Frédéric Boyer revient sur les propos tenus par Michel Houellebecq dans la revue Front Populaire, et pour lesquels la Grande Mosquée de Paris a annoncé qu’elle porterait plainte. L’auteur critique le romancier qui ne trouverait comme remède à son mal-être que « la désignation obsessionnelle d’un bouc émissaire.
Pourquoi ai-je été consterné par une telle haine des autres qui, dans son expression grotesque jusqu’au monstrueux, ne trahit qu’un profond sentiment de ridicule et de dépréciation de soi ? Dans le dernier hors-série de la revue Front populaire, et dans un entretien avec Michel Onfray, Michel Houellebecq estime que « le souhait de la population française de souche » est « que les musulmans cessent de les voler et de les agresser ». Et il ajoute : « Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers. »
Bouffonnerie abjecte du romancier, qui n’a d’autre refuge que la désignation obsessionnelle d’un bouc émissaire à son malaise, ses échecs, son désespoir. Ce bouc émissaire est celui que, plus ou moins secrètement, nous jalousons, que nous admirons et envions, jusqu’à déformer notre admiration au miroir de l’exécration.
Aveu de bêtise
Certains d’entre nous semblent ainsi fascinés par la terreur commise au nom d’un islam fanatisé. Leur effroi est fait d’une admiration noire, abominable, comme le négatif vengeur de leur propre dépréciation et de la haine du monde dans lequel ils vivent. Leur impuissance existentielle se retourne comme un gant sur la projection abjecte d’un islam en crise, et sur la confusion panique qui n’est qu’un aveu de leur bêtise et de leur défaite devant l’exigence de pensée et le courage d’affronter l’obscurité des temps.
Se complaire à annoncer « la fin de l’Occident », le désastre de « nos valeurs », ce n’est en rien désigner la cause de nos difficultés, ce n’est que l’alibi imaginaire, médiocre et pathétique, de notre propre impuissance à penser, à vivre, à désirer.
Fondamentalisme
La Grande Mosquée de Paris annonce porter plainte contre Michel Houellebecq. Je ne suis pas certain que ce soit forcément la réponse la plus efficace. Une condamnation ne serait qu’un dérisoire trophée de plus, qui viendrait alimenter la même haine grotesque et la même croyance en sa propre déchéance vécue par inversion comme une gloire imaginaire. La meilleure réponse serait de travailler collectivement à la déconstruction de tous les fondamentalismes, foyers de haine et d’incompréhension.
Les propos de Houellebecq relèvent eux-mêmes d’un fondamentalisme, par fascination et mimétisme inversé du fondamentalisme musulman (à la violence, n’avoir que la violence comme réponse) et, par extension, de toute pensée littérale, de toute négation du travail herméneutique sur les textes et sur la vie. Les propos de Michel Houellebecq ne sont pas simplement une « provocation à la haine contre les musulmans », mais une révélation de la haine qu’il se voue et de celle qu’il voue au monde dans lequel il vit. Et dont le musulman devient ici le bouc émissaire.
Un prodige de compassion
La violence de l’autre ne peut pas servir d’alibi à notre propre passion pour la violence jusqu’à confondre tous les autres dans cette passion mortifère, y compris nous-mêmes par haine de soi. Désigner un bouc émissaire ne suffit jamais à rétablir une identité perdue, elle-même fantasmée pour ne pas être confrontés à notre propre douleur et notre propre désastre. « Qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur, par un prodige de compassion, et qu’importe d’en connaître ou non la force impure ? », déclarait Bernanos dans son roman La Joie.
Par ces temps délétères, ce qui nous manque le plus ce n’est pas la haine, qui se répand, hélas, comme le feu, mais « un prodige de compassion », capable d’ouvrir des voies inespérées jusque dans les impasses de la haine. Mais pour cela, il faut aussi avoir conscience du grotesque de notre propre peur et haine du monde.
https://www.la-croix.com/Debats/Plainte-Grande-Mosquee-Paris-Houellebecq-haine-soi-2022-12-30-1201248619
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