Plus de soixante ans après la guerre d’Algérie, d’anciens combattants tiennent encore à témoigner de ce qu’ils ont vécu. C’est le cas de René Knégévitch qui fut enseignant en Sarthe et principal adjoint au collège Kennedy.
La sortie récente de son livre Quand il neigeait sur le Djebel Amour apporte, comme le souligne l’Allonnais, Clément Mazier, « un témoignage historique, vivant et poignant d’un jeune appelé, envoyé en Algérie pour faire du maintien de l’ordre et se trouve à son corps défendant mêlé à une sale guerre ».
« Libérer la parole »
Des notes rédigées sur des pages coupées en deux et dispersées dans ses vêtements entre 1959 et 1960 lors de son parcours d’appelé, René Knégévitch tire un récit fait de chroniques évoquant l’origine du conflit, l’engrenage de la violence, la honte des actes commis, la peur et la mort, mais aussi un apaisement au contact de la nature et de l’humanité du peuple algérien pauvre.
Joint par téléphone, René Knégévitch confie : « Cette guerre a été vécue différemment en fonction des endroits et des officiers. Comme je le constate lors de rencontres avec d’anciens d’Algérie, ils ont un besoin d’exprimer ce qu’ils ont vu et vécu. Le livre fait œuvre utile en permettant de libérer la parole et se délivrer de la honte d’avoir participé à des choses peu glorieuses. Certains pleurent encore en évoquant les tortures ». Il ajoute : « Malgré tout, il y avait assez de volontaires pour faire ce que je refusais. »
Quand il neigeait sur le Djebel Amour, sorti aux Éditions Amalthée dans la série Portraits de vies, est disponible à la médiathèque d’Allonnes et en vente dans les librairies.
Je sais ce que je vais trouver en Algérie mais j'y pars néanmoins avec une certaine curiosité et la volonté de pouvoir être militant de l'Homme, malgré l'étau militaire et la perte de ma liberté d'expression. Savoir mais aussi voir constitue ma disposition d'esprit." Au travers de son journal de bord, tenu entre 1959 et 1960 en plein coeur de la guerre d'Algérie, René Knégévitch nous présente son parcours d'appelé sursitaire, affecté au 403e R.A.A., à Aflou, dans le Djebel Amour.
De cette guerre violente découle un témoignage violent. Lorsque le quotidien est rythmé par des ratissages, des accrochages, des sévices, la torture, mais aussi par la peur et la mort, que reste-t-il pour un humaniste pacifiste ? Sans tabou, l'auteur nous livre ses émotions et ses réflexions tandis que le djebel tonne et que le sang coule. Un récit nécessaire et intime qui offre un regard de l'intérieur sur la guerre qui a bouleversé l'Algérie.
Brive le 13 novembre 2021, organisé par le Mouvement de la Paix de Corrèze et Peuple et Culture Corrèze attention : sur la diapositive de présentation, il y a une erreur de date puisque la vidéo a bien été prise le 13 novembre 2021.
http://www.micheldandelot1.com/allonnes-un-livre-pour-se-delivrer-de-la-honte-a213577561
Quand il neigeait sur le Djebel Amour... 1959-1960
Professeur de Lettres, né à La Courtine, René Knégévitch a été quelques années Principal du collège d’Eymoutiers. En 1959 et 1960, appelé sursitaire, il est affecté à un régiment d’artillerie au bourg d’Aflou, dans le Djebel Amour, massif de l’extrême sud-oranais. Militant de gauche, anticolonialiste, il part avec l’intention d’observer, de comprendre, en dépit de « l’étau militaire et [de] la perte de [sa] liberté d’expression ».
