L’exposition consacrée à l’ancien premier ministre québécois René Lévesque a été lancée en grande pompe mercredi devant un parterre de personnalités politiques. Une rétrospective importante qui regroupe 150 objets et photos répartis dans quatre zones : son enfance, sa carrière journalistique, son passage en politique et son héritage.
« Cette expo est ce qui se rapproche le plus de ce que René Lévesque a été, nous dit Martine Tremblay, qui a été sa cheffe de cabinet en 1984-1985. Un petit garçon turbulent et malcommode de la baie des Chaleurs, en Gaspésie, qui a réussi au cours de son existence à faire tant de choses, être un personnage clé de notre histoire et occuper une grande place dans la mémoire et le cœur des Québécois. »
Mme Tremblay est aussi vice-présidente de la Fondation René-Lévesque. C’est elle qui a contacté le Musée de la civilisation (musée créé par le gouvernement Lévesque !) pour réaliser cette exposition, qui fait partie des nombreuses activités de la Fondation marquant le 100e anniversaire de naissance de René Lévesque.
« Il aurait été le premier surpris de voir tous ces objets exposés, parce que lui ne gardait rien ! s’est exclamée Martine Tremblay. Il n’avait pas d’attachement particulier aux objets. »
Les quelque 150 objets et photographies qui composent cette expo proviennent de la famille, de proches et d’amis, mais aussi d’un appel à tous lancé par le Musée de la civilisation. On y retrouve par exemple un dessin au fusain de Diane Raymond, réalisé quand elle avait 15 ans, sur lequel on peut lire : « Merci à Diane de m’avoir embelli et à qui je pardonne de m’avoir rajeuni. »
La fille de René Lévesque, Suzanne, était présente. Elle a confié à La Presse avoir prêté un grand cendrier en verre. « Je me souviens, quand il écrivait pour le Dimanche Matin, il le remplissait jusqu’au bord ! » Elle a travaillé en traduction, attirée par les mots, comme son père, même si elle avoue ne pas l’avoir vu très souvent. « C’était un homme entier. Il était très présent quand il était là. »
Un homme de tous les talents
Les jeunes générations, qui n’ont pas connu René Lévesque de son vivant, pourront certainement apprécier son talent d’écriture – grâce aux nombreuses lettres exposées –, mais aussi son charisme d’orateur – on peut notamment écouter son discours sur la nationalisation de l’hydroélectricité à Chandler en 1962 (alors qu’il faisait partie de l’équipe libérale de Jean Lesage).
L’ancien premier ministre Lucien Bouchard était présent mercredi. Selon lui, cette expo vient « remplir un vide ». « La connaissance que la plupart des gens d’aujourd’hui ont de René Lévesque est une connaissance livresque. Dans cette expo, on parcourt un chemin. Il y a quelque chose de réel, de concret. »
M. Bouchard ne tarit pas d’éloges quand il s’agit de décrire l’homme qu’était René Lévesque. « C’était un inspirateur, un homme extrêmement doué, polyvalent, avec une curiosité intellectuelle et un sens de l’engagement. C’est quelque chose de très embarrassant pour un premier ministre qui vient après lui… »
De sa jeunesse à New Carlisle (en Gaspésie), on retiendra qu’il était doué au tennis (champion junior de Gaspésie en 1936 !), qu’il était aussi brillant à l’école, mais qu’il a tout de même réussi à se faire expulser du collège des jésuites de Gaspé. On retrouve également une collection de livres ayant appartenu à son père Dominique – dont les œuvres complètes de Guy de Maupassant.
Journaliste d’abord
Son parcours journalistique est également bien décrit. Un vœu exprimé par son fils Claude Lévesque, administrateur de la Fondation, qui a été journaliste aux actualités internationales (au Droit, puis au Devoir).
On peut ainsi en apprendre un peu plus sur son travail comme correspondant de guerre pour le Bureau français de la radio Voice of America pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la couverture de la guerre de Corée pour Radio-Canada, et de la diffusion de son émission Point de mire (dont on peut voir un extrait de sa première émission, sur la guerre d’Algérie).
« On oublie parfois jusqu’à quel point il était un journaliste studieux et bûcheur, nous dit Martine Tremblay. C’est pour ça qu’il était critique à l’endroit de certains journalistes quand il est devenu politicien. Il leur reprochait de ne pas assez fouiller leurs dossiers. Il trouvait qu’ils manquaient de rigueur, ça le fâchait. »
Le clou de l’expo est tout de même concentré dans la zone consacrée à son engagement politique et à son legs.
Depuis son appel à la politique – à la suite de la grève des réalisateurs de Radio-Canada – à son engagement au sein du Parti libéral de Jean Lesage, puis la création du Mouvement souveraineté-associaton (moins radical que le RIN), et enfin l’élection du Parti québécois en 1976, de nombreuses informations nous sont ici présentées, dont le fameux napperon en papier avec les signatures des membres démissionnaires du Parti libéral (en 1967).
L’ex-ministre et déléguée générale du Québec à Paris Louise Beaudoin est passée voir l’expo. Elle a été particulièrement intéressée d’entendre le discours de René Lévesque devant ses collègues de Radio-Canada.
« J’ai travaillé avec plusieurs premiers ministres, nous a-t-elle dit, mais René Lévesque est le seul que j’ai aimé sans bémol. Il avait une compréhension du peuple québécois, avec toutes ses ambivalences. La population, on peut la précéder, mais de manière à ce qu’elle puisse nous suivre. Et puis il avait tous les talents ! Il a fait des critiques de cinéma à 25 ans qui sont incroyables, il a été journaliste à l’écrit, à la radio, à la télé, sans parler de politique évidemment. »
Coupez ces manches, s’il vous plaît !
Sur une note plus anecdotique, on apprend que le couturier Jean-Claude Poitras lui avait confectionné trois ou quatre chemises, mais que René Lévesque avait horreur des manches longues… Et que, ne faisant ni une ni deux, il aurait coupé les manches des chemises offertes par Poitras aux ciseaux. On retrouve donc une reproduction d’une chemise surpiquée signée Poitras… avec les manches coupées !
« Cette histoire représente tellement qui était René Lévesque, nous dit en rigolant Martine Tremblay, il se fichait complètement de l’image qu’il devait projeter, il ne ressentait aucune obligation de se conformer à quelque norme que ce soit. »
Les concepteurs de l’expo, menés par Coline Niesse, ont également conçu une borne interactive originale baptisée Et si, qui consiste à demander ce que serait le monde d’aujourd’hui sans ses réalisations. Sans par exemple sa loi sur le financement des partis politiques ou la loi 101. Trois thèmes sont explorés : le territoire, la démocratie et la diversité.
On retrouve enfin une copie originale de sa lettre de démission, du 20 juin 1985, envoyée aux médias après la fin des bulletins télévisés de 23 h… Une lettre offerte par son ancienne attachée de presse Line-Sylvie Perron.
« Vous n’étiez pas sans vous douter, comme bien d’autres, que tôt ou tard, je quitterais la présidence du parti », écrit-il à la vice-présidente Nadia Assimopoulos, avant de lui remettre sa démission. « Merci à vous, comme à tous ceux et celles, qui se reconnaîtront, et qui n’ont cessé depuis tant d’années de payer de leur personne, et de leur portefeuille, pour bâtir, enraciner, maintenir ce projet si sain et démocratique que nous avons dessiné ensemble pour notre peuple. »
René et Lévesque. Au Musée de la civilisation à Québec jusqu’au 4 septembre 2023. En tournée en 2024.
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