L'espion d'Alger. Roman de Nabil Benali. Casbah Editions, Alger 2019 (autoédité auparavant, en août 2017), 336 pages, 800 dinars
1607. Alger, «El Mahroussa», avec ses corsaires «barbaresques», son Pacha, sa Ta fa des raïs, son Ojak et ses occupants ottomans venus de la Sublime-Porte, représentés par un Pacha aidé de janissaires au yatagan bien aiguisé et de collecteurs d'impôts sans pitié. Une époque, une gouvernance et des lieux encore très mal connus faute de documents, mis à part ceux produits par les Occidentaux, commerçants, captifs, espions ou missionnaires.
Ce qui est sûr, c'est que le commerce des esclaves, surtout des chrétiens capturés lors des «batailles» navales et la «course», était florissant grâce aux rançons exigées, pour leur libération, négociées tout particulièrement par une mission étrangère de «rédemption» des esclaves chrétiens installée. Sujet central du livre : il faut à tout prix libérer Alexander. Le père, Don Miguel sollicite Cheikh Mansour, un érudit au service du Pacha qui, se trouve, donc, malgré lui, mêlé à une affaire de corsaires et de trafic de captifs chrétiens... Il est vrai que «turjman», personnel du Pacha d'Alger, peut hâter les choses. On a même, présente sur les lieux, Maria, très amoureuse, qui ne veut pas quitter Alger sans son Alexander. Des transactions pas faciles du tout aussi compliquées et dangereuses que les ruelles de la ville. Une histoire qui l'est encore bien plus qui décrit certes assez bien la vie algéroise (plutôt celle des «centres de pouvoir») dans une atmosphère aussi lugubre que ses ruelles tortueuses et dangereuses. S'y mêlent l'aventure, un peu d'amour, l'intrigue, la mort, le courage, la lâcheté, l'espionnage et, bien sûr, la corruption, les échanges de prisonniers. Tout un maquis pas facile à débroussailler ! D'autant que ce ne sont pas les rebondissements qui manquent avec, à la fin, des coupables devenus innocents et des innocents devenus coupables et une dame à laquelle on donnait pourtant le bon Dieu en confession mais qui se révèle grande espionne..., tout cela avec un détour à Constantinople (aux «paysages sublimes, et ses alentours jouissaient d'une sécurité que l'on pouvait rarement savourer à Alger») en pleine construction de la mosquée du Sultan Ahmet.
L'Auteur : Né à Oran (1972), des études de journalisme (Alger, années 90). Producteur d'émissions télévisées, il vit entre Alger, Paris et Doha. Prix du jury des «Plumes francophones 2017» (président : Yasmina Khadra). Déjà auteur (Barzakh 2002), d'un ouvrage «À la mémoire du commandant Larbi». C'est la fondation «Alliance française», qui est partenaire du concours littéraire «Les Plumes francophones», organisé par Amazon France. Le concours met à l'honneur la langue française, l'autoédition et de nouveaux talents francophones.
Extraits : «Pour les marins, le lien avec la mer est comme l'amour d'une femme capricieuse. Ils peuvent la maudire autant qu'ils veulent, ils ne la quitteront pour rien en ce monde. Elle punit sans merci la moindre de leurs erreurs, les fait souffrir, les prive de tout et eux, ils sont là, heureux de la subir, tant que la subir leur permet de vivre près d'elle» (p195).
Avis : Ouvrage bien épais, bien documenté, mais qui rend assez confuse la vie d'Alger sous domination(s) corsaire et ottomane.
L'auteur raconte, par ailleurs : «J'ai promis à Kenzy, mon fils qui avait 6 ans alors, que je finirais un livre avec des pirates et que je lui dédierais ce livre. C'est ainsi que j'ai été jusqu'à la publication de L'espion d'Alger».
Citations : «En commerce, partout, il y a deux sortes d'hommes : ceux dont la parole est sacrée et les autres qu'il vaut mieux n'avoir jamais rencontrés de sa vie» (p22).
Le Miroir. Aperçu historique sur la Régence d'Alger. Document historique de Hamdane Khodja. Tafat éditions, Alger 2015 (ouvrage écrit par l'auteur en 1833), 297 pages, 600 dinars (Fiche déjà publiée. Pour rappel).
Un livre émouvant que celui de Hamdane Khodja. Le livre d'un homme écartelé, sachant son incapacité à lutter contre une occupation du pays (de dix millions d'habitants, affirme-t-il) par un autre pays étranger et d'une autre religion de surcroît mais, en même temps, espérant on ne sait quelle compréhension ou aide extérieure pouvant abréger l'occupation ou les souffrances du peuple d'Algérie.
