Lynchage à mort de Djamel Bensmail: 92 suspects présentés devant le procureur de la République du tribunal de Sidi M’hamed
e dimanche 22 août 2021, les suspects ayant participé à l’assassinat du jeune Djamel Bensmail, lynché puis décapité par la foule à Larbâa Nath Iraten (Tizi-Ouzou, le 11 août dernier), ont été déférés devant le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed à Alger.
Parmi les 92 mis en cause arrêtés en un temps record par les services de sécurité dans plusieurs wilayas, figuraient trois femmes dont l’infirmière qui a appelé à la décapitation de Djamel après avoir été brûlé sur la place publique Abane Ramdane, au centre de Larba Nath Iraten.
Ces derniers sont poursuivis pour homicide volontaire, lynchage et immolation par feu d’un cadavre, violation de l’enceinte d’un poste de police, appartenance à un groupe terroriste et actes de vandalisme portant atteinte à la sécurité de l’État.
Notons que, la direction de la Sûreté nationale (DGSN) avait déjà annoncé que l’enquête générale avait déclenché par ses services un permis de mettre à découvert un réseau criminel, classé comme organisation terroriste, qui était derrière ce plan ignoble, causant le décès du jeune Bensmail.
Il s’agit du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), organisation classée terroriste par les autorités du pays le 18 mai dernier. La DGSN avait rendu public mardi dernier (17 aout) des confisions filmées, dans lesquelles des suspects ont avoué avoir participé au meurtre, à l’immolation et à la mutilation du cadavre de feu Djamel et notamment leur appartenance au mouvement séparatiste MAK.
Il est à signaler que les services de sécurité ont eu grâce à l’utilisation de techniques modernes pour récupérer le téléphone portable de la victime, dont l’exploitation a permis aux enquêteurs de découvrir des « informations étonnantes sur les véritables mobiles du meurtre ». Ces informations n’ont toujours pas été révélées par la Justice en raison du secret de l’instruction.
Rappelant également que le défunt Djamel Ben Ismail, jeune artiste venu à Tizi-Ouzou pour participer aux opérations d’aides aux sinistrés des incendies qui ont ravagé la wilaya, a été lynché à mort puis brûlé par la foule qui le soupçonnait d’avoir allumé des feux.
Originaire de Meliana dans la wilaya d’Ain Defla, Djamel Bensmaïl, 35 ans a été accusé à tort par un groupe de citoyens à Larbaa Nath Iraten où il menait ses actions d’aides, d’avoir allumé des feux avec des bidons d’ essence qui aurait été retrouvée dans une voiture identifiée de plaques d’immatriculation.
Arrêté par la police, la nouvelle s’est envoyée comme une trainée de poudre, amenant des dizaines de jeunes de la commune à encercler le commissariat et l’arracher du véhicule de police où il se prépare pour le rouer de coups jusqu’à ce que mort s’en suive avant de prendre son corps et le brûler sous le regard impuissant des policiers submergés par la foule, selon des vidéos choquantes qui circulent sur les réseaux sociaux.
Les lettres inédites, réunies par Hamid Nacer-Khodja et son essai Le Fils rebelle, racontent l'histoire de l'amitié profonde qui lia un temps Camus et Sénac.
Voici donc ce que j'ai trouvé pour donner un peu de lumière à des pages qui peuvent être sombres. Je souligne que la prose et les lignes qui suivent, ne sont pas toutes de moi. J'ai aussi recopié certaines lignes et ce n'est pas du plagiat.
Jean Sénac (1926-1973). Né de père inconnu à Béni-Saf en Oranie, le " poète qui signait d'un soleil ", fut assassiné à Alger le 30 août 1973. Son meurtre reste encore, volontairement (?) non élucidé (il se savait traqué par le FLN et la cible d'un assassinat proche).
Lorsque le crime fut annoncé par les media ma mère s'écria :"Voilà, justice est faite. Il a trahi son peuple (Il fallait entendre "le peuple des Français d'Algérie") eh bien il y a laissé sa vie. Adios Sénac !"
Etait-il Algérien ou Français, ce Sénac ? Européen par son ascendance et Algérien à coup sûr si l’on considère que la naissance de la nation algérienne fut par lui revendiquée. Il chanta la lutte révolutionnaire en laquelle il mettait toute son espérance. Il y associa son propre combat : recherche d'identité profonde, à la fois personnelle et culturelle et sa lutte pour faire accepter son homosexualité :
"Ce pauvre corps aussi
Veut sa guerre de libération".
Grand admirateur de Nerval, de Rimbaud, d'Artaud, de Genet.
J'essaie, depuis l'enfance, de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement-les pays des Arabes Pays qui me pardonneraient si je brisais le verre de la lune... Qui me remercieraient si j'écrivais un poème d'amour Et qui me permettraient d'exercer l'amour Aussi librement que les moineaux sur les arbres... J'essaie de dessiner des pays... Qui m'apprendraient à toujours vivre au diapason de l'amour Ainsi, j'étendrai pour toi, l'été, la cape de mon amour Et je presserai ta robe, l'hiver, quand il se mettra à pleuvoir...
J'essaie de dessiner des pays... Avec un Parlement de jasmin... Avec un peuple aussi délicat que le jasmin... Où les colombes sommeillent au dessus de ma tête Et où les minarets dans mes yeux versent leurs larmes J'essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front J'essaie de dessiner des pays... Qui me récompensent quand j'écris une poésie Et qui me pardonnent quand déborde le fleuve de ma folie...
J'essaie de dessiner une cité d'amour Libérée de toutes inhibitions... Et où la féminité n'est pas égorgée... ni nul corps opprimé
J'ai parcouru le Sud... J'ai parcouru le Nord... Mais en vain... Car le café de tous les cafés a le même arôme... Et toutes les femmes une fois dénudées Sentent le même parfum... Et tous les hommes de la tribu ne mastiquent point ce qu'ils mangent Et dévorent les femmes une à la seconde
J'essaie depuis le commencement... De ne ressembler à personne... Disant non pour toujours à tout discours en boîte de conserve Et rejetant l'adoration de toute idole...
J'essaie de brûler tous les textes qui m'habillent Certains poèmes sont pour moi une tombe Et certaines langues linceul. Je pris rendez-vous avec la dernière femme Mais j'arrivai bien après l'heure
J'essaie de renier mon vocabulaire De renier la malédiction du "Mubtada" et du "Khabar" De me débarrasser de ma poussière et me laver le visage à l'eau de pluie... J'essaie de démissionner de l'autorité du sable... Adieu Koraich... Adieu Kouleib... Adieu Mudar...
J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Où mon lit est solidement attaché, Et où ma tête est bien ancrée, Pour que je puisse différencier entre les pays et les vaisseaux... Mais... ils m'ont pris ma boîte de dessin, M'interdisent de peindre le visage de mon pays... ;
J'essaie depuis l'enfance D'ouvrir un espace en jasmin. J'ai ouvert la première auberge d'amour... dans l'histoire des Arabes... Pour accueillir les amoureux... Et j'ai mis fin à toutes les guerres d'antan entre les hommes et les femmes, Entre les colombes... et ceux qui égorgent les colombes... Entre le marbre... et ceux qui écorchent la blancheur du marbre... Mais... ils ont fermé mon auberge... Disant que l'amour est indigne de l'Histoire des Arabes De la pureté des Arabes... De l'héritage des Arabes... Quelle aberration !!
J'essaie de concevoir la configuration de la patrie ? De reprendre ma place dans le ventre de ma mère, Et de nager à contre courant du temps, Et de voler figues, amandes, et pêches, Et de courir après les bateaux comme les oiseaux J'essaie d'imaginer le jardin de l'Eden? Et les potentialités de séjour entre les rivières d'onyx? Et les rivières de lait... Quand me réveillant... je découvris la futilité de mes rêves. Il n'y avait pas de lune dans le ciel de Jéricho... Ni de poisson dans les eaux de l'Euphrate... Ni de café à Aden...
J'essaie par la poésie... de saisir l'impossible... Et de planter des palmiers... Mais dans mon pays, ils rasent les cheveux des palmiers... J'essaie de faire entendre plus haut le hennissement des chevaux ; Mais les gens de la cité méprisent le hennissement !!
J'essaie, Madame, de vous aimer... En dehors de tous les rituels... En dehors de tous textes. En dehors de tous lois et de tous systèmes. J'essaie, Madame, de vous aimer... Dans n'importe quel exil où je vais... Afin de sentir, quand je vous étreins, que je serre entre mes bras le terreau de mon pays.
J'essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes, Des sages des Arabes... des poètes des Arabes... Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife pour une poignée de riz... et cinquante dirhams... Quelle horreur !! Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes... Et les dates mûres... Quelle horreur !! Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes... Devant tout président venant de l'inconnu.. Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple... Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d'or... Quelle horreur !!
Moi, depuis cinquante ans J'observe la situation des Arabes. Ils tonnent sans faire pleuvoir... Ils entrent dans les guerres sans s'en sortir... Ils mâchent et rabâchent la peau de l'éloquence Sans en rien digérer.
Moi, depuis cinquante ans J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Tantôt couleur de sang, Tantôt couleur de colère. Mon dessin achevé, je me demandai : Et si un jour on annonce la mort des Arabes... Dans quel cimetière seront-ils enterrés ? Et qui les pleurera ? Eux qui n'ont pas de filles... Eux qui n'ont pas de garçons... Et il n'y a pas là de chagrin Et il n'y a là personne pour porter le deuil !!
J'essaie depuis que j'ai commencé à écrire ma poésie De mesurer la distance entre mes ancêtres les Arabes et moi-même. J'ai vu des armées... et point d'armées... J'ai vu des conquêtes et point de conquêtes... J'ai suivi toutes les guerres sur la télé... Avec des morts sur la télé... Avec des blessés sur la télé... Et avec des victoires émanant de Dieu... sur la télé...
Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d'horreur Dont nous suivons les épisodes chaque soir Comment te verrions-nous s'ils nous coupent le courant ??
Moi, après cinquante ans, J'essaie d'enregistrer ce que j'ai vu... J'ai vue des peuples croyant que les agents de renseignements Sont ordonnés par Dieu... comme la migraine... comme le rhume... Comme la lèpre... comme la gale... J'ai vue l'arabisme mis à l'encan des antiquités.
L'espion d'Alger. Roman de Nabil Benali. Casbah Editions, Alger 2019 (autoédité auparavant, en août 2017), 336 pages, 800 dinars
1607. Alger, «El Mahroussa», avec ses corsaires «barbaresques», son Pacha, sa Ta fa des raïs, son Ojak et ses occupants ottomans venus de la Sublime-Porte, représentés par un Pacha aidé de janissaires au yatagan bien aiguisé et de collecteurs d'impôts sans pitié. Une époque, une gouvernance et des lieux encore très mal connus faute de documents, mis à part ceux produits par les Occidentaux, commerçants, captifs, espions ou missionnaires.
Ce qui est sûr, c'est que le commerce des esclaves, surtout des chrétiens capturés lors des «batailles» navales et la «course», était florissant grâce aux rançons exigées, pour leur libération, négociées tout particulièrement par une mission étrangère de «rédemption» des esclaves chrétiens installée. Sujet central du livre : il faut à tout prix libérer Alexander. Le père, Don Miguel sollicite Cheikh Mansour, un érudit au service du Pacha qui, se trouve, donc, malgré lui, mêlé à une affaire de corsaires et de trafic de captifs chrétiens... Il est vrai que «turjman», personnel du Pacha d'Alger, peut hâter les choses. On a même, présente sur les lieux, Maria, très amoureuse, qui ne veut pas quitter Alger sans son Alexander. Des transactions pas faciles du tout aussi compliquées et dangereuses que les ruelles de la ville. Une histoire qui l'est encore bien plus qui décrit certes assez bien la vie algéroise (plutôt celle des «centres de pouvoir») dans une atmosphère aussi lugubre que ses ruelles tortueuses et dangereuses. S'y mêlent l'aventure, un peu d'amour, l'intrigue, la mort, le courage, la lâcheté, l'espionnage et, bien sûr, la corruption, les échanges de prisonniers. Tout un maquis pas facile à débroussailler ! D'autant que ce ne sont pas les rebondissements qui manquent avec, à la fin, des coupables devenus innocents et des innocents devenus coupables et une dame à laquelle on donnait pourtant le bon Dieu en confession mais qui se révèle grande espionne..., tout cela avec un détour à Constantinople (aux «paysages sublimes, et ses alentours jouissaient d'une sécurité que l'on pouvait rarement savourer à Alger») en pleine construction de la mosquée du Sultan Ahmet.
