L'émergence de la Chine a bouleversé le paysage géopolitique et géoéconomique mondial. La Chine est devenue la 2ème puissance économique mondiale, en attendant d'occuper le premier rang au cours de cette décennie. Et ce n'est sans doute qu'un début.
Cette évolution, cette réussite, par son ampleur et sa rapidité, pose de nombreuses questions.
- De quelle évolution parle-t-on et quelles sont ses caractéristiques ?
- Quelles en sont les causes ?
- Pourquoi (si on laisse de côté la singulière prémonition d'Alain Peyrefitte1) les pays occidentaux n'ont-ils pas vu venir ce qui paraît aujourd'hui, rétrospectivement, si facile à comprendre ? Quelles erreurs auraient-ils commises ?
- Comment, par quels moyens, la Chine est-elle parvenu à ce résultat ?
En l'espace de 20 ans.
Son PIB a été multiplié par 11.5, passant de 1 300 Md$ en 2001 à 15 000 Md$ en 2021 (le 2ème au monde après celui des Etats-Unis : 21 000 Md$).
Exportations multipliées par 6.15
2001 : 325 Md$
2021 : 2 000 Md$ (1er exportateur mondial)
Croissance de la valeur des échanges commerciaux en 20 ans.
Chine : +810%
Monde : +180%
Stock d'investissements directs étrangers en Chine
2010-2011 : 600 Md$ 2021 : 2 000 Md$, soit une croissance de plus de 300% en 10 ans.
L'Occident aurait-il été trompé ?
Les Occidentaux se désolent, disent avoir été abusés et se plaignent. Ils auraient été trompés par la Chine qui n'aurait pas respecté les règles sur lesquelles elle s'était engagée.
À titre d'exemple, le quotidien économique Les Echos a publié un article en juillet 2018 portant un titre qui fait figure de réquisitoire, repris en ce mois de décembre par de nombreuses publications en une même protestation, une identique litanie : « Comment la Chine a dupé Américains et Européens à l'OMC ? » (Les Echos, le 9 juillet 2018, Mis à jour le 6 août 2019). Ce quotidien a repris au mot près ce titre dans son édition du 09 décembre 2021.
Les griefs pêle-mêle s'entassent et se répètent : ils accusent la Chine de ne pas avoir fait baisser les droits de douane de 25 à 10% comme elle s'y était engagée. Ils l'accusent aussi d'être une dictature, un régime totalitaire, oppresseur... D. Trump l'avait même accusée d'avoir semé sciemment le nouveau coronavirus dans l'intention de nuire à son pays, d'avoir caché des informations capitales, de tricher, de ne pas respecter les règles de l'OMC, d'endetter l'Afrique pour mieux la dominer... Pas un jour, pas une semaine... ne passe sans qu'une nouvelle accusation, un nouveau réquisitoire ne vienne alourdir un dossier épais mais de moins en moins consistant, de moins en moins crédible, précisément parce qu'il exprime moins des faits qu'une inquiétude réelle. Et cette inquiétude est sans doute authentique et avérée.
Qu'en est-il au vrai ?
COMMENT CELA A-T-IL ÉTÉ POSSIBLE ?
- Le salaire de la cupidité.
Les Occidentaux savaient parfaitement ce qu'ils faisaient et en ont largement tiré parti.
Quel était leur calcul et pourquoi ont-ils fermé les yeux sur ce qui se passait en Chine, comme d'ailleurs sur tout ce qui se passait dans les pays d'accueil de leurs capitaux ?
l Pour le comprendre, un historique s'impose.
En réalité, la partie s'est jouée sur deux plans.
* A la fin des « Trente Glorieuses » (J. Fourastié, Fayard, 1979, 288 p.) au début des années 1970, régnait dans les pays industriels d'Europe de l'ouest et d'Amérique du nord une compétition effrénée autour du partage de la valeur ajoutée entre profits et salaires.
Il serait trop long de décrire tous les aspects, les ruses et stratagèmes utilisés par les uns et les autres pour accaparer la part la plus élevée. Dans un contexte de taux de chômage relativement faible, les salariés disposaient de capacités de négociation plutôt à leur avantage et les entreprises (les propriétaires des moyens de production) usaient de toutes sortes de dispositifs pour réduire la pression ainsi exercée sur elles : l'importation de travailleurs étrangers, le travail des femmes (notamment dans certains métiers et fonctions peu à peu féminisés), l'externalisation de tâches hors du coeur de métier, le recours au PME-PMI, la rationalisation des processus de production avec réduction des indirects... évidemment, l'inflation fut le moyen le plus problématique pour récupérer d'une main, les avantages salariaux concédés de l'autre.
Ce cycle infernal très bien décrit par le néo-zélandais A.-W. Philips dès 1958 ne pouvait continuer à fonctionner que dans la mesure où les produits fabriqués et exportés dans ces conditions conservaient leur compétitivité et un rapport qualité-prix avantageux.
Cela a cessé d'être le cas, par exemple pour la France qui progressivement perdait compétitivité et parts de marché, ayant eu pour principale politique la réduction des salaires et les cotisations (« charges ») associées sur le plan économique et celle des syndicats revendicatifs (et des partis qui les soutiennent), sur le plan politique.
La solution qui a donc été adoptée a été radicale : la délocalisation de l'appareil industriel français (facilitée après sa privatisation2) à fort contenu de main d'oeuvre protégée et à salaires relativement plus élevés, hors des frontières de l'Hexagone.
Il ne restait au salariat, en dehors du tertiaire à très haute valeur ajoutée et à l'industrie de pointe à très haute intensité capitalistique (électronucléaire par exemple), que les entreprises de services (par exemple le tourisme, la restauration, les voyages...) dans des petites unités non ou peu syndiquées, à plus faibles qualifications, la fonction publique, ... et le chômage et son alter ego « ubérisé », c'est-à-dire tous les emplois précaires, externalisés, transformés en prestation de services, rangés dans la catégorie aseptisée, politiquement neutralisée, d'« entreprise individuelle ».
Naturellement, la France n'est pas un pays low cost. Mais comme ses voisins du sud de l'Europe et peut-être plus qu'elle, elle a été entraînée depuis la fin de la dernière guerre dans une « logique low cost » à la fois pour des raisons économiques combinées de manière parfaitement cohérente, des raisons idéologiques et politiques.
