Le bannissement puis le retour en grâce en équipe de France du footballeur d'origine algérienne Karim Benzema, nous ont amenés à faire deux constats assez flagrants en ce qui concerne l'attitude d'une partie de la société française vis-à-vis de certains étrangers vivant en son sein, et particulièrement ceux qui sont originaires ou dont les parents sont originaires de pays arabes, ainsi que sur la place très conjoncturelle qu'ils y occupent. On se souvient que le célèbre attaquant du Real Madrid a été évincé, il y a cinq ans et demi, de l'équipe de France de football pour, disons, «un déficit de patriotisme». Mais que lui était-il reproché exactement ? En 2006, Benzema, alors qu'il était au début de sa carrière footbalistique, avait été approché pour faire partie de la sélection algérienne. Il avait alors confié à la radio RMC : «c'est vrai que j'ai eu une discussion avec l'entraîneur de l'Algérie. L'Algérie, c'est le pays de mes parents, l'Algérie, c'est dans le cœur, mais bon, après, sportivement, c'est vrai que je jouerai en équipe de France. Je serai là, toujours présent pour l'équipe de France». «L'Algérie, c'est dans le cœur» ! Certains, en France, ne lui ont jamais pardonné ces mots affectifs qui ont motivé apparemment tous les procès en sorcellerie qui lui ont été intentés par la suite (dont celui de ne pas savoir chanter la «Marseillaise», l'hymne national français).
En juin 2016, dans une interview au quotidien espagnol Marca, Benzema a identifié les fractions qui seraient à l'origine de son éloignement de l'équipe des Bleus : «L'entraîneur Didier Deschamps a cédé sous la pression d'une partie raciste de la France. Il faut savoir qu'en France, le parti d'extrême droite est arrivé au deuxième tour des dernières élections présidentielles». Ces accusations de Benzema ont été confortées par l'ex-joueur de Manchester United, Éric Cantona, qui dans une chronique publiée, ce même mois de juin 2016, par le quotidien britannique «The Guardian», a soupçonné ce même entraîneur Didier Deschamps de ne pas avoir retenu Benzema et Hatem Ben Arfa à cause de leurs «origines nord-africaines». Donc une partie de la France, raciste ? Ce serait même, pour nombre d'observateurs, une lapalissade...
Mais le rappel de Karim Benzema dans la sélection française durant l'Euro 2021 (malgré l'élimination précoce de son équipe, il a réussi son contrat puisqu'il a à son actif deux doublés en deux matchs, dont un but d'anthologie) a surtout inspiré notre second constat, plus intéressant peut-être; car ce retour inattendu a re-souligné (dans le domaine sportif cette fois-ci, mais pas seulement) une forme d'intelligence (ou de machiavélisme) aiguë des pays occidentaux, en général, lorsqu'il s'agit d'être au service de leurs propres intérêts, faisant feu de tout bois et ne négligeant jamais l'apport décisif d'un talent, quand bien même serait-il arabe, inca ou zoulou ! L'ancien dirigeant chinois Deng Xiaoping a résumé cette forme suprême de réalisme (ou de cynisme) en soutenant que «peu importe qu'un chat soit noir ou blanc, s'il attrape la souris, c'est un bon chat». De ce point de vue, l'entraîneur Didier Deschamps a fini par se convaincre que Karim Benzema pouvait bien porter au cœur l'Algérie de ses parents... mais à condition de marquer beaucoup de buts, bien entendu en faveur des Bleus !
2021-07-01
par Amine Bouali
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5303126
Zidane à la place de Deschamps ?
Le football raconte toujours des histoires humaines, faites d'abnégations, d'espoirs mais aussi, et surtout, de déconvenues. Exception faite de quelques joueurs bénis par la providence, la défaite y est toujours plus fréquente que la victoire. On dira que des grands clubs gagnent souvent. C'est vrai, mais, in fine, ils perdent quand arrive l'heure de vérité, le moment où seuls les grands demeurent mais où un seul élu est consacré. Exemple : Lionel Messi et le FC Barcelone ont beaucoup gagné ces six dernières années mais, au final, ils ont toujours éprouvé le goût amer de la défaite et de l'élimination lors des grands rendez-vous européens, autrement dit ceux qui comptent le plus. Battre Getafé est banal, voire normal, mais s'incliner face au Bayern de Munich, de Liverpool ou de l'AS Roma en Ligue des champions est une défaite qui pèse bien plus que dix victoires en Liga.