L'Auteur : Né à Oran (1972), des études de journalisme (Alger, années 90). Producteur d'émissions télévisées, il vit entre Alger, Paris et Doha. Prix du jury des «Plumes francophones 2017» (président : Yasmina Khadra). Déjà auteur (Barzakh 2002), d'un ouvrage «À la mémoire du commandant Larbi». C'est la fondation «Alliance française», qui est partenaire du concours littéraire «Les Plumes francophones», organisé par Amazon France. Le concours met à l'honneur la langue française, l'autoédition et de nouveaux talents francophones.
Extraits : «Pour les marins, le lien avec la mer est comme l'amour d'une femme capricieuse. Ils peuvent la maudire autant qu'ils veulent, ils ne la quitteront pour rien en ce monde. Elle punit sans merci la moindre de leurs erreurs, les fait souffrir, les prive de tout et eux, ils sont là, heureux de la subir, tant que la subir leur permet de vivre près d'elle» (p195).
Avis : Ouvrage bien épais, bien documenté, mais qui rend assez confuse la vie d'Alger sous domination(s) corsaire et ottomane.
L'auteur raconte, par ailleurs : «J'ai promis à Kenzy, mon fils qui avait 6 ans alors, que je finirais un livre avec des pirates et que je lui dédierais ce livre. C'est ainsi que j'ai été jusqu'à la publication de L'espion d'Alger».
Citations : «En commerce, partout, il y a deux sortes d'hommes : ceux dont la parole est sacrée et les autres qu'il vaut mieux n'avoir jamais rencontrés de sa vie» (p22).
Le Miroir. Aperçu historique sur la Régence d'Alger. Document historique de Hamdane Khodja. Tafat éditions, Alger 2015 (ouvrage écrit par l'auteur en 1833), 297 pages, 600 dinars (Fiche déjà publiée. Pour rappel).
Un livre émouvant que celui de Hamdane Khodja. Le livre d'un homme écartelé, sachant son incapacité à lutter contre une occupation du pays (de dix millions d'habitants, affirme-t-il) par un autre pays étranger et d'une autre religion de surcroît mais, en même temps, espérant on ne sait quelle compréhension ou aide extérieure pouvant abréger l'occupation ou les souffrances du peuple d'Algérie.
Il veut, par l'écrit et les relations, «attirer l'attention des hommes d'Etat sur cette partie du globe et afin de leur apporter nos connaissances et les éclairer sur quelques points que sans doute ils ignorent». De la naïveté, comme celle de tous les intellectuels «décalés», ne comprenant rien ou comprenant trop tard les idées militaristes ou expansionnistes des Etats, des politiciens et des groupes d'affairistes. Ou celle de membres de la «nomenklatura» sortant difficilement de leur «bulle». Il est vrai que l'écriture est réalisée trois années à peine après l'invasion, ce qui ne donne pas un recul suffisant pour saisir les enjeux géostratégiques du moment. D'où des descriptions certes détaillées des paysages, des lieux, des hommes, de leurs mœurs et usages, mais minorant (à dessein afin que cela serve de repoussoir) les richesses des territoires. Pour lui, seuls les Turcs, les vrais, les anciens, «magnanimes et charitables», sont capables de diriger un pays où ils seraient, selon lui, bien acceptés. Une grande indulgence compréhensible vu les liens entretenus par sa famille (kouloughlie) et lui-même avec les Turcs puis avec les Français. Ne servit-il d'intermédiaire entre le bey de Constantine Ahmed Bey et les Français... ? Et, il fut même membre du Conseil municipal d'Alger.
L'auteur dénonce surtout les mercenaires, sortes de coopérants techniques, sanguinaires, qui, à part quelques exceptions - comme Hadj Ahmed Bey de Constantine - ont précipité la décadence du gouvernement avec une gouvernance de beys incompétents assoiffés de pouvoir et d'argent et méprisant les populations algériennes («les Arabes et les Kabyles», les habitants des plaines et ceux des montagnes ou les lieux escarpés, comme il dit), ont facilité l'ascension affairiste des juifs et des diplomates véreux comme Bousnach et Bacri et Deval et l'interventionnisme étranger et ont accéléré la défaite (presque sans bataille) et l'occupation : «Les Turcs étant au pouvoir avaient à leur disposition des trésors et une armée; les beys étaient avec eux et ils possédaient la Casbah et les forts. Avec tous ces avantages, ils n'ont pas lutté contre les Français» (p200).
L'Auteur : Hamdane Ben Othmane Khodja (773-1842 ?) est un notable d'Alger et un «savant». Famille d'origine turque. Père jurisconsulte de renom et enseignant, jouissant d'une grande estime auprès de l'administration turque. Fin lettré : philosophie, théologie, sciences et même médecine (il fut l'auteur d'un ouvrage sur «le traitement des épidémies»). Il voyage beaucoup à travers le monde et maîtrise le français, l'anglais et le turc. Il fut le premier essayiste sur le sujet des «exactions et atrocités» commises en Algérie par les soldats français. Son livre traduit fut publié à Paris en 1833, ce qui entraîna une «réfutation» anonyme (du maréchal Clauzel, dit-on) dans la presse de l'époque. Il quitte Paris en 1836 et s'installe à Constantinople entre 1840 et 1845. Son exil ne lui permit pas de publier le second volume promis.
Avis : Pour compléter vos connaissances en histoire (turque) du pays.
Citations : «La civilisation ne consiste pas dans la manière de se mettre sur une chaise ou sur un sofa, ou bien de s'habiller de telle ou telle manière, car les uns sont des élégants de salons parfois dangereux pour les mœurs ou la société; et les autres ne sont, proprement dit, que des hommes à qui les tailleurs sont quelquefois indispensables pour donner de la tournure... Les Orientaux entendent par civilisation suivre la morale universelle, être juste envers le faible comme envers le fort, contribuer au bonheur de l'humanité qui forme une seule et grande famille» (p11), «Un sultan ou un roi peut se passer d'un agent ou d'un gouverneur, mais qu'il ne peut être ce qu'il est s'il ne commande pas à un peuple qui seul constitue l'existence de son gouvernement» (p84), «De même qu'il ne faut qu'un grain pourri dans un tas de blé pour le gâter entièrement, de même il ne faut qu'un homme corrompu pour entraîner au mal tous ceux qu'il fréquente et qui l'entourent» (p120), «Un crime politique entraîne toujours d'autres crimes à sa suite» (p121), «Que le chef soit sultan, roi ou gouverneur, il dirige et doit donner l'exemple. Ses actes iniques démoraliseront un peuple tout entier» (p256).
«Ira brevis furor est» «La colère est une courte folie « Maxime d'Horace. «Les Kabyles sont nos frères, nos parents, nous ne voulons pas de la «fitna». Mon fils est mort en martyr.»
Un drame à nul autre pareil. ! Des Algériens se sont acharnés sur un jeune algérien venu participer avec ses faibles moyens à éteindre le feu à Larba Nath Irathen Comment ce jeune venu apporter son aide puisse t il subir un sort aussi injuste ? D'une façon inhabituelle le père de la victime a eu un comportement digne. A l'horreur, il a opposé la raison Dans la nuit de la souffrance avec les siens il a compris étant pieux qu'il peut retrouver la sérénité : son fils est mort en martyr de la noble cause de l'unité du pays Ceci s'est fait rapidement dans la tête du père qui -avec les siens- accepte dans un éclair de lucidité de pardonner et de transcender sa condition de père ravagé par la douleur pour contribuer à sauver le pays de ses démons Il a ainsi maîtrisé ce désir de vengeance, en appelant à la justice des hommes. Ceux par qui le malheur est arrivé doivent rendre compte à tout les Algériens Pour que plus jamais cela !
Le comportement digne du père du martyr
Dans un bel article Ali Amzal résume le comportement exemplaire du père : « Aucune haine, aucune colère, dans les propos du père du défunt Djamel Bensmaïl, sur une vidéo, qui a subjugué tout le pays. Une avalanche de réactions s'est déclenchée sur les réseaux sociaux, pour saluer l'humilité de ce père, qui venait d'apprendre la mort de son fils. Au lieu de crier sa douleur, ou de montrer une rage envers les auteurs de cet acte barbare, le père de Djamel, s'est empressé de lancer un appel à la préservation de l'unité du pays «les Kabyles sont nos frères, nos parents, nous ne voulons pas de la fitna''. Mon fils est mort en martyr». Il est vrai que les grandes douleurs sont muettes, mais il est tout autant vrai que le courage du père de la victime demeure déconcertant, et dénote d'une grande conscience et sagesse.
Ces paroles ont fait le tour de l'Algérie, et ont atteint le cœur de tous les Algériens, Une grande leçon de sagesse, lorsqu' il s'est adressé aux habitants de la Kabylie et en particulier ceux de Larbaâ Nath Irathen, les assurant, qu'il «comprend leur désarroi et leur peine pour le décès de Djamel». (1)
Les images de l'arrivée de la mère et du père de la victime à l'hôpital de Tizi Ouzou, restent insoutenables, et ont plongé des millions de citoyens dans un bouleversement qui a été à l'origine du lancement d'une campagne de sensibilisation, autour du fait que ces actes ne représentent en aucun cas la région kabyle. Des vidéos et des publications émouvantes, font le tour de la Toile, pour expliquer que les auteurs de ce crime ne représentent qu'eux-mêmes, et que la majorité des Kabyles sont convaincus que le jeune Djamel était venu pour aider à éteindre les feux et se solidariser avec ses frères kabyles. Il faut dire qu'à l'unanimité, les habitants de la région de Kabylie insistent sur l'importance de rester vigilants. Leur position est claire et vise à faire face à ces manœuvres dangereuses, d'où l'importance de l'effet de l'appel du père de Djamel, qui a été le déclencheur d'une grande vague de compassion entre les deux régions » (1).
« La tragédie du jeune Djamel a révélé, encore une fois, que le peuple est au-dessus des sournoises tentatives des vrais ennemis de la nation. Ce qui aurait pu être à l'origine d'une grande discorde entre les régions, a, finalement, servi à les rapprocher. Et ce, grâce à l'intelligence et l'amour de la patrie dont ont fait preuve les parents de la victime et les habitants de la Kabylie. Une leçon de pacifisme magistrale, de pardon, et de fraternité, que l'Algérie a encore prodiguée au monde, démontrant la vraie identité algérienne, celle qui animait le cœur du jeune Djamel et qui fera de lui désormais un martyr. Repose en paix...Djamel»
Le père de Djamel Bensmail, a tenu à ré-intervenir il a appelé à l'apaisement les tensions. Il à dénoncer les usurpateurs d'identités qui prennent le parole sur les réseaux sociaux se faisant passer pour les membres de la famille de défunt : « Ne parlez pas en notre nom, mes fils et ma femme ne son pas intervenus ni sur les réseaux sociaux ni sur les télévisions » « nous sommes une famille révolutionnaire. Nous sommes les rassembleurs. Nous dénonçons ceux qui usurpent notre identité Nous accepterons les décisions de la justice algérienne et nous lui ferons confiance non à le revanche », les propos clairs destinés aux agitateurs qui cherchent à diviser » (2).
Les suspects arrêtés
Trente-six suspects, dont trois femmes, ont été arrêtés dans le cadre de l'enquête sur le meurtre ignoble du jeune Djamel Bensmail, qui s'est rendu à la wilaya de Tizi Ouzou pour aider ses concitoyens avant d'être lynché, égorgé puis dont le corps a été brulé par une horde de jeunes chauffés à blanc, c'est que vient d'annoncer le directeur de la police judiciaire au sein de la DGSN, lors d'une conférence de presse qu'il a animé à l'école de police d'Alger.
Une des trois femmes est celle qui avait appelé à ce qu'il soit égorgé. « Les mis en cause ont participé d'une manière ou d'une autre à cet assassinat. (...) les policiers ont évité de tirer des coups de semonce suite aux instructions strictes des autorités concernées pour éviter tout dérapage sécuritaire dangereux face à une foule hystérique qui ne comprenait pas encore ce qui lui arrivait, et c'est d'ailleurs ce que recherchaient les parties connues pour leur animosité envers l'Algérie ». Les autres suspects se sont tous étalés dans le même sens, affirmant qu'ils ont été induits en erreur par certains individus inconnus dans la région de L'Arba Nath Irathen qui poussaient les gens à tuer les arabes' suspectés d'avoir allumé les incendies. Ils ont tous déclaré regretter leurs gestes et demandent le pardon de la société » (3)
Et maintenant ?
