Camille Renaud (Vendée) : « Une cérémonie de repentance pour le sort fait aux harkis avec les promesses du chef de l’État fait la une de la presse. Mais qui connaît le sort de 2 000 bidasses, soldats français, hommes du rang, qui ont été mutés sans leur avis, dans les 114 unités des Forces de l’ordre algériennes début avril 1962. Créées par les accords d’Évian, placées sous les ordres de l’Exécutif provisoire, appelées plus souvent « la Force locale », elles regroupaient les appelés, les engagés algériens de l’armée française. Il avait été versé dix-sept appelés français (FSE) dans chaque unité. J’avais donc seize mois d’armée et je revenais de ma permission en France. Je me suis retrouvé parmi des Algériens, commandé par des Algériens, dans une chambrée avec un seul ami français, 2e classe comme moi. Nous sortions de combattre les rebelles algériens et nous étions à la merci de ces soldats qui savaient que la France partait et nous avec. Combien de camarades ont-ils été tués ou ont disparu alors qu’ils avaient été mutés dans la Force locale ? Nous en connaissons quelques-uns, mais beaucoup de familles n’ont rien su de la mutation et des conditions de celle-ci dans la Force locale. Nous faisons partie des « oubliés » de la guerre. »
Les Oubliés de la République
Il est toujours plus facile de commencer une guerre que de la terminer. Si dès septembre 1959, à travers son discours sur l’autodétermination du peuple algérien, le général de Gaulle « comprit » l’inéluctabilité de l’indépendance de l’Algérie, il fallut encore plus de deux ans pour parvenir à la signature des Accords d’Evian. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes Algériens, qui avaient répondu à la conscription, servaient alors dans l’armée française et ils constituèrent le noyau de la Force d’Ordre, dite Force locale, devant assurer le maintien de l’ordre sous les ordres de l’Exécutif provisoire, entre le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et le vote d’autodétermination du 1er juillet 1962 dont le résultat ne faisait guère de doute. Faute de cadres indigènes compétents en nombre suffisant (même après 130 ans de colonisation), des militaires français, engagés et 3 000 à 4000 appelés du contingent, furent affectés à ces unités de Force locale.
Cent quatorze de ces unités furent constituées à partir de compagnies de l’armée française ; elles devaient conserver un lien organique avec les régiments dont elles étaient issues. Dans l’exemple que j’ai vécu, celui de la 403e UFL rattachée au 3e Bataillon de Zouaves, les choses se passèrent le plus correctement possible compte-tenu des difficultés présentées par une telle situation et, semble-t-il, il en fut de même pour l’ensemble des UFL du Constantinois. Le lien organique avec le 3e B.Z. ne fut jamais coupé, une section de la Légion étrangère fut placée en protection de l’UFL et, conformément aux ordres reçus, les appelés français furent retirés la veille du scrutin d’autodétermination. La transmission de pouvoir avec l’ALN se passa sans drame.
Les témoignages recueillis, notamment sur les sites créés par d’anciens appelés de la Force locale, semblent montrer qu’il n’en fut pas de même dans l’Algérois et l’Oranais où, il est vrai, la situation militaire s’était présentée d’une manière différente durant les sept années de guerre. Tout d’abord, les officiers ne prirent pas soin d’expliquer aux jeunes métropolitains qu’ils versèrent dans ces unités les enjeux nés de la conclusion du cessez-le-feu. Faute d’information, ceux-ci ne faisaient guère de différence entre les soldats des UFL, issus de l’armée française, et ceux de l’armée de libération nationale qu’ils avaient combattu pendant des mois en les considérant comme des terroristes.
Nombre de ces officiers eux-mêmes qui, s’ils ne rejoignaient pas l’OAS, en étaient néanmoins proches psychologiquement, n’avaient pas compris la nécessité de mettre fin à cette guerre et encore moins les modalités et la finalité de Accords d’Evian. Ils ne déployèrent donc aucun zèle pour promouvoir l’action de la Force locale d’autant que, dans cette situation de transition politique, une propagande très active en faveur du mouvement indépendantiste se propagea jusqu’au sein des unités de Force locale.
Mais le pire était encore à venir. Les derniers de jours de juin, certains chefs de corps se désintéressèrent complètement du sort des appelés qu’ils avaient affectés dans des UFL et n’organisèrent pas leur rapatriement vers les unités de l’armée française. Selon les témoignages rassemblés sur le site internet d’Yvan Priou, certains de ces militaires furent séquestrés par des foules en délire, molestés par des « résistants de la dernière heure ». Surtout certains, dont le nombre est difficile à préciser, furent enlevés et disparurent à jamais.
Un voile fut jeté sur ces disparitions et, non sans difficulté, l’autorité militaire accepta de considérer ces victimes comme « Morts pour la France », des morts comme les 28 000 autres de la Guerre d’Algérie. Il est même difficile de les dénombrer car il fut décidé de traiter l’appartenance à la Force locale comme un simple détachement et de ne pas la faire figurer sur les états signalétiques de services et les livrets militaires. Ainsi, aujourd’hui, il est impossible de prouver avoir servi dans les UFL sans une longue vérification dans les archives régimentaires.
Les survivants de ce peu glorieux avatar de notre histoire militaire ont un devoir de mémoire envers leurs camarades tués et disparus. Soixante ans après, le moment semble venu pour que, en-dehors de toute polémique, des historiens exhument les documents existants, éclairent les conditions de ces disparitions et apportent à des familles traumatisées, négligées jusqu’ici, la certitude que le sacrifice de leurs enfants, comme celui des tués du 10 novembre 1918 ou du 7 mai 1945, n’a pas été vain.
<< Mais le pire était encore à venir. Les derniers de jours de juin, certains chefs de corps se désintéressèrent complètement du sort des appelés qu’ils avaient affectés dans des UFL et n’organisèrent pas leur rapatriement vers les unités de l’armée française. Selon les témoignages rassemblés sur le site internet d’Yvan Priou, certains de ces militaires furent séquestrés par des foules en délire, molestés par des « résistants de la dernière heure ». Surtout certains, dont le nombre est difficile à préciser, furent enlevés et disparurent à jamais.
« Un survivant de ce peu glorieux avatar de notre histoire militaire qui avait un devoir de mémoire envers mes camarades tués et disparus ».
Yvan Priou
http://www.micheldandelot1.com
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