Les joueurs français qui ont remporté la Coupe du monde de 2018 sont passés dans une autre dimension. Revanchards, car ayant perdu chez eux la finale de l'Euro 2016, attendus au tournant par la presse hexagonale, leur victoire fut alors une consécration. Ils l'ont vue comme le début d'une épopée et, ce faisant, leur manière d'être a changé. Ils sont devenus les maîtres du monde. Ce fut donc le début des ennuis pour l'entraîneur Didier Deschamps. Certes, lui aussi a été, en tant que joueur, champion du monde et champion d'Europe. Certes, lui aussi a vécu une belle carrière avec ses clubs. Certes, enfin, il est l'entraîneur qui a sorti le football français de l'ornière en l'emmenant au sommet.
Oui, mais voilà, les joueurs qu'ils dirigeait en 2018 ont changé. Champions du monde, ils étaient persuadés que rien ne pouvait les arrêter durant cet Euro. Ils estimaient que le temps n'était plus où il leur fallait ronger leur frein, sacrifier leurs égos à la cohésion de l'équipe et endurer les compromis pour atteindre la consécration. Forcément, les rapports avec le sélectionneur ont changé et il était devenu plus difficile pour ce dernier d'imprimer sa marque et de se faire respecter. On l'a bien vu durant le match contre la Suisse ou même avant. Des joueurs qui ne veulent pas sortir (Coman), d'autres qui refusent d'appliquer le repositionnement tactique demandé (Pogba), certains qui exigent de ne jouer qu'à tel ou tel poste (Mbappé, Griezmann)...
Comment l'Espagne a-t-elle pu réaliser l'exploit de la passe de trois : 2008-2010-2012 ? Il y a deux explications. La première est qu'elle était composée de joueurs ayant, par ailleurs, tout gagné ou presque et donc habitués à vivre et jouer entre «grands égos ». Une situation où la maturité et l'intelligence relationnelle sont primordiales. L'image d'un Mbappé, véritable Narcisse obsédé par ses statistiques et boudant sans cesse démontre que ce n'était pas le cas pour la France. La seconde concerne l'entraîneur. En 2008, l'Espagne remporta l'Euro avec feu Luis Aragonés à sa tête. Dès la fin du tournoi, ce dernier laissa sa place à Vicente Del Bosque qui emmènera la Roja au titre de championne du monde (2010) puis d'Europe (2012).
Changer d'entraîneur, le remplacer par un homme au palmarès prestigieux (ce qui était le cas de Del Bosque), fut une manière d'envoyer un message à des joueurs portées aux nues par la presse et l'opinion (En 2008, l'Espagne sortait d'une longue disette footballistique, la dernière victoire majeure remontant à... 1964). Une sorte de remise à zéro des compteurs obligeant les joueurs à ne pas se croire (totalement) installés dans un statut d'indéboulonnables. Conclusion, il n'est jamais bon qu'une équipe nationale soit trop longtemps entraînée par le même homme. D'ailleurs, en 2014, l'Espagne de Del Bosque fut piteusement éliminée de la compétition.
Il n'est pas certain que Didier Deschamps s'en aille. Il veut être présent pour la Coupe du monde de 2022 et ambitionnerait d'être le premier entraîneur à la gagner deux fois de suite. Mais il est évident que son remplacement par Zinedine Zidane pourrait permettre de remettre de l'ordre dans la maison bleue et recadrer certains joueurs qui filent un très mauvais coton. On pense notamment à Kylian Mbappé, « enfant tyran » pour reprendre l'expression d'une amie psychiatre, à qui il serait utile de comprendre que monde est fait de limites et de règles. En 2018, c'était un joyeux outsider de 19 ans qui amena fraîcheur et spontanéité. Trois ans plus tard, le football business l'a complètement transformé pouvait-il en être autrement ? au point d'en oublier une règle essentielle : dans une équipe, à moins d'être Pelé, Maradona, Platini, Cruyff ou Zidane, on ne dicte pas sa loi au sélectionneur et à ses camarades.
Terminons cette chronique par le cas Benzema. Quelques minutes après la défaite, la fachosphère et tout ce que la France compte comme racaille raciste et islamophobe a trouvé l'explication. C'est son retour qui aurait «déréglé» l'équipe de France et provoqué les tensions et jalousies en interne. Un discours sournois qui passe sous silence la réussite de l'attaquant pendant le tournoi et qui, surtout, fait mine d'oublier que ces tensions existaient depuis des mois, opposant notamment Griezmann et Mbappé. Des querelles d'égos et des rivalités que Deschamps a décidé de trancher en faisant appel au meilleur joueur français du moment.
Les commentaires récents