Supposons que toute l'action ira à son terme Que la justice fasse son travail et que globalement l'Algérie surmonte cette alerte dangereuse, est ce pour autant que nous sommes sortis de l'auberge ? Quand bien même les assassins étaient dans un état second, il est utile de retenir que le message de haine a pu « prendre » car le fond rocheux de l'imaginaire des Algériens est traversé par des vents mauvais attisés par les réseaux sociaux d'autant plus prosélytes qu'il faut combattre pied à pied l'hydre de la division de la fitna de la Sécession. On peut expliquer ce qui s'est passé et il ne faut pas être grand clerc pour répéter la technique du comportement de meutes de foules chauffées à blanc comme l'écrit Gustave Lebon dans son ouvrage : « de la psychologie des foules » . Pour lui une foule en furie est comme un enfant de six ans qui réfléchit par slogan unique. Il suffit alors qu'un meneur un haut parleur idéologique qui peut être de loin crie, un slogan hostile pour qu'il soit repris en cœur et amène à l'irréparable.
Ce qui se passe dans le monde : Nous ne sommes pas invulnérables
On sait que tous les pays sont à des degrés divers vulnérables. Plus que jamais nous sommes victimes du Rapport Lugano conçu par l'Empire et dont le message global est celui de provoquer l'errance identitaire qui touche à des degrés divers tous les pays et d'une façon dangereuse les pays vulnérables. Les interférences externes dans le combat de titans qui oppose actuellement deux visions du monde: un monde ancien, comme nous l'avons vu avec l'Irak, la Libye, le Yémen et l'Afghanistan En face le nouveau monde multipolaire empêché d'apparaître. Tout est fait pour attiser les tensions religieuses et «ethniques» avec toujours l'arrière pensée de s'emparer des richesses présumées des pays faibles Voulons-nous finir comme ces pays qui n'ont pas pris les mesures adéquates pour permettre tisser un récit national ?
De plus comme tous les pays faibles nous ne sommes pas à l'abri de perturbations allogènes. Nous devons tout faire pour favoriser le vivre-ensemble par le brassage qui permettra aux Algériennes et aux Algériens de se connaître et de s'estimer et de se sentir solidaires envers le pays et envers l'Histoire.
D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ?
Nous habitons un grand pays, le premier d'Afrique le dixième au monde. Nous avons une histoire qui peut être revendiquée par chacun d'entre nous.
L'Algérie est un pays Amazigh, Arabe et Musulman. L'histoire de l'Algérie ne commence avec la propagation de l'Islam au VIIème siècle, L'histoire de l'Algérie ne s'est pas arrêtée au VIIème siècle avec l'arrivée des conquérants arabes porteur du message du Coran.
L'histoire de l'Algérie commence avec le premier homme avec les restes sur cette terre: près de Ain Hnech (Sétif) où les premières traces de l'humanité ont été trouvés concomitamment avec celle en Ethiopie Ce qui fait dire aux archéologues que l'Algérie est le deuxième berceau de l'humanité il y a 2, 4 millions d'années Bien plus tard l'homme de Tifernine (mascara) celui l'homme de Mechta El Arbi ( Chelghoum Laid) il y a à 500.000 ans déjà.
Nous ne nous sommes jamais posé la question de savoir ce que nous sommes réellement. Sommes-nous algériens par la naissance, par la religion, par l'ethnie ou par la présence lointaine dans le pays? Toutes ces questions attendent d'être résolues.
Sommes-nous une nation? Nous sommes en 2021, il y a encore des Algériens qui s'identifient à leurs quartiers, leurs tribus, leurs régions, mais jamais à l'Algérie plurielle en tant qu'Algériens.
La grande erreur est d'avoir reproduit l'Etat à l'échelle de la wilaya. Un jeune naît, va à l'école, au lycée dans sa ville, dans son université, dans sa wilaya où toutes les spécialités existent sans les compétences Il ne connaît pas sont pays. C'est sa tribu qui l'intéresse et au mieux sa wilaya.
Que voulons-nous ? 59 ans après nous sommes toujours en quête d'un projet de société Entre ceux qui croient que l'Occident va nous « accompagner » et ceux pensent que le salut de l'Algérie est à rechercher auprès d'une sphère moyen-orientale arabe avec qui à l'évidence, nous n'avons aucun atome crochu, le moment est venu de faire preuve d'audace pour être en phase avec le mouvement du monde, sans rien perdre de nos identités multiples.
Qu'on prenne garde! La bête immonde de la partition qui a eu raison de civilisations millénaires aussi prestigieuses, comme l'Irak, la Syrie, ne nous fera pas de cadeau nous ne sommes pas invulnérables. Le Soudan a perdu 1 million de kM2 qui ont été offerts à une ethnie chrétienne par les Occidentaux.
Il nous faut imaginer un modèle de vivre ensemble qui libère les initiatives. Comment alors conjurer les démons de la division et aller vers le vivre-ensemble? Pour Renan « Une nation repose à la fois sur un héritage passé qu'il s'agit d'honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer ». L'avènement d'une nation passe par une Histoire assumée par tous.
Les vrais défis qui nous attendent se résument à tout ce qui favorise l'éducation. Pour moi, tout commence à l'école ; le meilleur capital, la meilleure richesse de ce pays consiste en la mise en place graduelle d'un système éducatif performant. Tout doit être fait pour amener à ce brassage.
Les spécialités doivent être réparties à travers le pays de telle façon à ce que le brassage soit une réalité contribuant à ce creuset du vivre ensemble comme le fait à l'époque le Service national.
Les défis exaltants auxquels est confronté le pays nous commandent plus que jamais d'être unis pour les grandes causes, il s'agir d'assurer à l'Algérie de garder sa place dans le concert des nations et de préparer l'avenir en barrant la route à l'aventure.
Car une nation apaisée qui s'accepte dans ses multiples dimensions pourra mettre ses citoyens en ordre de marche pour conjurer les périls à venir. En définitive, la plus grande richesse du pays est sa jeunesse à qui nous devons expliquer les enjeux pour la faire participer aux défis du pays.
L'Algérien du XXIe siècle, fier de son socle identitaire trois fois millénaire, aura sans nul doute à cœur de rattraper le temps perdu, il participera à la construction du pays en étant, acteur ce faisant de son destin ne laissant aucun interstice à l'aventure dans cette Algérie qui nous tient tant à cœur.
Il nous faut pour cela et pour citer James Freeman Clarke « des hommes d'Etat qui pensent aux générations futures et non des hommes politiques qui pensent aux prochaines élections ».
Conclusion
La colère comme toute passion violente est une aliénation mentale momentanée! Les partis politiques ont une mission historique, celle de contribuer à sauver le pays. Le peuple se souviendra le moment venu de ceux qui jouent les Ponce Pilate alors que le feu est dans la maison. Dans mes écrits, je cite souvent Cheikh Nahnah qui avec une rare lucidité parlait d'une ligne rouge indépassable. Al djazair min ta lata min Tizi Ouzou li Tamanrasset oua Min Tlemcen li Tebessa » parlant à sa façon de l'algérianité et l'enthousiasme à inventer pour affirmer son désir de vivre ensemble puis de faire ensemble pour construire le pays
Il ne faut pas que cette tragédie disparaisse une fois que la compassion laisse la place à l'indifférence et plus grave à l'oubli.
C'est un électrochoc. Nous sommes vraiment en danger. Il faut consolider ce vivre ensemble a l'instar de ce que nous avons connu dans le service national la trentaine de martyrs du service national qui sont venus mourir à Tizi Ouzou sont venus de toutes les régions du pays.
Les dons qui affluent de toutes les régions du pays indiquent en creux que les Algériens sont mûrs et qu'ils rêvent globalement d'unité d'algérianité Nous avons un devoir de reconnaissance envers monsieur Bensmaïl père pour sa lucidité. Je propose qu'un cours spécial sur le vivre ensemble soit dispensé chaque année dans les écoles et les universités avec à la clé un examen annuel.
A titre d'exemple dans les universités américaines, un cours est dispensé et donne lieu à une évaluation qui compte.
Le projet de société est pour nous un fil conducteur qui imprègne chacune de nos actions en étant persuadés que nous sommes avant tout et après tout des Algériens qui ont une dette envers ce pays et comme l'écrit Renan «la Nation devrait être pour nous un plébiscite de tout les jours ».
La première puissance militaire du monde a été boutée hors d'Afghanistan par des combattants d'un pays pauvre, sous-développé, armés seulement et pour l'essentiel de leurs convictions. Une leçon qui sera difficile à digérer par les états-majors des nations développées et moins développées.
La narco-économie1, désorganisée, profondément pénétrée par la corruption et l'iniquité, minée par des luttes intestines qui s'appuient sur le clientélisme féodal et les liens complexes entre chefs de guerre, chefs de tribus et multiples intervenants publics et privés étrangers, rappelant les « guerres de l'opium (de la Chine contre la GB au milieu du XIXème siècle), la « guerre des Boxers » (1899-1901) et le bourbier vietnamien, a fini par voler en éclats.
Liz Cheney, élue républicaine, a bien résumé la déroute de son pays, s'inquiétant qu'elle ne dégrade durablement l'image de l'Amérique, n'inspirant plus ni crainte à leurs adversaires ni confiance à leurs « alliés ».
« C'est inexcusable. C'est catastrophique. Et cela est porteur de conséquences pas seulement pour l'Afghanistan, pas seulement pour la guerre contre le terrorisme, mais de façon globale pour le rôle de l'Amérique dans le monde ». La défaite américaine signifie « que les rivaux de l'Amérique [sous-entendu la Russie et la Chine] savent qu'ils peuvent nous menacer, et nos alliés s'interrogent ce matin sur le fait de savoir s'ils peuvent compter sur nous pour quoi que ce soit » (D. 15 août 2021).
La portée de cet événement est encore difficile à mesurer. Quoi qu'il en soit, il n'était pas nécessaire d'attendre l'inéluctable retrait des armées américaines d'Afghanistan pour constater et anticiper une redistribution des rapports de forces à l'échelle mondiale, avec les pays occidentaux en difficulté dans des domaines où ils dominaient sans partage.
La gestion de la pandémie en cours a montré les déficits considérables des Etats-Unis hors d'état de faire face à ce défi. Ordinairement prompts à venir au secours du monde, ils se sont avérés incapables de résoudre leurs propres problèmes.
D. Trump avait même interdit que le moindre masque, test ou vaccin soit exporté, fût-ce vers un pays allié. Il s'est même permis de détourner vers son pays, sur un tarmac chinois, fin mars 2020, des articles destinés à la France.
Heureusement, les autorités françaises, alliées fidèles, ne sont pas rancunières...
En Afghanistan, en ce 16 août 2021, s'est joué plus qu'une défaite militaire occidentale infligée à une coalition dirigée par la première puissance de la planète.
CHRONOLOGIE D'UNE FAILLITE MORTIFÈRE
Quelques dates seraient bien insuffisantes pour résumer la guerre la plus longue que les Etats-Unis aient entreprise hors de leur territoire. Ci-après quelques repères.
11 septembre 2001 : effondrement des twin-tower à Manhattan, abattues par deux avions de ligne, provoquant la mort de 2 977 personnes.
14 septembre 2001. Les États-Unis et le Royaume-Uni désignent ouvertement Oussama Ben Laden comme responsable. Ils exigent des Talibans son extradition.
18 septembre 2001. Le Conseil de sécurité des Nations unies demande aux Talibans d'appliquer la résolution no1 333 et d'extrader Oussama Ben Laden devant les autorités compétentes.
Les Américains nationalisent la guerre contre les Talibans et la placent sous leur contrôle exclusif. Ils refusent ainsi à l'ONU le droit de la diriger et même de la surveiller (notamment grâce à un amendement permettant d'empêcher que des soldats américains puissent être déférés devant la Cour Pénale Internationale à laquelle les Etats-Unis ne reconnaissent aucune aptitude à juger leurs ressortissants qui relèvent de leurs seules lois nationales).
07 octobre 2001 : Déclenchement de la guerre en Afghanistan. Une armada déferle sur l'Afghanistan par terre, air et mer (ainsi qu'il en sera de l'Irak moins de deux plus tard). Bombardements aériens (par des B1 et B52) et tirs de missiles de croisière (BGM-109 Tomahawk). 4 porte-avions sont mis à contribution avec de nombreux bâtiments accompagnés de sous-marins. Faite de bric et de broc, une alliance du nord disparate dont l'efficacité et la réputation surfaite en Europe, apporte un concours relatif qui n'a qu'une valeur politique. 2
Une armée de près de 100 000 soldats au plus fort de la présence américaine en 2011.
