Dans le cadre d’une saison organisée autour de la commémoration des 60 ans de l’indépendance algérienne, l’Institut du Monde Arabe (IMA) présente Son œil dans ma main, une exposition de photos de Raymond Depardon accompagnée de textes peu convaincants de l’écrivain Kamel Daoud, qui cherche à présenter de l’Algérie d’aujourd’hui un visage étonnamment optimiste et dans une langue ampoulée.
Une chronique de Christian Labrande
Installée dans deux espaces, l’exposition présente 80 photos de Depardon et cinq textes inédits de Kamel Daoud. Dans les salles réhaussées d’un dégradé de bleu évocateur de la Méditerranée, au fil d’une scénographie qui facilite le passage entre images et texte, le visiteur navigue entre les grands textes suspendus comme des installations et ménageant une transparence qui permet de deviner les photos à travers. Textes et photographies sont encadrés à l’identique pour en souligner l’égale importance.
Alger en état de choc en 1961
Tout commence en 1961, Depardon , jeune photographe, est envoyé en Algérie « A l’époque, aucun photographe ne voulait y aller, raconte-t-il, ils avaient déjà couvert les barricades, le discours d’ Alger du Général de Gaulle , le putsch d’Alger . Plus personne non plus ne voulait publier ces photos. On est juste après le référendum , la période est terriblement douloureuse pour tous et l’atmosphère terriblement tendue entre la France et l’Algérie ».
Malgré ce climat pesant le jeune photographe débarque à Alger muni d’un Leica « pour aller vite » et d’un Contax avec téléobjectif. Les choses se passent mal Il se fait détruire un de ses appareils et doit se réfugier dans une chambre d’hôtel pour saisir des scène d’’émeute de rue au téléobjectif. Une couverture particulièrement périlleuse de ce que l’on appelait encore « les événements : « On craignait les attentats, les gens ne voulaient pas se faire photographier, on n’avait pas la possibilité de dialoguer, ni avec les Algériens, ni avec les Européens qui allaient repartir » rappelle Depardon.
Néanmoins, dans ce contexte chaotique, il a l’occasion de réaliser, avec d’infinies précautions, des dizaines de scènes de la vie algéroise en état de choc., qui constituent le fleuron de cette belle exposition.
Depardon et les accords d’Evian
Une autre série de photos exposés sur le cimaises de l’IMA ont été réalisées à l’occasion d’un événement mémorable Volontaire de la première heure pour couvrir cette page d’histoire, Depardon est alors le seul photographe accrédité auprès de la délégation algérienne, menée par Krim Belcacem, venue pour signer les accords d’Evian entre la France et le Front de Libération National (FLN).
« Lorsque j’ai montré ces photos à nos éditeurs algériens, raconte Depardon, il y eu silence pesant »en effet l’ensemble des négociateurs avaient disparu, exécutés ou exilés.
« Ce qui m’intéresse dans le photographe, c’est son corps, son errance, son voyage (…) Errance de déclic en déclic » Kamel Daoud
Tous ceux qui ont l’occasion de voir ces clichés, pour la plupart inédits, prenant conscience de leur valeur historique, se posent alors la question de leur mise en valeur. C’est à ce moment que nait l’idée d’un livre associant des textes de l’écrivain Kamel Daoud aux photos de Depardon.
Des textes qui seraient « des comètes »
Les deux hommes s’entendent d’emblée sur un principe : les textes ne seront en aucun cas des commentaires des images. « Ces textes sont comme des « comètes », des fulgurances inspirées par une vision ; ils ont par rapport à l’image une fonction de relais et non d’encrage, pour reprendre une distinction de Roland Barthes » souligne Depardon.
Tout sauf illustratifs en effet des textes qui sont à la limite de la poésie et de l’énigme. Souvent proches d’une sorte de grimoire mallarméen.
Porté par l’éditeur algérien Barzakh, l’ouvrage édité parallèlement à l’exposition de l’IMA comprend plusieurs textes où Daoud explicite sa démarche, pas franchement explicite… « Raymond Depardon photographie ce qu’il voit à la jonction de ce qu’il ne voit pas. Je regarde ce que je ne vois pas en croyant savoir ce que cela signifie. Son œil est dans ma main. Son corps est ma mémoire. Ce qui m’intéresse dans le photographe c’est son corps, son errance, son voyage : je me glisse en lui, j’épouse ses mouvements, son regard, sa culture, ses préjugés, mais aussi sa singularité. Errance de déclic en déclic ».
Un regard bien « optimiste » sur l’Algérie
Aux deux salles où sont exposés les clichés de l’année 1961, succède une autre salle consacrée à ceux réalisés par Depardon en 2019, à l’occasion d’un séjour à Alger et Oran en compagnie de l’écrivain. Avec le désir de montrer des images d’un pays que nous ne connaissons finalement peu. Et Daoud d’alaigner les évidences:« l’Algérie est devenu un territoire de l’entre- soi. C’est un pays d’où on sort difficilement, où se rendre n’ est pas évident »..
« Les amoureux deviennent imperceptibles quand ils s’approchent de la mer. Ils se glissent dans l’invisibilité » Kamel Daoud
Les images les plus diffusées de l’Algérie d’aujourd’hui sont, logiquement, celles des manifestations du Hirak qui ont secoué le pays depuis février 2019. Or les superbes clichés réalisés par Depardon se concentrent, eux, sur la vie quotidienne des deux grandes villes algériennes. Des images où les femmes aux visages découverts sont omniprésentes, où les relations amoureuses ne sont pas cachées, inspirant à l’’écrivain algérien une prose lyrique : « un couple face à la mer se fait toujours géographe nonchalant. (…) A chaque rendez vous amoureux , l’horizon semble nouvellement inauguré. Dans mon pays , les amoureux deviennent imperceptibles quand ils s’approchent de la mer. Ils se glissent dans l’invisibilité. Alors on les ignore, parfois. Comme on fait des mouettes on les laisse en paix ».
Un regard optimiste donc. Trop optimiste ? Il est difficile de juger sur pièce car l’Algérie d’aujourd’hui reste à bien des égards une énigme.
Son Œil dans ma main. .Algérie 1961/2019. Raymond Depardon/Kamel Daoud. Exposition. Institut du monde arabe. Jusqu’au 17 juillet 2022
Le livre qui accompagne l’exposition : Son Œil dans ma main .Algérie 1961/2019. Raymond Depardon/Kamel Daoud. Coédition Barzakh/Images plurielles . 232 pages. 134 photos. 35 euros
https://mondafrique.com/regards-sur-lalgerie-a-lima-depardon-superbe-daoud-pathetique/
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