Benjamin Brillaud, Stéphane Genêt et Nota Bene publient « Mais c'est un complot ! Conspirations, intrigues et coups fourrés dans l'Histoire » aux éditions Tallandier. Le public fantasme parfois sur l’idée d’une histoire dissimulée et qui révélerait bien des secrets si elle était exposée au grand jour. Les machinations politiques sont utiles à connaître pour déconstruire des discours en résonance avec notre époque. Extrait 2/2.
En 1962, le général de Gaulle est au pouvoir depuis quatre ans. Un mandat qui n’est pas de tout repos pour cette figure importante de la Seconde Guerre mondiale. Il reprend les rênes du pays en pleine crise algérienne. Rembobinons un peu cette histoire pour y voir plus clair.
Depuis 1954, une guerre a éclaté en Algérie alors un territoire français divisé en trois départements. Le Front de libération nationale (le FLN), des nationalistes qui veulent obtenir l’indépendance de l’Algérie, a commis des actes terroristes et surtout entamé la lutte armée contre les forces françaises. Les « pieds-noirs », c’est-à-dire les Européens vivant en Algérie, sont inquiets de la tournure des événements. Ils veulent maintenir l’Algérie française.
En 1956, à Paris, le socialiste Guy Mollet est élu sur un programme de paix en Algérie. Les pieds-noirs craignent l’abandon par le gouvernement Français. Quand le président du Conseil vient à Alger, il est accueilli par une pluie de tomates mûres ! Cela entraîne chez lui un changement complet de stratégie. En mars 1956, une loi établit « les pouvoirs spéciaux » et l’envoi du « contingent », c’est-à-dire les jeunes gens qui font leur service militaire. Quatre cent mille appelés sont envoyés de métropole en Algérie.
Si tous les Français sont désormais concernés ou touchés par cette guerre – chacun a un fils, un frère, un cousin, un voisin qui part en Algérie –, l’opinion publique se divise sur la légitimité de cette guerre. Militairement en tout cas, « la bataille d’Alger » est gagnée par l’armée française en mars 1957. Le FLN se replie à l’intérieur du pays et près des frontières tunisiennes et marocaines.
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L’armée française exerce alors une répression féroce dans les campagnes. Cette opération, appelée « la pacification », est un échec cuisant. La torture pratiquée par tous renforce la haine et la détermination des deux adversaires tandis que dans chaque camp, les divisions sont multiples.
Un décrochage progressif se fait entre l’Algérie et la métropole, où la guerre est impopulaire et pas toujours comprise. Les pieds-noirs font, quant à eux, de plus en plus confiance aux militaires et à leurs chefs envoyés en Algérie et de moins en moins au pouvoir politique de la IVe République. Or, un nouveau gouvernement doit se constituer à Paris en ce mois de mai 1958, autour de Pierre Pflimlin dont on pense qu’il va négocier avec les indépendantistes.
Le 13 mai 1958, à l’occasion d’un rassemblement en hommage à trois soldats tués par le FLN, une émeute éclate à Alger. La population réclame le retour du général de Gaulle au pouvoir. À l’époque, l’homme du 18 juin 1940 est retiré de la politique et, depuis sa coquette maison de Colombey-les-Deux-Églises, il enchaîne les parties de réussite. Une vraie vision de carte postale ! En réalité, les coulisses sont moins paisibles. Les partisans du Général s’activent pour qu’il reprenne les rênes du pouvoir. Et donc, cela passe par l’Algérie où certains de ses fidèles, comme Jacques Soustelle, ont soufflé depuis plusieurs semaines son nom aux partisans de l’Algérie française. À leurs yeux, de Gaulle est le dernier espoir, l’homme qui saura résister au Front de libération national algérien (FLN) comme il a su le faire avec l’Allemagne nazie.
À la suite de l’émeute du 13 mai 1958, un comité de salut public est institué à Alger. Le lendemain, le général Salan fait un discours à la foule réunie sur le forum. Il se termine par la phrase : « Vive de Gaulle ! »
Après la démission de Pierre Pflimlin, pourtant tout juste nommé chef du gouvernement, des négociations au plus haut niveau et un bon coup de pression de l’armée, le général de Gaulle devient donc le dernier président du Conseil de la IVe République. L’Assemblée nationale lui vote les pleins pouvoirs pour changer la constitution. Il met en place un nouveau régime, la Ve République, dont il devient le premier président.
Et l’Algérie dans tout ça ? De Gaulle vient à Alger en juin 1958 et, du haut du balcon du gouvernement général, il lance à la foule son célèbre : « Je vous ai compris. » Une astuce diplomatique maligne vu le contexte ! Tout le monde pense qu’il a été enfin compris : les pieds-noirs qui veulent maintenir l’Algérie française, l’armée qui considère qu’il y a un chef qui va la porter à la victoire, les métropolitains qui se lassent de cette guerre et même les nationalistes algériens qui imaginent des négociations.