13 novembre 2001 : Chute de Kaboul.
05 décembre 2001 : Conférence internationale à Bonn où sont exposés les buts de guerre. Désormais, l'Afghanistan va subir un programme de modernisation, de démocratisation, de pacification dans le cadre d'un « Nouveau Moyen Orient » que les Etats-Unis et leurs alliés se proposent d'entreprendre. Ce « nation building », dans les cartons depuis longtemps, échafaudé par les « faucons » qui gravitaient autour des décideurs à Washington3, allait enfin prendre forme. Samuel Huntington et sa guerre des civilisations4 retrouvaient là une conception ancienne de la colonisation bienfaitrice et civilisatrice qu'un Jules Ferry n'aurait pas reniée.
En Irak, deux ans plus tard, le laboratoire allait ouvrir une succursale et de nouvelles horreurs expérimentales allaient être conduites. Les « filiales » allaient se multiplier à Abou Ghraïb, à Guantanamo et dans de nombreux pays qui ferment les yeux sur ce qui se passe chez eux...
Viendra un jour où tous ces crimes seront jugés. Au moins devant le tribunal de l'histoire.
11 août 2003 : En prenant le commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) à Kaboul, l'Otan entame sa première opération hors des frontières européennes en 54 ans d'existence. L'Organisation change de dimension et se place à l'échelle mondiale. Mais l'important ici tient au poids des images et des mots-clé : les Etats-Unis avaient le besoin de construire et de crédibiliser une « communauté internationale » nécessaire à la conduite de sa politique, aussi bien à l'attention de ses ennemis qu'à celle de sa propre opinion publique, toujours rétives aux interventions militaires à l'étranger. La guerre du Vietnam a laissé des traces indélébiles.
L'écrasante majorité des moyens matériels et humains est américaine. Le reste des figurants est là surtout pour la com'.
31 décembre 2014. Le retrait des forces de combat de l'Otan s'achève.
29 février 2020. Après plusieurs mois d'échanges discrets, les talibans signent avec les États-Unis l'Accord de Doha, fixant les conditions du retrait des troupes occidentales dans les quatorze mois (avec des clauses secrètes).
Les Talibans ont assuré (mais sans aucune garantie) que ceux qui ont travaillé pour le régime et l'occupation étrangère ne seront pas inquiétés. Ils se sont aussi engagés à protéger les étrangers humanitaires et non militaires. Là aussi sans aucune garantie.
Remarque : J. Biden, lundi 16 août, pour expliquer la défaite de son pays, a mis sur le dos du gouvernement afghan et de son armée (« pourtant soutenue et financée par Washington »), leur inaptitude et leur incapacité de former une autorité capable de faire face aux Talibans.
Il oublie que les Etats-Unis ont négocié leur retrait avec les Talibans à Doha à l'insu et en l'absence du gouvernement afghan. Comment pouvait-il espérer mieux, avec un tel mépris pour les fantoches installés à Kaboul.
Tous les procédés similaires (vietnamisation, irakisation, afghanisation...), cosmétiques à l'usage des opinions publiques, de ce type de conflit ne présentent la moindre alternative à une mauvaise guerre et à une inévitable et piteuse retraite.
S'il y a deux pays, dans l'histoire des deux ou trois derniers siècles, qui ont subi les plus affreuses guerres que l'Amérique ont engagées contre d'autres pays, si l'on excepte les abominations nucléaires commises contre le Japon en 1945, car elles appartiennent à une autre catégories de monstruosités, ce serait bien le Vietnam (libéré le 30 avril 1975) et l'Afghanistan.
Il y a bien des différences entre ces conflits, notamment le fait que la guerre du Vietnam et celle de Corée participaient d'une guerre froide opposant deux camps idéologiquement et mondialement antagonistes, mais ils sont identiques sur au moins un point : une seconde défaite humiliante pour la première puissance militaire de l'histoire de l'humanité.
Un record que Hollywood se gardera de glorifier. Rien d'extraordinaire.
Aucune nation ne commémore ses déroutes : les Français oublient très vite Azincourt, Aboukir, Trafalgar, Waterloo, Sedan, Mers el Kebir... Les historiens embeded se chargent de trier ce qu'il convient d'enseigner aux enfants.
Les gagnants et les perdants
L'Afghanistan, les supplétifs abandonnés à leur sort, l'image de l'Amérique et plus largement de l'Occident vont y laisser, chacun pour ce qui le concerne, des plumes. Cette guerre-là des règlements de comptes n'est évidemment pas achevée.
Le sort des « fixeurs » n'est pas encore fixé.
On (sous-) estime à 18 000 les auxiliaires Afghans (53 000 avec leurs familles) au service des occidentaux coalisés à divers titres : milices, traducteurs, administratifs, informateurs, guides...
L'ex-général David Petraeus5 déclarait dans le Washington Post lundi 28 juin qu'il était du devoir moral des Etats-Unis d'organiser un pont aérien pour leur accorder l'asile. Ce serait le minimum que ces gens, pour la plupart d'entre innocents de tout crime, seraient en droit d'attendre.
Or, les visas ne sont pas délivrés et le budget a été minoré pour les assister. L'idée de les placer en transit sur l'île de Guam en attendant de régler leur situation administrative reste à l'état de projet et vient buter contre les controverses autour de la politique migratoire des Etats-Unis, entre les promesses électorales de J. Biden et l'intransigeance toujours active de D. Trump.
Les Français usent d'un « hub » sur une base militaire à Abu Dhabi pour opérer discrètement leur tri.
Paris accorde 1000 visas pour ceux, déclare la ministre de la défense française sur franceinfo le lundi 16 août, « qui ont rendu d'éminents services à notre pays en nous aidant au quotidien, et par ailleurs faire le maximum pour mettre en protection des personnalités qui ont défendu les droits, les droits de l'Homme, des journalistes, des artistes, tous ceux qui sont engagés pour ces valeurs que nous continuons de défendre partout dans le monde ».
1000 visas, une goutte d'eau. L'Allemagne annonce dix fois plus. Même si, compte tenu du format de leur engagement, les Etats-Unis se chargent de la plus grande part.
Abandonnés, jetés après usages. Personne ne s'embarrasse des outils indigènes qui ont épuisé la pertinence et l'opportunité de leur utilité. A l'exception de petits débrouillards et de filous qui réussissent à passer entre les mailles du filet, la plupart de ceux qui ont servi sont livrés à leur sort. Les scènes observées sur les pistes de l'aéroport de Kaboul renvoient à celles de films catastrophe tels « War World Z » (Marc Forster, 2013) et renforce l'imaginaire de barricadés entretenu en Occident, un îlot civilisé entouré d'un océan de barbares, un cliché qui remonte au moins jusqu'à Hérodote.
La majorité de ceux qui parviennent à rejoindre les rives de la « civilisation », sont parqués comme les harkis en 1962, dans des « camps de transit et de reclassement » dans le sud de la France où ils resteront en transit et reclassement perpétuels.
Les moins oublieux se souviennent de la fuite éperdue des Américains par la terrasse de leur ambassade via des hélicoptères, alors que les Vietnamiens qui ont servi leur cause tentaient en vain de franchir avec leurs familles les grilles d'une forteresse assiégée.
Cela permet par la suite de laisser couler quelques larmes de crocodiles sur le sort des supplétifs exécutés par leurs frères ou recyclés dans des camps de « rééducation » et de dénoncer les régimes « terroristes » qui leur ont succédé.
A l'évidence, tous ceux qui seraient tentés par une carrière d'« auxiliaires » devraient mesurer la confiance très relative que leur témoigneraient leurs employeurs si les affaires tournent mal ou lorsque la « mission » est achevée. Encore une raison qui explique le silence de la fuite.
Le gouvernement afghan, sous prétexte de pandémie, avant son évaporation, avait fermé le bureau des passeports justement pour éviter un exode massif des Afghans vers l'étranger.
Le président E. Macron, en campagne pour sa réélection, dans son allocution télévisée du lundi 16 août a très vite souligné le risque migratoire avec les menaces qu'il ferait peser sur la sécurité de l'Europe sur celle des malheureux qui se lanceraient dans cette aventure, comme on l'observe pour les migrants sahéliens ou proche-orientaux qui traversent la Méditerranée.
La Turquie met une touche finale à son « Mur » et tous les pays de la région se tiennent prêts. Le Pakistan a annoncé très tôt être disposé à fermer ses frontières en cas de mouvement massif de population.
Les autres supplétifs.
L'Otan s'est engagée très tôt (août 2003), au nom de l'article V (clause de défense collective) aux côtés des Etats-Unis en Afghanistan. C'est ainsi, au nom de la défense de l'Occident, menacé par le « terrorisme islamiste » que les gouvernements européens ont fait avaler à leurs opinions publiques leur participation à leur campagne afghane. 38 pays ont collaboré à cette guerre américaine en Afghanistan.
Contrairement à ce qui est affirmé sur tous les médias, ce n'est ni à D. Trump, ni à J. Biden que l'initiative de retrait devrait être attribuée. Dès 2010, B. Obama l'avait projetée. La question alors n'était pas le retrait, mais l'afghanisation du pays après le départ des troupes de l'OTAN (sous commandement américain, est-il besoin de le rappeler).
22 juin 2011. Obama annonce le retrait de milliers de soldats américains.
En sorte qu'en 2021, il ne s'agit plus de décision de retrait, mais de décision « d'accélération » de ce retrait.
Or, les « alliés » de Washington, au même titre d'ailleurs que les Afghans, n'ont été associés ni à cette décision de retrait, ni à son accélération, ni même à son calendrier.
Ils ont juste été informés après coup... comme d'habitude.
Il n'y a eu aucun débat à l'Assemblée nationale en France, ni ailleurs.
Certains auraient peut-être voulu des explications sur ce retrait humiliant. Après tout une centaine de soldats français y ont laissé la vie...
N'aurait-il pas été pertinent de se demander non pas pourquoi les Occidentaux s'en vont, mais plutôt pourquoi ils y sont allés et guerroyé 20 ans durant ?
Fut-ce seulement à cause de Ben Laden (au reste exécuté sans jugement au Pakistan) ?
Le plus cocasse en cette affaire d'« alliés » est qu'au moment de la déclaration de retrait unilatéral américain, les troupes sur le terrain étaient plus américaines mais dans leur majorité, européennes.
Les Etats-Unis sont aux manettes et contrôlent les opérations (comme ailleurs, en Libye ou au Sahel, par exemple) via les capacités critiques, les clés de la décision stratégique et tactique (la logistique, l'information décisive) qu'ils sont seuls à posséder.
Les Américains fixent les objectifs, déterminent le chemin à suivre et distribuent les rôles en y mettant (mais pas toujours) la forme qui convient. Les autres exécutent.
Mais cette guerre n'est pas perdue pour tout le monde. Il y a d'autres comptes à régler.
Le monde de la finance et le système militaro-industriel poussent régulièrement à la guerre inventant à chaque fois que nécessaire de nouveaux ennemis et un nouvel « empire du mal ».
En 2010, alors que la pacification du pays et la lutte contre les talibans marquaient le pas, l'USGS (United States Geological Survey) révélait l'existence de ressources minières, pétrolières et gazières d'une valeur minimum de 1000 milliards de dollars, dont près de 1,3 millions de tonnes de terres rares et 3,48 millions de tonnes de minerais de niobium... (https://www.geostrategia.fr, 13 février 2018)
Selon des chercheurs de l'université Brown, les Etats-Unis ont déboursé 2261 Mds$ entre 2001 et 2021. Les budgets du Département de la Défense et du Département d'État se sont ainsi alourdis de 1435 Mds$. Les dépenses de soin pour les vétérans ont, quant à elle, coûté 296 Mds$. Et les 530 derniers Mds$ ont été nécessaires pour payer les intérêts des emprunts contractés par les Etats-Unis pour financer cette guerre.
Entre 2001 et 2050, si on élargit aux interventions au Pakistan et en Irak, les Américains devraient verser 6 500 Mds$ d'intérêts sur les sommes empruntées pour les financer. Une montagne de dollars qui semble avoir été investie en pure perte.6
La Banque Mondiale évalue en 2020 à un peu moins de 20 Mds$ le PIB annuel de l'Afghanistan (36 millions d'habitants), soit un peu plus de 500 dollars par hab. Cela signifie que les Etats-Unis ont dépensé (sans tenir compte des créances à venir) l'équivalent de 113 PIB annuels de ce pays pour tenter officiellement de le pacifier.
