Livres
Femmes de lutte et d'écriture. Textes sur la guerre d'Algérie. Essai de Mildred Mortimer. Casbah Editions, Alger 2022, 262 pays, 950 dinars
Le livre se concentre sur la lute des femmes algériennes pour s'approprier l'histoire de la guerre dAlgérie, en tant qu'actrices prenant part au mouvement de libération du pays, en tant qu'historiennes, relatant leurs expériences dans des écrits autobiographiques ou dans des fictions.
Ce n'est pas tout, car l'étude prend en compte une autre décennie, celle de la décennie noire (années 90). Une période agitée ayant conduit certaines écrivaines à faire le parallèle entre leurs voix dissidentes dans l'Algérie contemporaine et leurs rôles de militantes durant la guerre de libération. Des écrivaines qui recherchèrent l'inspiration et le courage auprès de la génération qui les avait précédées.
L'auteure de l'étude n'a entendu parler de la guerre d'indépendance algérienne qu'en 1961 alors qu'elle se trouvait en France pour études. En 1964, elle se rend en Algérie pour continuer ses études de 2ème cycle à l'Université d'Alger. Les traces des violents affrontements étaient encore visibles... et la mémoire individuelle et collective des combats encore fraîche, certaines parlant de ce qu'elles avaient vécu, d'autres choisissant de se taire.
Durant son séjour, elle a découvert l'œuvre d'écrivaines racontant leurs expériences de la guerre dans des autobiographies ou des fictions dont elle présente et analyse finement les œuvres: Danielle Djamila Amrane-Minne, Assia Djebar, Yamina Mechakra, Maïssa Bey, Leila Sebbar, Zohra Drif, Louisette Ighilahriz, Evelyne Safir Lavalette... Elle découvre aussi des héroïnes jusqu'ici «ignorées» comme Zoulikha Oudaï, Samia Lakhdari, Jacqueline Guerrroudj, Nassima Hablal...
En conclusion, pour briser les silences, pour une re-lecture plus exacte de l'histoire du combat des femmes durant la guerre... et après, une arme... l'écriture, de la littérature de résistance. Un combat qu'il faut poursuivre.
L'Auteure : Professeur émérite de littérature francophone (Université du Colorado/Usa), auteure de nombreux ouvrages critiques. Traductrice de deux romans de Leila Sebbar. A publié de nombreux articles sur la littérature francophone de l'Afrique sub-saharienne, des Antilles et du Maghreb.
Table des matières : Remerciements/ Introduction/Chapitre 1er : Ecrire les femmes dans l'Histoire/ Chapitre 2 : C'est elle qui raconte la guerre/ Chapitre 3 : Cartographie du trauma/ Chapitre 4 : Mémoires blessées/ Chapitre 5 : Traumatisme collectif, mémoire collective/ Chapitre 6 : Littérature de témoignage/ Chapitre 7 : Le souvenir de Zoulikha dans le film et de la fiction d'Assia Djebar/ Conclusion : Elles ont brisé le silence.../ Bibliographie
Extraits : «Quand elles brisent le silence, les Algériennes non seulement reviennent sur les approches de l'histoire de leur pays, mais détruisent aussi le stéréotype de la «femme orientale» (p15), «Pour chacune d'entre elles , apporter son témoignage est, comme le soulignent les spécialistes qui traitent des traumatismes, un acte essentiel dans le processus de cicatrisation aussi bien pour l'individu que pour le groupe» (p 25), «En 1954, en Algérie, il n'y avait seulement que six femmes (Algériennes) médecins, vingt-cinq professeures dans le secondaire et aucune femme dans l'enseignement supérieur. A l'Université d'Alger, cette année-là, il y avait environ cinquante cinq étudiantes» (p38), «Les différents récits écrits ou oraux attestent que les femmes devaient non seulement faire preuve de courage face à des situations pénibles, mais aussi faire montre d'un comportement moral exemplaire» (p101), «Les historiens Jim House et Neil MacMaster arrivent à la conclusion qu'elle fut probablement le plus grand massacre «en temps de paix» en Europe de l'Ouest puisqu'à l'époque , la France ne reconnaissait pas le conflit algérien comme une guerre» (p 152), «La guerre d'indépendance algérienne n'a jamais été une entreprise exclusivement masculine. Les femmes se sont engagées dans la lutte anticoloniale dès le début de la colonisation, en y apportant leur contribution militaire et politique, mais aussi littéraire» (p177), «Il est triste de constater que dans de nombreux pays africains (...)les femmes ont compris qu'il était plus facile de lutter contre un ennemi extérieur que de démanteler un système patriarcal au sein de son propre pays «(p249).
Avis : Un ouvrage qui est une belle réalisation architecturale qui fait entendre la voix de femmes (extraordinaires) qui parlent de leur lutte commune et jamais d'actions individuelles.
