Prépare ta valise. Achète un billet. Change de pays. Cesse d’être schizophrène. Tu ne le regretteras pas. Ici, tu n’es pas en paix avec ton âme. Tu te racles tout le temps la gorge. L’Occident n’est pas fait pour toi. Ses valeurs t’agressent. Tu ne supportes pas la mixité. Ici, les filles sont libres. Elles ne cachent pas leurs cheveux. Elles portent des jupes. Elles se maquillent dans le métro. Elles courent dans les parcs. On ne coupe pas la main au voleur. On ne lapide pas les femmes adultères. La polygamie est interdite. C’est la justice qui le dit. C’est la démocratie qui le fait. Ce sont les citoyens qui votent les lois. L’État est un navire que pilote le peuple. Ce n’est pas Allah qui en tient le gouvernail.
Tu pries beaucoup. Tu tapes trop ta tête contre le tapis. C’est quoi cette tache noire que tu as sur le front ? Tu pousses la piété jusqu’au fanatisme. Des poils ont mangé ton menton. Tu fréquentes souvent la mosquée. Tu lis des livres dangereux. Tu regardes des vidéos suspectes. Il y a trop de violence dans ton regard. Il y a trop d’aigreur dans tes mots. Ton cœur est un caillou. Tu ne sens plus les choses. On t’a lessivé le cerveau. Ton visage est froid. Tes mâchoires sont acérées. Tes bras sont prêts à frapper. Calme-toi. La violence ne résout pas les problèmes.
Je sais d’où tu viens. Tu habites trop dans le passé. Sors et affronte le présent. Accroche-toi à l’avenir. On ne vit qu’une fois. Pourquoi offrir sa jeunesse à la perdition? Pourquoi cracher sur le visage de la beauté?
Je sais qui tu es. Tu es l’homme du ressentiment. La vérité est amère. Elle fait souvent gerber les imbéciles. Mais aujourd’hui j’ai envie de te la dire. Quitte à faire saigner tes yeux.
Ouvre grand tes tympans. J’ai des choses à te raconter. Tu n’as rien inventé. Tu n’as rien édifié. Tu n’as rien apporté à la civilisation du monde. On t’a tout donné : lumière, papier, pantalon, avion, auto, ordinateur… C’est pour ça que tu es vexé. La rancœur te ronge les tripes.
Gonfle tes poumons. Respire. La civilisation est une œuvre collective. Il n’y a pas de surhomme ni de sous-homme. Tous égaux devant les mystères de la vie. Tous misérables devant les catastrophes. On ne peut pas habiter la haine longtemps. Elle enfante des cadavres et du sang.
Questionne les morts. Fouille dans les ruines. Décortique les manuscrits. Tu es en retard de plusieurs révolutions. Tu ne cesses d’évoquer l’âge d’or de l’islam. Tu parles du chiffre zéro que tes ancêtres auraient inventé. Tu parles des philosophes grecs qu’ils auraient traduits. Tu parles de l’astronomie et des maths qu’ils auraient révolutionnées. Tant de mythes fondés sur l’approximation. Arrête de berner le monde. Les mille et une nuits est une œuvre persane. L’histoire ne se lit pas avec les bons sentiments. Rends à Mani ce qui appartient à Mani et à Mohammed ce qui découle de Mohammed. Cesse de te glorifier. Cesse de te victimiser. Cesse de réclamer la repentance. Ceux qui ont tué tes grands-parents sont morts depuis bien longtemps. Leurs petits-enfants n’ont rien à voir avec le colonialisme. C’est injuste de leur demander des excuses pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.
Tes ancêtres ont aussi conquis des peuples. Ils ont colonisé les Berbères, les Kurdes, les Ouzbeks, les Coptes, les Phéniciens, les Perses… Ils ont décapité des hommes et violé des femmes. C’est avec le sabre et le coran qu’ils ont exterminé des cultures. En Afrique, ils étaient esclavagistes bien avant l’île de Gorée.
Pourquoi fais-tu cette tête ? Je ne fais que dérouler le fil tragique du récit. Tout est authentique. Tu n’as qu’à confronter les sources. La terre est ronde comme une toupie, même s’il y a un hadith où il est écrit qu’elle est plate. Tu aurais dû lire l’histoire de Galilée. Tu as beaucoup à apprendre de sa science. Tu préfères el-Qaradawi. Tu aimes Abul Ala Maududi. Tu écoutes Tarik Ramadan. Change un peu de routine. Il y a des œuvres plus puissantes que les religions.
