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J'essaie, depuis l'enfance, de dessiner ces pays
Qu'on appelle-allégoriquement-
Pays qui me pardonneraient si je brisais le verre de la lune...
Qui me remercieraient si j'écrivais un poème d'amour
Et qui me permettraient d'exercer l'amour
Aussi librement que les moineaux sur les arbres...
J'essaie de dessiner des pays...
Qui m'apprendraient à toujours vivre au diapason de l'amour
Ainsi, j'étendrai pour toi, l'été, la cape de mon amour
Et je presserai ta robe, l'hiver, quand il se mettra à pleuvoir...
J'essaie de dessiner des pays...
Avec un Parlement de jasmin...
Avec un peuple aussi délicat que le jasmin...
Où les colombes sommeillent au dessus de ma tête
Et où les minarets dans mes yeux versent leurs larmes
J'essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie
Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries
Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front
J'essaie de dessiner des pays...
Qui me récompensent quand j'écris une poésie
Et qui me pardonnent quand déborde le fleuve de ma folie...
J'essaie de dessiner une cité d'amour
Libérée de toutes inhibitions...
Et où la féminité n'est pas égorgée... ni nul corps opprimé
J'ai parcouru le Sud... J'ai parcouru le Nord...
Mais en vain...
Car le café de tous les cafés a le même arôme...
Et toutes les femmes une fois dénudées
Sentent le même parfum...
Et tous les hommes de la tribu ne mastiquent point ce qu'ils mangent
Et dévorent les femmes une à la seconde
J'essaie depuis le commencement...
De ne ressembler à personne...
Disant non pour toujours à tout discours en boîte de conserve
Et rejetant l'adoration de toute idole...
J'essaie de brûler tous les textes qui m'habillent
Certains poèmes sont pour moi une tombe
Et certaines langues linceul.
Je pris rendez-vous avec la dernière femme
Mais j'arrivai bien après l'heure
J'essaie de renier mon vocabulaire
De renier la malédiction du "Mubtada" et du "Khabar"
De me débarrasser de ma poussière et me laver le visage à l'eau de pluie...
J'essaie de démissionner de l'autorité du sable...
Adieu Koraich...
Adieu Kouleib...
Adieu Mudar...
J'essaie de dessiner ces pays
Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes,
Où mon lit est solidement attaché,
Et où ma tête est bien ancrée,
Pour que je puisse différencier entre les pays et les vaisseaux...
Mais... ils m'ont pris ma boîte de dessin,
M'interdisent de peindre le visage de mon pays... ;
J'essaie depuis l'enfance
D'ouvrir un espace en jasmin.
J'ai ouvert la première auberge d'amour... dans l'histoire des Arabes...
Pour accueillir les amoureux...
Et j'ai mis fin à toutes les guerres d'antan entre les hommes et les femmes,
Entre les colombes... et ceux qui égorgent les colombes...
Entre le marbre... et ceux qui écorchent la blancheur du marbre...
Mais... ils ont fermé mon auberge...
Disant que l'amour est indigne de l'Histoire des Arabes
De la pureté des Arabes...
De l'héritage des Arabes...
Quelle aberration !!
J'essaie de concevoir la configuration de la patrie ?
De reprendre ma place dans le ventre de ma mère,
Et de nager à contre courant du temps,
Et de voler figues, amandes, et pêches,
Et de courir après les bateaux comme les oiseaux
J'essaie d'imaginer le jardin de l'Eden?
Et les potentialités de séjour entre les rivières d'onyx?
Et les rivières de lait...
Quand me réveillant... je découvris la futilité de mes rêves.
Il n'y avait pas de lune dans le ciel de Jéricho...
Ni de poisson dans les eaux de l'Euphrate...
Ni de café à Aden...
J'essaie par la poésie... de saisir l'impossible...
Et de planter des palmiers...
Mais dans mon pays, ils rasent les cheveux des palmiers...
J'essaie de faire entendre plus haut le hennissement des chevaux ;
Mais les gens de la cité méprisent le hennissement !!
J'essaie, Madame, de vous aimer...
En dehors de tous les rituels...
En dehors de tous textes.
En dehors de tous lois et de tous systèmes.
J'essaie, Madame, de vous aimer...
Dans n'importe quel exil où je vais...
Afin de sentir, quand je vous étreins, que je serre entre mes bras le terreau de mon
pays.
J'essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes,
Des sages des Arabes... des poètes des Arabes...
Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife
pour une poignée de riz... et cinquante dirhams...
Quelle horreur !!
Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes...
Et les dates mûres...
Quelle horreur !!
Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes...
Devant tout président venant de l'inconnu..
Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple...
Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d'or...
Quelle horreur !!
Moi, depuis cinquante ans
J'observe la situation des Arabes.
Ils tonnent sans faire pleuvoir...
Ils entrent dans les guerres sans s'en sortir...
Ils mâchent et rabâchent la peau de l'éloquence
Sans en rien digérer.
Moi, depuis cinquante ans
J'essaie de dessiner ces pays
Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes,
Tantôt couleur de sang,
Tantôt couleur de colère.
Mon dessin achevé, je me demandai :
Et si un jour on annonce la mort des Arabes...
Dans quel cimetière seront-ils enterrés ?
Et qui les pleurera ?
Eux qui n'ont pas de filles...
Eux qui n'ont pas de garçons...
Et il n'y a pas là de chagrin
Et il n'y a là personne pour porter le deuil !!