Le voisin allemand a fait un autre choix, celui de la compétitivité-qualité qui lui a été plus profitable. Pour constater ce résultat, il suffit d'observer les dévaluations successives de la monnaie française par rapport à celle de l'Allemagne (et celles des pays de la zone mark) et la situation déflationniste française (avec tous ses déficits logiquement induits) depuis l'instauration de l'Euroland qui date à une année près de l'entrée commémorée aujourd'hui de la Chine à l'OMC.
- Tribune de l'Expansion, L. 14 mars 1988
Les Etats-Unis, dans un contexte différent, ont fait un choix déflationniste similaire à celui des Français partis en 1981 dans une logique expansionniste qui s'est très vite retournée contre ses initiateurs qui n'avaient pas bien réalisé l'état de l'économie française et pris les décisions qui s'imposaient en cohérence avec leurs choix3.
Dès l'arrivée de R. Reagan au pouvoir, Washington s'est attaché à démanteler les grandes ensembles industriels, casser toutes les protections accumulées par les travailleurs, les salaires et tous les autres avantages associés.
Le premier mandat de Reagan (1980-1984) a été marqué par une hausse vertigineuse du chômage et des taux d'intérêts ainsi que du dollar. A cette époque l'Amérique avait en face d'elle non la Chine mais le Japon et l'Allemagne dont le commerce taillait des croupières à la compétitivité américaine et creusait ses déficits. Le président américain, inspiré par les Chicago boys monétaristes, a commencé son mandat par un licenciement collectif de 12 000 contrôleurs aériens en août 1981. Auparavant, en Grande Bretagne Mme M. Thatcher avait montré la voie en s'occupant des mineurs et de leurs syndicats.
Le second mandat (1984-1988) a connu au contraire une hausse importante de l'emploi, une baisse rapide du dollar et des taux d'intérêt. Mais avec une différence de taille : les nouveaux emplois créés le furent surtout dans le secteur tertiaire et dans des petites entreprises.
Un slogan a fait flores à l'époque : « small is beautiful », repris abondamment sur les rives européennes de l'Atlantique, surtout en Grande Bretagne thatchérienne et en France. Ces emplois étaient moins bien payés, plus précaires, moins protégés et surtout avec des taux de syndicalisation bien plus faibles, voire nuls.
L'entrée de la Chine dans l'OMC aurait « détruit » environ 2 millions d'emplois aux Etats-Unis et 270.000 en France, accélérant la désindustrialisation, la déflation et accumulé les déficits.
GM et VW produisent plus de véhicules en Chine que dans leurs pays d'origine. Et Renault, d'exportateur est devenu un importateur net de voitures en France. Les importations occidentales de Chine (et les déficits induits) forment la contrepartie logique de cette désindustrialisation.
Entre 2001 et 2019, les importations européennes d'aluminium ont été multipliées par... 39 et celles des équipements pour les transports ont été multipliées par 14. Les Européens ont aussi importé 10 fois plus de machines, 9 fois plus de lits et de papier-bois, 8 fois plus d'acier et fer...
Les hausses sont un peu plus modérées à destination des Etats-Unis : 11,5 fois plus d'aluminium, 9,5 fois plus d'équipement de transports, 7 fois plus de machines...(4)
Corrélativement, les déficits des pays occidentaux avec la Chine ont triplé en 20 ans.
Etats-Unis : -250 Md$
Europe : -180 Md
Cependant, pour avoir une perception exacte de ce phénomène, on ne devrait pas parler d'exportations chinoises. On devrait parler de productions réalisées par les transnationales occidentales en Chine (directement ou sur commande) et de leur acheminement vers l'Europe et les Etats-Unis. Et cela quels que soient la manière avec laquelle la Chine a exploité pour son propre compte les calculs et projets occidentaux.
Cette délocalisation des processus industriels a été délibérée et projetée par les entreprises occidentales vers les pays à bas salaires et en l'occurrence en Chine.
Naturellement, les Chinois ne sont pas neutres et la Chine n'est pas un cadre vide (un « territoire sans maître ») exploitée par les entreprises occidentales. Chacun ses calculs, chacun ses profits.
Comme on le sait, l'Allemagne a fait mieux que résister et a adopté une stratégie parfaitement complémentaire avec celle de la Chine.
- La stratégie allemande.
L'Allemagne eut une stratégie payante : jouer avec les pays de l'Est proches au mieux de ses intérêts. Cela lui a permis de combiner de manière efficace les avantages de coûts salariaux et sociaux plus faibles et de compétences plus élevée. En un mot les ex-PECO ont offert aux industries allemandes un « tiers monde » intra-muros qui cumule compétitivité-qualité et compétitivité-prix.5 L'élargissement de l'Union a été une bénédiction pour elles. Cela a aussi permis, dans une certaine mesure, un développement convergeant de ces économies avec celles des pays plus développés de l'Union Européenne.
Est-ce à ce genre de pacte qui habite la future Europe fédérale à laquelle songerait l'Allemagne ? (6) Une construction géopolitique qui s'éloigne d'une gouvernance collective qui a fait la preuve de ses limites, mais une Union hiérarchisée avec un patron et des sous-patrons, avec des règles. On ne peut participer du pouvoir dans cet ensemble qu'en proportion de son travail, de ses résultats et de ses performances. Très tôt, l'Allemagne est devenue le principal partenaire des pays du groupe de Visegrad(7) (Pologne, Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie). 63,9 millions d'habitants en 2020 (14% de la population de l'UE).
La chute du Mur a fait révélé le paysage européen d'avant 1914 où la culture germanique n'a pas disparu. La langue allemande se situe parmi les langues étrangères les plus parlées et les plus enseignées dans les PGV (groupe de Visegrad), avec un renouveau lié aux investissements allemands dans ces pays.
L'Allemagne consacre pratiquement un quart de son budget de soutien à la langue allemande à l'Europe centrale et orientale. L'allemand est majoritairement enseigné comme première langue étrangère en Hongrie (avec l'anglais) et en Slovaquie ; comme deuxième langue étrangère notamment en République tchèque, en Pologne, en Slovénie, en Roumanie. Ces dernières années, le nombre de personnes qui apprennent l'allemand dans les Instituts Goethe à l'étranger a eu tendance à augmenter. (Statistiques sur la place de l'allemand dans le monde, Goethe Institut - Inter Nationes e.V., Munich, 2002) (8)
- Bilan de cette stratégie : Allemagne = 2/3 des exportations de l'UE vers la Chine.
