Quels nouveaux Accords d'Évian pour aller de l'avant, ensemble, avec nos voisins de l'autre rive de la Méditerranée.
Les hommes allaient à la guerre, de gré ou de force. Les mères et les sœurs attendaient leur retour quand eux-mêmes rêvaient de la quille.
La guerre d'Algérie qui n'a pas voulu dire son nom, et qui aujourd'hui encore se tait, est le dernier conflit auquel l'armée de conscription a été mêlée, en acteur aux premières loges mais également en témoin du pire.
Comment raconter à sa sœur la jeune fille d'un village des Aurès que des soldats, compagnons d'infortune, ont humiliée et forcée ? Comment raconter à sa mère le regard détourné de ce crime commis par celui qui est notre voisin ou notre cousin ? Comment raconter à un fils la rafale tirée sur un enfant du même âge que lui, parce qu'il voulait voler au secours de sa grande sœur ? Comment raconter à son père l'incendie des mechtas en représailles après " la pacification " de la population à coup de pistolets mitrailleurs ?
Comment se souvenir d'Oradour sur Glane, en pleurer les martyrs et se taire sur ce qui s'est passé dans les Aurès ?
« Il n'y a pas de mots pour raconter tout ça ! » dit Feu-de-bois.
Des hommes de Lucas Bellevaux raconte la guerre d'Algérie, l'après de la guerre et le retour des hommes au village et dans leurs familles. La guerre, n'importe laquelle, change les hommes, mais certaines d'entre elles ont davantage bouleversé les vies et parfois la société jusque dans ses tréfonds. La guerre que la France a fait mener par ses appelés dans trois départements français est de celles-là. Une guerre qui n'était pas la leur, qui reposait sur les mensonges et les mystifications d'une politique coloniale à bout de souffle.
Feu-de-bois/Gérard Depardieu était une braise incandescente dès son enfance. Son séjour en Algérie sous l'uniforme n'a fait qu'exacerber cette violence latente en lui. Le mal aimé n'aime pas, ni ses compatriotes, ni ses voisins et encore moins les arabes. De retour au pays, il cherche désespérément l'affection de sa sœur, mais se nourrit d'un racisme irrépressible qui lui fait continuer la guerre de là-bas contre une famille d'origine algérienne qui vit au village.
Rabut/Jean Pierre Darroussin prête sa voix en off, pour raconter, lire les lettres envoyées à la maison par les uns et les autres. Feu-de-bois se barricade chez lui, son fusil de chasse chargé sur ses genoux à attendre l'aube ? Qu'on vienne l'apaiser ? Que quelqu'un vienne lui parler ? L'aider à rompre avec lui-même avant qu'il ne commette l'irréparable ?
La guerre d'Algérie que quelques hypocrites patentés s'obstinaient à appeler pudiquement les évènements d'Algérie a laissé des blessures profondes chez ceux qui ont été contraints d'y participer, mais également dans leurs familles en raison du silence dans lequel beaucoup d'anciens soldats se sont murés. Il n'est pas un seul village de France qui n'ait eu des fils envoyés dans ces opérations dites de maintien de l'ordre, mission obscure dont les raisons profondes leur étaient cachées.
La guerre d'Algérie a été une guerre de peurs et de haines avec surenchères et exactions incessantes, de part et d'autre. Elle a également été une guerre civile qui a vu les frères d'armes de la veille s'entretuer, des fils de l'Algérie poser des bombes dans des lieux publics, des soldats s'allier à des activistes pour commettre des attentats terroristes, des combattants de la Résistance contre l'occupant nazi devenir à leur tour des tortionnaires, un préfet de police de la République inviter les policiers à faire régner la terreur dans les rues de Paris, une armée de libération massacrer ses compatriotes pour avoir été trop français après que la France les ait abandonnés.
Enfin des hommes et des femmes ont dû tout abandonner, jusqu'à leurs rêves avant de devenir jour après jour la proie de ceux qui ont fait de leurs peines puis de leur nostalgie leur fond de commerce nauséabond qu'ils s'efforcent encore de faire fructifier, des décennies après.
Lucas Belvaux raconte la guerre en Algérie à hauteur des hommes qui y ont été engagés. Son film entre en résonance avec un ouvrage récemment paru aux éditions de la Découverte : « Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? », Enquête sur un silence familial de Raphaëlle Branche. Son travail repose sur une collecte de témoignages et sur des sources inédites pour éclairer les raisons qui font que soixante années après la fin du conflit, beaucoup d'enfants, adultes aujourd'hui, ont toujours la conviction qu'il y a chez leurs pères une zone sensible, secrète, inavouable, à laquelle ils n'auront jamais accès. Il y a des silences qui pèsent plus fort que les mots et qui peuvent être plus mortifères qu'eux.
Je suis trop vieux pour avoir eu un père appelé en Algérie mais trop jeune à l'époque pour y avoir été contraint moi-même ; cette guerre est pour moi de l'Histoire très contemporaine. Une relation, d'une décennie mon aîné, lui-même soldat à l'époque mais sauvé de justesse par les accords d'Evian a voulu m'instruire un jour en me montrant un livre-recueil de photographies des exactions commises par les combattants du FLN algérien sur des soldats français. L'objet en question se gardait bien de reproduire des photographies de mechtas incendiées et de corps d'algériens suppliciés, il était à charge contre des compatriotes devenus les étrangers qu'ils n'avaient jamais cessé d'être aux yeux du colonisateur.
Aujourd'hui, le cinéphile amateur de bel ouvrage s'incline devant la gravité du sujet traité et choisit de ne pas s'attarder sur les imperfections du film qui paraissent bien secondaires. Des hommes de Lucas Belvaux est une nouvelle pièce d'un dossier qui a été ouvert depuis quelque temps déjà. Quels nouveaux Accords d'Evian pour aller de l'avant, ensemble, avec nos voisins de l'autre rive de la Méditerranée ?
- 5 JUIN 2021
- PAR FREDDY KLEIN
https://blogs.mediapart.fr/freddy-klein/blog/050621/des-hommes-de-lucas-belvaux
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