Marc raccroche en appréciant la discrétion et l’humour de sa belle-fille. Jamais elle n’a fait devant lui allusion à sa belle-mère. Jamais il ne l’a entendue porter un quelconque jugement sur leur vie de parents, ni de couple, se contentant seulement de s’intéresser à la vie professionnelle, sans oublier la vie militaire en Algérie de son beau-père.
Passionnée d’histoire, elle n’hésitait pas, dès que l’actualité lâchait une information sur cette dernière guerre coloniale, à questionner l’ancien lieutenant de parachutistes, et à lui demander son point de vue. Quant à sa copine Florence dont il avait fait accidentellement la connaissance au troisième sous-sol du parking de la Comédie, il lui avait seulement adressé des félicitations sur ses bas, quand elle était descendue de sa Lancia après un accrochage avec une camionnette de plombier immatriculée dans le Gard qui avait pris la fuite.
Surprise par ce compliment, la jeune femme avait éclaté de rire, avant de lui demander s’il n’était pas le père de Jérôme Leroy, le mari de sa meilleure amie Béatrice ?
Bref, ce que sa belle-fille venait de lui dire ne pouvait que le flatter, mais aussi l’intriguer. Qu’avaient-elles bien pu se raconter sur son compte ? Que pouvaient bien penser, et dire, deux jeunes femmes d’un homme qui s’approchait dangereusement de la soixantaine, et qui affichait à son compteur vingt ans de plus qu’elles ? Que pouvaient-elles penser de lui, quand, inconsciemment, il faisait le joli cœur devant elles, et qu’il leur donnait l’impression de s’intéresser toujours aux femmes ?
A propos que savait-il des jeunes femmes ? Rien, ou si peu ! Leur psychologie avait évolué, et les relations qu’elles entretenaient avec les hommes, dans leur vie de tous les jours, n’avaient plus rien à voir avec celles qu’il avait pu nouer dans sa jeunesse. Plus libres, plus directes, elles avaient réussi à se conduire comme des hommes, tout en gardant leur charme et leur féminité.
Il avait seulement appris, au fil des ans, qu’elles choisissaient leur homme, en lui laissant croire que c’était lui qui les avait choisies. Ce n’était guère nouveau.
Il pensait aussi qu’elles avaient besoin de plusieurs mâles, tout comme eux avaient besoin de plusieurs femelles. Comme chez les animaux, c’est la nature qui commandait les accouplements dont la répétition mécanique à la longue créait à coup sûr l’ennui.
Il s’accoude au bar, il s’en veut ne pas avoir annoncé la mort de Françoise à sa belle-fille. Il n’a pas pu. Il voulait s’entretenir d’homme à homme avec son aîné, et lui raconter ce qui s’était passé, sans oublier le moindre détail. Il savait qu’il ne pouvait pas faire le même récit à ses filles. Aussitôt, elles l’auraient condamné. Il a manqué de courage, tout comme il n’a jamais pu expliquer à ses enfants, ni maintenant à son petit-fils, que là-bas il avait exécuté à bout portant des prisonniers que l’on venait d’abattre sans procès, au nom de la France.
Que sur ordre de son supérieur, il leur avait donné le coup de grâce. A bout touchant ! Ce ne sont pas des choses à avouer à ses proches. A plus forte raison à ses enfants et petits-enfants, surtout quand ils ne connaissent pas grand chose à l’Histoire. Quand ils n’ont pas vécu, au jour le jour, l’actualité de cette époque, entendu les déclarations des uns et des autres, vu les cadavres, ressenti la peur et la haine.
Des années après, il est tellement plus facile de jouer les donneurs de leçons et de contester, le cul dans un fauteuil profond, dans un salon confortable, devant un verre de whisky, les effets collatéraux de la colonisation. Puis, une fois que l’on a dit ça, on peut allumer sereinement un cigare venu tout droit de la dictature castriste.