Si la France, n'ayant réussi ni à produire des biens de très haute qualité, ni à réduire suffisamment ses coûts et ses prix, se retrouve prise en étau entre la compétitivité-prix des pays « émergeants » et la compétitivité-qualité de l'Allemagne. Les entreprises allemandes prospèrent à chaque fois que la Chine et les pays émergeants sont en croissance.
Lorsqu'un patron quelque part dans le monde réussit, y compris aux Etats-Unis ou au Japon, a fortiori en Chine, c'est en Mercedes, en Porsche ou en BMV qu'il exprime, qu'il manifeste sa réussite.
CQFD
- La protection de l'environnement et l'émergence de l'écologie politique.
Le « voyage » des usines constituent la deuxième facette de l'opération. Elles avaient de « bonnes » raisons de partir. Elles avaient aussi de « bonnes » raisons d'arriver.
La désindustrialisation et la délocalisation des usines polluantes allaient dans le même sens qu'une sensibilité croissante de l'opinion publique occidentale pour la protection de l'environnement.
C'était le début de l'écologie politique initiée par le Club de Rome qui alertait contre les dégâts de la croissance sans limite, l'accumulation des déchets et le gaspillage des ressources. Certes, Aurelio Peccei ne faisait pas l'unanimité et a, par la suite, été l'objet de nombreuses polémiques qu'il serait inutile d'aborder ici.(9)
La protection de la nature a un coût. Nier les nuisances, aussi évidentes soient-elles, ne relève pas d'une philosophie, mais d'un calcul économique élémentaire. Débarrassées des contraintes de la production dans les pays occidentaux, elles vont profiter largement des conditions d'accueil de leurs unités industrielles.
Les pays d'accueil vont largement faciliter leur implantation.
- Des salaires très bas
- Pas ou très peu de protections sociales
- Des réglementations du travail et des conditions générales très favorables
- Des travailleurs motivés, disciplinés et, si nécessaire, promptement et efficace ment mis au pas dans des régimes « musclés », « autoritaires »... dont s'accommode fort bien la plupart des entreprises occidentales qui s'y implantent.
- Un souci mineur de l'environnement, en sorte qu'aucune précaution particulière n'est prise pour la protection de la faune, de la flore, des sols, de l'air, des eaux qui subissent toutes sorte de nuisances dans l'indifférence et la compréhension des autorités locales complices.
- Le nombre de Chinois qui effrayait tant les Occidentaux d'être submergés, est une ressource bienvenue pour les entreprises qui s'installent dans ce pays.
- Qui a trompé qui ? Les Occidentaux se seraient-ils dupés tous seuls ?
« L'erreur est d'avoir pu penser qu'en Chine, le capitalisme d'Etat pouvait céder le pas au capitalisme de marché » (Les Echos, juillet 2018, op. cit.)
1.- En 1990. Les Occidentaux étaient fermement convaincus de « la fin de l'histoire », c'est-à-dire de la fin des histoires avec le communisme et le triomphe du capitalisme. Le tour de la Chine devait « rationnellement » suivre celui de l'URSS.
2.- Ils étaient aussi convaincus qu'il était impossible d'adopter un système économique (et ils croyaient que la Chine était sur cette voie), sans adopter le système politique qui allait « naturellement », mécaniquement avec, à savoir la démocratie représentative.
Cela signifiait que le marché des biens sur le plan économique aurait fatalement comme symétrique sur le plan politique le marché des partis politiques soumis à la loi universelle de l'offre et de la demande. A savoir, vendre des idées et des partis comme des savonnettes.
3.- En sorte que faciliter l'entrée de la Chine dans l'OMC, là où l'Etat est un intrus, c'est faciliter la dissolution des entreprises publiques, l'économie collectiviste et, cela coule de source, la disparition progressive du Parti Communiste chinois, terme fatal du processus. C'est à peu près ce point de vue que développe Jean Pisani-Ferry : « Il y a eu une illusion complète dans la foulée de l'effondrement du mur de Berlin. Elle a d'abord été politique. Les dirigeants occidentaux avaient confiance dans le fait que la Chine convergerait vers le modèle occidental, avec la conviction qu'il était impossible de développer une économie sans liberté économique, et que la liberté économique était inséparable de la liberté politique. A terme, beaucoup de gens pensaient que le Parti communiste chinois allait se démocratiser, explique l'économiste. Ensuite, l'illusion a été économique. On a cru que l'adhésion à l'OMC induirait une convergence des systèmes. Personne ne pensait en outre que la Chine atteindrait aussi vite un tel niveau technologique. » (Les Echos, mercredi 08 décembre 2021)
4.- Les conditions de productions offertes par la Chine allaient achever de les convaincre.
En réalité, ces objections, autocritiques et analyses rétrospectives occidentales servies aux opinions occidentales, n'étaient pas de mise lorsque les transnationales ont décidée d'investir en Chine. Ce qui leur importait c'étaient les profits qu'ils pouvaient en tirer.
Les Occidentaux n'ont pas retenu la leçon que leur a administrée le Japon. Ils se sont bercés des mêmes illusions que face aux Japonais à la fin des années 1960 jugés incapables « par nature » d'innovations, de progrès sans la science et la technologie occidentale.
« La R&D, l'intelligence, les brevets, l'innovation... c'est nous.» plastronnaient Européens et Américains convaincus de leur supériorité.
Les Chinois ne seraient au mieux que des copieurs, des imitateurs bas de gamme.
La différence vient de ce que la Chine et le Japon ne sont pas du même gabarit. Examinons brièvement le détail cette comparaison :
Le Japon est un pays qui fait globalement le double de la population française sur la moitié de sa surface. Une nature ingrate (ni énergie ni matières premières d'importance), peu de plaines, archipel volcanique allongé sur plus de 2 000 km, de la froide Hokkaido à la tropicale Okinawa, le Japon est perché sur une subduction entre plaque pacifique et plaque asiatique, menacé à tout moment par des séismes et des tsunamis(10).