Essaie Dostoïevski. Ouvre Crime et châtiment. Joue Shakespeare. Ose Nietzche. Quand bien même avait-il annoncé la mort de Dieu, on a le droit de convier Allah au tribunal de la raison. Il jouera dans un vaudeville. Il fera du théâtre avec nous. On lui donnera un rôle à la hauteur de son message. Ses enfants sont fous. Ils commettent des carnages en son nom. On veut l’interroger. Il ne peut pas se dérober. Il doit apaiser ses textes.
Tu trouves que j’exagère ? Mais je suis libre de penser comme tu es libre de prier. J’ai le droit de blasphémer comme tu as le droit de t’agenouiller. Chacun sa Mecque et chacun ses repères. Chacun son dieu et à chaque fidèle ses versets. Les prophètes se fustigent et la vérité n’est pas unique. Qui a raison et qui a tort ? Qui est sot et qui est lucide ? Le soleil est assez haut pour nous éclairer. La démocratie est assez vaste pour contenir nos folies.
On n’est pas en Arabie saoudite ni au Yémen. Ici, la religion d’État, c’est la liberté. On peut dire ce qu’on pense et on peut rire du sacré comme du sacrilège. On doit laisser sa divinité sur le seuil de sa demeure. La croyance, c’est la foi et la foi est une flamme qu’on doit éteindre en public.
Dans ton pays d’origine, les chrétiens et les juifs rasent les cloisons. Les athées y sont chassés. Les apostats y sont massacrés. Lorsque les soldats d’Allah ont tué les journalistes, tes frères ont explosé de joie. Ils ont brûlé des étendards et des bâtiments. Ils ont appelé au djihad. Ils ont promis à l’Occident des représailles. L’un d’eux a même prénommé son nouveau-né Kouachi.
Je ne comprends pas tes frères. Il y a trop de contradictions dans leur tête. Il y a trop de balles dans leurs mitraillettes. Ils regardent La Mecque, mais ils rêvent de Hollywood. Ils conduisent des Chrysler. Ils chaussent des Nike. Ils ont des IPhone. Ils bouffent des hamburgers. Ils aiment les marques américaines. Ils combattent « l’empire », mais ils ont un faible pour ses produits.
Et puis, arrête de m’appeler « frère ». On n’a ni la même mère, ni les mêmes repères. Tu t’es trop éloigné de moi. Tu as pris un chemin tordu. J’en ai assez de tes fourberies. J’ai trop enduré tes sottises. Nos liens se sont brisés. Je ne te fais plus confiance. Tu respires le chaos. Tu es un enfant de la vengeance. Tu es en mission. Tu travailles pour le royaume d’Allah. La vie d’ici-bas ne t’intéresse pas. Tu es quelqu’un d’autre. Tu es un monstre. Je ne te saisis pas. Tu m’échappes. Aujourd’hui tu es intégriste, demain tu seras terroriste. Tu iras grossir les rangs de l’État Islamique.
Un jour, tu tueras des innocents. Un autre, tu seras un martyr. Puis tu seras en enfer. Les vierges ne viendront pas à ton chevet. Tu seras bouffé par les vers. Tu seras dévoré par les flammes. Tu seras noyé dans la rivière de vin qu’on t’a promise. Tu seras torturé par les démons de ta bêtise. Tu seras cendre. Tu seras poussière. Tu seras fiente. Tu seras salive. Tu seras honte. Tu seras chien. Tu seras rien. Tu seras misère.
Extrait de Lettre à un soldat d’Allah - Chroniques d’un monde désorienté, Karim Akouche, éd. Écriture, Paris, 2018 ; éd. Frantz Fanon, Boumerdès, 2018.
