Les sombres pages de la villa Susini d’Alger
Pour rafraîchir la mémoire de la candidate du LR, Henri Pouillot témoigne: « J’ai été affecté de juin 1961 à mars 1962 à la villa Susini à Alger. Cette villa a eu le ‘’ privilège’’ d’être un centre de torture qui a fonctionné pendant toute cette période.»
Une vue de la villa Susini : un haut lieu de torture
La candidate des Républicains (LR), Valérie Pécresse, lors de sa première sortie dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, où l'extrême droite réalise de très bons scores, jouait à «Clint Eastwood». Quel panache?
«Je vais ressortir le Kärcher de la cave. Cela fait dix ans qu'il y est et il est temps de l'utiliser. Il s'agit de remettre de l'ordre dans la rue», menaçait Valérie Pécresse, la semaine dernière dans les colonnes de «La Provence».
Plus grave encore, elle poursuivra dans un point de presse: «Aujourd'hui il est temps de nettoyer les quartiers, il faut traquer les caïds, les voyous, les criminels, les dealers, ce sont eux qu'il faut harceler et punir, qu'il faut priver de leur citoyenneté».
Les déclarations de la candidate à l'Élysée ne sont pas passées sans réaction en France, heureusement d'ailleurs.
Ainsi, le fabricant du fameux nettoyeur, qui détient la «Marque Kärcher» à haute pression, a dénoncé, le 11 janvier dernier dans un communiqué, «des propos mal déplacés» de la candidate des Républicains, qui autilisé a plusieurs reprises «la marque Kärcher de manière inappropriée».
Le fabricant, va au-delà, et exige immédiatement «des médias français de ne plus faire usage de sa «Marque» dans les sphères politiques, qui portent atteinte à sa marque et valeurs de l'entreprise».
Doit-on rappeler que la présente société avait déjà fait savoir dans les colonnes de Libération «qu'elle ne veut plus être associée à la sécurisation des banlieues». Finalement, le syndrome «Sarkozy» récidive et anime le discours de la droite française.
Paradoxalement, l‘ancien président de la République française et chef du parti des Républicains, Nicolas Sarkozy, fut condamné en septembre dernier «à trois ans de prison pour corruption et trafic d'influence», alors qu'il promettait aux Français «la guerre sainte» contre «la racaille», désignant les quartiers et banlieues. Savez-vous Mme la candidate que la dernière personnalité politique française qui avait parlé du «Kärcher» pour nettoyer les banlieues a fini avec un bracelet électronique, accroché au pied et assigné à résidence surveillée?
On peut aussi rappeler que des personnalités influentes de cette mouvance ont eu des problèmes graves avec la justice: François Fillon, les époux Balkany et même l'homme fort du régime sarkosyste, l'ancien ministre de l'Intérieur, Claude Guéant qui est actuellement emprisonné.
Où doit-on passer le Karcher?
Au-delà de ces sombres histoires, on ne comprend pas pourquoi le débat politique en France se cristallise sur la question de l'émigration, avec son corollaire l'insécurité, deux sujets que les extrémistes et les populistes n'hésitent pas à lier l'un à l'autre. Faudra-t-il souffler, Mme la candidate, sur le brasier colonial et redéfinir le Français, l'Européen d'Algérie et l'indigène? Comment expliquer une panne de perspective et l'absence de renouveau politique de la droite française, 60ans après la guerre d'Algérie? Il faut dire que la crise politique se nourrit de la crise mémorielle et ses conséquences collatérales.
Outre le domaine sécuritaire et l'émigration, que propose la candidate des Républicains aux Français? La polémique sur la mémoire serait-elle décidément l'apanage de la droite française? Avez-vous perdu la mémoire Mme Valérie Pécresse?
Le discours de la droite française exprime la faillite mémorielle dans toute sa splendeur. Cela apparaît clairement au cours de la présente campagne présidentielle française. La devise de la République française «Liberté, Égalité, Fraternité», dont le triptyque remonte pourtant à l'année 1848, soit près de vingt ans après l'envahissement de l'Algérie par la France en 1830, a cédé allègrement le pas au fameux principe de Pascal «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», pour faire en sorte que les «vertus» qu'elle prétend colporter à travers le monde soient nulles et non avenues au-delà de la Méditerranée.
La rhétorique amère et rancunière autour de la perte de «l'Algérie française» anime le discours de la droite et son extrême. «En Algérie, il y a eu effectivement des exactions, il y a eu des pages sombres de l'histoire de France qui ont été écrites, mais crimes contre l'Humanité, c'est ce qu'on reproche aux nazis et à Hitler, et je ne pense pas qu'on puisse parler de crimes contre l'Humanité», avait déclaré le 3 janvier dernier, Valérie Pécresse. Et elle ajoutera, présidente de la République, elle fera «appel à l'Armée» pour assurer l'ordre dans les quartiers...etc en France.
