Des ouvrages reviennent sur les années algériennes d’Albert Camus et leur importance : l’enfance, avec une biographie de son instituteur Louis Germain (1), le cycle de formation qu’illustre son reportage sur la misère en Kabylie (2) et, dans un essai un peu plus ancien, la jeunesse, à travers ses correspondances avec ses amis Bénisti (3).
Germain fut, après la mère de Camus, la seconde personne à qui l’auteur pensa avec gratitude à l’annonce de l’attribution du prix Nobel de littérature, en 1957. Celui que, dans Le Premier Homme, il dépeint en « maître d’école à l’ancienne » changea le cours de son destin en intervenant auprès de sa grand-mère pour la dissuader de retirer l’enfant de l’école. Germain était lui-même fils d’instituteur, un pur pied-noir de la région de Saïda, dans le sud-ouest de l’Algérie. Il considéra comme un devoir sacré de prendre soin de l’orphelin, dont le père était tombé durant la Grande Guerre. Au moment des lauriers, Germain dira à Camus : « De toute façon, et malgré Monsieur Nobel, tu restes mon Petit »… Favorable à l’indépendance, Germain demeura à Alger jusqu’à sa mort, en 1964. Si le maître, comme nous le dit son biographe, avait bien des convergences de vue avec son fils spirituel, il divergeait sur le fait colonial.
La correspondance avec ses amis Bénisti (1934-1958) — une cinquantaine de lettres reçues pendant près de vingt-cinq ans par les frères Bénisti et leurs épouses — nous plonge dans les « années ferventes » de formation et de doute de l’auteur de L’Étranger, offrant une grande richesse d’informations, dans un style d’une sobre élégance qui transforme la réalité en quasi-fiction littéraire. Misère de la Kabylie consiste en onze reportages parus en juin 1939 dans Alger républicain, publiés ici en intégralité et illustrés par les photographies d’origine. Le reporter avait 26 ans. Il avait quitté le Parti communiste deux ans auparavant. Il parcourt l’« itinéraire de la famine » d’un peuple qui vit d’herbes et de racines, et dénonce « un régime d’esclavage », un habitat où hommes et bêtes se côtoient dans les « odeurs pestilentielles de l’urine et des excréments ».
L’éthique camusienne se fonde sur la générosité, la compréhension fraternelle, la justice. Mais elle rencontrera vite ses limites puisque Camus n’établira pas de rapport dialectique entre oppression et système colonial. Il préconise une réforme du colonialisme et non son abolition. À la décharge de celui que certains, dont Albert Memmi, traiteront de « colonisateur de bonne volonté », le décret Régner du 30 mars 1935 (qui sanctionnait toute contestation de l’ordre colonial) obligeait Camus à utiliser un langage oblique. Cependant, ses positions après le déclenchement de la révolution algérienne, alors qu’il est au sommet de sa célébrité, montrent que ce décret ne suffit pas à expliquer sa position timorée vis-à-vis de l’indépendance.
Enfin, en guise de post-scriptum, on trouvera une Lettre à Camus (4) dans laquelle Martine Mathieu-Job, elle-même née en Algérie, dit toute son admiration pour le parcours du petit élève de Louis Germain à
Belcourt, devenu un phare intellectuel d’aujourd’hui.
(1) Patrick De Meerleer, Louis Germain, instituteur et père spirituel de Camus, Domens, Pézenas, 2021, 256 pages, 18 euros.
(2) Albert Camus, Misère de la Kabylie, édition intégrale établie et présentée par François Bogliolo, Domens, 2021, 208 pages, 18 euros.
(3) Albert Camus, Correspondance avec ses amis Bénisti. 1934-1958, édition dirigée par Jean-Pierre Bénisti et Martine Mathieu-Job, Bleu autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule, 2019.
(4) Martine Mathieu-Job, Mon cher Albert. Lettre à Camus, Elyzad, Tunis, 2021,
Arezki Metref
https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/METREF/64214
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