Le livre est fait d’une partie des notes, remaniées, extraites du carnet qu’il a tenu au jour le jour (et dissimulé sous son matelas), durant les 24 mois de son service en Algérie. Tel quel, il constitue un double témoignage historique : sur les faits et gestes de l’armée française et les souffrances endurées par le peuple algérien, d’une part, sur l’expérience traumatisante, jamais complètement guérie, qu’un jeune homme instruit a faite de ce qu’il appelle « la sauvagerie de l’Homme », d’autre part. En exergue du livre est placée une phrase de l’écrivain italien Curzio Malaparte : « Je ne savais pas qu’une guerre n’a jamais de fin pour ceux qui se sont battus. »
L’auteur a pris soin d’introduire son récit par une quinzaine de pages qui rappellent avec précision le contexte historique et politique de l’époque, alors qu’officiellement on a parlé pendant un certain temps d’« événements » pour évoquer cette guerre. Il cite quelques chiffres glaçants : 24300 conscrits français tués, sans compter les invalides, blessés, traumatisés psychologiquement et jamais soignés ; un million de morts sur une population de 8 400 000 habitants arabes…
Avec un arrière-plan psychologique d’ennui, de dégoût, de honte, de mauvaise conscience et d’interrogations sur le rôle qu’on l’oblige à tenir en dépit de ses convictions anticolonialistes, avec tout autant la peur quasi permanente de mourir avant d’être libéré de ses obligations militaires, René Knégévitch raconte la routine et l’inconfort du quotidien, le chaud, le froid (« quand il neigeait… »), les convois sur la piste avec la crainte toujours présente des embuscades, le « crapahut » épuisant dans la montagne, les gardes nocturnes angoissantes derrière les barbelés du poste, les accrochages avec les maquisards du FLN et leur cortège d’horreurs. Si le niveau d’instruction de l’auteur en fait un « intellectuel » mal vu de certains de ses supérieurs, il lui permet néanmoins d’assurer des tâches administratives : « Secrétaire de jour. Soldat de jour et de nuit ». C’est ainsi qu’il découvrira en s’occupant de la comptabilité de l’unité que plusieurs officiers et sous-officiers de carrière détournent à leur profit la paye de harkis fictifs, inventés pour les besoins de la cause…
L’auteur, en dépit du réconfort trouvé auprès de quelques camarades partageant ses idées, est toujours guetté par le désespoir. Cependant, il garde la volonté de témoigner sur ce qu’il voit en Algérie, et qu’il énumère un jour où il répond à un sous-officier qui accusait les enseignants d’inciter les jeunes à détester l’Armée : « Ecoutez, mon adjudant, vous qui êtes chrétien, comment pouvez-vous approuver ce qui se passe ici : les corvées de bois [exécutions sommaires], les tortures, les représailles, les vols, les viols ? ».
L’humanisme de René Knégévitch le rend sensible aux souffrances de la population locale prise en étau entre l’armée française et la présence du FLN qui exige sous la menace aide et nourriture. Parmi les habitants avec lesquels il crée des liens figure le petit Djamel, l’enfant de la photo de couverture, à qui il offre des bonbons et qui pleurera en apprenant son départ.
Ce livre a le mérite rare de rompre le silence dans lequel se sont enfermés depuis quarante ans la grande majorité des anciens appelés en Algérie, marqués par l’expérience définitivement traumatisante qu’ils ont vécue là-bas. René Knégévitch conclut lucidement sur la nécessité que s’ouvrent aussi, de l’autre côté de la Méditerranée, les archives de cette guerre, à la faveur d’un renouveau démocratique. Il aspire à « la fraternité partagée afin de réparer les déchirures persistantes des hommes », il souhaite que puissent se « cicatriser les blessures des mémoires ».
Daniel Couégnas- Pourquoi si tard ?
Voici la réponse de René Knégévitch (3.12.2020)
«J’ai passé, sans aucun regret, le plus clair de ma vie à assumer des charges politiques, syndicales et associatives. Alors, mon temps libre ! Je pensais que la plongée dans mon carnet de route, les diapos et documents de 1959 et 60 (échappés au contrôle) serait douloureuse. Je redoutais qu’une marée sans fin ne me ramenât sur ce coin de terre algérienne que j’ai tant aimé, et où j’ai vu tant de violences.... (finalement) une confession à l’hiver de ma vie … curieusement, l’écriture du manuscrit n’a pas déclenché la souffrance envisagée. J’avais l’impression de ne plus être l’acteur des faits, mais un observateur à distance, échappant à la violence des affects d’alors ».
https://www.journal-ipns.org/les-articles/1489-quand-il-neigeait-sur-le-djebel-amour-1959-1960
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Jean-Pax Méfret : Djebel Amour
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