Dans À cause du soleil, la dramaturge Evelyne de la Chenelière rend hommage à Albert Camus — un écrivain qui a marqué sa jeunesse — avec un texte fort où sa voix se mêle habilement à celle du Prix Nobel 1957 de littérature. D’un point de vue théâtral, toutefois, le spectacle ne convainc qu’à moitié.
L’étranger, l’une des œuvres les plus célèbres de Camus et de la littérature française en entier, est au cœur de la pièce présentée au Théâtre Denise-Pelletier. On y rencontre Meursault, cet homme accusé d’avoir tué un Arabe sur une plage d’Alger et qui n’a pour seule explication à son geste que le soleil de plomb de cette funeste journée. Or, la dramaturge a superposé à cette histoire celle de Medi, immigré algérien vivant à Montréal, qui refuse d’entendre l’appel à l’aide d’une femme coincée dans sa voiture en pleine tempête hivernale.
Comment justifier leurs gestes ? Meursault invoque le soleil ; Medi, la neige. Et Evelyne de la Chenelière réussit à tisser une toile solide entre ces deux hommes qui traversent l’existence sans trop savoir ce qui les anime, étranger en eux-mêmes et dans une société qui se méfie de ceux qui parlent peu et agissent encore moins.
Pour transposer sur scène ce texte aux indéniables qualités littéraires, le metteur en scène Florent Siaud a choisi d’abattre le quatrième mur, plaçant les spectateurs dans la position délicate du juge, soit de celui qui doit déterminer si Meursault et son alter ego sont coupables ou non.
Les interprètes font face au public pour livrer leur texte, et ce, à plusieurs reprises pendant le spectacle. Or, le procédé finit par perdre de son efficacité. Les interactions entre les protagonistes sont gardées au strict minimum. Medi (Mustapha Aramis) et Meursault (Maxim Gaudette) racontent ce qu’ils font, mais leurs corps sont figés, leurs visages restent de marbre. Ils décrivent le monde qui les entoure en y mettant rarement le pied. Ces deux-là sont des pantins ballottés par le destin (ou le hasard, à chacun de choisir !). Pas de doute, Evelyne de la Chenelière a bien su capter l’essence de Camus pour imaginer un Medi dont l’existence reste vide de sens.
Fidèle à Camus
À ce chapitre, la pièce est exemplaire : tous les concepts chers à Camus trouvent leur chemin jusqu’aux planches. Malheureusement, on sort de ce spectacle plutôt statique la tête pleine de mots justes et beaux, mais sans être véritablement touché par ce qui se déroule sur scène. Les créateurs n’ont pas voulu dicter les émotions à ressentir ou une quelconque conclusion à tirer. Résultat : l’ensemble reste froid, du moins pour celui qui veut être pris par le cœur.
Seule exception et elle est notable : lorsque l’Arabe assassiné par Meursault (imposant Sabri Attalah) prend la parole. Dans le roman L’étranger, il n’avait pas même un prénom. Ici, il a une voix, un corps, une âme. On lui devine une famille et des gens qui le pleurent.
On lui imagine une vie qui était sans doute moins absurde que sa mort.
Les commentaires récents