Citations : «La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l'histoire , une représentation du passé» (Pierre Nora cité, p 27), «Les mémoires ont toujours une dimension subjective (...).L'historien ne peut ni les dédaigner ni s'y soumettre» (Mohamed Harbi et Benjamin Stora, cités, p 27), «L'épreuve psychologique et physique est terrible, mais l'incarcération renforce le sentiment d'appartenance et de solidarité entre les prisonnières » (p 50) , «Si les histoires de guerre ne peuvent pas être écrites sans reposer sur une expérience vécue authentique, la littérature de témoignage, une fois qu'elle a été archivée -et peut-être reléguée sur l'étagère poussiéreuse d'une bibliothèque où personne n'ira la chercher- continue de vivre à travers le roman qu'elle inspire» (p104), «Les éléments poétiques peuvent renforcer ou atténuer la dure réalité de la vie dans le traumascape, tout en révélant tantôt la joie de l'individu, tantôt son chagrin, voire son profond trouble mental» (p105), «Un témoignage reste toujours un récit subjectif qui vient compléter une analyse historique sans la remplacer pour autant» (Amrane-Minne citée, p 164), «Un état d'amnésie entoure de nombreux événements de la guerre d'indépendance algérienne et il a été néfaste aussi bien pour la France que pour l'Algérie» (Benjamin Stora cité, p 213), «Quand les morts ne peuvent pas parler, l'écrivain s'octroie une certaine liberté romanesque «(p 229),
Les femmes combattantes dans la guerre de libération nationale (1954-1962). Ces héroïnes restées dans l'ombre. Essai de Djoudi Attoumi, Editions Rym Attoumi, El Flaye-Sidi Aïch (Bejaïa), 2014, 850 dinars, 350 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel.)
La guerre de libération nationale est Une. Mais son histoire est multiple et diverse. C'est, peut-être, ce qui fait sa légende et son Histoire encore incomplètement étudiée. Beaucoup reste à faire. Il est vrai que, par le passé, tout particulièrement durant les premières décennies, l'absence d'une liberté d'études et d'expression, tant au niveau de la recherche universitaire qu'au niveau des médias (tous publics, l'édition du livre y compris), n'avait pas permis une écriture totale des faits et gestes des héros, toutes les histoires de la lutte des hommes et des femmes... et des enfants. Grande faille d'ailleurs ! Bien de grands et immenses acteurs de la guerre, peut-être parce qu'ils occupaient, après l'Indépendance, des postes de responsabilité politique, peut-être voulaient-ils oublier on ne sait quoi, peut-être... sont partis (décès) sans laisser de mémoires. D'où cette désagréable impression d'une «histoire à répétition» que les nouvelles générations n'arrivent pas à assimiler. D'où l'avance prise par les thèses colonialistes développées outre-Méditerranée ; l'affaire «Furon-Bengana» n'étant qu'un énième accident de parcours.
Heureusement qu'il y a, depuis 1990 tout particulièrement, une libération de la mémoire de l'«ancien» moudjahid. C'est le cas de Djoudi Attoumi (et de bien d'autres dont les ouvrages ont été présentés dans cette chronique) qui, cette fois-ci, s'est penché sur la participation de la femme, des femmes, de toutes les femmes à la guerre d'indépendance. D'Algérie et d'ailleurs. Des combattantes, des «guetteuses» assurant des gardes, des agents de liaison, des médecins, des infirmières, des «espionnes» (au sens noble du terme), des porteuses d'armes, d'argent, d'informations et d'aliments, des soutiens actifs (dont beaucoup d'Européennes de tendance libérale d'Algérie et de France). Des noms, des prénoms, des pseudos... connus ou non, retenus par les stèles commémoratives ou seulement par les mémoires collectives locales ou nationales : de la Kahena et Fadhma N'Soumer à Chaib Dzair, Drif Zohra, Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza , Aïcha Haddad, Ourida Meddad, Brarti Zahoua, les sœurs Bedj, Na Aldjia et Djamila Minne Amrane en passant par Malika Gaid, Meriem Bouattoura, Sakina Ziza, Leïla Bouchaoui, Amamouche Tassadit, Rosa Melouk, Safia (la mère de Brahim Ben Brahim), Abouadoukh Zohra, Louiza Attouche, Drifa Attif, Raymonde Peschard, Fatima Bedar, Nouara Azzoug, Hassina Cheurfa, Zahia Kherfallah, Meriem Abdelaziz, Louisa Talmats, Aït Amrane Yamina, les sœurs Ighil Ahriz, Debouz Fatima, Fatma Bachi, ... et d'autres , et d'autres dans toute l'Algérie... et en France, pays de l'occupant. Des milliers, des centaines de milliers. Brutalisées, violentées, exposées, traînées par les chars, emprisonnées, humiliées sur les places publiques, souvent violées (collectivement), toujours torturées, parfois brûlées vives... mais jamais découragées.
L'Auteur : Licencié en droit et diplômé de l'Ecole nationale de la Santé publique de Rennes (France), l'auteur, Djoudi Attoumi (né en 1938 dans les Aït Oughlis) a rejoint les maquis au lendemain du congrès de la Soummam en 1956 pour être affecté au PC de la wilaya III auprès du Colonel Amirouche. Par la suite, plusieurs postes de responsabilité. Démobilisé (sur sa demande) en août 1962, il exerça au niveau de plusieurs postes de responsabilité dans l'Administration locale, entre autres. Auteur de plusieurs ouvrages consacrés pour la plupart à la guerre de libération nationale.
Extrait: «La torture qui est sujet d'actualité a été pratiquée d'une façon systématique pendant la guerre d'Algérie par l'armée française... La pratique de la torture est quelque chose de courant à tous les niveaux de l'armée française» (p 167).
Avis : Très riche, trop riche en informations... avec une présentation (mise en page et impression) rendant difficile la lecture.
Citation : «Qu'elles soient dans les maquis, dans leurs villages, dans les centres de regroupements, dans les zones interdites ou dans les centres urbains, elles (les femmes algériennes) étaient à la hauteur de leurs responsabilités et de l'amour qu'elles portent pour leur patrie» (p 9).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 12 janvier 2023
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5318083
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