Naturellement, ces sommes ont servi à bien d'autres buts qu'à la quiétude, à la prospérité et à la civilisation des Afghans. Tant d'armements commandés. Tant d'expériences « intéressantes » réalisées dans ce laboratoire in vivo... pour ainsi dire...
Certes, les Etats-Unis, notamment via le dollar et Wall Street, se débrouillent toujours pour recycler leurs dettes en les faisant endosser par le reste du monde. Il n'en demeure pas moins qu'outre les pertes géopolitiques occasionnées par cette sombre campagne, il reviendra au peuple américain de demander au bénéfice de qui réellement ces dépenses ont été ordonnées en son nom...
C'est contre ces dérives et ce « système » que naguère le général-président D. Eisenhower (qui parlait d'expérience) prévenait les Américains dans son discours de fin de mandat le 17 janvier 1961. Il ne semble pas que son avertissement ait porté.
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »
Nouveau contexte géostratégique régional : l'axe du monde bascule.
Croire que le retour des Talibans aux affaires est un retour aux conditions initiales, serait une grave erreur. Il arrive à l'histoire de bégayer, mais c'est seulement pour permettre aux vaincus de relancer une guerre perdue (déjà la « femme afghane opprimée » devient l'objet principal des tabloïds et des « une ») ou pour couvrir l'ignorance de ceux qui ont besoin d'analogies commodes pour paraître savants.
Les Etats-Unis, en l'espace de deux interventions militaires en moins de deux ans, ont rendu un immense service à l'Iran, le débarrassant de deux irréductibles ennemis : le régime de Saddam Hussein à l'ouest (ainsi fabriqué pour faire front à la Révolution de 1979) et celui des Talibans à l'est.
Le nouveau régime victorieux de l'Amérique qui triomphe à Kaboul ne sera sûrement pas dans les mêmes dispositions que celui que les Américains ont chassé en 2001. Téhéran en a pris la mesure dès le 16 août par la voix de son président tout nouvellement élu. Les Russes et les Chinois ont, depuis longtemps, pris leurs dispositions en vue l'inévitable défaite de Washington.
Désormais, il n'y a plus d'alliés de l'Occident autour de l'Afghanistan, à l'exception peut-être des ambiguës anciennes républiques socialistes soviétiques (Ouzbékistan et le Tadjikistan) qui tentent de se ménager des libertés de manoeuvre sur tous les tableaux.
Autour, il y a l'Iran, la Russie, la Chine, le Pakistan. Entre les quatre pays une coopération et des liens de plus en plus denses se tissent. Un peu plus loin, Ankara cogite et compute.
La Chine continue de tisser sa toile et de tracer ses « routes »...
En 2007, deux entreprises d'État chinoises, Metallurgical Corporation of China (MCC) et Jiangxi Copper Corporation (JCCL) ont investi 4,4 milliards de dollars dans le gisement de cuivre d'Aynak. MCC aurait proposé des investissements à hauteur de 10 Mds$ pour mettre en valeur le gisement. En plus de cela, China National Petroleum Corporation (CNPC) a sécurisé trois blocs pétroliers du champ de pétrole d'Amu Darya. À la suite de cet investissement, un accord de faisabilité a été signé avec le gouvernement afghan en 2012 pour la construction du segment afghan d'un pipeline allant d'Iran en Chine et passant par l'Afghanistan et le Turkménistan. (https://www.geostrategia.fr, 13 février 2018)
15 novembre 2020. Pékin célèbre en fanfare la conclusion du Partenariat régional économique global (RCEP), établissant sous son égide la zone de libre-échange la plus imposante de la planète, face à l'Europe et aux États-Unis toujours englués dans la pandémie. Le premier ministre Li Keqiang et 14 dirigeants des principales économies d'Asie-Pacifique ont signé, par vidéo interposée, un accord douanier spectaculaire facilitant les échanges entre plus de 2 milliards d'habitants, pesant un tiers du PIB mondial.7
La Chine a maintenant les mains plus libres pour exploiter l'amitié « proclamée » entre les deux pays à peine les troupes américaines parties. Il ne fait pas de doute que Chinois et Talibans étaient en contacts et en transactions approfondies bien avant la chute de Kaboul.
L'Inde est affaiblie, perturbée par ses désordres politiques internes, aggravés par la pandémie du Covid-19 où la dernière souche très contagieuse est née et avait pris son nom avant de devenir le « variant delta ». Acteur virtuellement majeur, sans dépourvue de moyens, elle est pour le moment écartée de l'essentiel.
L'autre nerf de la guerre.
Ne reste plus à l'Amérique que les leviers traditionnels en attendant...
Les Talibans ne pourront pas mettre la main sur les milliards de dollars de réserves de l'Afghanistan, largement détenus à l'étranger.
« Les actifs de la Banque centrale que le gouvernement afghan possède aux États-Unis ne seront pas mis à la disposition des Talibans», assurait lundi 16 août un responsable de l'administration Biden.
Au total, les réserves brutes de la Banque centrale afghane s'élevaient à 9,4 milliards de dollars fin avril, selon le Fonds monétaire international (FMI). La majorité de ces fonds sont détenus en dehors de l'Afghanistan.
Cet acte de brigandage est coutumier des pirates qui se paient sur la bête. Personne ne sait ce que sont devenus les capitaux irakiens à l'étranger après la chute de Baghdad en 2003 ou des milliards de dollars libyens après l'assassinat de M. Kadhafi en 2011. Combien ? Où ? Qui ?... « mystère et boule de gomme ».
Les États-Unis, qui dominaient l'Afghanistan militairement et financièrement depuis 20 ans, pourraient aussi tenter de bloquer l'aide prévue par le FMI et la Banque mondiale, comme ils l'ont fait avec d'autres pays dont ils cherchent à faire capituler les gouvernements, tel le Venezuela.
Réduire l'aide de façon drastique pour tenter de mettre à genoux le régime, est une tentation si... tentante. Et dire que les pays occidentaux critiquent la Chine l'accusant d'user des mêmes procédés destinés à fabriquer des obligés : endetter pour mieux astreindre...
Le FMI avait approuvé le 06 novembre 2020 un programme d'aide de 370 millions de dollars pour l'Afghanistan devant alors s'étaler sur 42 mois (trois ans et demi), avec un décaissement immédiat de 115 millions de dollars. Une seconde tranche d'aide d'un montant de 149,4 millions de dollars a été versée début juin. Il reste donc quelque 105,6 millions de dollars à verser dans le cadre de ce plan d'aide. (AFP, mardi 17 août 2021)
Chacun sait que le FMI et la Banque mondiale sont des instruments entre les mains du bellicisme américain, est un propos de complotiste.
Ce sont des institutions professionnelles, apolitiques et honorables, hors de toute inclination idéologique et qui s'acquitteront scrupuleusement de leurs obligations contractuelles...
Cette guerre a fait un peu plus de 3000 morts dans la coalition dirigée par les Etats-Unis et quelques dizaines de milliers de blessés. C'est surtout le contingent américain, en proportion de son engagement, qui en a été le plus affecté.8
Il a fait un nombre incalculable de victimes afghanes, des centaines de milliers de morts, comme d'habitude surtout parmi des civils.
En Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen, en Somalie, au Soudan... en Palestine...
Tout ça pour ça...
Notes :
1- Juillet 2000. Les Talibans avaient tenté d'éradiquer les champs de pavot en édictant une fatwa en ce sens. La production avait alors chuté de 90%. Vingt ans plus tard, l'Afghanistan est redevenu un pays totalement gangrené par la drogue. En 2020, le pays comptait 224.000 hectares de pavot, soit une hausse de 37% par rapport à 2019, selon l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC).
2- Le « commandant Massoud » figure de proue de cette coalition hétéroclite (le « Lion du Panshir ») a été éliminé dès le 09 septembre 2001. Aujourd'hui, son fils, Ahmed, reprend du service et lance un appel ce 16 août à la résistance (https://laregledujeu.org), faisant référence à l'Europe de 1940... Le 15 août il envoyait au Journal du dimanche une lettre adressée à « son ami Bernard-Henri Lévy », suppliant la France de soutenir l'armée afghane...
3- Cf. Lettre ouverte à B. Clinton du 26 janvier 1998 signée par 18 faucons poussant au renversement de S. Hussein.
4- Samuel P. Huntington (1996) : Le choc des civilisations. Traduction O. Jacob, 2000, 545 p.
5- Ex-commandant de la « Force internationale d'assistance et de sécurité » en Afghanistan entre 2010 et 2011 et directeur de la Central Intelligence Agency de 2011 à 2012. Il démissionne cette année-là pour une affaire d'adultère et, accessoirement, pour avoir détenu et transmis des informations secrètes.
6- L'Expansion-Express, le mardi 17/08/2021
7- Une gigantesque zone de libre-échange entre les 10 États de l'Asean - Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei - et la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Cela, malgré les difficultés crées par les Etats-Unis par l'entremise de l'Australie.
8- Pour éviter les « émotions » qui ont bouleversé l'Amérique lors de la guerre du Vietnam la rendant totalement impopulaire, Washington a pris deux décisions stratégiques : premièrement, l'armée sera composée de « professionnels » tarifés. Il ne s'agira plus que de soldats contractuels qui savent à quoi s'en tenir. Deuxièmement, aucun reporter « indépendants » n'accèdera au front s'il n'est pas scrupuleusement labellisé. Désormais, les guerres seront « clean », sans mort et sans images, sinon celles strictement triées par les « services compétents ».
[- 90 soldats français tués et 700 blessés : une guerre pour rien ?]
Alors que les Talibans viennent de reprendre le pouvoir en Afghanistan, rappelons que cette guerre a duré onze ans pour la France et ses soldats. Onze années durant, entre 2001 et 2012, au cours desquelles la France va perdre 90 soldats, 90 de ses fils et de ses défenseurs. Plus de 700 militaires auront également été blessés, parfois grièvement. Il s'agit du plus lourd tribut pour l'armée française depuis la guerre d'Algérie. La liste des 90 héros se trouve à la fin de ce poste
Parmi les soldats français tués, l'immense majorité sont morts au cours d'attaques ennemies. Mais d'autres ont perdu la vie différemment : mines artisanales, foudre, suicide, etc. Au moins trois soldats sont morts à cause de tirs amis. Le régiment le plus touché est le 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres, frappé de plein fouet lors de l'embuscade de la vallée d'Uzbin, en août 2008. Huit soldats issus de ce régiment ont perdu la vie en Afghanistan.
Mais d'autres unités sont également touchées : le 17e régiment du génie parachutiste, le 1er régiment de chasseurs parachutistes, le 2e régiment étranger de génie, le 2e régiment étranger de parachutistes et le 3e régiment d'infanterie de marine ont également été très touchés (cinq soldats tués pour chacune de ces unités). Au total, près de 40 régiments français ont perdu au moins un soldat au combat.
Le nombre total de militaires français engagés en Afghanistan sur toute la durée des opérations n'est pas connu, l'armée française n'ayant pas rendu cette donnée publique. Mais vraisemblablement autour de 70 000 soldats, dont jusqu'à 4000 en même temps.
Aujourd'hui, les Talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, 20 ans après en avoir été chassés par la Coalition internationale. Si pendant cette période, les progrès ont été nombreux (place des femmes, fin d'une justice autoritaire, développements des infrastructures, ...), la situation actuelle ne laisse que peu de doutes sur le futur de ce pays. Et une question, lancinante et douloureuse : si les progrès en Afghanistan ont été réels et que nos soldats ont contribué à tout cela, portant haut notre vision et nos valeurs, comment ne pas croire que tout ceci n'aura au final été un échec prévisible ?