Loin de tout, séparé de l'Asie continentale, il l'est aussi de l'Amérique d'Océan Pacifique (8 300 km de San Francisco, 10 800 km de New York) et de l'Union Européenne (14 800 km) par le vaste continent eurasiatique.
A l'inverse de celui du Soleil Levant, l'Empire du Milieu, vaste de 9.5 millions de km², peuplé de près 1.5 milliard d'habitants, est au contact de tout et d'abord de lui-même en ce qu'il dispose d'un marché intérieur qui relativise, aussi cardinal soit son commerce extérieur, désormais mondial, tout chantage qui serait susceptible d'être exercé par les pays importateurs de ses produits.
- Rivalités indo-chinoises.
La comparaison avec l'Inde voisine qui a choisi d'abandonner cette voie débouche sur une fuite des compétences, un accroissement grave des inégalités, un appauvrissement du monde rural11, une urbanisation anarchique dont elle a été relativement préservée, des conflits sociaux, religieux attisés par l'arrivée au pouvoir d'un parti hindouiste intégriste, Bharatiya Janata Party (BJP), qui remet en cause les fondements de la nation indienne telle qu'elle a été proclamée par Gandhi et Nehru dès l'indépendance en 1947.
L'économie indienne est dominée par des dynasties privées tout à la fois innovantes (en lien avec des transnationales occidentales) sur le plan technologique et économique et rétrogrades sur le plan social et politique.
Les assassinats successifs du Mahatma (janvier 1948), de Indira Gandhi (31 octobre 1984) et de son fils Rajiv (21 mai 1991) annonçaient l'incapacité de l'Inde de se défaire d'une conception verticale et cloisonnée de la société indienne. L'« homo hierarchicus » hindouiste cachait en réalité la défense de gros intérêts féodaux fondamentalement rétifs à l'idée d'égalité et de partage des richesses et du pouvoir.(12)
Depuis des années, plus de la moitié des demandeurs de visas d'immigrants qualifiés aux États-Unis viennent d'Inde dont les compétences technologiques sont systématiquement pillées.
Le PDG d'Alphabet, Sundar Pichai, société mère de Google, a été formé en Inde. Il en est de même de Vinod Khosla, cofondateur de Sun Microsystems. D'autres Indiens occupent les plus hauts postes de la tech américaine : Arvind Krishna chez IBM et Nikesh Arora à Palo Alto Networks, ainsi que Satya Nadella à Microsoft et Shantanu Narayen à Adobe. Tous sortis de l'Indian Institute of Technology (IIT) à Bombay (Mumbai).
Le réseau des IIT a été créé en 1950 par le Premier ministre indien, Nehru, afin de doter son pays de diplômés en sciences et en ingénierie hautement qualifiés après l'indépendance en 1947. Comme dans de nombreux pays dépendants, ces compétences servent plus aux pays riches qu'à ceux qui paient très cher leur formation et dont les intérêts commanderaient de les maintenir chez eux ou de les voir y retourner.
- La Chine a adopté une autre stratégie.
D'où la comparaison pertinente entre deux pays de taille équivalente, de conditions identiques au lendemain de la dernière guerre mondiale, mais de sort si dissemblable aujourd'hui.
D'un côté, on a toujours un pays du tiers-monde qui se débat dans les difficultés communes aux pays pauvres incapables d'« émerger » et, de l'autre, un pays « totalitaire » qui a fait passer son économie de l'état d'indigence à celle de première puissance économique, commerciale et technologique du monde (on laissera le soin aux adeptes des Guinness des records, le soin d'affiner leurs calculs en PPA et d'ajuster les projections à la décimale près).
Inde-Chine. (En Md$)
PIB. Inde Chine
2001 : 458 1 300
2020 : 2620 15 000
Exportations Inde Chine
42.3 (en 2000) 325 (2020)
241 (en 2020) 2 000 Md$
(1er exportateur mondial en 2021)
La pandémie n'a pas fait que des malades et des morts en France. Elle a privé l'économie touristique française de précieuses ressources, les dépenses des Chinois qui visitent la France dont le nombre a explosé (715.000 en 2009, 2.2 millions en 2018)(13).
A l'inverse, quel impact économique représenterait la disparition des touristes français qui visitent la Chine ? Un chiffre suffirait à répondre à la question : en 2018 la Chine, dont le tourisme est surtout asiatique, a reçu 15 600 clients français à comparer aux 143 millions de touristes qui visitent la Chine.
- Facteurs du développement chinois.
1.- Le rôle de l'Etat chinois.
La Chine a fait la démonstration qu'un pays peut se développer et devenir une très grande puissance économique, commerciale et technologique sans passer par le marché.
Et parler du développement d'un pays, non de 50 millions d'habitants mais de près de 1.5 milliard, ce n'est pas peu dire, en un temps court d'une trentaine d'années, la performance n'est pas mince. Cela donne à réfléchir...
Elle a subventionné avec de l'argent public ses entreprises d'Etat. Poids des entreprises sous contrôle public dans le PIB chinois : il est passé de 15 à 30% en 10 ans entre 2011 et 2021.
Contrairement aux doctrines libérales, populaires auprès des potaches et des technocrates un peu partout dans le monde depuis l'arrivée au pouvoir de Mme Thatcher en Grande Bretagne (1979) et R. Reagan aux Etats-unis (1980), sans le rôle central de l'Etat chinois sans rien n'aurait pu être accompli. C'est l'architecte et le processeur au coeur de la réussite chinoise.
Un des points décisifs dans la réussite chinoise qui ne pouvait être concevable sans maîtrise technologique, a consisté à systématiquement exiger des transferts de technologies en contrepartie des investissements étrangers chez elles.
L'Etat a consolidé les entreprises publiques, sa diplomatie, sa défense nationale... Tous les pays en font autant, et certains plus que d'autres. Songeons aux moyens tout aussi considérables que les Etats-Unis apportent à leur système militaro-industriel : plus de la moitié des dépenses militaires dans le monde. Songeons aussi aux passerelles entre civil et militaire qui profitent aux deux en permettant de contourner (dans les économies de marché) la sacro-sainte règle de la concurrence « loyale et non faussée ».
L'Etat chinois a mobilisé des moyens considérables et surtout une coordination de l'action aussi bien dans le domaine économique, commercial, technologique, urbanistique...