L’ancien parachutiste se souvient alors de la question que lui avait posé récemment Romain son petit-fils. « Dis papi, quand tu étais parachutiste en Algérie, tu as tué des Arabes ? »
Même ses enfants n’avaient jamais osé le lui demander. Ils avaient certainement questionné leur mère. Que leur avait-elle répondu ? Qu’il avait du sang sur les mains, comme elle le lui avait reproché hier soir, pour la première fois ? Il se souvient d’avoir lui aussi posé cette question à sa grand-mère, à propos de bon-papa à Verdun. Et Marie-Louise lui avait seulement répondu : « Tu sais mon petit, la guerre ce n’est jamais joli… »
Devant Romain, l’officier des paras s’était contenté d’imiter ses grands-pères et son père en répétant leurs phrases, celles qu’ils lui avaient répondu quand il leur avait posé la même question : « Je ne sais pas. Sûrement ! Mais dans la guerre, dans la mêlée, on ne sait pas très bien qui on tue ? Et quand on se tire dessus à distance, on ne sait jamais si c’est la balle de son fusil, ou celle de son camarade qui vient de tuer un ennemi ? »
Il admettait que cela n’avait pas été suffisant pour son petit-fils qui avait insisté : « D’accord papi. Dans un corps-à-corps celui qui reste en vie, ou qui n’est que blessé, a bien tué l’autre ? »
Jérôme était aussitôt intervenu : « Romain, sois gentil, n’embête pas ton grand-père avec ces questions. Tu sais bien qu’à la guerre on se tue. L’Histoire de France est pleine de morts de patriotes et d’ennemis. Ton grand-père est un patriote, officier de l’armée française. Des ennemis lui ont tiré dessus, et tu as beaucoup de chance de le connaître bien vivant. Ta mère, n’a connu ses deux grands-pères que sur des photos. Tu sais bien que tous les deux sont morts, un dans le maquis du Vercors et l’autre dans un camp en Allemagne. »
En détournant ainsi la conversation, Jérôme avait coupé court, et aidé son père en difficulté devant le gamin, comme tous ceux qui étaient allés combattre là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, sans leur avoir demandé leur avis.
Le grand-père parachutiste estime que la curiosité de son petit-fils est légitime. Aussi s’en veut-il de ne pas avoir su lui répondre. Pourtant, de ses petits-enfants, c’était bien lui qu’il connaissait le mieux. Romain était tout comme lui. Tout d’une pièce ! Il allait droit au but. Est-ce parce qu’il lui ressemblait qu’ils s’entendaient si bien ?
Jusqu’à présent, sur sa vie de soldat en Algérie, le quinquagénaire avait seulement répondu à la question, que son fils Jérôme lui avait posée, quand il l’avait amené à Paris pour un entretien professionnel, avant qu’il ne passe un concours administratif, dans le but d’entrer dans la préfectorale. Alors que son fils planchait, il s’était retrouvé, lui, dans un cinéma de la Porte d’Italie, où il avait découvert Sharon Stone dans « Basic Instinct ».
Pour en revenir à ce voyage en voiture de Montpellier à Paris par Lyon, Jérôme avait voulu savoir comment sa mère l’avait rejoint à Alger ? L’ancien para s’était alors laissé aller à lui raconter que, lorsque il avait été promu sous-lieutenant, il avait eu droit à une permission d’une semaine à Alger, et qu’à cette occasion Françoise l’avait rejoint, car elle avait pris la décision de vivre, elle aussi, en Algérie. « Ta mère venait de fêter ses vingt et un ans. Elle avait réussi à obtenir facilement, grâce au père député d’un de ses amis, un rendez-vous avec l’Inspection d’académie, pour un poste de prof d’Anglais dans un lycée. Elle allait donc travailler. C’était en janvier 1960, juste avant que n’éclate l’affaire des barricades, affaire qui avait contrarié ma permission, et qui m’avait obligé de retrouver au plus vite ma compagnie, tandis que ta mère était obligée, à cause des événements, de reprendre le premier avion pour la métropole. »
Au fil des kilomètres, Jérôme lui avait posé d’autres questions sur la guerre. C’est ainsi que le prénom de Leïla lui avait échappé. Et, de fil en aiguille, l’ex-officier avait fini par raconter à son fils qu’en opération dans un douar de la montagne, en milieu d’après-midi, son commando était tombé nez à nez avec cinq ou six bidasses.
