Le raï algérien est entré, jeudi 1er décembre, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. C’est une énorme consécration pour ce genre musical séculaire, rendu célèbre à travers le globe dans les années 1990 grâce à des artistes algériens comme Cheb Khaled, Cheb Hasni ou encore Cheb Mami. Pour Tarik El-Kébir, cogérant du mythique studio de musique Disco Maghreb, le label décerné par l’institution onusienne est une « récompense méritée ». « Le raï a toute sa place dans le classement du patrimoine culturel mondial. Il a traversé les années et les frontières et a su fédérer un très grand nombre de personnes grâce aux thématiques abordées dans les chansons comme l’amour impossible », se réjouit le producteur de musique, heureux de voir le genre musical décrié pour ses textes crus, voire vulgaires, enfin réhabilité. « Pendant longtemps, le raï était interdit sur les ondes de radio et les antennes de télévision. Voilà que l’Etat algérien défend cet art populaire. C’est un juste retour des choses », se félicite-t-il.
Dans son dossier de candidature, l’Algérie a rappelé que le raï, qui signifie littéralement « mon opinion » en arabe, est apparu à la fin du XIXe siècle. Pratiqué à l’origine « au milieu des populations paysannes et de pasteurs nomades des hautes plaines steppiques et de l’atlas saharien à l’ouest du pays », il s’est épanoui après l’indépendance en 1962. Au cours de l’important exode rural vers les centres urbains qui a suivi, Oran en est devenu la capitale. La note de présentation précise aussi que le raï « s’est imposé au niveau international grâce à la communauté algérienne installée à l’étranger, principalement en France ».
Nasreddine Touil, directeur artistique et cofondateur du festival de raï à Oran dans les années 1980, espère que l’inscription au patrimoine culturel mondial de l’Unesco apportera un nouveau souffle à un genre musical mis à mal depuis le début des années 2000 par le piratage massif. La production est artisanale et les représentations en public sont confinées dans les cabarets. « Cette reconnaissance mondiale du raï va permettre non seulement de préserver ce patrimoine, mais aussi de restructurer l’industrie musicale et de relancer la production, en faisant revenir sur le devant de la scène les anciens compositeurs, en rouvrant des studios d’enregistrement et en accompagnant la nouvelle génération de chanteurs », souhaite ce membre actif de l’association Art-cultures et protection du patrimoine musical oranais (ACPPMO), qui a participé à l’élaboration du dossier de candidature.
« Dossier commun »
Ironie du sort, le comité du patrimoine culturel de l’Unesco, qui examine depuis lundi une cinquantaine de candidatures, parmi lesquelles la harissa tunisienne et la baguette de pain française, est présidé pour cette dix-septième session par le Maroc. Depuis longtemps, le voisin de l’Est, grand rival politique, diplomatique et culturel, dispute à l’Algérie la paternité du raï. Au point d’avoir laissé planer le doute sur une éventuelle candidature en 2020 avant d’y renoncer. La même année, les autorités algériennes avaient déposé leur dossier de candidature auprès de l’institution onusienne, après une première tentative inaboutie en 2016, suscitant une polémique au royaume chérifien.
La démarche continue de faire grincer des dents au Maroc. L’ambassadeur marocain auprès de l’Unesco, Samir Addahre, a ainsi regretté de ne « pas avoir pu présenter un dossier commun » avec l’Algérie étant donné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. En 2020, Rabat et Alger s’étaient entendus pour déposer une candidature conjointe, avec la Tunisie et la Mauritanie, pour inscrire le couscous, plat emblématique du Maghreb, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Du côté algérien, on espère que la décision prise jeudi mettra un terme à la querelle « inutile » sur l’origine de ce genre musical. « Le débat est clos. De grands artistes marocains reconnaissent eux-mêmes que le raï est 100 % algérien », estime Nasreddine Touil. « La polémique doit prendre fin, car il est indiscutable que le raï est né dans l’ouest de l’Algérie. Mais cela n’empêche pas les artistes marocains d’exceller dans ce genre musical et de continuer à produire des chansons que nous prendrons plaisir à écouter », avance Tarik El-Kébir.
Avant l’entrée du raï dans la liste du patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, qui rend hommage aux pratiques, traditions et savoir-faire à conserver, l’Algérie avait déjà fait inscrire six « éléments culturels » : l’Ahelil du Gourara (en 2008), pratiqué notamment lors des mariages berbères, le costume nuptial féminin de Tlemcen (en 2011), le pèlerinage du Rab de Sidi Cheikh (en 2013), l’Imzad, sorte de violon touareg (en 2013), la fête de la Sbeiba à Djanet (en 2014) et les cérémonies de commémoration du Sbouh à Timimoun (en 2015).
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