Vous trouverez à la suite la liste de nos soldats morts en Afghanistan durant le conflit, entre 2004 et 2012
05/08/2013 - Adjudant Thomas Gwenaël - BA 123
07/08/2012 - Major Franck BOUZET - 13e BCA
09/06/2012 - Major Thierry SERRAT - GIACM
09/06/2012 - Adjudant Stéphane PRUDHOM - 40e RA
09/06/2012 - Maréchal des logis- chef Pierre-Olivier LUMINEAU - 40e RA
09/06/2012 - Brigadier-chef Yoann MARCILLAN - 40e RA
27/03/2012 - Chef d’escadron Christophe SCHNETTERLE - 93e RAM
20/01/2012 - Major Fabien WILLM - 93e RAM
20/01/2012 - Major Denis ESTIN - 93e RAM
20/01/2012 - Adjudant Svilen SIMEONOV - 2e REG
20/01/2012 - Maréchal des logis Geoffrey BAUMELA - 93e RAM
29/12/2011 - Major Mohammed EL GHARRAFI - 2e REG
29/12/2011 - Sergent-chef Damien ZINGARELLI - 2e REG
14/11/2011 - Caporal Goran FRANJKOVIC - 2e REG
07/09/2011 - Capitaine Valéry THOLY - 17e RGP
14/08/2011 - Capitaine Camille LEVREL - 152e RI
11/08/2011 - Sergent Facrou HOUSSEINI ALI - 19e RG
07/08/2011 - Caporal-chef Kisan Bahadur THAPA - 2e REP
Tous les portraits des soldats ne sont pas dans la photographie de ce poste. Il ne s'agit pas d'un choix, mais d'une difficulté technique de mettre 89 portraits.
Nous vivons une drôle et tragique époque, marquée par l'irrationalité et la montée des forces du Chaos. Ces guerres locales injustes, inefficaces et coûteuses devraient appeler à un ordre international plus juste, plus fraternel, dans l'intérêt et le respect mutuels.
Nous vivons une drôle et tragique époque
Un des grands paradoxes de notre temps, marqué par une forte accumulation des connaissances censées faire reculer les ténèbres, est l'extraordinaire résurgence des forces du Chaos, notamment le complotisme, l’hypocrisie, les mensonges et les instrumentalisations.
L'actualité fourmille de faits divers tragiques qui en disent long sur la tragédie que nous vivons, et donc l'impuissance des forces de l’Harmonie à nous guider vers la Lumière et le Bien souverain. Ainsi tout récemment, au Sénégal, un camionneur malien, dans un accident de la route écrasant un taxi, avait causé la mort de 4 personnes. Cet incident dramatique a été suivi de scènes horribles et condamnables de lynchage forçant les gouvernants sénégalais et malien à appeler à la retenue et au calme.
En Algérie, à la suite d'importants feux de brousse en Kabylie, avec au moins 71 morts. Un jeune homme, Djamel, soupçonné d'être pyromane, a été battu à mort et brûlé par une foule déchaînée. Par ailleurs la cagnotte, sur Leetchi, ouverte par l'écrivain Yasmina KHADRA, pour venir en aide aux malades du Covid-19 (achat d'oxygène), a été sabotée. Sur le plan politique on n'a pas compris que le président tunisien, M. Kaïs SAIED, en pleine crise grave du Covid-19, n'ait trouvé d'autre réponse que de suspendre le Parlement et remercier son premier ministre, ajoutant ainsi la crise à la crise. A Djibouti, un régime monarchique et sanguinaire, le nettoyage ethnique continue et cette période récente est marquée par des massacres, avec une grande indifférence de la communauté internationale. «Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir» disait mon arrière-grand-mère Dourma LY.
Depuis longtemps l'Occident prétend défendre la démocratie, les droits de l'homme et lutter efficacement contre les forces du Mal qui ne peuvent être que le fondamentalisme musulman. Or, cette prétention, particulièrement honorable, est largement contredite par les faits. En effet, l'Afghanistan a d'abord été le terrain d'affrontement entre l’Occident et le monde communiste, sans aucune prise en compte des intérêts de la population, et notamment des femmes. Dans ce bourbier, les Russes, vaincus, ont fini par déguerpir.
Depuis plus de 20 ans, quatre gouvernements américains (2 équipes Démocrates et 2 équipes de Républicains) s'y sont cassés les dents. Leur préoccupation majeure, ce n'était pas la défense de la démocratie ou des droits de la femme ; c'était bel et bien une opération de politique intérieure américaine punitive, après l'odieux attentat du 11 septembre 2001 (2753 morts). Il n'a échappé à personne que la majorité des membres de ce commando, ce n'était pas des Afghans, mais des Saoudiens : Oussama BIN LADEN (1957-2011) et ses acolytes. Mais c’est l’Afghanistan, un pays arriéré et encore féodal, qui est devenue le terrain de guerre. L'Arabie Saoudite, avec son Wahhabisme et son islam rigoriste, ainsi que le Qatar, sont les principales sources de financement du fondamentalisme. Mais comme ces pays sont du bon côté, celui du monde dit libre, comment séparer la bonne graine de l'ivraie ? Distinguer les «bons» et des «mauvais» islamistes, suivant leur orientation politique et leur docilité, est devenu la plus grande fumisterie de notre temps.
Par ailleurs, le premier président Afghan, Hamid KARZAI, comme Ashraf GHANI l'actuel président qui s'est vite sauvé, abandonnant lâchement son pays, sont des chefs d’Etat fantoches, qui ont installé une corruption généralisée. Les Talibans, et de longue date, pourtant musulmans, lapidant, coupant des mains ou exécutant à la moindre incartade, sont des barons de la drogue ; et personne n’a vraiment songé à mettre fin à cette entreprise criminelle.
Finalement, les Occidentaux, avec leur armada militaire et leurs milliards, refusant de se battre au sol, ont délégué cette mission périlleuse aux Afghans qui, eux-mêmes n'ont opposé qu'une faible résistance aux Talibans. Dans cette débandade générale et honteuse, certains Afghans s'étant accrochés, au péril de leur vie, aux ailes des avions ; ils se sont sentis trahis et abandonnés.
Dans les médias, on nous tympanise, à longueur de journée, sur le sort peu enviable des femmes en Afghanistan, mais aucun pays occidental ne s’empresse de les accueillir sur son territoire. Tout cela n’est qu’hypocrisie, des larmes de crocodile, et propagande politique creuse, à destination de l’opinion publique interne. Le président Emmanuel MACRON, déjà fortement lepénisé dans son orientation politique, a vu tout de suite le profit politique à tirer de la situation, en agitant les peurs irrationnelles. En effet le président MACRON s’inquiète d’éventuels «flux migratoires irréguliers» en provenance d’Afghanistan, et donc la nécessité pour la France de se «protéger contre les flux migratoires irréguliers importants».
Je l'ai souvent écrit, et je le redis encore au risque de me répéter, ces guerres locales, coûteuses, souvent sans mandat des Nations unies, sans objectifs atteignables, appellent de ma part plusieurs remarques :
1 - Abandonner le concept de démocratie ethnique avec ses indignations à géométrie variable.
Quand j'entends certains dire : «Notre démocratie, notre civilisation». Foutaises que tout cela ! Ils s’en fichent de la femme afghane ou Ouïghour ; ce qui les intéresse, ce sont les profits de la haute finance, leur petite soupe. Par conséquent, cette hypocrisie m'irrite au plus haut point, notamment après le matraquage des Gilets jaunes, des personnels hospitaliers et des retraités.
Les régimes dictatoriaux sont une calamité pire que la guerre ou les dérèglements climatiques pour les pays faibles. Or, tous les peuples de la terre ont droit au bonheur, à la paix, à la sécurité et donc à la démocratie et aux droits de l’Homme, des concepts universels, un combat de chaque instant.
Pour une paix durable, il faudrait bannir ces gouvernements fantoches qui se sauvent, avec le magot de guerre, à la moindre étincelle, abandonnant ainsi lâchement leurs concitoyens. Ces scènes à l'aéroport de Kaboul, de personnes désespérées, en disent long sur l'immoralité dans la conduite des relations internationales.
2 - Fonder les relations internationales sur un ordre juste,
à savoir sur des intérêts mutuellement avantageux, dans le respect mutuel, la justice et l'équité.
Des pays, jadis stables (Irak, Libye, Syrie, Somalie), ont été ruinés, et leurs populations sur le chemin de l'exil ou abandonnées dans la misère. Ainsi, Bachar Al-ASSAD, le président syrien, après plusieurs années de guerre, est toujours aux commandes d'un pays ruiné. Saddam HUSSEIN (1937-2006), en Irak et Mouammar KADHAFI (1942-2011), en Libye, ont été liquidés, fort injustement, et cela n'a fait qu'accroître l'insécurité dans le monde, avec son flot de réfugiés.
L'intervention désastreuse de la France au Mali n’a fait qu’empirer la situation. C'est quoi donc tous ces coups de menton, ces mensonges et instrumentalisations ?
3 - Bâtir un «Monde d'après», plus juste et plus fraternel.
Tout ce discours ronflant sur la démocratie, la lutte contre le terrorisme et l'islamisme et ces guerres locales meurtrières, ne visent qu'à occulter les grands problèmes de notre temps. Cette pandémie nous invite, plus que jamais, à réévaluer nos valeurs fondamentales.
Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, l’Humanité n’a jamais connu une si longue période d’accalmie. Auparavant, il y avait ces 4 siècles d’esclavage avec 40 millions de victimes, la colonisation et ses guerres perdues d’avance, avec le nombre de ses victimes qu’il faudra un jour évaluer.
En raison de la fin de la Guerre froide, tout ce qu’ont trouvé les pays riches, ce sont des guerres locales contre les faibles, souvent pour du pétrole ou une prétendue menace terroriste ou islamiste. Toutes ces guerres lamentablement ont échoué.
Les milliards dépensés dans des guerres inutiles, meurtrières et coûteuses, auraient pu servir à de nobles causes.
Dans les pays occidentaux, et notamment en France, sans vigilance des citoyens, je crois qu’après les élections présidentielles d’avril 2022, si par malheur les partisans du Chaos gagnaient, le chômage partiel sera immédiatement aboli, et toutes ces réformes scandaleuses (retraites, chômage) appliquées.
Pourtant ce ne sont pas les défis qui manquent : pouvoir d’achat, réindustrialisation et relocalisation des entreprises, grandes infrastructures pour les JO de 2024, et cette question du logement, avec ses pénuries récurrentes. Tous les maires de France sont envahis de demandes de logement, et dans certaines villes, les loyers ne cessent de grimper, amputant ainsi lourdement et injustement le budget des plus modestes.
Sur le front de la pandémie, qui est loin d’être finie, et au moment où des complotistes refusent de se faire vacciner, des personnes meurent, par milliers, faute de vaccins et d’oxygène en Afrique (Sénégal, Tunisie, Maroc, Algérie).
Un article signé Denis Souchon dans "le Diplo" de février 2016, énorme travail de compilation... 1980-1987 : le djihad afghan de la presse française dans tout ses états, à la fois croquignoles que, stupéfiant et très instructif !
Pendant une période comprise entre la défaite cinglante des Etats-Unis en Indochine (avril-mai 1975) et les craquements en chaîne dans les pays européens satellites de l’Union soviétique (notamment en Pologne, où l’état d’urgence est proclamé en décembre 1981), les Etats-Unis et l’Europe occidentale imaginent — ou font croire — que Moscou a lancé une grande offensive mondiale. En Afrique, l’Angola et le Mozambique, nouvellement indépendants, semblent lui tendre les bras ; en Amérique centrale, des guérilleros marxistes font tomber une dictature proaméricaine au Nicaragua ; en Europe occidentale, un parti communiste prosoviétique oriente pendant quelques mois la politique du Portugal, membre fondateur de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. L’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, en décembre 1979, semble marquer une fuite en avant de Moscou. Elle ouvre une nouvelle étape de la guerre froide entre les deux blocs. Le combat des moudjahidins (« combattants de la foi engagés dans le djihad ») afghans va apparaître comme providentiel pour contrer les ambitions hégémoniques prêtées à l’Union soviétique. Et, souvent, être célébré à la façon d’une épopée.
Peu importe que la quasi-totalité de ces combattants héroïsés soient des musulmans traditionalistes, intégristes, même. A cette époque, la religion n’est pas nécessairement perçue comme un facteur de régression, à moins qu’elle s’oppose, comme en Iran au même moment, aux intérêts stratégiques occidentaux. Mais ce n’est le cas ni dans la Pologne catholique couvée par le pape Jean Paul II, ancien évêque de Cracovie, ni, bien sûr, en Afghanistan. Par conséquent, puisque la priorité géopolitique est que ce pays devienne pour l’Union soviétique ce que le Vietnam a été pour les Etats-Unis, un récit médiatique quasi unique va, pendant des années, exalter les moudjahidines, présentant leur révolte comme une chouannerie sympathique, attachée à sa foi. Il dépeindra en particulier la place et la vie des femmes afghanes à travers le prisme essentialiste, naïf (et parfois enchanté) des traditions populaires.