Mais pour le général de Gaulle, rapidement, la chose est entendue : il faut arrêter cette guerre qui n’est pas populaire en métropole, pas gagnable politiquement et, surtout, qui place la France au banc des accusés. La guerre d’Algérie est en effet un obstacle à l’action qu’il veut mener, notamment la politique de grandeur. Dès 1959, il propose donc un référendum d’autodétermination pour l’Algérie.
Pour les pieds-noirs qui l’ont porté au pouvoir, c’est une trahison ! Une tentative insurrectionnelle a lieu à Alger en janvier 1960, organisée par les partisans de l’Algérie française : c’est la « semaine des barricades » doublée d’une grève générale. La reprise en main finit par 22 morts et 150 blessés.
Le référendum est finalement organisé le 8 janvier 1961. Il approuve à 75 % la politique gaullienne. Les négociations pour l’indépendance s’ouvrent alors. Mais cette annonce provoque « un putsch des généraux », Raoul Salan, Maurice Challe, André Zeller, Edmond Jouhaud, à Alger le 22 avril 1961. Ces généraux, qui considèrent que la guerre a été gagnée sur le champ de bataille, ce qui est globalement exact, ne comprennent pas ce qu’ils considèrent être un abandon politique.
Face à ce coup d’État, de Gaulle reçoit le soutien d’une très grande partie de l’armée, de l’opinion publique internationale et de la métropole. Il reprend le contrôle de la situation. Avec son habit de général pour rappeler qu’il est chef des armées, il fait un discours célèbre retransmis à la radio et à la télévision. Il y dénonce le « quarteron de généraux en retraite », « un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques qui tente d’établir un pouvoir insurrectionnel ».
Les putschistes, lâchés par la majorité de l’armée en Algérie et sans projet politique précis, sont finalement arrêtés.
En février, les jusqu’au-boutistes ont créé de leur côté l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Elle se montre très violente, frappant aussi bien les musulmans d’Algérie que les structures de l’État en Algérie et en métropole. Les attentats terroristes se multiplient. L’objectif de l’OAS est simple à défaut d’être réaliste : conserver l’Algérie française et donc torpiller les négociations pour empêcher l’indépendance algérienne. Leur obsession : tuer de Gaulle, celui qui les a trahis ! Le général Salan, l’un des quatre généraux du putsch de 1961, prend la tête de l’organisation.
Un premier attentat à la bombe, mené à Pont-surSeine, échoue le 8 septembre 1961. Le mur de flammes qui s’est créé à la suite de l’explosion d’un cocktail de dynamite, de plastic, d’huile et d’essence n’arrête pas la DS présidentielle. Son chauffeur, Francis Marroux, a même la présence d’esprit d’accélérer afin d’éviter une éventuelle rafale de mitraillette.
Le 19 mars 1962, les accords d’Évian mettent fin à la guerre d’Algérie qui devient indépendante en juillet. Et pourtant, malgré sa cause perdue, l’OAS ne désarme pas et sombre, au contraire, dans la violence aveugle. Elle déclenche « l’apocalypse » en Algérie et en métropole en posant des bombes dans les lieux publics.
L’opération « Charlotte Corday », alias l’assassinat de De Gaulle, est aussi décidée le 22 août 1962. Une embuscade est organisée au carrefour dit du Petit-Clamart. Le lieu est stratégique : le convoi du président doit y passer pour aller à l’aérodrome de Villacoublay. À la manœuvre, un ingénieur militaire et lieutenant-colonel d’aviation, Jean Bastien-Thiry.
C’est un homme brillant, l’inventeur de deux missiles utilisés par plusieurs armées. Il jouit d’une notoriété internationale dans son domaine d’expertise. Il est surtout l’organisateur de l’opération, tout de même la septième tentative contre le président en un mois ! À ses yeux, de Gaulle est un traître qui ne sert, consciemment ou pas, que les intérêts soviétiques. D’ailleurs, la politique du Général, en donnant l’indépendance à l’Algérie, va livrer selon Bastien-Thiry ce territoire puis toute l’Afrique au communisme. Fervent partisan de l’Algérie française, il considère la perte de cette colonie comme plus grave encore que celle de l’Alsace-Lorraine en 1870. En résumé, c’est une politique barbare, un crime contre l’humanité qu’il faut absolument empêcher. Cela passe donc par la mort brutale de celui qui est en train de livrer ce territoire. Pour cela, l’OAS ne va pas au Petit-Clamart en chaussettes, c’est peu de le dire. Un commando de treize hommes, lourdement armés, se positionne en deux groupes le long de la nationale 306, près du carrefour.