Ceux qui le lui reprochent sont aussi ceux qui ne respectent les règles que lorsqu'elles sont à leur avantage. C'est le cas par exemple du verrouillage des brevets par le Big Pharma. « Ne jamais engager une guerre que l'on n'est pas sûr de gagner. » « Gagner une bataille avant même de l'avoir entamée », « L'art de la guerre, c'est de soumettre l'ennemi sans combat.... »
Jamais le Chinois Sun Tsu n'a eu autant de succès qu'en Occident où ses préceptes sont enseignés dans les Ecoles de stratégies.
- La puissance est affaire de réseaux géostratégiques.
La puissance technologique ne vaut que par l'espace et le temps que l'on parvient à mettre à son service. A chaque empire dans l'histoire correspond une maîtrise de l'espace-temps spécifique. Il en est ainsi depuis l'empire romain. Au moins.
Lancées en 2013, les Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative, BRI)14 ont permis aux entreprises chinoises à la fois de réduire leur dépendance stratégique à l'égard des transports internationaux occidentaux qui exercent un pouvoir sur le commerce mondial et une médiation logistique dispendieuse, et de récupérer une partie plus importante de la valeur ajoutée produite par les Chinois. Pour cela, la Chine a lancé 3 100 projets d'infrastructures dans au moins 70 pays dans le monde. L'axe euro-asiatique : Pékin-Moscou-Berlin-Athènes-Rome... auquel on peut ajouter Istanbul, Téhéran... est d'abord la réponse à une contrainte géostratégique de contournement du dispositif américain qui contrôle toutes les mers et océans de la mer de Chine à la Méditerranée.
Ce contrôle est strict assuré par des armadas militaires équipées de pied en cape. Au large de la Chine, c'est la VIIème Flotte du Pacifique qui s'en charge. Dans l'Océan Indien, c'est la Vème Flotte qui prend le relais. Et c'est à la VIème Flotte que revient le soin d'assurer la sécurité du trafic (et autres missions...) qui passe par la mer Rouge et le Canal de Suez. C'est sur ce contrôle que compte l'Amérique pour peser sur la Chine.
C'est pourquoi à ces voies maritimes traditionnelles, la Chine a ajouté deux autres axes de communications :
- Un axe ferré qui part de Wuhan et traverse toute l'Asie continentale jusqu'à Duisburg, sur 11 300 km, en passant par les anciennes République Socialistes Soviétiques, et en recyclant les vieilles « routes de la soie ».
Avantages : le voyage dure 12 à 15 jours, alors que le trajet par bateau au sud dure environ 2 mois sur le double de distance (20 500 km).
Inconvénients : Le coût par train est deux fois plus élevé et la capacité de transport est faible. Il faut 250 trains pour transporter l'équivalent de la charge d'un seul porte-conteneurs.
- Un axe en plein développement : le passage par l'Arctique. Le trajet dure 33 jours sécurisé par les brise-glace russe.
Remarque. Une contrainte est commune à tous ces moyens de transport : l'asymétrie du commerce. Pour optimiser la rentabilité des échanges, il est nécessaire que les trains et les bateaux soient également remplis à l'aller comme au retour. Ce qui n'est que partiellement le cas.
Ces deux nouveaux axes contournent et relativisent le contrôle américain et renforce les liens entre la Chine, la Russie et les pays d'Asie Centrale.
Pour compléter le dispositif, La Chine s'est dotée de son propre réseau de transport de conteneurs. En juillet 2018, est né Cosco de la fusion avec China Shipping en 2016 et de l'achat de OOCL (Orient Overseas Container Line). Cosco se place désormais en 3ème position derrière les occidentaux Maersk et MSC, avec 156 porte-conteneurs avec une capacité totale de 1 194 776 EVP(15).
Cela permet à la Chine d'accéder directement aux matières premières nécessaires à son économie et d'en négocier les conditions et de distribuer directement ses produits sans passer par les intermédiaires occidentaux.
- C'est pourquoi elle a massivement investi en Afrique.
Une mauvaise querelle lui est faite en dénonçant l'endettement des pays africains pour les subordonner aux intérêts chinois. Nous y reviendrons en détail prochainement.
A supposer que cela soit vrai (après tout la Chine a aussi le souci de ses intérêts), ces critiques oublient que c'est l'ordinaire de la pratique occidentale dont les institutions financières (FMI, Club de Paris et de Londres, Banque Mondiale...) pour optimiser l'exploitation des pays en développement et, si nécessaire y dépêcher des troupes pour mettre bon ordre.
- A titre de comparaison
L'Amérique Latine et l'Afrique ont subi des « plans d'ajustement structurels » d'une rigueur extrême qui ont contribué à leur sous-développement. L'endettement est un cycle infernal qu'aggrave le rééchelonnement. Loin d'assurer leur prospérité, ils ont défait les tissus économiques existants et enfoncé les pays qui les sont subits, par l'austérité qui leur a été imposée. L'Argentine, le Brésil, le Chili, le Pérou, l'Algérie... ont payé très cher l'« aide » apportée par les pays occidentaux à leur « prospérité ».(16)
Nous ignorerons délibérément les « conquêtes » coloniales entreprises depuis 1492 et les traites négrières depuis la « controverse de Valladolid » (1550).
3.- D'investie, la Chine devient investisseur.
La Chine organise régulièrement des sommets avec les pays qui accueillent ses investissements et qui participent à ses réseaux commerciaux.
En 2012, elle a fondé un groupe euro-chinois, inscrit dans le cadre des BRI. Un sommet sino-européen « 17+1 » (en direct vidéo) a réuni le mardi 09 février 2021 17 pays d'Europe centrale et des Balkans, dont 11 membres de l'Union européenne (UE). 17
En 2016, l'entreprise chinoise Cosco a racheté le port du Pirée en Grèce. Plus de 15 000 conteneurs y transitent chaque jour, faisant du Pirée le premier port de Méditerranée. Une métamorphose spectaculaire, réalisée en dix ans à peine grâce à la Chine. 2 500 emplois ont été créés. Une bouffée d'oxygène dans cette région où le chômage dépasse parfois 50%.18
Prochaine étape : l'accès direct des entreprises chinoises au bas de filières, aux consommateurs occidentaux, là où les transnationales occidentales réalisent l'essentiel de leurs profits en spéculant sur une valeur ajoutée produite par les travailleurs chinois.
