L’avalanche irréfléchie d’armes et d’argent au gouvernement Zelensky ne fait que prolonger le conflit, dévaster l’Ukraine et mener l’Europe et le reste du monde à la catastrophe.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’exprime après sa rencontre avec le Premier ministre irlandais à Kyiv le 6 juillet 2022 (AFP)
Les études universitaires sur la propagande, les intellectuels dissidents comme Noam Chomsky et Michael Parenti, et l’Histoire elle-même (Première Guerre mondiale, première guerre du Golfe, invasion de l’Irak, etc.) ont montré à quelle vitesse nos systèmes d’information peuvent se transformer en gigantesques machines de propagande dès que les États entrent en guerre.
Pris dans la guerre russo-ukrainienne, l’OTAN et l’Union européenne offrent un parfait exemple de ce type de « communication de guerre ». En matière de censure, de désinformation et de propagande, on assiste à la répétition de ce qui s’est passé lors de la guerre du Golfe et de l’invasion de l’Irak en 2003.
Partout, à de rares exceptions près surtout en France, les seules voix autorisées sont celles de la « ligne officielle du parti » : porte-paroles de l’OTAN, inévitables officiers retraités reconvertis dans le juteux business du « conseil en sécurité », « experts » en géopolitique (mais uniquement ceux qui s’en tiennent au scénario prescrit et dont on sait d’avance qu’ils diront ce que l’on attend d’eux), opposants politiques russes, députés ukrainiens et autres alliés du président Volodymyr Zelensky, lui-même objet d’un culte de la personnalité insensé.
La vénération voire la mythification du président ukrainien, qui a atteint des niveaux absurdes, s’explique en partie par la détestation compréhensible de l’agresseur Vladimir Poutine et par les talents d’acteur de Zelensky, un comédien professionnel qui a habilement saisi le moment pour changer radicalement d’image et se réincarner médiatiquement comme un symbole de résistance, de liberté et de démocratie – le camp du Bien contre le « Mal absolu » incarné par Poutine, une sorte de croisement entre Che Guevara et Rambo.
Mais ce culte irréfléchi s’explique aussi par une faute logique, à savoir le sophisme selon lequel si Poutine est le super-vilain et qu’il attaque Zelensky, alors ce dernier est forcément le bon et noble héros qui mérite notre soutien inconditionnel. En d’autres termes, l’ennemi de mon ennemi est mon ami.
Cependant, si Poutine est bien le méchant et l’Ukraine un pays attaqué, cela ne fait pas automatiquement de son adversaire un saint devant qui tous, gouvernements et opinions publiques, devraient se prosterner comme cela est le cas.
Démystifier Zelensky
Car qui est vraiment Volodymyr Zelensky ? En un mot, c’est un démagogue populiste et un manipulateur ; un politicien corrompu et kleptocratique ; et un autocrate à la tête d’un régime que l’on peut qualifier de proto-fasciste, sans pour autant endosser le pathétique alibi de Poutine d’une Ukraine « nazifiée ».
Avec son slogan démagogique (« le peuple contre les élites »), son programme électoral rudimentaire, ses fausses promesses de lutte contre la corruption oubliées dès son élection et ses penchants autoritaires brutaux, Zelensky est un parfait exemple de populisme occidental, à des années lumières de son image médiatique soigneusement travaillée.
Si Poutine est bien le méchant et l’Ukraine un pays attaqué, cela ne fait pas automatiquement de son adversaire un saint devant qui tous, gouvernements et opinions publiques, devraient se prosterner comme cela est le cas
Pas plus tard que l’année dernière, les Pandora Papers révélaient comment lui et son entourage proche bénéficiaient d’un réseau de sociétés offshore et parlaient même d’ « économie parallèle ». Depuis l’invasion russe, tous semblent avoir commodément « oublié » ces faits.
Selon l’indice de corruption de Transparency International, l’Ukraine sous Zelensky obtient un score de 32 sur 100, sur une échelle où 0 signifie très corrompu et 100 signifie très propre. L’Ukraine est ainsi le second pays le plus corrompu de tout le continent européen, ironiquement juste après la Russie, et à égalité avec des pays ravagés par la corruption ailleurs dans le monde comme la Zambie, l’Algérie et l’Égypte.
Et c’était le cas avant même que ce pays, qui ne compte désormais plus que 34 millions d’habitants après la fuite à l’étranger de plus de 9 millions d’Ukrainiens en cinq mois de guerre, ne devienne une gigantesque pompe à milliards occidentaux.
Quant à la cote d’approbation de Zelensky, elle était en chute libre juste avant que la guerre n’éclate, étant passée de 78 % à 22 % avant l’invasion russe, 54,5 % des électeurs ukrainiens se disant même opposés à sa candidature à un second mandat.
