autorité palestinienne. Les résultats sont maigres, la répression violente marque toutes ces familles. Le 12 juillet 2019, Abdel Rahman Shatawi, 9 ans, a reçu une balle à la tête, qui l’a laissé paralysé. Walid Barham a eu la mâchoire brisée par un tir en 2018, et a perdu l’usage de son œil gauche. « Depuis, je perds souvent mon sang-froid. J’ai une douleur qui me lance quand il fait très chaud ou très froid », explique ce père de famille de 55 ans. Son fils a cessé de parler après avoir reçu une grenade de gaz lacrymogène dans la tête, il y a dix ans. Il avait 17 ans. Son aîné alterne blessures et séjours en prison.
Samedi 21 janvier : un mort à la ferme
Une ambulance israélienne emporte le corps de Tareq Maali sur la route 463, entre les collines enchanteresses du centre de la Cisjordanie, escarpées, où l’herbe d’hiver pousse dru. La famille Maali ne sait pas quand le corps lui sera rendu. Samedi 21 janvier, les femmes du village de Kafr Nemeh prennent place autour de l’épouse, qui gémit. Le plus âgé des trois fils a 12 ans. Ils demeurent assis auprès d’un oncle handicapé, Yousouf, qui gobe des médicaments antidouleur pour ses nerfs.
Son frère Ashraf descend de voiture en pleurs, de retour de son interrogatoire par le renseignement israélien. Un camion à bétail se gare derrière lui. Quatre hommes debout sur le plateau arrière le débâchent et une voix de forain craquelle dans un micro. Elle annonce que le « martyr » Tareq Maali a été reconnu comme l’un des siens par le Jihad islamique. Le père, Odeh Maali, 64 ans, balaie cette annonce d’une main : « Tareq n’avait plus de liens avec le Jihad depuis qu’il était sorti des prisons israéliennes, après la seconde Intifada. »
Tous ici ont vu Tareq Maali mourir, dans une vidéo filmée par une caméra de surveillance sur la colline voisine. On y voit l’homme se précipiter à toutes jambes vers un colon. Ce dernier le met en joue avec son pistolet. Tareq Maali tombe. Il se relève et court de nouveau vers le fermier israélien qui fuit, puis se retourne et tire. Tareq Maali s’écroule à ses pieds. L’armée affirme qu’il a tenté de poignarder le colon. La presse israélienne a diffusé de mauvaises captures vidéo d’un tournevis dans sa main inanimée.
Cadre dans une usine d’aluminium, Tareq Maali touchait un excellent salaire de 9 000 shekels (2 450 euros). Petit-fils de réfugiés, chassés de la région de Latroun en 1948, à la naissance de l’Etat d’Israël, il avait acquis un petit hectare d’oliviers sur la colline où il est mort. Un chemin de terre y serpente. D’antiques restanques de pierre sèche s’écroulent lentement dans la pente raide.
Au sommet, un colon a établi une ferme à moutons en 2018. Une étoile de David juchée sur un mât l’illumine chaque nuit. Ce berger, Eitan Zeev, patrouille à moto, aidé de miliciens armés. Il bouscule ceux qui osent s’aventurer sur la colline. « Mais Tareq entretenait encore ses arbres tous les vendredis. Il était obstiné », raconte son cousin Dafer Ataya, maire adjoint du village.
En août 2020, M. Zeev a déjà grièvement blessé au fusil un Palestinien. Il a été condamné en justice à une amende. En février 2021, il a tué Khaled Nofal, comptable, père d’un garçon blond de 5 ans. Sa famille possède quinze hectares sur la colline. Elle ignore pourquoi Khaled y était monté en pleine nuit, sans arme. Elle n’a pas porté plainte. « Nous n’avons pas confiance en la justice [israélienne], dit son frère Mohammed, avocat. Tout ce que je sais, c’est que ce colon a volé des terres, qu’il est assis là-haut et qu’il tue quiconque s’approche. »
Eitan Zeev est originaire des colonies d’Hébron. Son épouse, petite-fille du grand rabbin Moshe Levinger, est morte d’un cancer il y a deux ans. L’Organisation sioniste mondiale lui a attribué un terrain, considéré comme terre d’Etat par Israël depuis les années 1980. L’entreprise de bâtiment et travaux publics des colons, Amana, lui a aménagé une route.
Depuis six ans, Amana a coordonné l’implantation d’une cinquantaine de fermes isolées comme celle-ci, doublant la surface de terres colonisées en Cisjordanie. « Nous avons manifesté pendant six mois. L’armée nous chassait. Elle protège Zeev », soupire Dafer Ataya. En octobre 2022, les voisins sont parvenus à récolter les olives, en montant tous ensemble en même temps, après de longues négociations avec l’armée.