Cette bataille sera difficile. On peut en avoir un aperçu à propos de la réaction américaine au succès de Huawei qui bat à plate couture ses concurrents taiwanais et américains aussi bien sur le plan technologique (5G) que commercial sur le marché des smartphones.
Le développement interne de la Chine lui a permis de disposer d'un marché intérieur à même de le soustraire pour une large part aux contraintes extérieures.
Ce développement, la Chine l'a étendu aux pays voisins, pour consolider son propre commerce, ses marchés et aussi son influence. Exemple du TGV dont la Chine a dévoilé, en juillet 2021, une version roulant en théorie deux fois plus vite qu'un TGV français.
La construction du réseau de train à grande vitesse est un exemple remarquable qui revient l'attention. Depuis l'entrée en service de la ligne Pékin¬Tianjin, en 2008, la Chine a dépensé en moyenne 800 milliards de yuans (111 milliards d'euros) par an pour la grande vitesse.
Fin 2020, le pays comptait 37 900 kilomètres de LGV, dont la moitié a été construite ces cinq dernières années. Elles représentent les deux tiers du réseau mondial.
En 2021, 3 700 kilomètres de plus devaient être inaugurés, soit, en un an, davantage que le total des lignes françaises en opération (2 800 kilomètres). (Le Monde, J. 09 décembre 2021)
Début décembre la Chine et le Laos ont inauguré une liaison ferroviaire commune à grande vitesse.
Les coûts du développement.
Les performances et les résultats obtenus par la Chine pourraient induire en erreur : les progrès réalisés ont coûté très cher à la Chine et aux Chinois.
Pendant de très longues années, ils ont consenti à un labeur dur et mal payé, à ce que leur travail soit exploité largement par les marchands occidentaux qui, seuls, avaient accès au consommateur final occidental.
En vertu de cette spéculation, en vertu de cet abus, les Chinois ne recevaient qu'une part infime de ce que rapportait la vente de leurs produits.
L'ancien directeur général de l'OMC (ancien commissaire européen français au commerce)19 se félicitait de ce que cette part de valeur ajoutée qui revenait aux Chinois (alors que ces biens étaient le produit de leur travail) en représentait une fraction mineure.
Comme de nombreux autres pays du sud dont on a exploité la main d'oeuvre, les richesses naturelles, sur lesquels sont toujours déversées des Himalaya de déchets (Bangladesh, Maldives, Sénégal... Chine)
Au 1er janvier 2021, la législation européenne prévoit d'interdire l'envoi de déchets plastiques non-triés vers des pays plus pauvres, non-membres de l'OCDE. On sait ce qu'il en est des règles de ce type quand il s'agit de les faire respecter dans des pays où il n'existe aucun moyen de les faire appliquer...
En 2018, la Chine avait pris la décision de ne plus être la « poubelle du monde », et ainsi d'interdire purement et simplement le transit de déchets à ses frontières. (Le Figaro, L. 22 janvier 2018).
De nombreux autres pays pauvres ne peuvent se le permettre, soit parce ces déchets et leur recyclage -aussi nuisibles soient-ils pour l'homme et la nature- sont une ressource incontournable, auxquels aucune activité n'est substituable, soit parce que leurs autorités sont corrompues, soit le plus souvent les deux.
La Chine est devenue une puissance. Et, de ce fait même, représente un danger, une menace sur la prospérité et la sécurité des pays occidentaux qui dominent le monde depuis la Chute de Grenade.20
Parmi tous les reproches qui lui sont adressés (cf. plus haut), il y a l'accusation cynique de polluer la planète. Le même genre d'accusations sournoises adressées à l'Allemagne par ses voisins, à propos de son abandon du nucléaire et de l'achat de gaz russe.
Il est vrai que les législations deviennent de plus en plus contraignantes en cette matière en Europe et en Amérique du nord. Les opinions publiques y sont sensibles au point que ce sujet est désormais incarné dans des partis politiques qui ont pignon sur rue.
Mais les manipulations sont au détour de chaque campagne.
Pollutions et jongleries statistiques
L'Occident offre le visage de la vertu.
Depuis 20 ans. La consommation d'énergie aux Etats-Unis baisse de 15% (alors que leur PIB s'est accru de 25%). Mais est-on autorisé à parler de découplage pour autant ?
De 2000 à 2018. Emission totale de CO2 par pays.
France : -16%
Allemagne et Italie : -20%
Etats-Unis : -8%
Chine : +200%
Inde : +150%
Il ne faut pas se contenter de l'empreinte carbone produite en chacun des pays. Il faut intégrer ce qui est produit ailleurs (carbone compris) et qui est importé par les pays occidentaux.
1% de la population mondiale produit 17% de la pollution mondiale. Les riches consomment le plus, polluent en toute impunité et en souffrent le moins.
Avec un voeu pieux : Le découplage est érigé en nécessité universelle : produire plus pour satisfaire les besoins de tous et moins polluer pour protéger la biosphère terrestre.
Emissions de CO2 par habitants (tout compris)
USA : 25 tonnes
France : 11
Chine : 5 (ce qui équivaut aux émissions de la France dans les années 1930.)
Remarque. Le carbone reste 1 siècle dans l'atmosphère.
Le cas des « terres rares » est emblématique. Ces matières premières ne sont pas si rares. Ce qui est rare c'était le pays où les transnationales qui en avaient le besoin pouvaient les transformer et polluer à loisir sans craintes pour les pays vers lesquels ils exportaient des produits finis débarrassés de toutes les nuisances et déséconomies dont ils prenaient soin de ne jamais instruire leurs clients.
Victimes du développement de la Chine.
Les premières victimes sont les pays de la première vague de délocalisation des processus productifs proches des pays industriels qui vont peu à peu cesser de l'être : les pays du sud et de l'est de la méditerranée, le Mexique, les pays d'Amérique Centrale et du reste de l'Amérique Latine, selon leur régime politique et l'« ouverture » de leur économie, aussi bien aux capitaux qu'à leur départ vers (le plus souvent) les havres fiscaux off shore (les îles Caraïbes, anglo-normandes, Gibraltar, Lichtenstein... et même la Suisse, le Luxembourg et certains Etats Etasuniens.21
L'arrivée de la Chine dans la mondialisation va bouleverser ce paysage et annuler les avantages précédents : la distance géographique euclidienne perdra tout avantage comparatif et les pays qui accueillaient les usines dans la phase précédente, vont être peu à peu désertés.