Zelensky a ainsi été littéralement sauvé par l’invasion de Poutine, qui s’est révélée être un véritable miracle pour lui et son entourage d’amis d’enfance et partenaires en affaires promus aux plus haut postes.
Le régime de Kyiv présente également un nombre croissant de caractéristiques proto-fascistes : culte de la personnalité faisant du chef de l’État une figure vénérée et intouchable ; militarisation de la société même avant la guerre ; saturation des espaces médiatiques et culturels par la propagande de guerre ; mise en scène constante d’un machisme guerrier (en mode selfies) tout aussi grossier que celui de Poutine ; corruption systémique ; et, bien sûr, intégration dans l’armée régulière ukrainienne de groupes néo-nazis dont le régiment Azov n’est que le plus connu.
Propagande de guerre
Il est profondément ironique qu’avant l’invasion russe, les médias occidentaux reconnaissaient la réalité de ce problème, dont ils nous avaient eux-mêmes informés. Mais dès le début de la guerre, le problème a disparu comme par magie.
Dès le 24 février, ces groupes qui en Ukraine tenaient le haut du pavé ont été blanchis à la chaux pour être désormais présentés et glorifiés par ces mêmes médias comme des « combattants de la liberté », des résistants héroïques.
Quiconque soulève aujourd’hui la question est immédiatement accusé de diffuser la propagande de Poutine sur « l’Ukraine nazie » voire d’être un agent du Kremlin.
Encore plus choquant mais également typique de ces revirements orwelliens propres à la propagande de guerre est la censure systématique par les grands médias occidentaux de toute information susceptible de saper le culte de Zelensky
Encore plus choquant mais également typique de ces revirements orwelliens propres à la propagande de guerre est la censure systématique par les grands médias occidentaux de toute information susceptible de saper le culte de Zelensky et le soutien inconditionnel au régime de Kyiv.
D’ailleurs, dans un décret présidentiel de mars 2022, le président ukrainien a carrément décapité son opposition politique en suspendant toutes les activités de pas moins onze partis politiques à la fois, tous d’opposition.
L’invasion russe est depuis le début utilisée le plus cyniquement du monde comme l’excuse commode et toute trouvée pour réprimer l’opposition via de fausses accusations de « collaboration avec l’ennemi », la meilleure preuve étant le fait que même des partis s’opposant violemment à l’invasion russe et appelant les Ukrainiens à prendre les armes pour résister aux forces russes se sont trouvés bannis par ce décret.
Dans la même ligne, Zelensky a également invoqué la guerre pour éliminer la liberté des médias en fusionnant et en nationalisant les chaînes de télévision ukrainiennes en une seule plateforme d’information appelée « United News » – et entièrement dédiée à sa propagande.
Il devrait de plus être clair que le régime de Zelensky est contrôlé par les plus bellicistes et extrémistes des va-t-en-guerre, ukrainiens et étrangers, à commencer par le président américain Joe Biden qui s’efforce d’écarter toute discussion sur de possibles négociations diplomatiques.
Zelensky lui-même, étourdi par le culte insensé de la personnalité dont il est l’objet et par son pouvoir désormais absolutisé, est ainsi encouragé dans l’illusion qu’il peut « gagner » militairement – sans même définir ce que pourrait signifier « victoire » dans cette situation, et encore moins ce qu’il en coûterait à son peuple.
Bien qu’initialement disposé à négocier et à faire des compromis, il s’est depuis aligné sur ses faucons de guerre et ultranationalistes les plus extrémistes, dont aucun, malgré leurs beaux et faux discours, ne se soucie du reste de l’Europe, qu’ils considèrent simplement comme une entité à exploiter pour toujours plus d’armes et d’argent, et qu’ils auraient volontiers déjà entraîné dans une guerre directe avec la Russie, puissance nucléaire, s’ils avaient pu.
L’Ukraine a évidemment le droit de résister à l’agression russe, mais l’Europe a tout autant le droit de résister à la pression ukrainienne visant à l’entraîner dans une confrontation frontale avec la Russie, ou dans le meilleur des cas à la garder engluée toute entière dans un bourbier sanglant pendant des années.
Désastreuse escalade
Au lieu de s’enhardir dans une catastrophique escalade guerrière qui dévaste sa propre population et son pays, Zelensky devrait plutôt être poussé vers la table des négociations. Pour son propre bien, celui de son peuple qui souffre, et le bien du monde, qui subit maintenant une série de revers désastreux à tous les niveaux : inflation, pénuries d’énergie et de nourriture, complexe militaro-industriel extatique à l’idée de voir des milliards de dollars venir gonfler ses poches pour les années à venir, etc.