« Des appelés dépenaillés d’un régiment d’infanterie, et un capitaine barbu, puant l’alcool, armé comme un bombardier avec quatre grenades à la ceinture, un colt de cowboy et des lunettes noires de pilote d’hélicoptère. Soudain, nous avons entendu des cris de femme que l’on semblait égorger, alors nous nous sommes tous précipités dans la cour d’une petite maison basse. Je suis entré, pistolet au poing dans une pièce sombre, au sol de terre battue, où dans un coin quatre bidasses, le pantalon de leur treillis sur les rangers, ahanaient sur le corps d’une jeune fille prénommée Leïla, qui n’avait pas quatorze ans et des yeux verts, sous sa mèche de cheveux noirs. Leïla au bas-ventre défoncé par des soudards, descendants de Gaulois, inventeurs des Droits de l’Homme. Leïla, que le capitaine des fantassins souhaitait qu’elle se taise à jamais, afin que l’affaire ne fasse pas de vagues… Je me suis interposé, mais le capitaine s’est mis à gueuler : « Bordel de merde le sous-bite ! Ça ne te regarde pas. C’est un ordre ! » Je n’ai pas bougé. Un moment, j’ai soutenu le regard de mon supérieur hiérarchique, un regard d’alcoolo. J’avais toujours mon pistolet d’officier dans ma main, et me suis résolument avancé vers ce capitaine, tout aussi dépenaillé que ses hommes, pour pointer le canon de mon arme sur son estomac. Pour me soutenir, les paras ont fait cercle autour de moi, prêts à en découdre avec les biffins. Le crépitement sec d’une rafale de pistolet mitrailleur, nous rappela brutalement à la réalité de la guerre. Me retournant, je me suis trouvé en face de l’un des violeurs qui venait de vider son chargeur dans le tas de chiffons aux jambes fines et aux cuisses maculées d’un filet de sang et de tâches de sperme… »
Changeant de file pour doubler une semi-remorque d’Alicante, Marc s’était tu. Son fils avait respecté son silence, tout en désirant en savoir plus. Après avoir allumé une cigarette qu’il avait offerte à son père, et avant d’en allumer une pour lui, il avait relancé la conversation : « Et après, que s’est-il passé ? » Il lui avait répondu : « Non. Je ne suis pas un héros. J’ai seulement pointé mon pistolet sur l’assassin qui, surpris, a levé les mains et laissé tomber son arme sur le sol. J’ai fait un pas en avant. L’homme n’a pas bougé. Le capitaine des violeurs s’est jeté sur moi, pour me désarmer. Le coup est parti, et la balle est allée se loger dans la porte de la mechta, où la jeune Algérienne violée baignait dans son sang sur un tas de vieux chiffons et de sacs de ciment mélangés… »
Les yeux humides, il s’était retourné vers son fils bien calé dans le siège passager : « Chaque fois que je revois cette scène, je revois les jambes musclées de l’adolescente, chaque fois je reconnais les visages des cinq porcs en train d’ahaner, en tas, sur elle, chaque fois je revois les boursouflures que les balles ont laissé dans ce corps aux attaches délicates, aux reins cambrées, à la poitrine haut perchée et orgueilleuse, j’ai envie de vomir. Devant les yeux verts de la jeune morte qui semblaient s’emplir des nuages du ciel, j’ai eu honte d’être un garçon éduqué, cultivé. Un catho croyant et pratiquant. J’ai eu honte d’être français. Et j’en ai toujours honte ! Une fois libéré, j’ai raconté cette histoire à plusieurs journaux et hebdomadaires, mais personne n’en a voulu. Il fallait que la France oublie au plus vite la tragédie algérienne. Une réaction typiquement tricolore, celle de l’autruche, la tête dans le sable et les fesses en l’air. » Jérôme, une larme aux cils, avait regardé son père, tandis que Marc poursuivait : « Ce jour-là un reporter de guerre, mon ami Paul Bosc, un ancien d’Indochine, nous accompagnait dans cette opération. Il a filmé la scène. Le film existe. Mais personne n’a eu le courage de le rendre public. Pas une chaîne de télé ! Pas un producteur ! La trouille mon vieux. Il ne faut pas déranger le bourgeois qui sommeille… Et puis, aujourd’hui, c’est trop tard ! Qui parle encore de l’Algérie, mis à part ceux qui dénoncent la gégène… »
