Environ 90 000 soldats coloniaux originaires du Maghreb avaient été fait prisonniers lors de l’invasion de la France par l’Allemagne nazie en juin 1940. Une dizaine de milliers d’entre eux ont pu s’évader, par leur propre initiative ou avec l’aide de deux puissants réseaux d’entraide dirigés sur le sol français par des compatriotes basés à Bordeaux et à Lyon.
Un article d’Olivier Toscer
fficiellement, Mohamed Taleb est un placide boucher installé depuis les années 30 à Bordeaux. En réalité cet ancien maréchal des logis au 2e Spahis algériens pendant la guerre 14-18 né dans la commune de Marnia en Algérie est un résistant de la Première heure. Un « indigène » comme on appelait les Nord-Africains à l’époque, entré dans la résistance dès juillet 1940 dans le réseau dit du « musée de l’homme » de Germaine Tillon.
Celle-ci témoignera d’ailleurs après la guerre sur le rôle très précis de ce commerçant discret au début de l’Occupation: « Mohamed Taleb a crée un centre d’accueil où étaient cachés des clandestins : agents de la résistance, prisonniers de guerre évadés, réfractaires, en liaison avec notre organisation. Il les hébergeait, les munissait de pièces d’identités et les guidait de façon à rejoindre les forces françaises libres à Alger ».
Des Français « de race inférieure »
Après un coup de filet de la Gestapo ayant décapité le réseau du Musée de l’homme à Paris en 1942, Taleb rejoint l’ORA, l’Organisation de Résistance de l’Armée, formés par d’anciens militaires ayant tourné le dos à Vichy lors de l’invasion de la zone sud par les Allemands. Taleb continue donc de gérer son « officine clandestine » comme il l’écrira lui-même après la guerre dans son dossier militaire, archivé aujourd’hui au Fort de Vincennes. Il évalue à « plusieurs centaines de prisonniers évadés français et nord-africains », le nombre de personnes qu’il a aidé à rallier l’Afrique du Nord et l’Angleterre.
Ils sont effectivement nombreux à avoir besoin d’aide. Sur le million et demi de soldat français fait prisonniers en 1940, figurent en effet 60 000 Algériens, 18 000 Marocains et 12 000 Tunisiens. La grande majorité d’entre eux sont détenus sur le sol français. Les nazis ne souhaitaient pas que ceux qu’ils voient à travers leur prisme racial comme des individus de « race inférieure » soient accueillis sur le sol du Reich, fusse dans des camps.
Tentatives d’évasion mortelles
Quelque vingt-deux frontstalags sont mis en place sur le territoire français pour les regrouper. S’en évader relève du sport à hauts risques, souvent mortel.
Le soldat 2ème classe Ben Hadda-Djilloul, né dans le département d’Alger en 1907 avant d’intégrer le 17ème régiment de Tirailleurs algériens, l’a tristement expérimenté. Fait prisonnier à Troyes le 15 juin 1940, il avait été transféré comme travailleur forcé dans les Landes où il était affecté à un chantier forestier. C’est là, le 28 juin 1942 sur la route de Sabres près de Mont-et-Marsan que le tirailleur algérien trouve la mort, fusillé par les Allemands pour tentative d’évasion, comme 35 autres prisonniers de guerre lors de l’Occupation dans le département.
Tahar Bouretata, 30 ans, soldat du 31ème régiment de Tirailleurs algériens, fait prisonnier à Melun en juin 1940 était lui détenu dans un Frontstalag près de Luçon (Vendée). On retrouve son corps, sans vie, en octobre 1940, dans un fossé longeant la ligne SNCF Paris-Bordeaux, sur la commune de Maillé (Indre-et-Loire). Bouretata avait été abattu par les Allemands alors qu’il cherchait à gagner Paris.