Souvenirs de la guerre d'Algérie ». Pas celle de la colonisation - je n'étais pas encore né - mais celle des années 1990, récente, si présente, mal soldée, aujourd'hui « mondiale ». Après des élections douteuses en 1990, les islamistes prennent les armes, le chemin des montagnes, des grottes, des caves de la clandestinité, des mosquées dans les cités. En dix ans, cela donne un pays détruit, des centaines de milliers de morts, des « disparus », des torturés et 1 million de déplacés. On ne sort pas vivant, en Algérie, de cette guerre : on en revient mort - tous -, zombifié par l'horreur croi...
https://www.lepoint.fr/societe/kamel-daoud-pourquoi-les-islamistes-aiment-l-ecole-20-10-2020-2397366_23.php
El Harrachi et Lennon
Parlez moi d'amour...
Ce texte écrit il y a qq semaines. Je comptais le partager en novembre. Je le dédie à la vie et à tous les profs qui ont été ma chance. Et à cet homme tué hier et que je n'oublierai pas.
El Harrachi et Lennon
Les croyances affûtent leurs couteaux et l'être n'est plus que barbaque jeté à la loterie du paradis où coule tant de sang
Ça emmerde qui que sur ma guitare je joue El Harrachi et Lennon? Que j'aime jusqu'à l'os la France et l'Algérie? Par dessus toutes les guerres, par amour de tous les morts.
Qu'on se le dise : j'ai deux langues maternelles : celle de ma mère-mère, celle de ma mère- l'école. Soyons précis : arabo-berbère ( pas la Haute lettrée de Tlemcen importée des érudits de Grenade et Seville, mais la vernaculaire comme on dit avec mépris, alliage d'arabe déformé et de berbère, de français, de maltais, une lumière de dialecte sur la plaine de Remchi où poussent les amandes qu' on ouvre d'une pression des doigts, pas l'Algérois, loin du parler de Béjaïa) et française ( deuch'nord puis ma rolap de Seine Saint Denis avant qu'on le baptise 9 3, puis la gouaille du 11ème côté avenue Parmentier, puis oh là là...la langue savante devant laquelle oh là là)
Le boulevard Richard Lenoir circule dans mon sang et croise la rue Didouch
Mes fils sont les prénoms des deux rives. De toutes les rives.
Dis-moi, comment fait-on pour lire le monde et les êtres.
Toi qui tues, combien de coups assènes-tu dans le corps de la vie
Mais la vie...
Je me souviens de toi quand tu m'as dit ne t'égare pas, méfie-toi de la vie, je me souviens quand tu m'as dit tu es perdu, quand au chant du muezzin tu venais accomplir ta chorégraphie bigote à la porte de mon père et au vu du village, je me souviens de tes yeux de triomphe quand j'ai refusé d'être de ta meute endjellabée et de toutes tes arlequinades de dévot, je me souviens être resté avec mon père l'imam à qui tu voulais apprendre le vrai du texte, mon père a posé son front et ses années de foi sur le tapis en direction du mihrab de son coeur et a prié pour toi, moi je suis resté sous la clim du salon, heureux de l'entendre psalmodier en lisant Freud, Dieu est en effet plus grand que toi puisqu'il chante dans un vieil homme et me laisse lire l'homme de Vienne, et le vieil homme a plié un siècle de son corps, c'est ainsi qu'il veut lire et écrire, tant de voix dans son souffle, tant de mondes
Et toi qui me lis, viens me parler, le brouillard fendu, dans la langue qui nous relie, l'inaltérable qui saute par dessus les mots et se dit aux yeux et à la peau, la langue des débuts, celle du bébé nu riant aux éclats quand frémissent les feuilles du bouleau et que pédalent ses jambes soulevées de joie
Et si nous étions nus. De tout
Ne me perds pas, ne fais pas de moi un territoire perdu, une pensée insoluble : c'est ce que veulent les bombes de croyances. Trouve d'autres éclats
Regarde-moi comme le témoin du possible, lis comme on puise dans les yeux et la chorégraphie des corps, quand un silence, un clignement de cils libèrent la présence liminaire, l'amorce d'un homme vers l'autre, quand le plus près ouvre sur le lointain, sans mièvrerie, au frotté des arêtes, mais ouvre et s'éprouve. Puise, oh puise, prélève patiemment dans une marche lente embrassant les grains du réel : à chaque fois il y aura la chance d'une phrase découverte se donnant à l'autre phrase. Nous sommes l'un à l'autre notre faille, à l'échancrure il faut peu que la plaie ne soit une source.
Publié le
Nourredine Ben Bachir
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