A partir de janvier 2023, les affaires de viol ne seront plus jugées par une cour d’assises, mais par les cours criminelles. Ce dont s’insurge, dans une tribune au « Monde », Laure Heinich, pour qui les parlementaires réclamant sa panthéonisation détruisent dans le même temps son combat.
Soixante-seize parlementaires interpellent Emmanuel Macron pour faire entrer Gisèle Halimi au Panthéon. De qui se moquent-ils ? L’avocate est la figure de trois luttes principales : la défense des militants du FLN pendant la guerre d’Algérie, le droit à l’avortement et, enfin, le fait que le viol soit jugé comme un crime.
Il est aujourd’hui question de constitutionnaliser le droit à l’avortement, mais que faisons-nous du viol ? S’il a toujours été considéré comme un crime au sens de la loi, l’institution judiciaire le disqualifiait en délit, celui de « violences » dans les années 1970 puis d’« agressions sexuelles » dans la période plus récente.
Pourquoi ? Parce que les cours d’assises compétentes pour juger les crimes, composées de juges professionnels et de jurés-citoyens, coûtent trop cher et que les viols y sont trop nombreux, ils encombrent la société autant que la justice. Par manque de moyens – ce qui n’est rien d’autre qu’un choix politique –, les délais d’attente pour un procès aux assises sont devenus déraisonnables et les juges proposent aux femmes la « correctionnalisation » de leur « affaire », ils gomment la pénétration, et le crime se transforme en simple agression.
Le viol ne sera plus jugé par une cour d’assises
Les femmes acceptent souvent, le consentement contraint par la volonté que le procès se tienne dans un délai qui ait encore du sens. Je me souviens du regard de Gisèle Halimi sur moi, stupéfaite et qui m’interpellait lorsque je lui disais que celle que nous défendions acceptait : « Mais Laure, qu’est-ce que vous faites ? Je me suis battue toute ma vie pour que le viol soit jugé comme un crime. »
A partir de janvier 2023, sous le regard bienveillant des parlementaires qui prétendent panthéoniser l’avocate, plus aucun viol ne sera jugé par une cour d’assises, trop chère pour ce crime dans lequel on investit finalement peu malgré le bruit dont on l’entoure. Et la question de l’avocate au Panthéon n’est rien d’autre que du bruit pour cacher la forêt.
Pour faire taire tout le monde, et d’abord les femmes, le législateur a décidé de se dispenser des jurés, qui siègent pourtant depuis la Révolution française, et de créer, pour les crimes punis de moins de vingt ans d’emprisonnement – ce sont à 90 % des viols –, une juridiction spéciale : la cour criminelle, composée de cinq juges professionnels uniquement.
Cette loi fait violence aux femmes
Exit les jurés. Exit le regard public, l’œil extérieur, les témoins. Exit l’oralité des débats et la pédagogie citoyenne. Trop cher pour le viol. Les crimes « les plus graves », selon l’expression de l’ancienne garde des sceaux, punis de plus de vingt ans d’emprisonnement, demeureront jugés par une cour d’assises et sa démocratie directe, tandis que les viols seront, eux, disqualifiés d’office. Au moins, on ne demandera plus aux femmes leur consentement.
Une réforme annoncée prétendument « pour leur bien » puisque les délais devraient se trouver raccourcis, que les femmes se rassurent donc, on jugera « vite fait ». Il ne s’agit pas que des femmes, bien sûr, des enfants et des hommes sont victimes aussi, mais puisqu’on parle d’honorer une féministe, on me pardonnera de parler des femmes pour ce crime dont j’ignore s’il est « moins grave », mais dont je comprends qu’il « ne vaut pas ».
C’est donc au moment précis où ils détruisent et déshonorent le combat de Gisèle Halimi que les parlementaires réclament sa panthéonisation. Il faut reconnaître que construire des mythes, y compris au mépris des causes, ne coûte pas bien cher. Plutôt que de s’arroger leur symbole, on attend surtout des politiques qu’ils reconsidèrent cette loi qui fait violence aux femmes. Chacun sait que l’avocate se retournerait dans sa tombe à l’évocation de ces cours criminelles. Elle n’aurait pas moins mal dans son Panthéon.
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