Revenir trente-cinq ans plus tard sur ce discours général et sur ses images d’Epinal, pléthoriques dans la presse française — du Figaro Magazine au Nouvel Observateur —, permet de mesurer à quel point presque tout ce qui suscitait hier l’admiration quand il s’agissait de populariser le combat contre l’« empire du Mal » (l’Union soviétique selon Ronald Reagan) est devenu depuis source d’exécration et d’effroi. Entre 1980 et 1988, on applaudissait les exploits des « combattants de la foi » contre l’Armée rouge. A partir de la décennie suivante, leurs cousins idéologiques en Algérie (Groupe islamique armé, GIA), puis en Afghanistan (talibans), et plus récemment au Proche-Orient avec Al-Qaida et l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), ont été dépeints sous les traits de « fanatiques », de « fous de Dieu », de « barbares ».
Assurément, les moudjahidines des années 1980, qui ne commettaient pas d’attentats à l’étranger, se distinguent par plusieurs aspects importants des militants du GIA algérien ou des membres de l’OEI. Il n’en est pas moins vrai que l’Afghanistan a souvent servi de creuset et d’incubateur à leurs successeurs. Le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, considéré comme le « père » de l’OEI, y a débarqué au moment où l’Armée rouge s’en retirait et y est demeuré jusqu’en 1993. Oussama Ben Laden, fondateur d’Al-Qaida, a été dépêché par les services secrets saoudiens à Peshawar, au Pakistan, afin d’appuyer la lutte des moudjahidins. L’Algérien Mokhtar Belmokhtar, dont le groupe, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), vient de revendiquer l’attaque contre l’hôtel Le Splendid à Ouagadougou, au Burkina Faso, est parti lui aussi pourchasser les alliés afghans de l’Union soviétique à la fin des années 1980 ; il est ensuite revenu en Algérie pendant la guerre civile et a combattu avec le GIA (les Algériens ayant le même parcours étaient appelés les « Afghans ») avant de rejoindre Al-Qaida. Ceux-là, et beaucoup d’autres, ont été accueillis favorablement par l’Occident tant qu’ils servaient ses desseins stratégiques. Puis ils se sont retournés contre lui. L’image que la presse européenne ou américaine donna de leurs motivations, de leur extrémisme religieux, de leur férocité changea alors du tout au tout…
1. Alliés stratégiques de l’Occident
Le 3 février 1980, quelques semaines après l’intervention militaire de l’Union soviétique en Afghanistan (1), M. Zbigniew Brzezinski, conseiller pour les affaires de sécurité du président américain James Carter, se rend au Pakistan. S’adressant aux moudjahidins réfugiés de l’autre côté de la frontière, il leur promet : « Cette terre, là-bas, est la vôtre. Vous y retournerez un jour parce que votre combat va triompher. Vous retrouverez alors vos maisons et vos mosquées. Votre cause est juste. Dieu est à vos côtés. »
Le discours médiatique français relatif à l’Afghanistan va alors favoriser l’objectif géopolitique américain.
Devoir d’ingérence
« Il faut penser, il faut accepter de penser que, comme tous les résistants du monde entier, les Afghans ne peuvent vaincre que s’ils ont des armes, ils ne pourront vaincre des chars qu’avec des fusil-mitrailleur, ils ne pourront vaincre les hélicoptères qu’avec des Sam-7, ils ne pourront vaincre l’armée soviétique que s’ils ont d’autres armes (...) que celles qu’ils parviennent à ravir à l’Armée rouge, bref, si l’Occident, là encore, accepte de les aider. (...) Je vois que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui n’est pas très différente de celle de l’époque de la guerre d’Espagne. (...) En Espagne, il y avait un devoir d’intervention, un devoir d’ingérence. (...) Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes. » Bernard-Henri Lévy, journal télévisé de la nuit de TF1, 29 décembre 1981
Bernard-Henri Lévy appuiera avec la même ferveur l’intervention occidentale en Afghanistan consécutive aux attentats du 11 septembre 2001.
Comme au temps de la Résistance en France
« Pour permettre aux Afghans de parler aux Afghans, comme, pendant l’occupation en France, les Français parlaient aux Français, le Comité droits de l’homme a décidé d’aider la résistance afghane à construire une radio sur son territoire : Radio-Kaboul libre. Il y a un an et demi, le 27 décembre 1979 (...), l’une des premières puissances du globe venait d’envahir un pays voisin, faible et sans défense. (...) Les vieux fusils sortent des coffres, les pistolets de dessous les bottes de paille. Mal armée, la résistance se lève. »
Ici, Marek Halter renvoie à un vers connu du Chant des partisans, hymne de la Résistance française : « Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. »
Le combat de toutes les victimes du totalitarisme
« Le combat des Afghans est celui de toutes les victimes des totalitarismes communistes et fascistes. » Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980
« Comme à Berlin, comme à Budapest, l’Armée rouge a tiré »
« “Allah o Akbar” (“Dieu est le plus grand”), “Shuravi [les Russes] dehors” : musulmans et non communistes, les Kaboulis n’ont pas oublié. Le vendredi 22 février, ils entendaient manifester, drapeau vert de l’islam en tête, contre la présence de l’armée soviétique, jugée insupportable. Ce matin-là, comme jadis à Berlin-Est et à Budapest, l’Armée rouge a tiré. (...) Entre Marx et Allah, le dialogue apparaît impossible. » Jean-François Le Mounier, Le Point, 3 mars 1980
Se débarrasser de l’occupant soviétique, préserver une société d’hommes libres
« Un regard d’une fierté inouïe qu’on aurait du mal à rencontrer ailleurs dans le monde et qui donne une exacte mesure de la farouche volonté des Afghans de se débarrasser de l’occupant soviétique, même si leurs moyens peuvent paraître dérisoires. » Patrick Poivre d’Arvor, journal d’Antenne 2, 8 juillet 1980
« Ce qui meurt à Kaboul, sous la botte soviétique, c’est une société d’hommes nobles et libres. » Patrice de Plunkett, Le Figaro Magazine, 13 septembre 1980
Comme les Brigades internationales, les « Afghans » de l’Hexagone
Dans Le Monde du 19 décembre 1984, Danielle Tramard évoque quelques-uns des Français qui « travaillent avec les résistants afghans ». Nulle crainte à l’époque que ces combattants étrangers reviennent dans leur pays « radicalisés » par l’expérience de la guerre.
« C’est cela, l’amitié franco-afghane : un ami qui aide son ami. (...) François a appris le persan, comme Isabelle. Cet été, la frontière franchie, il a marché à pied pendant six jours, de jour et de nuit, parfois dans la boue, à un rythme assez soutenu. »
Claude Corse consacre à son tour un reportage du Figaro Magazine, le 19 décembre 1987, aux médecins, agronomes et ingénieurs français qui aident les Afghans. Avec une référence à la Résistance française.
« Barbes, turbans et même l’œil farouche : ces Afghans typiques sont des Français. Parmi eux, un marin breton spécialiste des vents de Polynésie, qui s’est fait agronome montagnard par goût pour un peuple qui vit vent debout ! (...) Précieuse ressource vivrière, cet arbre de vie [un châtaigner] symbolise l’espérance d’un peuple d’irrédentistes uni contre l’envahisseur communiste, comme les bergers corses de la Castagniccia le furent jadis contre les armées d’occupation. »
2. Exotisme et jolis paysages
Vaincre le communisme soviétique ne constituait pas un objectif universellement populaire en France. Pour que la cause des Afghans, patriotique mais aussi traditionaliste, dispose d’appuis plus nombreux, les grands médias l’associent à un désir d’aventure, à un paradis perdu. C’est d’autant plus facile que le combat afghan se déroule dans un cadre géographique enchanteur, avec des lacs purs qui accrochent le regard. Le pittoresque des paysages (et des traditions) de l’Afghanistan renvoie toute une génération occidentale devenue adulte dans les années 1960 au pays dont ont rêvé les routards et qu’ils ont parfois traversé pour se rendre à Katmandou. Retour à la nature, aux vraies valeurs, aux « montagnes cruelles et belles ». L’Afghanistan comme antithèse de la civilisation moderne, matérialiste et marchande.
« Ici Radio- Kaboul libre… », par Bernard-Henri Lévy, Le Nouvel Observateur, 12 septembre 1981.
« On oublie que c’est la guerre tellement c’est beau »
« Cela commence comme une histoire d’amour. Ils sont presque tous allés en Afghanistan. Dès le premier voyage, c’est l’attirance définitive. Ils décrivent “l’endroit par excellence où l’on est loin : pas de chemin de fer, pas d’industrie”. L’espace et la liberté : “Un Afghan ne vous regarde pas, ne vous importune pas.” Isabelle dit aussi : “Par moments, on oublie que c’est la guerre tellement c’est beau.” »
Danielle Tramard, Le Monde, 19 décembre 1984
« Les plus fertiles, les plus colorés, les plus éclatants »
« L’Hindou Kouch s’étire du nord-est au sud-ouest, surplombant de ses 5 000 mètres les vallées les plus fertiles, les fruits les plus beaux, les vêtements les plus colorés, les bazars les plus éclatants, et barre au nord et au sud des déserts de sable doré. »
Robert Lecontre, Le Figaro Magazine, 12 janvier 1980
« Leur barbe noire, leur nez busqué et leur regard
« Impressionnants avec leur barbe noire, avec leur nez busqué et leur regard aigu, ils font penser à des rapaces. Ce sont des guerriers-nés, indifférents à l’effort, au froid, à la fatigue. Ce sont des êtres à part, insensibles à la solitude, à la faim, à la mort. Armés de vieux fusils Enfield, modèle 1918, ils font mouche à 800 mètres. L’histoire a démontré qu’aucune armée venue d’ailleurs, ni même de l’intérieur, n’a pu les mater. (...)C’est cette accumulation de triomphes, c’est cette hécatombe des ennemis, c’est leur orgueil, c’est leur fierté qui, aujourd’hui, permettent encore à 17 millions d’Afghans de croire que, bientôt, tapis dans leurs repaires du Toit du monde, là où Kipling a fait vivre son Homme qui voulut être roi, leurs défenseurs seront encore triomphants. »
Jerôme Marchand [avec Jean Noli], Le Point, 21 janvier 1980
« Qu’est devenu ce cavalier enturbanné cheminant dans la neige ? »
« Que sont devenus ces caravaniers pachtounes, sirotant leur thé vert dans une maison de thé, leur fusil près d’eux ; ce berger de l’Hindou Kouch près d’un point d’eau ; ce cavalier enturbanné cheminant dans la neige ? (...) Les dunes géantes que le vent sculpte en vagues, les rues de Herat où l’odeur des roses que respire un vieillard vous entête, où les portes cloutées, d’un bleu paradis, des maisons des riches vous intriguent, où vous surprend inopinément le mollet gainé de blanc d’une femme complètement cachée sous le tchador plissé et dont le regard filtre à travers le grillage d’une broderie... »
Nicole Zand, Le Monde, 9 décembre 1980
« La ténacité qu’engendrent le froid sidéral, les vents de sable brûlants »
« Habitués à vivre durement, les Afghans ont la ténacité qu’engendrent les paysages austères, le froid sidéral, les vents de sable brûlants. (...) Il règne au sein de notre petite communauté une harmonie étonnante. Pendant des jours et des jours, les moudjahidins ne se quittent pas d’une semelle, et pourtant il n’y a presque jamais de frictions entre eux. (...) Le compagnonnage de la révolte bouscule les hiérarchies traditionnelles. (...) Celui qui a le cafard est vite ressaisi par la bonne humeur, l’humour et la chaleur du groupe. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
3. Des combattants qui ont la foi
Entre des Français de moins en moins religieux, souvent pétris de libéralisme culturel, et des Afghans traditionalistes, soutenus à la fois par l’Arabie saoudite et l’Iran, l’affinité ne va pas de soi. D’où l’importance de présenter les moudjahidines comme des gens simples qui ont la foi et qui tiennent à leurs coutumes ancestrales, à leurs solidarités villageoises. L’affrontement, souvent meurtrier, entre clans et tribus antisoviétiques est présenté à la manière du combat, sympathique et désordonné, des villages gaulois contre les légions romaines.
« Ces “Afghans” ? Des médecins et ingénieurs français », par Claude Corse, Le Figaro Magazine, 19 décembre 1987.
