Un combattant témoin du siècle
«Lorsque vous quittez cette terre, vous n’emportez rien de ce que vous avez reçu - uniquement ce que vous avez donné».
Djalal ad-Din Rûmî
Un Algérien de l’Algérie profonde
Sadek hadjerès qui nous as quittés en ce début novembre a eu à la fois un parcours riche, fait chaque fois de rupture, masi toujours dans la discrétion et la fermeté des principes. Voilà un Algérien de l'Algérie profonde qui a mis sa compétence de médecin et de chercheur à la disposition de son pays, mais qui, parallèlement, exaspéré par la chape de plomb coloniale qui paraissait durer mille ans, sa vie peut aussi être décrite qu'il a eu à engager dès son jeune âge d'abord dans les Scouts Musulmans Algériens qui était l'Ecole du militantisme contre le pouvoir colonial au nom de l'algérianité et de l'appartenance à la sphère musulmane. Il sera ensuite membre du PPA jusqu'à la fausse accusation de ce qu'on appelle la crise berbériste. Il s'en expliquera en martelant qu'il parlait de la nécessité de la diversité. Pendant ses études il sera aussi président de l'Association des Etudiants Musulmans d'Afrique du Nord. Pour ses idées sociales, il rejoindra le Parti Communiste Algérien. Lors du déclenchement de la révolution,il sera avec Bachir Hadj Ali l'interlocuteur du FLN.
Les communistes algériens qui croyaient en la lutte rejoignirent la Révolution. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'engagement des Algériens communistes: le ralliement au maquis de l'aspirant Maillot avec un camion chargé d'armes. L'engagement de Maurice Leban de Biskra qui mourut les armes à la main; de Fernand Yveton qui plaça la bombe fabriquée par Taleb Abderahmane à l'EGA, il sera dénoncé jugé et guillotiné et de Maurice Audin militant communiste qui coordonnait les actions avec le Docteur hadjerès. Maurice Audin sera arrêté, torturé et assassiné. Mme Audin continuera à militer même après la mort de son mari. Le Docteur hadjerès qui passa dans la clandestinité, sera condamné à vingt ans de travaux forcés.
Après l'indépendance, le docteur Sadek Hadjerès qui croyait en une Algérie plurielle, n'a eu de cesse de dénoncer les différents pouvoirs.Il sera l'un des fondateurs du PAGS en 1966. Observateur lucide, mais sans illusion il intervenait régulièrement même à un âge avancé pour toujours marteler la nécessité de placer les luttes sociales comme étant la voie pour l'émergence d'une société du vivre ensemble ouverte sur l'universel.
L'algérianité et la crise de 1949
«Sadek Hadjerès est né le 13 septembre 1928 à Larbaâ Nath Irathen et mort le 3 novembre 2022,va a l'école primaire à Berrouaghia et Larbaâ, et à l'école secondaire à Médéa, Blida et Ben Aknoun. À cette époque, il devient un dirigeant des Scouts musulmans algériens dans la Mitidja de 1943 à 1946 et ensuite un militant du Parti du peuple algérien (PPA) en 1944. De 1946 à 1953, il est étudiant en médecine à l'université d'Alger. En 1948, il devient chef de la section universitaire du Parti du peuple algérien. En 1949 il est co-auteur du document L'Algérie libre
vivrahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Sadek_Hadjerès%C3%A8s - cite_note-2 Il quitte le PPA en 1949https://fr.wikipedia.org/wiki/Sadek_Hadjerès%C3%A8s - cite_note-3. Après avoir été membre pendant plusieurs années de l'Association des étudiants musulmans de l'Afrique du Nord (AEMAN), il en devient le président en 1950. En 1951, Il rejoint le Parti communiste algérien En 1953 et 1954 il est directeur de la revue Progrès En 1955, il est membre du Bureau politique du Parti. Avec son ami communiste Bachir Hadj Ali, il négocie en 1956 avec les représentants du FLN à Alger (Benyoucef Benkhedda et Abane Ramdane) concernant l'intégration des troupes communistes dans les rangs du FLN. Il est condamné par contumace aux travaux forcés par un tribunal français, Il sera pendant la lutte de libération co-directeur national de l'organisation armée Combattants de la libération, qui était l'aile armée du Parti communiste algérien et coopérait avec les militants du Front de Libération nationale (FLN), le mouvement nationaliste, mais sans en faire partie».(1)
«Il continue à se battre au sein du parti, jusqu'à l'indépendance de l'Algérie. De 1963 à 1965, il est chercheur en médecine. Après le coup d'État en 1965, il rentre dans la clandestinité pendant 24 ans. L'année suivante Hadjerès participe à la fondation du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS) en 1966 Sadek Hadjerès continue d'être un personnage très influent pour les communistes algériens et les membres du MDS bien qu'il ne participe plus officiellement à des activités politiques (...)» (1)