Des filières d’évasion efficaces
Si les évasions individuelles sont souvent vouées à l’échec, les filières organisées s’avèrent plus efficaces. Le réseau d’évasion Taleb fonctionne à plein dans le Sud-Ouest. Au même moment, dans la région lyonnaise, un autre immigré algérien à lui aussi mis sur pied une organisation similaire. Commerçant dans la ville qui est devenu la capitale de la Résistance, Djaafar Khemdoudi, un jeune algérien de 25 ans né à Aumale (aujourd’hui Sour-al-Ghozlane) a en effet été recruté par l’Armée Secrète, la résistance gaulliste, dès juin 1942, avec comme directive de se faire embaucher comme interprète au Service du Travail Obligatoire. La mission de cet agent double au service de la Résistance, il l’a résumé lui même dans son dossier de FFI rédigé à la Libération. Il s’agissait de « faire échec aux activités allemandes en faisant de faux de contrats de travail, de fausses attestations et du camouflage de travailleurs pour les diriger vers les maquis de Haute Savoie et d’Ardèche ».
Djaafar Khemdoudi poursuivra sa mission au sein de la Résistance pendant deux ans avant d’être démasqué par la Gestapo de Klaus Barbie et d’être envoyé en déportation dans les camps de Neuengemme d’abord puis de Ravensbrück ensuite. Revenu de déportation vivant mais invalide à 100 %, Djaafar Khemdoudi, l’agent de la Résistance à Lyon sera élevé au grade de Croix de guerre avec palme par le président Coty, dix ans plus tard.
Quand Khemdoudi est déporté, Mohamed Taleb est lui déjà tombé depuis un an. Arrêté par la Gestapo, il a été déporté à Buchenwald en juin 1943. Mais son réseau va lui survivre encore un an.
Une Histoire à écrire
Un autre Algérien, Abdelkader Mesli, un imam envoyé à Bordeaux par la Mosquée de Paris pour s’occuper des prisonniers de guerre musulmans incarcérés dans les Frontstalags du Sud-Ouest lui a succédé dans la délicate tâche de préparer les évasions de soldats coloniaux. L’imam Mesli va prendre tous les risques avant de tomber dans un traquenard, le 5 juillet 1944. Ce jour-là, il est arrêté dans un restaurant bordelais par la Gestapo. Il apprendra vite qu’il a été dénoncé par des co-religionnaires au service des Allemands dont un certain Ahmed Bioud.
Ancien instituteur avant guerre, devenu le dirigeant de Lisan Al Asir (la voix du prisonnier), un journal en langue arabe édité par la propagande allemande à destination des prisonniers de guerre, Bioud était un indicateur zélé de la Gestapo bordelaise.
L’imam Mesli est incarcéré au Fort du Hâ, torturé pendant plus d’un mois. « Mesli ne fit, malgré plusieurs interrogatoires, aucune révélation, permettant ainsi à son groupe de continuer la mission », témoignera après la guerre, « Marguerite » alias Joseph Georges Gourg, un ancien capitaine d’infanterie de la Coloniale devenu un de ses référents dans la Résistance.
Mesli est finalement déporté le 9 août dans l’un des derniers convois pour l’Allemagne, le tristement célèbre «train fantôme» qui mettra 57 jours pour rallier l’Allemagne en slalomant entre les bombardements alliés avant d’arriver à Dachau. « La conduite de Mesli fut en tout point honorable et digne d’éloge », témoignera le docteur François Wetterwald, un médecin résistant qui fût compagnon de détention. L’imam Mesli survécut lui aussi au camp. Abdelkhader Mesli reprend lui, ses fonctions d’Imam à la Mosquée de Paris. Mais très affaibli, il décèdera en 196, à l’âge de 59 ans.
Modeste et discret, il n’a jamais tenté de faire valoir son rôle dans les évasions massives de prisonniers de guerre Nord-Africain. Son histoire, comme celle des ses collègues Taleb et Khemdoudi reste à écrire.
https://mondafrique.com/ces-heros-maghrebins-oublies-volet-2-les-filieres-devasion-algeriennes/
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