Il veut, par l'écrit et les relations, «attirer l'attention des hommes d'Etat sur cette partie du globe et afin de leur apporter nos connaissances et les éclairer sur quelques points que sans doute ils ignorent». De la naïveté, comme celle de tous les intellectuels «décalés», ne comprenant rien ou comprenant trop tard les idées militaristes ou expansionnistes des Etats, des politiciens et des groupes d'affairistes. Ou celle de membres de la «nomenklatura» sortant difficilement de leur «bulle». Il est vrai que l'écriture est réalisée trois années à peine après l'invasion, ce qui ne donne pas un recul suffisant pour saisir les enjeux géostratégiques du moment. D'où des descriptions certes détaillées des paysages, des lieux, des hommes, de leurs mœurs et usages, mais minorant (à dessein afin que cela serve de repoussoir) les richesses des territoires. Pour lui, seuls les Turcs, les vrais, les anciens, «magnanimes et charitables», sont capables de diriger un pays où ils seraient, selon lui, bien acceptés. Une grande indulgence compréhensible vu les liens entretenus par sa famille (kouloughlie) et lui-même avec les Turcs puis avec les Français. Ne servit-il d'intermédiaire entre le bey de Constantine Ahmed Bey et les Français... ? Et, il fut même membre du Conseil municipal d'Alger.
L'auteur dénonce surtout les mercenaires, sortes de coopérants techniques, sanguinaires, qui, à part quelques exceptions - comme Hadj Ahmed Bey de Constantine - ont précipité la décadence du gouvernement avec une gouvernance de beys incompétents assoiffés de pouvoir et d'argent et méprisant les populations algériennes («les Arabes et les Kabyles», les habitants des plaines et ceux des montagnes ou les lieux escarpés, comme il dit), ont facilité l'ascension affairiste des juifs et des diplomates véreux comme Bousnach et Bacri et Deval et l'interventionnisme étranger et ont accéléré la défaite (presque sans bataille) et l'occupation : «Les Turcs étant au pouvoir avaient à leur disposition des trésors et une armée; les beys étaient avec eux et ils possédaient la Casbah et les forts. Avec tous ces avantages, ils n'ont pas lutté contre les Français» (p200).
L'Auteur : Hamdane Ben Othmane Khodja (773-1842 ?) est un notable d'Alger et un «savant». Famille d'origine turque. Père jurisconsulte de renom et enseignant, jouissant d'une grande estime auprès de l'administration turque. Fin lettré : philosophie, théologie, sciences et même médecine (il fut l'auteur d'un ouvrage sur «le traitement des épidémies»). Il voyage beaucoup à travers le monde et maîtrise le français, l'anglais et le turc. Il fut le premier essayiste sur le sujet des «exactions et atrocités» commises en Algérie par les soldats français. Son livre traduit fut publié à Paris en 1833, ce qui entraîna une «réfutation» anonyme (du maréchal Clauzel, dit-on) dans la presse de l'époque. Il quitte Paris en 1836 et s'installe à Constantinople entre 1840 et 1845. Son exil ne lui permit pas de publier le second volume promis.
Avis : Pour compléter vos connaissances en histoire (turque) du pays.
Citations : «La civilisation ne consiste pas dans la manière de se mettre sur une chaise ou sur un sofa, ou bien de s'habiller de telle ou telle manière, car les uns sont des élégants de salons parfois dangereux pour les mœurs ou la société; et les autres ne sont, proprement dit, que des hommes à qui les tailleurs sont quelquefois indispensables pour donner de la tournure... Les Orientaux entendent par civilisation suivre la morale universelle, être juste envers le faible comme envers le fort, contribuer au bonheur de l'humanité qui forme une seule et grande famille» (p11), «Un sultan ou un roi peut se passer d'un agent ou d'un gouverneur, mais qu'il ne peut être ce qu'il est s'il ne commande pas à un peuple qui seul constitue l'existence de son gouvernement» (p84), «De même qu'il ne faut qu'un grain pourri dans un tas de blé pour le gâter entièrement, de même il ne faut qu'un homme corrompu pour entraîner au mal tous ceux qu'il fréquente et qui l'entourent» (p120), «Un crime politique entraîne toujours d'autres crimes à sa suite» (p121), «Que le chef soit sultan, roi ou gouverneur, il dirige et doit donner l'exemple. Ses actes iniques démoraliseront un peuple tout entier» (p256).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
2021 08 19
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5304545
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