Souvenir... J'ai mal à ma ville Alger comme 0n a mal aux poumons...
Les premiers éléments de la nouvelle force de l'ordre algérienne étaient attendus lundi à Alger, où le principe de leur intervention est désormais admis. D'autres mesures d'ordre sont également en cours d'application. Le général Fourquet, qui a interrompu dès samedi le week-end qu'il passait à Hendaye, s'en est notamment entretenu dimanche après-midi à Rocher-Noir avec le haut commissaire, M. Christian Fouchet. Rappelons qu'avant son départ de Paris il avait été reçu par le général de Gaulle.Si la situation ne s'est pas trop aggravée à Oran, on noie en revanche que les attentats ont été particulièrement meurtriers au cours des journées de samedi et de dimanche à Alger, où l'on comptait trente-deux morts et quarante blessés.En outre le sort des musulmans des grands centres urbains préoccupe vivement les différents responsables de l'Algérie. On sait que l'exécutif provisoire y a consacré plusieurs de ses délibérations. C'est également le premier point que le G.P.R.A. avait inscrit à l'ordre du jour de la séance de travail qu'il a tenue samedi à Tunis. Après une nouvelle réunion lundi, il était prévu que les dirigeants F.L.N. poursuivraient leurs délibérations jusqu'à la fin de la semaine.On apprenait d'autre part que M. Abderrahmane Farès avait quitté Rocher-Noir pour se rendre à Genève. De source française, on indiquait que le président de l'exécutif provisoire effectuait ce voyage à titre privé.
Alger. 23 avril. - La semaine qui commence sera capitale pour l'Algérie. Après la mise en place des organismes transitoires, une période d'expectative où les responsables français et algériens ont jaugé la situation, il semble qu'on en arrive au moment des décisions. Le haut commissariat et l'exécutif provisoire ont désormais une double tâche commune et urgente : réduire l'O.A.S. et ses places fortes et prendre en main les administrations qui échappent encore peu ou prou à leur autorité, les " courroies de transmission " n'ayant pas encore été installées entre Alger et la cité administrative. Le second point n'est évidemment réalisable qu'une fois levée l'hypothèque activiste. Ce n'est pas la visite que MM. Fouchet et Farès ont faite il y a quelques jours aux directeurs de plusieurs services administratifs au siège de l'ancien gouvernement général qui a changé grand-chose. C'est une prise de contact qui serait sans lendemain si l'Organisation secrète avait toujours le pouvoir d'imposer ses mots d'ordre ou représentait encore une espérance possible. Depuis l'arrestation de Jouhaud et de Salan on sait que les dirigeants de l'O.A.S. ne sont pas insaisissables, ce qu'ils voulaient justement démontrer. Il reste à prouver que les bastions activistes, particulièrement celui d'Oran, ne sont pas inviolables. De nombreux responsables ont hésité, temporisé. Certains ont préféré partir que d'assumer la conduite ou la responsabilité de cette lutte.
Beaucoup se demandent maintenant s'il n'est pas nécessaire d'agir le plus rapidement possible. À mesure qu'on recule une opération inévitable, on risque de la rendre plus difficile et plus sanglante. C'est en ces termes qu'un officier supérieur commentait d'avance une action qui va se déclencher, dit-on, d'un moment à l'autre. Lundi matin en effet les premiers éléments de la force d'ordre mis à la disposition du haut commissaire devaient arriver à Alger et à Oran. Simultanément les renforts demandés par le général Katz continuaient d'être dirigés vers la périphérie oranaise.
D'autre part, en raison de certains renseignements ou documents saisis notamment dans l'appartement où fut arrêté Salan, plusieurs responsables civils ou militaires estiment que de nouveaux coups pourraient être portés à l'armée secrète.
Visiblement on veut actuellement aller vite. Trois raisons expliquent cette détermination. Il faut profiter du désarroi créé par l'arrestation du chef de l'O.A.S. au sein de la population européenne et la forcer à délier son destin des partisans de l'irréductible nihilisme ; couper court au trouble qui se manifeste dans certaines unités militaires et passer réellement à la seconde phase de la période transitoire, qui doit conduire au référendum dans un délai de deux à trois mois. Le président de l'exécutif provisoire ne fixera la date de cette consultation qu'une fois que les conditions nécessaires à son déroulement seront réunies, c'est-à-dire au plus tôt dans huit jours.
En effet l'armée secrète a subi de durs revers mais n'en continue pas moins ses attentats, dont on peut seulement souligner qu'ils deviennent plus anarchiques.
Des Européens figurent parmi les victimes sans qu'on puisse savoir pourquoi. Peut-être, à Hydra, où un Européen a été tué et une jeune Européenne blessée, les terroristes ont-ils voulu intervenir dans une des dernières cités où cohabitent encore les deux communautés, brèche dans le partage raciste de la ville.
Attentats et politique de " terre brûlée "
Tout différents semblent les motifs des attentats au plastic qui ont eu lieu dans la matinée contre trois bureaux des contributions et dans la soirée contre les locaux de l'Écho d'Alger. Certains assurent que dans le cas des premiers il s'agissait de détruire les archives permettant de découvrir quels étaient les Européens qui, conformément aux consignes de l'O.A.S., n'acquittaient plus leurs impôts et d'enlever au futur gouvernement algérien les moyens d'évaluer exactement fortunes et revenus des contribuables. Pour l'Écho d'Alger des rumeurs ont récemment circulé : le président Farès - qui a d'ailleurs démenti formellement ces informations - aurait ouvert des pourparlers avec M. de Sérigny pour racheter l'immeuble du quotidien algérois et son matériel afin d'éditer un quotidien de tendance nationaliste. De fait, au 20 de la rue de la Liberté se trouvait la seule imprimerie capable d'éditer un journal et actuellement inemployée. Rappelons que le 17 avril des charges de plastic déposées par cinq Européens avaient déjà endommagé les bureaux du Journal d'Alger, boulevard Laferrière.
Il semble surtout que ces attentats visent à détruire immeubles et installations techniques avant qu'ils puissent servir au futur État algérien. On sait que les activistes ont annoncé leur intention de détruire - suivant une politique de " terre brûlée " - tout ce que les Européens ont apporté ici avant l'indépendance. Un attentat de ce type avait déjà endommagé les locaux de l'université.
Pour la majorité des Européens cependant l'anniversaire de la " fronde des généraux " est passé inaperçu. La pluie violente qui est tombée dans la journée a chassé les Algérois des rues et les a obligés à rester chez eux. Personne n'a tenté de manifester. Pourtant toute la journée les rumeurs les plus insensées ont circulé. Ça et là, l'un ou l'autre téléphonait à ses amis pour leur assurer d'un air mystérieux qu'un général commandant de région en métropole, et qui a eu ses heures de célébrité, et un colonel qui exerce actuellement ses fonctions en Afrique noire, étaient arrivés à Alger, que d'importantes personnalités politiques avaient rejoint dans la clandestinité M. Georges Bidault. À chaque maillon de cette chaîne de l'intoxication on rajoutait un nom. Dans la soirée, toutes les personnalités qui à un moment ou à un autre ont manifesté ici ou ailleurs des sympathies pour l'Algérie française, avaient rejoint les rangs de l'O.A.S. La succession de Salan était ainsi miraculeusement assurée, l'organisation retrouvait un second souffle. Tard dans la nuit chacun s'est endormi, assuré qu'il se passerait le lendemain ou le surlendemain d'extraordinaires événements qui changeraient, sinon la face du monde, au moins celle de l'Algérie.
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