Les souvenirs empruntent parfois un cheminement curieux pour remonter à la surface de la mémoire, quand on ne les attend pas et que l’on croit les avoir remisés au fond d’un placard, derrière la vieille malle que l’on sait ne plus utiliser à l’avenir tant elle est lourde et si peu pratique.
Colloque littéraire sur l’art dans les cathédrales et l’inventivité qu’il a fallu déployer pour hisser ces vaisseaux de pierre haut dans le ciel, dans un océan de spiritualité et de labeur pendant plusieurs dizaines d’années sous la houlette de l’évêque et de l’architecte qui ne ménageait pas sa peine, tant la tâche lui paraissait parfois surhumaine.
Temps du repas autour d’une table accueillante et chaleureuse, dans une alliance de l’esprit et du corps toujours si plein d’allant pour la bonne chère.
Les petits fours sont servis, les serveurs tourbillonnent autour des convives pour servir le champagne dans des flûtes qui montent haut, en un clin d’œil aux tours de la cathédrale toute proche. Et, brusquement, quelque chose se met à vaciller quand la mousse déborde largement pour se répandre sur la nappe blanche de la table, te renvoyant pour une raison inexpliquée à cet été 1961 où, sur la plage de Sidi-Ferruch tu as failli de noyer du haut de des huit ans.
Tu avais échappé à la surveillance de ta mère en t’avançant au-delà du raisonnable, à la rencontre des vagues qui avaient grossi rapidement sous l’effet d’un coup de vent. La mousse voluptueuse du champagne, le temps de ce colloque de printemps, te ramène à une vague monstrueuse qui avait failli t’engloutir, pour te traîner d’une façon scélérate vers le large. Le pire s’était écarté de toi grâce à une femme qui t’avait retenu par le bras.
Le soir, après le repas sur la plage, avec ces petites cocas fourrées aux poivrons et aux tomates, c’est le retour sur Alger.
Tu te dis bientôt que rien n’est gagné quand brusquement, devant un barrage, la panique monte dans la 2CV de tes parents. Chacun se recroqueville devant ces ombres qui s’avancent, une lampe à la main. Contrôle d’identité. Les militaires nous font descendre et fouillent la voiture à la recherche d’arme. Nous repartons bientôt pour rencontrer un autre barrage et là, les choses deviennent plus sérieuses puisque nous constatons qu’un attentat a été perpétré sur plusieurs véhicules. Du sang macule la chaussée et sur le trottoir sont alignés plusieurs corps sans vie. On a sans doute tiré leurs occupants avant de les assassiner.
Tu ne peux détacher ton regard de cette horreur. Et pourtant tu n’avais conservé aucun souvenir de scènes de sang et de tuerie de toutes ces années de guerre. Tu as toujours occulté de ta mémoire les actes barbares, assassinats d’européens ou d’algériens par l’un ou l’autre camp, comme pour te protéger, te préserver d’un monde devenu inhumain où la vie n’est finalement que peu de chose. Et là, pour une raison inexpliquée, cette mémoire qui te fuyait revient comme dans un mauvais rêve, peut-être pour exorciser ce qui te minait depuis si longtemps et que tu avais réussi à enfouir au plus profond de toi, ces images brutales de guerre.
Tu n’as par contre jamais oublié l’exode avec cette nostalgie d’un monde disparu dans les méandres de l’histoire qui t’a laissé éploré, orphelin de ces années de bonheur où tu vivais en Algérie.
Cette scène d’assassinat n’a été finalement qu’un quotidien désespérant pendant ces longues années où le sang a coulé de façon interrompue sur la terre d’Algérie, alors même que le courage aurait dû pousser français et algériens à trouver une solution politique à la colonisation.
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