La stratégie, bien rodée depuis la Centrafrique (RCA), se répète aujourd’hui au Burkina Faso : de jeunes officiers appuyés par des civils tout aussi jeunes se lancent à la conquête du pouvoir, le drapeau russe à la main, comme on peut le voir dans les rues de Ouagadougou depuis le vendredi 30 septembre. Leurs cibles ? Le palais présidentiel et la France.
Si à cette heure il semble bien que les putschistes emmenés par le capitaine Ibrahim Traoré aient pris l’ascendant sur le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba – lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’État en janvier –, la France est sérieusement prise à partie par les nouveaux mutins depuis vendredi.
Guerre par procuration
Un mouvement violent aux racines et aux causes multiples, qui entre en résonance avec le projet russe de chasser et remplacer Paris dans son ancien pré carré. La stratégie suivie par Moscou fait écho au troisième chapitre des 36 Stratagèmes (1) : « Tuer un ennemi avec une épée d’emprunt. »
Ce principe a été appliqué à la lettre par les Russes, d’abord en Centrafrique à partir de 2018. Profitant de la lassitude et d’un manque de vigilance du Quai d’Orsay pour ce pays plongé dans une profonde et affreuse guerre civile depuis 2012, Moscou a ainsi envoyé des armes et des instructeurs à Bangui pour soutenir le président Touadéra, mis en difficulté par une multitude de groupes armés.
Dans les bagages de ces instructeurs se trouvaient les mercenaires de la société privée russe Wagner : une société qui très vite a pris la main sur le palais présidentiel et les forces armées centrafricaines en échange de concessions minières. Le déploiement de Wagner s’est accompagné d’une virulente campagne antifrançaise dans la presse et sur les réseaux sociaux centrafricains, ciblant Paris, les journalistes et les intérêts français dans le pays.
Résultat ? Dans cet ancien bastion de la France en Afrique, les Russes sont désormais chez eux. L’Élysée a même acté le rapatriement de ses 130 derniers soldats de sa base de M’Poko d’ici à la fin de l’année, comme l’a confirmé à La Croix une source militaire. Une décision historique, du jamais-vu depuis l’indépendance de la RCA, prise tout juste neuf ans après le déclenchement de l’opération Sangaris, l’intervention française décidée par François Hollande en décembre 2013.
Messages abracadabrantesques
Ce scénario s’est reproduit dans un autre pays fragilisé par une grave crise sécuritaire et par un régime incapable d’y faire face, le Mali. Après avoir renversé le président démocratiquement élu, le francophile Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020, la junte au pouvoir s’est divisée entre les partisans de la collaboration avec les Occidentaux – la France et l’Union européenne en premier lieu – et ceux qui voulaient s’en affranchir. Ces derniers ont pris la main lors d’un deuxième coup d’État, le 24 mai 2021, adoptant vis-à-vis de Paris une attitude agressive, aidés en cela par les discours peu aimables à leur égard du président Emmanuel Macron, de la ministre des armées Florence Parly et du ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Bamako s’est alors tout naturellement tourné vers ceux qui leur tendaient les bras, la Russie et la société Wagner. C’est ainsi que les premiers mercenaires et instructeurs russes se sont déployés dans ce pays dès la fin de l’année 2021. Une arrivée qui s’est accompagnée aussitôt d’une violente campagne antifrançaise sur les réseaux sociaux. « Des fermes à troll payées par les Russes nous attaquent en batterie», déplorait à la fin du mois de décembre 2021 une source à l’Élysée.
Assurées de la protection de Moscou – mais aussi de l’Algérie, de la Turquie et de la Chine, trois puissances peu favorables à la France sur le continent –, les autorités maliennes ont accusé les Français de tous les maux, allant jusqu’à affirmer qu’ils étaient les complices des groupes terroristes. Fausses informations, propagande, montages, les réseaux sociaux sont envahis de messages abracadabrantesques mettant en cause le rôle de la France dans le Sahel. Un discours qui a conduit Paris à rompre avec Bamako et à mettre un terme précipitamment à l’opération Barkhane au Mali en février 2022 : les derniers soldats français ont quitté le nord du pays le 15 août dernier.
Réponses de la France
Ayant pris tardivement conscience de cette guerre hybride dont elle est la cible, la France tente de riposter en prenant au sérieux la dimension « réseaux sociaux » de la stratégie russe (et de ses alliés). Non seulement elle prend en compte désormais la « guerre informationnelle », la guerre d’influence sur les réseaux et dans les médias, mais elle tente de renforcer ses liens avec les pays ciblés dans son ancien pré carré par la stratégie russe.
Parmi eux, le Niger, la pierre d’angle de la réarticulation de Barkhane au Sahel. Mais aussi le Cameroun, qui s’ouvre de plus en plus à la Russie, comme en témoigne la signature d’un accord de coopération militaire entre les deux pays le 12 avril dernier – soit près de deux mois après le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Une bascule qu’Emmanuel Macron a tenté de contrarier cet été en se rendant personnellement à Yaoundé.
(1) Célèbre traité chinois de stratégie consacré aux moyens de l’emporter sur un adversaire.
04/10/2022
Dr A. Boumezrag
https://lematindalgerie.com/algerie-des-mots-contre-des-maux-esprit-francais-es-tu-la/
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