Je ne puis visiter tes cachots
Où se terre l'image
De la dégradation humaine
Ni voir tes chaînes
Qui vibrent encore du courage résigné
De ces guerriers
Aux mains calleuses
Qui ont pétri le roc de leur destin
Ni sentir l'odeur putride
De leur rancune accumulée sur tes murs
Ni mesurer le regret
Qui rongeait leur cœur
Tuméfié de projets avortés
Que n'aurais-je dû poursuivre
Les galères qui emportaient les esclaves
Amputés aux rêves brisés
Sur les galets ! À Gorée !
C'était un soir, il y a si longtemps
Un soir de lune
Brusquement Gorée s'éloignait
Je le sentais de la cale
Où nous étions entassés
Et j'ai vogué...
J'ai vogué vers des horizons
De ténèbre et de souffrance
J'ai mordu la poussière
De routes inconnues
Mon sang, sève d'innocence
S'est mêlé à l'eau boueuse des rizières
Ma sueur a humecté le sol
Et baigné la nuit
Et mon cœur calciné de résignation
A forcé mes yeux des siècles durant
À retenir au fond d'eux-mêmes
La pluie du désespoir
Et le chant éclata de ma poitrine.
J'ai chanté ma complainte de déraciné
Avec mes frères infortunés
Et l'avenir où des lambeaux de rêves
Voltigeaient aux vents de mes regrets
M'écrasait la nuque d'une fatalité absurde.
Mais j'ai relevé la tête
Pour crier ma vérité aux hommes
Aux hommes blancs
Aux hommes rouges
Aux hommes jaunes
N'y-a-t-il pas des hommes bleus ?
Bleu comme l'espoir
Bleu couleur de ciel
Des hommes de cœur et de justice
De la justice juste
Sans race et sans continent ?
Je suis en tous points
Semblable à mon frère
Le soleil de mon Dieu
Est un soleil pour tous
Les vertus de mon Dieu
Sont en toute créature
Pourquoi voulez-vous
M'enlever ma semence ?
Laissez-moi sortir de terre
Bourgeonner et fleurir
Que mes fruits éclatés
Nourrissent la faim du monde
Laisser-moi m'ouvrir
Au souffle des quatre vents
Car ma robe noire
Est une robe de fête.
FATOU NDIAYE SOW
In Poètes d'Afrique et des Antilles
© éditions de La Table Ronde 2002, p.p.461/462/463
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