J'essaie depuis que j'ai commencé à écrire ma poésie
De mesurer la distance entre mes ancêtres les Arabes et moi-même.
J'ai vu des armées... et point d'armées...
J'ai vu des conquêtes et point de conquêtes...
J'ai suivi toutes les guerres sur la télé...
Avec des morts sur la télé...
Avec des blessés sur la télé...
Et avec des victoires émanant de Dieu... sur la télé...
Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d'horreur
Dont nous suivons les épisodes chaque soir
Comment te verrions-nous s'ils nous coupent le courant ??
Moi, après cinquante ans,
J'essaie d'enregistrer ce que j'ai vu...
J'ai vue des peuples croyant que les agents de renseignements
Sont ordonnés par Dieu... comme la migraine... comme le rhume...
Comme la lèpre... comme la gale...
J'ai vue l'arabisme mis à l'encan des antiquités.
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NIZAR QABBANI
😡
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De terrorisme on nous accuse
Si nous osons prendre défense
De notre femme et de la rose
Et de l'azur et du poème
Si nous osons prendre défense
D'une patrie sans eau sans air
D'une patrie qui a perdu
Sa tente et sa chamelle
Et même son café noir.
De terrorisme on nous accuse
Si nous osons prendre défense
De la crinière
De la reine de Saba
Des lèvres de Maysoun
Des noms de nos plus belles filles,
Du khol qui de leurs cils
En pluie retombe
Comme une chose révélée.
Certes vous ne trouverez pas
En ma possession
De poésie secrète
Ni de parler énigmatique
Ou des ouvrages clandestins,
Et par devers moi je ne garde
Aucun poème traversant
La rue, caché derrière son voile.
De terrorisme on nous accuse
Quand nous décrivons les dépouilles
D'une patrie
Décomposée et dénudée
Et dont les restes en lambeaux
Sont dispersés aux quatre vents…,
D'une patrie
Cherchant son adresse et son nom…
D'une patrie ne conservant
De ses antiques épopées
Que les élégies de Khansa…,
D'une patrie
Où ni le rouge, ni le jaune, ni le vert
Ne teignent plus les horizons…,
D'une patrie qui nous défend
D'écouter les informations
Ou d'acheter quelque journal…,
D'une patrie où les oiseaux
Sont censurés dans leurs chansons,
D'une patrie où, terrifiés,
Les écrivains ont pris le pli
D'écrire la page du néant…,
D'une patrie
Qui ressemblerait dans sa forme
A la poésie
Dans notre pays
Sorte de langage égaré
Improvisé
Sans aucun lien avec les êtres
Sans aucun lien avec leur terre
Ni avec les problèmes
Dans lesquels ils se débattent vainement,
D'une patrie allant pieds nus
Et sans aucune dignité
Vers la paix négociée…
D'une patrie
Où les hommes pris de panique
Ont fait pipi dans leurs culottes
Et où ne restent que les femmes.
Le sel amer est dans nos yeux
Et sur nos lèvres,
Il est dans nos propres propos.
Notre âme a-t-elle été touchée
De stérilité héritée
Léguée par la tribu Kahtane.
Dans notre nation,
Il n'y a plus de Mu'awya
Plus de Abu Sufiane
Plus personne pour crier « Gare » !
A la face de ceux qui ont abandonné
A autrui notre foyer
Et notre huile et notre pain
Transformant notre maison
Si heureuse en capharnaüm.
Il ne reste plus rien de notre poésie
Qui n'ait sur le lit sur tyran
Perdu sa virginité.
Du mépris nous avons pris
Le pli de l'habitude.
Que reste-t-il donc de l'homme
Lorsqu'il s'habitue au mépris ?
Je recherche dans les feuilles de l'Histoire
Usaman Ibn Munkid
Okba Ibn Nafi',
Je recherche Omar,
Je recherche Hamza,
Et Khalid chevauchant
Vers la Grande Syrie,
Je recherche al Mu'tacim
Sauvant les femmes
De la barbarie des envahisseurs
Et des furies des flammes,
Je recherche dans ce siècle attardé
Et ne trouve dans la nuit
Que des chats apeurés
Craignant pour leur personne
Le pouvoir des souris.
Avons-nous été atteints
De nationale cécité ?
Ou bien tout simplement
Souffrons-nous de daltonisme ?
De terrorisme on nous accuse
Quand nous refusons notre mort
Sous les râteaux israéliens
Qui ratissent notre terre
Qui ratissent notre Histoire
Qui ratissent notre Évangile
Qui ratissent notre Coran
Et le sol de nos prophètes.
Si c'est là notre crime
Que vive le terrorisme !
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons que les Juifs
Que les Mongols et les Barbares
Nous effacent de leur main.
Oui, nous lançons des pierres
Sur la maison de verre
Du Conseil de Sécurité
Soumis à l'empereur suprême.
De terrorisme on nous accuse
Lorsque nous refusons
De négocier avec les loups
Et de tendre nos deux bras
A la prostitution.
L'Amérique
Ennemie de la culture humaine
Elle-même sans culture,
Ennemie de l'urbaine civilisation
Dont elle-même est dépourvue,
L 'Amérique
Bâtisse géante
Mais sans murs.
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons un siècle
Où ce pays de lui-même satisfait
S'est érigé
En traducteur assermenté
De la langue des Hébreux.
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NIZAR QABBANI
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