«Ce qui est désolant chez ce polémiste est que, quelles que soient ses prémisses, ses conclusions sont presque toujours fausses, écrit François Lalonde. [...] M. Zemmour fait partie d’un gang, il est un croisé, piégé par l’idéologie djihadiste. Dans cet état, il lui est impossible de bien raisonner. »
L’article de Franck Johannès paru dans Le Monde du 30 décembre met en scène les deux hantises d’Eric Zemmour : sa misogynie et son racisme. Est-ce vrai ou faux ? Ce n’est pas la question. Ce qui est désolant chez ce polémiste est que, quelles que soient ses prémisses, ses conclusions sont presque toujours fausses. On le sent tout de suite dans sa manière de jeter ici et là des citations d’écrivains qui sont autant d’arguments d’autorité qui mènent à la confusion des idées, qu’il utilise pour se sortir de faux pas. Ce n’est pas comme cela que l’on raisonne.
Eric Zemmour écrit : « Les femmes sont le but et le butin de tout homme doué qui aspire à grimper dans la société ». Je ne sais pas si c’est vrai, mais le contraire l’est certainement davantage. Comme les femmes sont plus sexuées que les hommes - la moitié du « corps utile » d’une femme est sexuée -, la sexualité vécue des femmes prend davantage de place, et elles accordent à l’union avec leur conjoint une plus grande valeur. Il serait donc bien plus exact de dire que les hommes sont le butin des femmes et qu’elles utilisent les hommes pour se propulser socialement. On voit ici qu’en prenant le même point de vue que celui de Zemmour, on arrive tout de suite à une conclusion différente. Ce qui montre que cette question n’a aucun intérêt.
La sympathie d’Eric Zemmour pour Dominique Strauss-Kahn, dans l’affaire du Sofitel de New York, est encore plus révélatrice de ses errements. Sans prendre position sur cette affaire particulière, je rappelle que le viol, ou plus largement l’agression sexuelle, est typiquement un phénomène humain, qu’on ne voit pas chez les autres mammifères. Un lion ne se risquerait jamais à pénétrer une lionne si elle n’y consent pas, si elle n’est pas en chaleur. Chez les êtres humains, les femmes sont réceptives à l’acte sexuel une grande partie de l’année, tout comme les hommes, ce qui ouvre la voie à la permanence du désir, et donc à ses ratés.
Mais, au contraire de ce qu’écrit Eric Zemmour, le viol n’est pas la marque des « hommes conquérants ». Il est la marque des hommes misérables. Nous vivons dans une société humaine où l’apprentissage du langage précède la force physique, dans les deux sens du mot « précède », une société qui cherche dans le partenaire masculin aussi bien son intelligence, sa sensibilité que sa puissance. Les « conquérants » sont ceux qui savent s’exprimer, s’affirmer et rencontrer. Le violeur est un impuissant, souffrant et sans estime de lui, qui ne parvient à ses fins que par la violence brutale, violence facile et lâche car il s’en prend aux femmes, quelques fois aux jeunes filles, pas aux « guerriers » de Zemmour. Encore ici, en partant des hypothèses de Zemmour, on arrive immédiatement à des conclusions opposées.
[…] Ensuite, le polémiste s’exprime sur la nature de l’intelligence des femmes, en affirmant qu’elle est intrinsèquement différente de celle des hommes : les grands génies seraient tous des hommes, à quelques exceptions rarissimes, seuls les hommes produiraient de grandes œuvres parce que ce sont eux seuls qui savent transgresser le savoir établi. C’est un point de vue classique repris depuis des siècles. Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, cette idée était largement acceptée, aussi bien par les femmes que par les hommes.
C’est encore vrai et faux. Sur le plan neurobiologique, le cerveau d’une femme est d’environ 15% plus petit que celui d’un homme. Mais comme nous n’utilisons qu’une petite partie de notre cerveau, cette différence de volume ne joue aucun rôle. Ce qui joue un rôle déterminant, ce sont les intérêts qui animent et propulsent notre intelligence et notre vie - on ne devient pas entomologiste si les insectes ne nous intéressent pas. Toutes les études récentes montrent que les femmes sont plus douées que les hommes sur le langage et donc sur l’habilité à innover en stratégies, alors que les hommes sont davantage doués en intelligence mathématique. Pour caricaturer, une femme soigne un cancer alors qu’un homme envoie un Spoutnik sur Mars.
[...] Il est certain que les hommes sont plus iconoclastes que les femmes. Dans l’enfance, les garçons cassent ou démontent leurs jouets en morceaux, ou déchirent une poupée pour voir comment elle est construite. Les filles protègent et parlent, elles construisent sur d’autres bases, dans la pérennité. De fait, une étude internationale récente, très simple à conduire, a épluché tous les articles de recherche des deux mille principales revues scientifiques de 2000 à 2017 et arrive au tableau suivant : les femmes forment maintenant 50% des auteurs des articles de recherche dans toutes les disciplines reliées au vivant (médecine, biologie, psychologie, anthropologie…), alors que les hommes représentent toujours 80 à 90 % des auteurs dans les disciplines du génie, des mathématiques, de la physique et de l’informatique.
Conclusions biaisées
Encore une fois, les prémisses de Zemmour sur la forme d’intelligence sont peut-être vraies, mais ses conclusions sont biaisées. Il célèbre l’intelligence iconoclaste, et seulement elle. Il répudie toute autre forme de compréhension intelligente qui protège le monde. En suivant rigoureusement sa pensée, on ne financerait plus l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), on ne célébrerait pas le couple allemand d’origine turque qui a fondé BioNTech et découvert le vaccin à ARN messager en sauvant des centaines de millions de vies, et les policiers et les gendarmes, qui sont dans l’œuvre de la protection, seraient efféminés, et donc au bas de l’échelle de valeurs de Zemmour.
En toute logique, si M. Zemmour devenait président, il fermerait les frontières, en coupant de façon draconienne les effectifs des forces de l’ordre, une contradiction de plus. Cette contradiction est au cœur de sa pensée : il anticipe, dans son fantasme, le grand remplacement des hommes européens « efféminés » par les arabo-musulmans « virils ». Il glorifie l’islam djihadiste et conquérant dont il est jaloux. Il ne saisit pas qu’une société se construit par l’ouverture et la protection, par le métissage bien compris des hommes et des écoles de pensée. Les grandes civilisations sont des creusets de l’humanité, pas un gang. M. Zemmour fait partie d’un gang, il est un croisé, piégé par l’idéologie djihadiste. Dans cet état, il lui est impossible de bien raisonner.
[...] En somme, Eric Zemmour est un nostalgique nietzschéen qui n’a rien compris à Descartes, Spinoza et Nietzsche. Il n’a aucune idée ce qui a fait de la France le grand pays universel qu’il admire pieusement. La France est aujourd’hui le troisième exportateur d’armes au monde [...]. Il est inutile d’exacerber sa pensée militaire. Elle est déjà largement inscrite dans sa culture depuis des siècles. Aujourd’hui, devant la crise climatique qui menace notre survie, ce sont les femmes dont nous avons le plus besoin.
François Lalonde, Montréal (Québec, Canada)
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