Marc met en route la Renault et se dirige vers la station-service. Il repère un CRS à moitié caché par une pompe de gas-oil. Il regrette de ne pas avoir mis sa ceinture pour effectuer les cinquante mètres. Il risque le PV. Il ne souhaite pas prendre de risques. Il s’est fait admonester la veille, lors d’un contrôle inopiné de gendarmerie, qui l’a obligé de changer les pneus, à l’avant, sinon c’était la fourrière et l’amende. Il aime bien : inopiné. Pour vérifier, les motards l’avaient attendu – inopinément – sur le parking de la station-service. Ils avaient vu les pneus. Ils avaient souri avant de porter instinctivement leur main au calot sans savoir que l’automobiliste venait de régler son achat avec un chèque en bois.
Le flic abandonne sa planque. Il le voit traverser la piste. Sûr de lui et de son pouvoir, il se dirige vers un camion. Marc en profite pour vérifier si son pistolet est toujours bien fixé sous le siège du passager, puis pousse la portière d’un coup de genou. Le flic au calot revient. Sous son nez le conducteur de la Renault dévisse le bouchon du réservoir et décroche le pistolet de la pompe.
Il fait le plein de gas-oil avant de gratter le pare-brise à la raclette et à l’éponge, notant que dans le seau de plastique bleu l’eau est noire comme dans toutes les stations. Il soupire que pour se remplir davantage les poches, et celles de leurs actionnaires, les pétroliers ont supprimé tous les garçons de pistes chargés de faire le plein des véhicules. Des employés à qui l’on pouvait demander de nettoyer le pare-brise, de contrôler le niveau d’huile. Les consommateurs n’ont rien dit. Les cons !
Au contraire, tous ont remercié les seigneurs de l’or noir en descendant de voiture pour faire le boulot, et ont même ajouté que c’était plus moderne, voire plus rapide !
Le quinquagénaire reste un long moment les mains sur le volant, avant d’accrocher la ceinture de sécurité. Il s’en veut presque de ne pas avoir fait plus ample connaissance avec Nathalie, la femme aux chevaux et au 4×4 de zèbre, l’amie de Paul Bosc qui, à ses yeux, était dans sa belle quarantaine.
En pensant à Balzac, et à sa femme de trente ans, il se dit qu’elles avaient gagné en cette fin de siècle des dizaines d’années, et que la femme de quarante, ou même de cinquante ans, avait généralement plus de charme que la trentenaire, trop lisse de peau et de sentiments, trop peu sûre d’elle, et de sa beauté, souvent trop timide dans un lit.
Redevenu soudain célibataire au lendemain de son passage devant Madame la juge des affaires matrimoniales, il s’était promis mille folies, mille et une aventures, hors de tout sentiment. Aussitôt, il avait rencontré de nouvelles têtes, croisé d’autres regards. Il avait connu d’autres femmes sans l’ombre d’un sentiment pour maintenir seulement sa condition physique. Au cours de ces premiers mois de célibat il s’était envoyé plus de nénettes qu’en vingt-cinq ans de vie matrimoniale et sexuelle : femmes mûres, même très mûres, bourgeoises et vendeuses, shampouineuses et esthéticiennes, des professionnelles des trottoirs, des routes nationales et des studios, sans oublier celles des cabines antistress, grandes spécialistes du body-body, et autres massages dits énergétiques ou californiens. Des intellectuelles aussi, des amies de sa femme qui attendaient l’occasion depuis longtemps, trop longtemps d’ailleurs, s’il s’en tenait à certains résultats désastreux…
Il n’avait nulle envie d’être à nouveau foudroyé par une Danielle brune, divorcée deux fois, séparée trois fois, mère de deux jeunes filles. Il avait donné. Il avait souffert. Il ne voulait pas se retrouver dans un tel état d’anxiété, ni de soumission, proche de la dépendance. C’est ce qu’il se souhaitait en sachant très bien que nous ne pouvons rien contre ce qu’on appelle le coup de foudre. Comment y résister ? Comment le contourner ?
