A 92 ans, Alexandre Thabor livre un récit captivant sur ses parents. L'histoire d'un couple d'origine russe qui va traverser le 20ème siècle pour le meilleur et le pire. Un récit d'aventure fascinant. Seule différence de taille. Tout est vrai. Une histoire qui vous emporte.
Sioma et Tsipora deux jeunes russes qui vont affronter le 20eme Siècle • © Alexandre Thabor
Alexandre Thabor vit à Montpellier, aprés avoir eu une carrière d'économiste qui l'a conduit un peu partout. Il est né en 1928 dans un pays qui n'était pas encore Israël, de parents russes et juifs. Le petit garçon qu'il était avant la création de l'Etat Hébreu, ne se doutait pas encore, qu'un jour, il recevrait en héritage un témoignage rare et précieux.
Plus de 20 ans après avoir perdu la trace de son père, il le retrouve à Paris. Celui-ci lui livre un récit édifiant qui retrace le parcours d'un jeune couple originaire d'Odessa sur les bords de la mer Noire, qui allait s'aimer et se chercher dans un monde en guerre. Ce récit captivant qu'Alexandre Thabor nous donne à lire aujourd'hui et qu'il a mis plus de 60 ans à écrire est celui de ses parents : Sioma et Tsipora nés au début du 20ème siècle.
Cette génération qui est née avec le siècle, a connu deux guerres, les russes eux, ont eu droit à la révolution en prime. A Odessa, il y avait une importante communauté juive. Beaucoup sont d'ailleurs partis un peu partout notamment aux Etats-Unis à New York fuyant les pogromes. Mes Parents ont choisi la Palestine où ils sont arrivés en 1924. Ils avaient une petite vingtaine d'année et ont tout de suite entrepris de vivre au milieu des populations locales. Pour eux il n'y avait qu'un état pour tout le monde.
Idylle sur fond de révolution russe
Tout commence à Odessa ville de départ. Sioma et Tsipora sont deux jeunes russes qui ne se connaissent pas encore quand éclate les prémices de la révolution russe. Dans cette ville en proie à des évènements majeurs, ils vont vivre une romance bien compliquée dans un pays en plein chaos. Les Bolcheviques se préparent à renverser le Tsar et la révolution russe se profile. Sioma, le père du futur Alexandre est engagé personnellement dans ce combat qui sera celui de toute sa vie. La rencontre avec sa future jeune épouse ne va pas contrarier ses plans. Bien que plus jeune que lui et issue d'un milieu bourgeois, Tsipora va suivre Sioma dans sa lutte.
L'un et l'autre, combattent tout en militant pour des idées issues de la révolution d'octobre, sans tomber dans la barbarie d'où qu'elles viennent et qu'ils refusent. Ils doivent franchir des obstacles familiaux et politiques pour gagner leur liberté et sauver leur vie face à des adversaires résolus.
Dans cette Russie pré-révolutionnaire, le jeune couple fait face, côtoie la mort. Simoa et Tsipora affrontent l'antisémitisme des cents-noirs, font face à la brutalité des soldats du Tsar, aux hommes de la tcheka, la redoutable police politique soviétique. Ce n'est qu'au terme d'une lutte sans merci pour échapper aux pogromes qui explosent un peu partout en Russie qu'ils prennent le chemin de la Palestine en 1924.
De la Palestine aux Brigades internationales
Leur installation en Palestine dans les années 1920, contrôlée par l'armée britannique est un changement radical. Leur engagement pour un idéal commun va se trouver renforcer devant les difficultés rencontrées. Face à la brutalité de l'occupant, Sioma et Tsipora s'engagent et combattent pour que leurs idées de justice et d'égalité s'enracinent sur une terre qui hébergent des Arabes et des Juifs.
Mon père avait un peu de remord d'avoir fait venir ma mère à Paris. On savait que la guerre était imminente. C'est pour cela qu'il a eu envie de raconter cette histoire. De parler du passé, pour agir sur le présent pour notre futur. Le passé, le présent, le futur, la mémoire et l'action. C'était ce qu'il voulait. En plus c'était un bon conteur. Il avait une mémoire étonnante et j'ai été pris par son récit, sa manière de parler des faits et surtout de ses camarades, pour bien me montrer qu'il nétait pas seul à se battre pour la justice, la paix, l'égalité en Palestine, entre juifs, arabes et contre l'occupant britannique...Comme le disait le philosophe Martin Buber "une terre, pour deux peuples". On s'est tout le temps battu pour cet idéal et c'est toujours à l'ordre du jour. Une terre pour deux peuples en Israël
Favorable à cette idée de nation commune binationale juif et arabe, le couple va devoir se séparer. En 1936, Sioma est expulsé par les Anglais qui font tout pour monter les populations les unes contre les autres et exploiter le courant sioniste. Il décide de rejoindre les bataillons des brigades internationales en Espagne pour aider les Républicains espagnols en lutte contre les troupes de Franco. En Espagne, Sioma qui a entrainé avec lui d'autres camarades, mène une guerre contre le fascisme mais aussi contre les Soviétiques et leur politique de repression contre les anarchistes. La guerre civile est d'une violence inouie et finit par dégouter Sioma qui est contraint de prendre la route de l'éxil pour la France avec d'autres Républicains.