Sadek Hadjerès a fait la traversée du siècle en passant aussi par les Scouts musulmans et dans l'action estudiantine. Il a été militant puis président de l'Association des Étudiants Musulmans de l'Afrique du Nord, il en devient le président en 1950. Sadek hadjerès est l'un des rédacteurs en 1949 du document ´´l'Algérie, vivra´´ signée Idir El Watan qui déclenche ce qu'on a appelé la ´´crise berbériste´´. Sadek Hadjerès n'a jamais cessé de dire qu'il n'y a jamais eu de ´´crise berbériste´´, mais que la direction du PPA l'a provoquée de ´´manière fallacieuse´´. Dans un entretien accordé à Saïd Djaâfer, il soulignait que la brochure évoquait l'existence d'une nation multiculturelle mais ´´pour une république une et indivisible´´. ´´on peut prendre la brochure de 1949 et la lire, ligne après ligne, pour voir que ce n'était pas du tout des revendications sécessionnistes, territoriales ou institutionnelles. Il n'y avait même pas de revendication culturelle explicite, il y avait une analyse disant que la nation était multiculturelle et qu'il y avait un grand trésor dans cette diversité. On parlait d'union et d'unité d'action dans la diversité.´´ Cette crise va le pousser à quitter le PPA pour rejoindre le PCA (parti communiste algérien) en 1951. Il sera avec Bachir Hadj Ali, le négociateur en 1956 de l'intégration des éléments communistes à titre individuel au sein du FLN. Sadek Hadjerès deviendra en quelque sorte l'adresse du PCA durant toute la guerre. (...) À l'indépendance, commence un autre long combat dans la clandestinité. Cette séquence prend fin au début des années 90, dans une Algérie en crise, et dans l'amertume. Sadek Hadjerès reprochant aux ´´liquidateurs´´ du PAGS d'avoir renoncé au combat social pour s'aligner derrière le régime. Loin de l'Algérie, Sadek Hadjerès a continué à témoigner et apporter sa contribution aux débats et aux luttes à travers son site Social-Algérie» (2)
Le front algérien FADRL regroupant PPA -UDMA- Oulema -PCA
Il est important de souligner que la lutte pour l'indépendance avait fédéré tous les partis quels que soient leurs programmes politiques. Ainsi,comme l'écrit Gilles Manceron: «Une évolution s'est dessinée à partir de 1947 au sein du PCA, avec l'adoption à son 4e congrès d'un rapport du premier secrétaire, Larbi Bouhali, qui proposait de «transformer l'Algérie de colonie qu'elle est en pays libre» et de former pour cela un «Front national démocratique algérien, pour la liberté, la terre et le pain.C'est cet infléchissement de l'orientation politique du PCA qui a fait qu'en 1951, Sadek Hadjerès a adhéré à ce parti. Il avait alors commencé des études de médecine à Alger et était devenu en 1950 le président de l'AEMAN. C'est le moment où un Front algérien pour la défense et le respect des libertés (FADRL) est constitué entre les Ouléma, l'UDMA, le PPA/MTLD et le PCA. Le plus éloquent à défendre cette idée étant le représentant des Ouléma, Larbi Tebessi, qui déclara: «Ce Front ne demande à personne s'il est musulman, chrétien ou juif. Il ne lui demande que ceci: es-tu décidé à lutter pour le droit et à combattre pour la liberté?... Nous ne faisons pas de différence entre Algériens de naissance et de coeur. Nous ne faisons pas différence entre Fatima et Marie...» Cet appel à la lutte pour l'indépendance et cette volonté d'unité avec les Ouléma, l'UDMA et le PPA/MTLD a provoqué le ralliement au PCA de toute une génération de jeunes militants algériens, Tous participeront ensuite à la guerre d'indépendance algérienne» (3)
Participation du PCA à la guerre d'indépendance
On sait que le docteur Sadek Hadjerès,: «a milité au PPA/MTLD de 1944 à 1949, puis adhéré au PCA en 1951. Entré à son bureau politique en 1955, après avoir achevé ses études de médecine, il est devenu, au moment où a été déclenchée la guerre d'indépendance algérienne, un dirigeant de ce parti, dont Maurice et Josette Audin étaient des militants actifs. Avant le début des années 1950, les rencontres de Sadek Hadjerès avec des militants communistes d'origine européenne l'avaient dissuadé d'adhérer au PCA. Alain Ruscio relève que, pour ce jeune lycéen puis étudiant en médecine, le discours sur la société algérienne des communistes d'origine européenne, très majoritaires alors dans le PCA, affirmant que l'Algérie ne pourrait jamais être indépendante, l'en avait tenu éloigné, lui qui était persuadé de l'existence d'une nation algérienne et de l'aspiration à l'indépendance d'un nombre important de ses habitants (...) Dans ses Mémoires, Sadek Hadjerès raconte cette anecdote. En 1943 (il est alors jeune militant du PPA), il engage le débat avec un militant, Gachelin «un des Européens communistes les plus sympathiques et les plus actifs du village».