Le 22 août, à 19 h 45, le convoi présidentiel – la DS 19, une voiture de sécurité et deux motards – quitte l’Élysée. Le Général voyage avec son épouse et son aide de camp Alain de Boissieu, qui est aussi son gendre. C’est de nouveau le gendarme Francis Marroux qui conduit la voiture présidentielle. À 20 h 20, elle arrive au carrefour du Petit-Clamart. La route est dégagée à l’exception d’une estafette jaune sur le bas-côté. Bastien-Thiry donne alors le signal en levant un journal. Aussitôt, les fusilsmitrailleurs se font entendre et la voiture présidentielle prend les premiers tirs.
Le gendre du Général lui crie « À terre, père ! » mais de Gaulle ne bouge pas. Alain de Boissieu ordonne au chauffeur de foncer. Deux pneus sont crevés. Une seconde voiture les prend alors en chasse et les occupants leur tirent dessus à plusieurs reprises. À nouveau, le gendre du Général lui hurle, poliment mais suffisamment fort pour que cette fois-ci, de Gaulle lui obéisse : « Mon père, je vous prie, baissez-vous ! » Le général et son épouse se couchent sur la banquette. Une balle pulvérise alors la fenêtre arrière de la DS, à l’emplacement exact de la tête de De Gaulle une seconde auparavant.
La DS présidentielle roule désormais sur les jantes.
En tout, 187 balles sont tirées. De nombreux commerces sont touchés, des vitres sont brisées ainsi que des écrans chez un marchand de radio-télévision. C’est un miracle : il n’y a qu’un seul blessé, un automobiliste qui passait en face avec sa famille. Une balle lui a éraflé le doigt.
Le chauffeur présidentiel, qui a fait des pointes de vitesse et surtout conservé son sang-froid, arrive finalement à Villacoublay. Malgré les huit impacts sur la DS dont trois ont traversé l’habitacle, le général de Gaulle, ainsi que tous les membres de l’escorte, sont indemnes. Impassible, le président sort alors de la voiture et annonce calmement : « Cette fois, c’était tangent. » « J’espère que les poulets n’ont rien eu », s’inquiète Yvonne de Gaulle, remise de son émotion. On la rassure, l’escorte des motards est indemne. Mais la Première dame parle de volailles achetées chez Fauchon le matin même en prévision d’un déjeuner avec les Pompidou et qui étaient stockées dans le coffre ! Le général de Gaulle admire le courage de sa femme. « Vous êtes brave Yvonne », la félicite-t-il. Le soir, il appelle son Premier ministre Georges Pompidou et lui dit : « Ils tirent comme des cochons. »
Si l’Histoire peut tempérer certains traits du général de Gaulle, on ne lui retirera jamais qu’il avait le sens de la formule.
L’enquête est rapide, facilitée par le hasard et les imprudences des conjurés. Deux membres du commando sont ainsi arrêtés au petit bonheur la chance à la suite d’un banal contrôle routier de la gendarmerie de Tain-l’Hermitage. Interrogé, l’un des deux avoue et donne la liste des autres conjurés de sa connaissance. Les arrestations s’enchaînent et on en retrouve même certains avec leurs armes. Au cas où on aurait eu le moindre doute sur leur culpabilité… Ils préparaient pour certains une nouvelle opération contre de Gaulle.
Jean Bastien-Thiry lui-même est finalement arrêté le 17 septembre. Condamné par un tribunal d’exception à la peine capitale, il est fusillé en mars 1963. Il est d’ailleurs le dernier fusillé de l’histoire de France. Deux de ses complices aussi condamnés à mort bénéficient quant à eux de la grâce du Général.
Les conjurés n’ont jamais exprimé de remords sur leur acte.
En 2012, soixante ans après les faits, Lajos Marton, l’un des membres du commando de l’OAS, déclare encore : « Je n’ai jamais regretté d’avoir participé à l’attentat du Petit-Clamart pour tuer de Gaulle. Mon seul regret, c’est que l’opération n’ait pas réussi. » Parti en clandestinité, Marton avait été condamné à mort par contumace en mars 1963. Il est arrêté en septembre de la même année. Sa peine est commuée à vingt ans de réclusion criminelle et il est amnistié en 1968.
Cette tentative ratée a une conséquence politique inattendue puisqu’elle permet à de Gaulle, en profitant de l’émotion générale, de changer la constitution pour faire élire le président au suffrage universel. Comme il a pu le dire au sujet de cet attentat : « Il tombe à pic ! »
Non seulement Bastien-Thiry n’a pas abattu le Général, mais il a, paradoxalement, renforcé son pouvoir.
Le 28 septembre 1962, le référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct est approuvé par les Français avec 82 % de oui. Trois ans plus tard, lors de la première élection présidentielle, le général de Gaulle est réélu.
Extrait du livre de Benjamin Brillaud, Stéphane Genêt et Nota Bene, « Mais c'est un complot ! Conspirations, intrigues et coups fourrés dans l'Histoire », publié aux éditions Tallandier
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, Benjamin Brillaud anime
18 09 2022
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