Au moment ou Sioma quitte la Palestine, son fils Alexandre n'a que 8 ans. Il ne sait pas encore qu'il voit son père pour la dernière fois avant une longue séparation de plus de 20 ans. Resté en Palestine avec sa mère, le jeune "Alec" va vivre encore quelques années près de Tel-Aviv avant de connaître à son tour l'exil pour se retouver en France.
Sioma qui a quitté l'Espagne s'évade d'un camp ou il est interné dans le sud ouest de la France pour tenter de retrouver sa femme et son fils à Paris. Mais à Paris, à sa descente du train, il est arrêté et déporté en Algérie.
Tsipora, ne reverra plus Sioma. Elle décide alors d'entrer en résistance. Elle est contrainte de placer son fils Alexandre dans une institution qui cache les enfants, afin d'échapper aux mesures anti juives du gouvernement français de Vichy. C'est la dernière fois qu'Alexandre voit sa mère. Arrêtée par la gestapo, Tsipora est déportée à Auschwitz en Pologne où elle décède 15 jours avant la libération du camp, par les Russes.
Une Enfance cachée et un père retrouvé
Alexandre quitte Paris dans la précipitation sans avoir pu dire au revoir à son père. Il passe la guerre dans la Creuse puis en 1942 il est obligé de se réfugier en Suisse après que les allemands ont décidé l'occupation de la zone sud. Ce sont des Dominicains qui le protégent et qui lui font passer le baccalauréat alors qu'il ne parlait quasiment pas le Français en arrivant. Devenu un brillant économiste après la guerre, Alexandre entre au service du cabinet de Pierre Mendes-France alors premier ministre. C'est un de ces mentors, Claude Gruson qui va l'aider et le pousser à retrouver son père pour connaitre son histoire.
Les retrouvailles ont lieu en 1958. Sioma qui s'est installé à Paris à refait sa vie. Alexandre a 30 ans, quand il retouve son père après 22 ans d'absence. Les deux hommes ne vont plus se quitter jusqu'au décès de Sioma en 1959. Mais entre temps Sioma a tout raconté à son fils. Un récit qui embrasse 40 ans de vie, d'engagements pour un idéal commun. Communiste, juif et révolutionnaire le parcours de Sioma et Tsipora même séparé par la mort n'a jamais varié. Dans ce récit qui se lit comme un roman d'aventure, le lecteur traverse quelques uns des évènements clefs du 20eme siècle.
La révolution d'octobre, la guerre civile expagnole, les prémices de la création de l'Etat d'Israël, la seconde guerre mondiale et la lutte contre le nazisme et le fascisme Simoa et Tsipora auront vécu ces évènements avec le même idéal
Mais il faudra plusieurs années encore pour qu'Alexandre Thabor ne se décide à parler de cette histoire singulière et immense. Poussé par sa famille et ses petits enfants, le récit légué par Sioma à son fils murit dans sa tête.
J'ai raconté un jour l'histoire à mes petits enfants et à mes enfants. Et un beau jour une de mes petites filles et mon épouse m'ont dit pourquoi ne pas écrire pour laisser une trace. Je ne maîtrisais pas bien le français, puis je me suis mis à écrire, et peu à peu l'écriture m'a aider pour la langue. J'ai travaillé avec les notes, mes souvenirs d'enfant et j'ai rencontré des amis de mon père. Ils avaient fait comme lui, la guerre d'Espagne, d'autres l'avaient connu en Palestine. Et j'ai ainsi pu raconter l'histoire de sa vie, de leur vie
A 92 ans Alexandre Thabor signe un récit vif et percutant . Un hommage magnifique, plein d'humanité. Une grande histoire d'amour dans la furie d'une époque qui va façonner le monde d'aujourd'hui et qui resonne encore.
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