Ce sera le cas des pays cités plus haut : La Turquie, la Tunisie au sud et à l'est de l'Europe et le Mexique, voisin des Etats-Unis. On peut aussi y ajouter certains des ex-pays de l'Est intégrés dans l'économie de marché.
On ne peut comprendre la crise tunisienne (la « révolution du jasmin ») sans la lier à cette évolution qui a fait perdre à la Tunisie l'essentiel de la compétitivité que lui conférait la proximité de l'Europe, concurrencée qu'elle l'a été (et elle l'est toujours) par les pays d'Europe du sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) qui se sont battus pour conserver leurs parts de marché (quitte à se rapprocher de la Chine, comme c'est le cas de l'Italie et de la Grèce, intégrés dans les BRI), avec le bénéfice que leur confère l'appartenance à l'Union.
Conclusion.
De l'expérience chinoise on peut retenir quelques leçons.
1.- Le sous-développement n'est pas inéluctable. Des hommes décidés, motivés, organisés peuvent, en un temps relativement court (qu'est-ce quelques décennies dans la vie d'une nation ?), assurer à leur population un niveau de vie satisfaisant. Certes, n'est la Chine qui veut.
2.- Contrairement aux idées reçues, le marché n'est pas plus inéluctable que le sous-développement et la subordination. Il a été imposé à la Chine que l'a utilisé à son profit, mais à son corps défendant. Le contrôle de l'accumulation du capital et de sa financiarisation évitent aux Chinois les criantes inégalités observées ailleurs en Occident et l'inqualifiable et insupportable misère que connaissent tous les pays qui ont ouvert imprudemment leurs frontières à la « liberté » marchande et à son corollaire politique, la démocratie représentative extrêmement sélective dans sa représentativité.
Il y a bien sûr le sempiternel mot de W. Churchill égaré entre les moins bons et les mauvais systèmes...
3.- Malgré son développement, la Chine demeure sur ce versant-ci de l'univers. Contrairement au Japon schizophrène écartelé entre mondialisation et confinement féodal insulaire.
4.- Malgré toutes les précautions et la Chine commence à en avoir un réel souci, la consommation de 1.5 milliard d'habitants à un niveau similaire à celui des Européens et des Nord-américains n'est pas tenable. D'autant moins qu'on ne peut (qui le pourrait ?) en exclure les Africains, les Indiens...
Le recyclage, l'économie circulaire, la frugalité de la consommation d'énergie (à ce sujet ce n'est pas la rareté inévitable des ressources fossiles qui pose problème, mais et bien la dissipation d'énergie dans la biosphère) suffiraient-ils à éviter à la planète des processus catastrophiques irréversibles ?
C'est pourquoi le rôle des Etats localement et le multilatéralisme globalement deviennent de plus en plus une impérative nécessité.
Et après ?
Le temps des « conquêtes de l'Ouest » est terminé et nous faisons le pari que les divagations de E. Musk sur le déménagement de l'humanité vers une autre planète n'ont qu'un seul but : améliorer ses performances boursières à très court terme. Nous le comprenons d'autant plus que se profilent à l'horizon des corrections boursières devant lesquelles la « crise de 1929 » sera reléguée au rang de tempête dans un verre d'eau.
Toute la question sera de savoir qui va payer le recyclage des eurodollars et des junk bonds abondamment distribués via toutes les banques de la planète ?
Nous savons que les Russes ont depuis longtemps commencé la conversion de leurs dollars en or et que les Chinois songent à se délester de leurs bons américains, sachant que la dévaluation des créances américaines dévalue ipso facto les contreparties qu'ils possèdent.
Notes
1 - « Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera». Fayard, 1973, 475 p. Même s'il n'entrevoyait pas les réalisations auxquelles est parvenu ce pays aujourd'hui et se contentait d'échafauder une stratégie au service de son pays qui amena le général de Gaulle a reconnaître la Chine communiste en recommandant à Nixon plus tard d'en faire de même, A. Peyrefitte a incontestablement fait oeuvre de politique avisé que la France a cessé de produire depuis longtemps.
2 - La France a connu deux grandes vagues de privatisation. La première, sous E.Balladur (ministre de la privatisationès qualité), lors de la première période de cohabitation, entre 1986 et 1988, et sous le socialiste L. Jospin après la surprenante dissolution de l'Assemblée Nationale par J. Chirac en 1997. Aucun gouvernement n'avait dans l'histoire de France autant privatisé que celui de L. Jospin. (https://www.lemonde.fr, 16 nov. 2009)
3 - Cinq « Visiteurs du soir » (en juillet 1983) pèseront sur un F. Mitterrand indécis pour que le franc soit maintenu au sein du Système Monétaire Européen, avec toutes les conséquences qu'a subi la France jusqu'à ce jour.
4 - Les Echos, V. 10 décembre 2021.
5 - L'Allemagne est le premier investisseur étranger en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie et en Pologne.
6 - Abdelhak Benelhadj : « Europe fédérale, Hamiltonienne ou Allemande ?» Le Quotidien d'Oran, J. 09 décembre 2021.
7 - Né le 15 février 1991, le groupe de Visegrád est aussi appelé Visegrád 4 ou V4 ou triangle de Visegrád. Organisation supra-nationale, PGV a permis à ses membres d'adhérer à l'OTAN et l'UE.
8 - Paris a vu se dégrader la place de la langue française dans les ex-pays de l'est où elle se battait d'égale à égale avec l'anglais. La France préfère l'investissement dans les services. Exemple de la Pologne où, officiellement, la France est depuis 2000 le premier investisseur en Pologne, grâce notamment aux récents investissements de France Télécom, Vivendi, Auchan, Carrefour et Casino. Cependant, l'Agence polonaise pour l'investissement étranger ne comptabilisant que les investissements supérieurs à un million de dollars, ne tient pas compte des nombreux investissements de PME allemandes, qui selon le ministère des Affaires étrangères allemand placent en réalité l'Allemagne au premier rang des investisseurs.Cf. « La présence Allemande en Europe centrale :Rencontre d'intérêts ou politique de conquête ? » Revue Synthèse, n°73, 11 janvier 2003.