Un islam sans « politisation extrême comme en Iran, ni surchauffe »
« Ne mélangeons pas les genres. A Téhéran, l’intégrisme correspond à une folle libération du petit peuple des villes après vingt années de mégalomanie, de gâchis et d’occidentalisation criarde. En Afghanistan, il ne s’agit que de tradition, et rien que de tradition. Pas de politisation extrême comme en Iran, ni de surchauffe. La ferveur est de toujours. (...) Les montagnards et maquisards de Dieu ont la foi. »
Pierre Blanchet, Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1980
« Je crois que la révolution islamique de Khomeiny rend un mauvais service à la cause afghane. Mais la résistance afghane n’a pas la radicalité des mouvements révolutionnaires iraniens, et les courants qui présentent un caractère sectaire y sont très minoritaires. »
Jean-Christophe Victor, Les Nouvelles d'Alsace, Décembre 1983
Les « combattants de la guerre sainte »
« Les Afghans ont la pudeur et le fatalisme qu’implique une confiance absolue en la volonté d’Allah. On dirait qu’il n’existe pas de mode de vie plus attrayant ni d’occupation plus élevée que celle de combattant de la guerre sainte. Elle rapproche chacun de la vie du Prophète. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
Indisciplinés, vaniteux, bavards, mais courageux
« Comme hier, le moudjahid reste avant tout un paysan attaché à sa terre. Il saura la défendre avec ténacité, mais souvent perdra toute agressivité si elle n’est pas menacée. (...)Les défauts propres au caractère afghan — indiscipline, tendance à l’inflation verbale, difficulté à garder le secret — ne doivent pas faire oublier les qualités principales de ces hommes. Leur courage et leur capacité de souffrance sont réels et ils savent faire preuve, quand il le faut, d’une audace remarquable. »
Patrice Franceschi, Le Point, 27 décembre 1982
« Leur islam vaut bien le communisme à la soviétique »
« Il y a l’opposition, indirecte et perfide, de ceux qui se demandent si les résistants valent mieux que les occupants : si leur islam n’est pas “primitif et barbare” ; si, en définitive, il faut bien risquer de “mourir pour Kaboul”. C’est à cette démission qu’on nous convie de toute part tandis que les Afghans se font tuer et appellent à l’aide. Devant leur SOS, il faut alors proclamer bien haut que la résistance des Afghans contre les occupants soviétiques est juste comme toutes les guerres de libération. (...) Outre que leur islam vaut bien le communisme à la soviétique et que le premier est aussi “globalement positif” que le second, il est scandaleux de s’interroger sur leur civilisation au moment où ils la défendent avec le plus d’héroïsme. »
Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980
Un journaliste du « Figaro Magazine » embrasse « de bon cœur » le Coran
« Avant toute attaque, la prière : une prière rapide par laquelle chacun recommande son âme à Allah. Les résistants passent ensuite sous un drapeau tendu dans lequel est déposé un petit Coran. Certains l’embrassent, d’autres s’inclinent en signe de ferveur. Anayatollah a insisté pour que j’accomplisse moi aussi le rituel. Je l’ai fait de bon cœur. C’est effectivement dans l’islam que ce peuple afghan maintient sa cohésion et puise la force morale qui lui permet de résister. Le djihad (guerre sainte) et le caractère islamique de cette résistance peuvent effrayer mais, à de rares exceptions près, on ne leur connaît pas de forme fanatique. »
Stan Boiffin-Vivier, Le Figaro Magazine, 5 décembre 1987
4. L’épineuse question des femmes
Résistance et courage, solidarités communautaires, exotisme et beauté ne permettent pas d’éluder indéfiniment la question, forcément épineuse — surtout pour des Français dont la conscience politique a été transformée par les combats féministes —, du statut des femmes afghanes. Cette difficulté peut d’autant moins être niée que les communistes afghans ont interdit le mariage des enfants et réduit l’importance de la dot. Mais l’obstacle est contourné grâce à une mise en garde contre une perception trop occidentale de la situation afghane. On explique alors que certains comportements et symboles changent de sens en changeant de pays. En soi, la chose n’est pas fausse. Mais un tel relativisme culturel n’aura plus cours sitôt que le combattant « qui ne nous ressemble pas » passera du statut d’allié à celui d’adversaire.
Image extraite du livre de Roland et Sabrina Michaud Mémoire de l’Afghanistan, éditions du Chêne, Paris, 1985.
L’« européocentrisme total » n’aide pas à comprendre la condition des femmes afghanes
« L’“oppression” de la femme n’est qu’une pièce dans ce système. Un européocentrisme total n’aide nullement à comprendre le fonctionnement de cette société, dans la mesure même où l’“oppression” pèse souvent autant sur les hommes que sur les femmes, dans le cas du mariage arrangé par les parents, par exemple. »
Emmanuel Todd, Le Monde, 20 juin 1980
Les femmes sont nécessairement soignées par d’autres femmes
« Jamais une femme afghane ne se laissera examiner par un médecin homme. (...) Sous les tentes munies du matériel nécessaire, les Afghanes, enroulées dans leurs voiles, continuent d’affluer, parce qu’elles sont accueillies, écoutées, soignées par des femmes, et elles amènent leurs enfants, souvent atteints aux yeux ou par des maladies de peau, ou de tuberculose. »
Françoise Giroud, première secrétaire d'État à la condition féminine en France, Le Monde, 25 janvier 1983
L’« armée des ombres de la résistance afghane »
« Lorsque j’évoque l’existence de combattantes armées dans d’autres pays musulmans, elles demeurent rêveuses. Il n’y a bien sûr aucune femme dans les rangs des moudjahidins. Mais il en est qui transportent des explosifs sous leur tchador ou qui servent d’agent de liaison, portant des messages en ville. (...)Les femmes sont l’armée des ombres de la résistance afghane. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
Ne pas les empêcher de vivre comme ils l’entendent
« Une Française, photographe, est parmi nous. Il n’y a pas d’autre femme. Pourtant, elle a été acceptée, sans problème, sans aucun voile, ce qui n’aurait jamais été admis dans les mêmes circonstances en Iran. Comme si, ici, l’islam n’était pas le moyen exacerbé d’une politique, comme en Iran, mais quelque chose de plus fondamental et de plus simple. (...) Au nom de quel progressisme empêcherait-on les Afghans de vivre comme ils l’entendent ? »
Pierre Blanchet, Le Nouvel Observateur, 5 juillet 1980
« Que valent nos critères dans une société que nous ne comprenons plus ? »
« Selon nos critères, on pourrait parler de l’aliénation des femmes en Afghanistan. Mais que valent nos critères dans une société que nous ne comprenons plus ? L’archaïsme des relations hommes-femmes en Afghanistan nous choque, mais il ne peut être remis en question que par une évolution qui doit se faire, là aussi, à son propre rythme et au moment que choisiront les femmes afghanes elles-mêmes. Et ce ne peut s’imposer de l’extérieur avec des soldats et des tanks. »
Annie Zorz, Les Temps modernes, juillet-août 1980
« Le système de la “compensation matrimoniale” à verser, dans beaucoup de sociétés du monde, en Asie comme en Afrique, avant de pouvoir épouser une jeune fille présente bien sûr de nombreux inconvénients, surtout pour les jeunes gens à marier. Pourtant, dans les sociétés rurales pauvres, il constitue indubitablement une certaine protection pour l’épouse. L’institution de la compensation matrimoniale était perçue en Afghanistan comme la reconnaissance de l’importance des femmes. Dans la société telle qu’elle était, la supprimer brutalement revenait à déprécier les femmes. C’était, pour les paysans, montrer du respect et de la considération envers sa fille et envers soi-même que de ne pas vouloir la donner pour rien à n’importe qui, sans que son avenir soit assuré. »
Bernard Dupaigne, Les Nouvelles d'Afghanistan, octobre 1986
« La polygamie est dans certains cas un moyen pour l’homme de gérer ses conquêtes et de répondre à un moment donné à des nécessités économiques. Mais c’est également une protection pour la femme stérile qui peut ainsi exister et être intégrée dans une famille et donc dans un tissu social. (...) La dot est dans certains pays, comme l’Afghanistan, une garantie pour la femme, car, le jour du divorce, elle peut la récupérer ainsi que tous les biens qu’elle avait engagés lors du mariage. (...) D’autres vous diront que le port du voile n’est pas en soi un comportement rétrograde, mais un moyen pratique d’être respectée et aussi une question d’honneur. (...) Là où les Occidentaux voient des signes d’oppression existe souvent en fait une réalité plus complexe. (...) Le rôle des femmes est donc très valorisant et très valorisé. »
Chantal Lobato, Autrement, décembre 1987
Epilogue (provisoire)
Le régime communiste afghan de Mohammed Najibullah survivra trois ans au départ, en février 1989, des troupes soviétiques. Puis, en 1996, après plusieurs années d’affrontements meurtriers entre clans anticommunistes rivaux, Kaboul tombe aux mains des talibans. Ils s’emparent de Najibullah, réfugié dans un bâtiment des Nations unies, le
torturent, le castrent, le fusillent et pendent son corps à un réverbère.
Le 15 janvier 1998, Le Nouvel Observateur demande à M. Brzezinski s’il « ne regrette pas d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ». Sa réponse : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »
L'ordre du parc et le gardien arabe si sympathique. Il avait posé avec nous.
D'après mes petites recherches, le musée a été créé en 1955. Nous le visitions peu après sa création. Seigneur, comme le temps passe.
Et les copains ? Que sont-ils devenus ? Ils vivent à Nice pour la plupart et je suis en contact avec les familles. Ils sont mariés, ont des enfants et coulent une retraite paisible. Ils parlent souvent de Marengo, de Tipasa et le pays leur colle à la peau. Peut-être pour mieux voir La Vénus de Tipasa.
Ah !.. L'ombre fraîche de ces journées d'été dans le parc Trémaux. Puis-je redire combien je garde comme des trésors, ces vieilles photos prises en 1956, 1957 et 1958 ?
Camus :
"Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l'espoir du printemps."
En 1854, un entrepreneur parisien, Demonchy, eut l'idée grandiose de rebâtir Tipasa. L'administration lui accorda une vaste concession; à charge pour lui de construire, à côté de sa ville, un village agricole. L'année suivante Demonchy meurt du paludisme (dans la vallée du Nador au pied du massif du Chenoua subsistait des marais), puis c'est le tour de son épouse du fait du climat malsain qui régnait alors. Le fils, découragé, vend la concession à son beau-frère, Jean-Baptiste Trémaux.
La ville de Tipasa ne renaîtra pas, mais Trémaux crée le jardin-musée pour protéger l'ancienne cité du vandalisme moderne, à côté du futur Parc Trémaux, parc national qui groupe l'essentiel des ruines romaines.
http://tipasa.eu/z_tipasa/le_parc_tremaux.html
Camus. La fin du Retour à Tipasa (1952 donc dix ans avant notre définitif départ d’Algérie.
« Mais peut-être un jour, quand nous serons prêts à mourir d'épuisement et d'ignorance, pourrai-je renoncer à nos tombeaux criards, pour aller m'étendre dans la vallée, sous la même lumière, et apprendre une dernière fois ce que je sais. »
Camus quand il avait 39 ans.
« Le secret que je cherche est enfoui dans une vallée d'oliviers, sous l'herbe et les violettes froides, autour d'une vieille maison qui sent le sarment. Pendant plus de vingt ans, j'ai parcouru cette vallée, et celles qui lui ressemblent, j'ai interrogé des chevriers muets, j'ai frappé à la porte de ruines inhabitées. Parfois, à l'heure de la première étoile dans le ciel encore clair, sous une pluie de lumière fine, j'ai cru savoir. Je savais en vérité. Je sais toujours, peut-être. Mais personne ne veut de ce secret, je n'en veux pas moi-même sans doute, et je ne peux me séparer des miens. Je vis dans ma famille qui croit régner sur les villes riches et hideuses, bâties de pierres et de brumes. Jour et nuit, elle parle haut, et tout plie devant elle qui ne plie devant rien : elle est sourde à tous les secrets. Sa puissance qui me porte m'ennuie pourtant et il arrive que ses cris me lassent. Mais son malheur est le mien, nous sommes du même sang. Infirme aussi, complice et bruyant, n'ai-je pas crié parmi les pierres ? Aussi je m'efforce d'oublier, je marche dans nos villes de fer et de feu, je souris bravement à la nuit, je hèle les orages, je serai fidèle. J'ai oublié, en vérité : actif et sourd, désormais. Mais peut-être un jour, quand nous serons prêts à mourir d'épuisement et d'ignorance, pourrai-je renoncer à nos tombaux criards, pour aller m'étendre dans la vallée, sous la même lumière, et apprendre une dernière fois ce que je sais. » (1952)
José Lenzini nous explique que lors de ses pérégrinations dans le parc Trémaux, à Tipasa, Camus observait souvent les "génies des saisons" figurant sur un sarcophage. Il se penchait aussi sur les stèles.
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