Ces propos ne sont pas sans écho auprès des Français, dont la mémoire est encore vivace. Appelé pendant la guerre de libération de l'Algérie, Henri Pouillot, auteur de: «La villa Susini - Tortures en Algérie, un appelé parle», a, dans une lettre ouverte datée du 5 janvier dernier et adressée à Valérie Pécresse, souligné: «Je dois dire que je suis inquiet qu'une candidate à la présidence de la République puisse déclarer une telle énormité».
Pour rafraîchir la mémoire de la candidate du LR, Henri Pouillot témoigne: «j'ai été affecté de juin 1961 à mars 1962 à la villa Susini, à Alger. Cette Villa a eu le «privilège» d'être un centre de torture qui a fonctionné pendant toute cette période (d'autres centres de torture à Alger n'ont fonctionné que quelques mois ou quelques années). C'est là que Jean-Marie Le Pen s'est «remarquablement» distingué pendant la bataille d'Alger, faisant disparaître, selon les rumeurs, des corps dans des cuves d'acide.
La Légion étrangère avait «abrité» de nombreux SS qui s'y étaient réfugiés pour échapper aux jugements, mais qui ont mis en oeuvre leur expérience et formé des tortionnaires français».
Relisez «La Question» d'Henri Alleg!
On peut aussi conseiller à la candidate des Républicains de lire «la Question» d'Henri Alleg publié en 1958, qui dénonce la torture pratiquée pendant la guerre d'indépendance par certains éléments de l'armée française et dont l'auteur fut la victime.
C'est à l'arrivée de Nicolas Sarkozy en 2005 que les débats sur le fait colonial gagnent l'espace public et officiel, et ils l'occupent à ce jour. Ainsi, loi sur les rapatriés du 23 février 2005, mentionnant le «rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord», a été adoptée par les Républicains.
Les nostalgiques de la grandeur de la France coloniale persistent à glorifier la mission de civilisation portée alors par l'Empire. Êtes-vous Mme la candidate des Républicains amnésique ou tentée par le négationnisme? Au fond et pour conclure, la citation qui suit résume en quelques mots toute l'ambiguïté de la position de la France. Mouloud Mammeri disait, en s'en prenant au discours de l'Europe des Lumières, dans son roman «Le Sommeil du juste»: «Le Contrat social. Discours sur l'inégalité. Les Châtiments. Jaurès. Auguste Comte.
Ha! Ha! Mesdames et Messieurs, quelle blague! Quelle vaste blague! Quelle fumisterie! Tout ça, c'est pour eux, ce n'est pas pour des Imann! (les indigènes)». Les milliers nord-africains, qui avaient servi de chair à canon pour libérer la France contre les nazis, se sont-ils sacrifiés pour que vous; vous osiez dire n'importe quoi?
De Gaulle et Pompidou ont travaillé à l'aménagement du territoire, à la création de l'Europe, Giscard d'Estaing a oeuvré pour moderniser le pays. Sous les mandats de Jacques Chirac, peu de réformes ont été réalisées, mais un mot d‘ordre persistait: pas de compromission avec l'extrême droite. Ironie de l'histoire: le parti du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, colle désormais aux idées des extrémistes. Il semble que les idées de Jean-Marie Le Pen ont germé et fleurissent sur la terre de la Révolution française, mère présumée des droits de l'homme.
La digue sanitaire infranchissable entre la droite et son extrême, réaffirmée au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle française de 2002 par Jacques Chirac a sauté. Il était le dernier rempart contre le Front national. Il avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, au deuxième tour de la course à l'Élysée? Mais, depuis, les barrières entre la droite et son extrême semblent être brisées. On ne comprend plus qui est qui. En France, une conjoncture de «crise mémorielle» s'est enclenchée au début des années 2000, qui a brouillé les frontières entre ces espaces de controverses et a modifié les logiques de prises de parole et de prises de position qui leur étaient inhérentes. Fruits d'alliances tactiques ou du partage inaperçu d'enjeux et de langages de dénonciation, des fronts communs, incompréhensibles à l'aune des dynamiques polémiques antérieures, se sont ainsi dessinés», analyse l'historien français, Romain Bertrand.
L'insécurité et l'émigration, voire les questions mémorielles, qui étaient autrefois des sujets périphériques au discours de la droite française dans ses campagnes électorales, deviennent, aujourd'hui malheureusement, les mamelles nourricières de son discours.
Les réformes économiques, politiques, sociales...etc. s'effacent dans le discours des Républicains et cèdent la place au populisme notoire, voire vulgaire, depuis au moins une décennie.
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