Pourquoi, lui demande-t-il, parais-tu «si tiède envers la revendication d'indépendance?». Gachelin rétorque: «Ëtes-vous sûrs que l'indépendance est une bonne chose pour vous? Vous auriez plus de liberté avec une France socialiste. Dans tous les cas, vous, les musulmans, vous n'y arriverez jamais. - Mais pourquoi donc? - Parce que vos femmes sont voilées!»
Derrière cet échange se cachait un véritable choc des cultures: même ce «communiste actif et sympathique» ne pouvait jamais imaginer une sortie de la situation coloniale à l'initiative des musulmans, soit de neuf Algériens sur dix (..)» (3)
On l'aura compris, les éléments européens du PCA à quelques exceptions suivaient la ligne directrice du PCA ce que souligne Sadek Hadjerès quand il écrit: «qu'un tournant majeur a été opéré durant cette année 1955, quand le secrétariat du PCA a décidé qu'André Moine, qui apparaissait comme le délégué du PCF au sein du PCA, cesserait, d'être membre du secrétariat. On lui reprochait d'avoir contribué à faire échouer le rapprochement du PCA avec les Ouléma, l'UDMA et le PPA/MTLD, de 1952 à 1954, dans le cadre du «front algérien», (...) Il employait le terme de «provocation» au sujet du 1er novembre et s'était opposé à ce que le militant du PCA de Biskra, Maurice Laban, ami d'enfance de l'un des chefs du FLN, Mostefa Ben Boulaïd, rejoigne à sa demande les maquisards FLN dans l'Aurès» (3).
«Sadek Hadjerès se souvient avoir eu, précisément le 13 septembre 1955, une conversation avec Maurice Audin, pour lui expliquer cette orientation politique et il avait constaté qu'il était pleinement d'accord avec elle. (...) L'opération de détournement d'armes de l'armée française organisée le 4 avril 1956 fut supervisée directement par la direction du PCA, (...) Dès l'opération réussie, le 4 avril, Sadek Hadjerès s'est rendu dans la Casbah, chez Rabah Kerbouche, dont il savait qu'il avait rejoint le FLN une rencontre entre les directions du PCA, représenté par Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès, et du FLN, représenté par Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda, pour organiser la participation des communistes algériens à la lutte armée du FLN/ALN. (..) Le 14 novembre 1956, le militant du PCA Fernand Iveton dépose une bombe dans l'usine de gaz du Hamma (..) Iveton est arrêté, torturé. il est condamné à mort le 24 novembre et guillotiné le 11 février 1957 dans la prison de Barberousse». (3)
Militant jusqu'à la fin de sa vie
Mon seul contact avec le docteur Sadek Hadjerès c'est à travers le commentaire d'un article que j'avais écrit en février 2010. J'alertais déjà à l'époque sur la nécessité de sortir graduellement du tout- fossile et de penser à l'avenir. J'écrivais en substance: La distribution de la rente n'est pas le fruit de l'effort, de la sueur et de la persévérance, il y a nécessité d'un devoir d'inventaire Renforçant notre point de vue Nicolas Sarkis Le Directeur du Centre Arabe des Etudes Pétrolières déclare: «l'Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. L'Algérie n'a pas joué la prudence dans l'exploitation de ses richesses.C'est une erreur que de penser à gagner beaucoup d'argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle». (4)
Le Docteur Sadek Hadjerès écrivait «Le Pr Chems Eddine Chitour, dresse le tableau des inconséquences de la politique énergétique actuelle de l'Algérie. Il démontre que, si un redressement radical n'est pas opéré, la gestion irrationnelle et irresponsable des ressources nationales enfoncera irrémédiablement l'ensemble de la population d'ici l'horizon 2030 dans les malheurs de la faim, de la soif, du froid et d'une dépendance extérieure écrasante. Vision catastrophiste? Non, indique le Pr Chitour, qui trace les solutions possibles, à condition que cette affaire de «quelques uns» devienne l'affaire de TOUS. On ne saurait mieux souligner l'importance de l'information véridique et des puissantes mobilisations, en un mot de l'approche démocratique pour imposer les voies de la raison et de l'efficacité». (5)
Le Docteur Sadek hadjerès nous a quittés sur la pointe des pieds en ce début novembre avec la satisfaction d'avoir fait sa part. Elevé dans le militantisme des SMA; il fut désigné pour présider l'Association des Etudiants Musulmans. Il a lutté pour l'indépendance et a continué son combat pour une Algérie ouverte sur l'universel et qui revendique sa richesse culturelle dans ses diversités. Le moment est venu d'écrire une histoire oecuménique qui rassemble les Algériens dans leur ensemble. Le seul fil rouge est l'amour du pays Que le Docteur Sadek hadjerès repose en paix.
Chems Eddine CHITOUR
R07-11-2022
https://www.lexpressiondz.com/nationale/un-combattant-temoin-du-siecle-362672
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