9 - On peut lire trois des volumes qui ont été consacrés cette question, publiés chez Fayard.
- 1972. Halte à la croissance ? 214 p.- 1974.
La surchauffe de la croissance. Essai sur la dynamique de l'évolution. 140 p.- 1975. L'heure de la vérité. 137 p.
10 - Cf. la triple catastrophe de Fukushima (mars 2011) : un séisme (de magnitude 9 sur l'échelle de Richter, à 300 km au NE de Tokyo) a entraîné (d'abord des dommages à la centrale nucléaire) un tsunami qui a aggravé l'état de la centrale, provoqué une fusion de son coeur et un rejet de produits radioactifs dans l'océan. Le démantèlement de la centrale ne sera complètement achevé qu'en 2050-2060 au mieux...
11 - Après une longue année de grèves et de protestations des paysans, le gouvernement Modi vient de déclarer l'abandon de son projet de loi concer nant l'agriculture indienne.
12 - Bollywood (l'industrie cinématographique indienne) met en scène cette conception à travers la plupart de ses productions. A titre d 'exemple, on peut citer un film qui a eu beaucoup de succès, par-delà le « sous-continent »: « La famille indienne »de Karan Johar (2001 en Inde, 2004 en France).
13 - Les touristes « Chinois représentent 2,5% de la fréquentation touristique totale, ils sont encore plus lourds' économiquement : avec 4 milliards d'euros de dépenses, ils totalisent 7% de la recette touristique» AFP, Le Figaro, L. 27 janvier 2020.
14 - Concept forgé au XIXesiècle par le géographe Allemand Ferdinand von Richthofen. Il coule de source que les historiques « routes de la soie », voies commerciales parsemées d'oasis et contraintes par les climats et les reliefs, de la Méditerranée aux frontières chinoises, n'ont que peu à voir avec les ré seaux anastomosés que la Chine a tissé au service de son économie et de son commerce. Les Chinois ont raison de le baptiser d'un label plus conforme à leurs objectifs : « Belt and Road Initiative» (BRI) et de s'écarter de l'inclination immodéré des Occidentaux pour les références et les envolées emphatiques.
15 - Unité de mesure de capacité de transport en multiple du volume standard occupé par un conteneur de 20 pieds (i.e. 6 m). Par exemple, un porte-conteneurs 1500 EVP est doté d'une capacitéé quivalente à 1500 conteneurs de 20 pieds.
La standardisation du transport maritime (en opposition aux vraquiers dont la manutention est peu productive) a aussi bénéficié aux autres transports par la connexion des réseaux via les intersections multimodales.
16 - Ce dimanche 12 décembre les Argentins sont descendus en masse dans la rue pour refuser tout accord avec le FMI dont les prescriptions les ont affamés lors des PAS précédents. Les manifestants crient leur désespoir : « La dette est envers le peuple, pas le FMI ». « C'est horrible de voir dans des hôpitaux des enfants au petit ventre gonflé par la faim. Ca existe, aujourd'hui, en Argentine! »,. « Tous les 8-9 ans, cela recommence, on nous vend' au FMI (...) la seule option que je vois est de ne pas payer, mais traquer les capitaux enfuis à l'étranger. Que ceux-là payent! »(AFP D. 12 décembre 2021). Ces slogans pourraient être repris à l'identique dans de nombreux autres pays. A moins de demeurer débitrice perpétuelle, et donc sous contrôle étranger éternel, jamais l'Argentine n'arrivera à s'acquitter de ses 350 Md$ de dette publique. Un simple jeu d'écriture dont les Argentins n'ont pas vu la couleur. Sans compter les fuites de capitaux facilitées par les accords qui facilitent la circulation des capitaux et la liberté des changes. Les défenseurs de la légalisation de l'informel (ex-trabendistes) qui noyautent les rouages de l'Etat en Algérie, exigent tout autant, comme nécessaire à l'investissement étranger et le recyclage des capitaux mal acquis. Le sempiternel projet de privatisation des banques algériennes y participe.
17 - En mai, la Lituanie a quitté cet espace de concertation. Vilnius s'est aligné sur Washington et a repris à son compte toutes les critiques adressées par les Etats-Unis à la Chine. En août, un bureau de représentation de Taïwan a ouvert dans la capitale lituanienne, suscitant une crise diplomatique: la Chine, qui ne tolère que les « bureaux de représentation de Taipei », a rappelé son ambassadeur et renvoyé celui de la Lituanie. (Le Monde, J. 21 octobre 2021).
18 - Franceinfo, L. 26 avril 2021.
19 - Ce « socialiste » français a un parcours singulier. Membre de la direction de l'Institute for East West Studies jusqu'en 1995, dont le président d'honneur est George H. W. Bush, il est également membre du conseil d'administration de ODC (Overseas Development Council - Washington) jusqu'en septembre 1999. De 1996 à 1998 inclus, Pascal Lamy est membre de la branche Europe de la RAND Corporation (RAND Europe Advisory Board). Il a également été président de la commission Prospective du CNPF, futur MEDEF jusqu'en septembre 1999. Il a été à plusieurs reprises membre du bureau du club « élitiste»Le Siècle.
Il a participé très régulièrement à la conférence de Bilderberg (en 2000, 2001, 2003 et 2005), «laboratoire d'idées » réunissant les chefs d'entreprise les plus influents de la planète.
20 - Graham Allison : « Vers la guerre. L'Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide?» Tard. O. Jacob, 2019, 408 p. L'auteur explore et renouvelle, au prix d'un recours acrobatique à l'antiquité, le concept belliciste usé jusqu'à la corde, de « guerre préventive ». Ce délire a eu un succès éditorial mondial.
21 - Alain Wisner (1985) : « Quand voyages les usines. Essai d'anthropotechnologie ». Syros, 196 p.
- Pierre Judet (1981) : « Les Nouveaux Pays Industriel ». Editions ouvrières. Coll. Nord-sud. 170 p.
- René-François Bizet (1981) : « Les transferts de technologie ». PUF, QSJ, 1915, 123 p.
Abdelhak Benelhadj
Jeudi 16 decembre 2021
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5308099
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