Dimanche 22 janvier : arrestations en série à Silwad
Mahmoud Awad vient de rentrer chez lui, dimanche 22 janvier, après avoir passé trois jours en prison en Israël. Les soldats étaient venus chercher cet ouvrier de 20 ans, la nuit, chez son père, dans leur village de Silwad, au nord de Ramallah. Ils avaient vidé les placards de sa chambre et embarqué l’un de ses pantalons. Ses interrogateurs ont reconnu le vêtement qu’il portait en octobre 2022, une nuit d’émeutes à Silwad. Mahmoud Awad avait été filmé par l’armée alors qu’il jetait des pierres sur les soldats, venus arrêter l’un de ses voisins. Il s’en est tiré avec une amende (300 euros).
En novembre 2022, il avait déjà passé une semaine en prison, pour la même raison. La prochaine fois, son juge lui a promis qu’il resterait derrière les barreaux. Depuis un an, l’armée israélienne paraît réinventer le mouvement perpétuel à Silwad : une arrestation provoque des émeutes, qui suscitent de nouvelles arrestations, et ainsi de suite. Guerre d’usure.
Il s’agit de savoir qui s’épuisera le premier, les soldats ou les jeunes de Silwad. « Ils utilisent la détention administrative [sans inculpation ni limite de temps] de façon préventive, pour faire peur aux jeunes avant qu’ils ne commettent une action plus sérieuse », affirme Mahmoud Awad.
Plus de 90 habitants (pour 10 000 au total) sont aujourd’hui détenus. Un chiffre impressionnant, à la mesure d’un village très engagé, riche de l’argent qu’envoient ses familles émigrées aux Etats-Unis. La commune, où les islamistes demeurent puissants, résista à l’armée anglaise dès 1932 et vit naître l’un des chefs du Hamas, Khaled Mechaal. En décembre, un habitant de Silwad, Mujahid Hamed, a tiré depuis sa voiture sur des soldats, avant d’être abattu.
« Une nuit d’août, les soldats ont arrêté trente-cinq personnes d’un coup !, détaille Suheil Farès, un cadre local du Fatah. Aujourd’hui, ils ne viennent plus qu’une fois par semaine. Le renseignement appelle les suspects et leur demande de se présenter à la base voisine d’Ofra ou à la prison d’Ofer. Il y a un mois, mon neveu a été convoqué. Il a patienté trois heures devant Ofer, puis ils lui ont demandé de partir, disant qu’ils le rappelleraient. »
Dans le même temps, les barrages militaires ont pris une place démesurée dans la vie du village. L’armée en tient deux, aux entrées sud. Ils sont demeurés en place durant trois mois à l’été. Les cortèges funéraires étaient contraints de passer à pied pour atteindre le cimetière. Les camions à ordures et les citernes des eaux usées ne savaient plus où jeter leurs chargements.
Depuis novembre, ces barrages ne sont plus que temporaires. « Ils les ouvrent vers 3 heures de l’après-midi, quand les gens commencent à rentrer du travail, et pas tous les jours », raconte le maire du village, Raed Hamid. « Si vos papiers indiquent que vous êtes de Silwad, ils vous font arrêter le moteur et prennent votre photo pour leur base de données Blue Wolf [un système de reconnaissance faciale déployé par l’armée en Cisjordanie depuis 2016] », affirme M. Farès, le responsable du Fatah.
Cela crée des embouteillages, parfois des drames. Zaïd Omar, chauffeur de taxi, s’informe chaque jour de ces points de contrôle, sur un groupe WhatsApp animé par des collèges. Le 15 janvier, c’est par ce groupe qu’il a appris la mort de son frère cadet, Ahmed.
Entrepreneur du bâtiment, Ahmed Omar venait d’aider une femme à changer sa roue crevée. Il patientait devant les soldats, dans sa voiture avec son fils, âgé de 19 ans. « Le point de contrôle est peu visible près d’un pont, sur une route en zigzags. Derrière Ahmed, d’autres automobilistes ne comprenaient pas pourquoi ça n’avançait pas. Ils ont klaxonné », raconte Zaïd Omar.
Un soldat a jeté une grenade assourdissante sur le toit de la voiture d’Ahmed Omar, qui s’en est plaint, selon son frère. Le soldat l’a aspergé de gaz au poivre. Ahmed Omar est sorti de sa voiture aveuglé, assourdi, agressif. Il a été abattu. L’armée a affirmé qu’il avait cherché à poignarder un soldat, puis qu’il avait voulu s’emparer de son arme. De premiers éléments d’enquête diffusés lundi par la presse israélienne indiquent que le soldat aurait fait preuve d’un « sévère défaut de jugement ».
« Le type l’a tué de sang-froid. Froid ! Puis, il a simplement dit à mon neveu : “J’ai tué ton père.” Ça ne lui faisait rien : pour lui, nous ne sommes pas des êtres humains », juge Mohammed Omar, l’aîné de la fratrie. Durant une semaine, l’armée a cessé de barrer cette route. Elle a repris ses contrôles le 21 janvier.
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