D’autant qu’un plan de paix que mêmes les États-Unis ont jugé raisonnable et équilibré est sur la table depuis des semaines.
En outre, l’invasion russe a davantage fracturé en trois blocs « l’ordre mondial » de l’après-guerre, dit « libéral » et jusque-là dirigé par les États-Unis.
Cet ordre mondial, en piteux état, est désormais un champ de bataille entre d’une part une Amérique redevenue sous Biden et après le moment isolationniste trumpien de plus en plus belliciste, arrogante et impérialiste, n’hésitant pas à instrumentaliser de la façon la plus hégémonique et intéressée les grandes institutions internationales et mondiales comme l’OTAN et le G7, et d’autre part un bloc anti-occidental axé sur l’alliance Chine-Russie, désormais toutes deux officiellement désignées comme les principales menaces existentielles géopolitiques de l’Occident.
Entre les deux, on trouve un troisième bloc, numériquement le plus important, composé des pays non alignés.
Il est important de noter ici deux autres faits majeurs : ces deux derniers blocs comprennent la grande majorité des États et de la population mondiale ; et malgré son triomphalisme dû à son unité retrouvée (pour le moment) face à la Russie, l’Occident n’a pas réussi à entraîner le reste du monde dans sa guerre contre la Chine et la Russie.
Un Moyen-Orient non aligné
Ainsi, bien qu’ils aient largement condamné l’invasion russe et votent de plus en plus avec l’Occident à l’ONU, appelant cependant non pas à la poursuite de la guerre mais à une solution pacifique négociée, la quasi-totalité – à l’exception de la Syrie – des pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), mais aussi la majorité des pays du monde, visent en fin de compte à rester neutres et poursuivre voire accroître leurs relations avec toutes les parties en conflit, Russie, Chine, États-Unis et Union européenne y compris.
Compte tenu de leur forte dépendance vis-à-vis de toutes les parties antagonistes pour leur approvisionnement alimentaire et énergétique ainsi que pour leur sécurité nationale, ces pays savent qu’ils n’ont rien à gagner mais beaucoup à perdre d’une implication directe dans ce conflit.
Ils s’efforcent donc depuis le début de la guerre de conserver une saine équidistance sans s’aliéner personne – un difficile exercice d’équilibriste qui peut les exposer aux accusations de trahison pour avoir par exemple refusé de suivre le régime de sanctions occidentales.
En un mot, à l’injonction de style 11 septembre « Vous êtes avec nous ou contre nous », la région MENA a jusqu’à présent répondu : « Nous ne sommes avec personne – ou plutôt, nous sommes avec vous tous ». Mais aussi : « l’ennemi de mon ami n’est pas forcément mon ennemi ».
Ce refus de s’impliquer directement dans un conflit perçu comme étranger, occidental et lointain se reflète clairement dans les sondages d’opinion. Malgré les efforts américains pour enrôler les régimes du Moyen-Orient, un sondage auprès des citoyens de la région a révélé que les deux tiers n’avaient « aucune position » sur la guerre, tandis qu’une minorité se répartit presque également entre le soutien à la Russie (16 %) et à l’Ukraine (18 %). L’Ukraine n’est tout simplement pas leur guerre.
En fait, beaucoup refusent activement de se ranger du côté de l’Ukraine et de l’Occident contre la Russie pour un certain nombre de raisons, comme l’hypocrisie occidentale sur les principes invoqués de non-agression et de respect de la souveraineté territoriale (l’Irak, la Libye et l’Afghanistan ont clairement laissé des traces) ; les deux poids, deux mesures racistes concernant le traitement des réfugiés et demandeurs d’asile ; et une méfiance généralisée à l’égard de l’Occident.
Vu l’atmosphère actuelle, dominée par les émotions plus que la raison et par les pires des faucons de guerre dans tous les camps, ce nouveau non-alignement – à ne pas confondre avec de l’apathie et encore moins avec une quelconque « trahison » – est énormément rafraîchissant et sage.
Il signale de la part et des gouvernements et des opinions publiques, pour une fois unies, une bonne compréhension des intérêts de leurs nations, une détermination à les prioriser face aux pressions occidentales, et une volonté résolue d’indépendance vis-à-vis des deux autres blocs hégémoniques.
- Alain Gabon est professeur des universités américaines et maître de conférence en « French Studies » à l’université Wesleyenne de Virginie (Virginia Beach, États-Unis). Spécialiste du XXe siècle, il a écrit de nombreux articles sur, entre autres sujets, l’islam et les musulmans en France et dans le monde, pour des médias grands publics et alternatifs ainsi que des revues universitaires.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par l’auteur.
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