Il vous arrive droit dessus au moment où vous ne vous y attendez pas. Il vous brûle et vous consume. Seule solution : la fuite ! Encore faut-il en avoir envie ? Il ne voulait plus d’une femme régulière. D’une attitrée ! D’une compagne qui, tous les soirs, à la même heure ou presque, s’allongerait dans son lit, côté droit, l’empêcherait de lire à cause de la lumière de la lampe de chevet. Une qui le dérangerait, ou perturberait son sommeil, quand elle voudrait terminer la lecture d’un long article printanier sur le dernier régime en vogue. Une de celles qui ont toujours froid aux épaules, et qui préfèrent le grand tee-shirt à la chemise de nuit soyeuse et vaporeuse que vous lui avez offerte pour un anniversaire. Et dire qu’à cause de ses toutes nouvelles douleurs dans les épaules vous avez longuement hésité, entre la chemise et la nuisette, devant le sourire goguenard de la grosse vendeuse, style mère maquerelle. Les femmes qui ont toujours les pieds glacés, qui vous réveillent quand vous ronflez. Celles qui ne se jettent dans l’érotisme le plus brûlant qu’après avoir avalé une tisane spéciale, pour un meilleur transit intestinal. Celles aussi qui viennent de se peindre un masque, ou de se brosser un brushing, avec de gros rouleaux, comme une portée de petits hérissons, derrière une rangée de salades.
Quelquefois, vous tendez la main pour toucher une cuisse, une rondeur de fesse. Vous attendez vainement, et rien ne se passe. Juste un ronchonnement qui vous fait comprendre qu’elle dort, qu’elle a une forte migraine, qu’elle doit se lever tôt le lendemain, que l’on n’est pas samedi, ni dimanche.
Et puis, la pire ! Quand le matin elle se précipite hors du lit et de vos premières caresses, pour occuper le chiotte avant vous, car soi-disant votre crotte sent plus mauvais que la sienne !
Il reprend la route et laisse derrière lui l’aire de l’Aveyron alors que des souvenirs affluent. Il y est habitué. Ils arrivent par vagues, au moment où on ne les attend pas. Résultat, sans aucun ménagement, il accuse sa vie, son anticonformisme, ses idées farfelues, sa soif d’aventures pour ne pas vivre étriqué, tout comme un petit bourgeois dans sa boutique, avec pour unique souci, celui de faire de l’argent afin de pouvoir s’offrir une maison de campagne, des voyages organisés avec une étiquette de son tour-opérateur épinglée au col de sa veste pour ne pas se perdre, et de changer tous les ans de voiture, si possible étrangère. Il reconnaît que cela aurait beaucoup plu à sa femme. Manque de pot, ils ne couraient pas dans la même catégorie.
Enervé, il a les mains moites. Il a des gants. Il pourrait les enfiler. Ils sont en pécari de couleur jaune, échancrés sur le dessus, avec une bride et bouton pression. C’est Françoise qui les lui a offerts, avec une petite carte : « Pour mon Marc avec amour ! » Ces gants sont toujours restés dans le vide-poche de la portière droite des voitures que Marc a possédées.
Sa femme lui avait fait ce cadeau de pilote automobile, du temps où elle courait les boutiques avec la carte bleue de l’agence « Circonflexe ». Du temps où le moindre achat créait une sorte de surexcitation magique, surtout durant la traditionnelle période des soldes qui, à son rythme, restait à l’honneur au moins durant six mois de l’année. Pour le moment, les gants jaunes :« Pour mon Marc… Avec amour ! » sont dans le coffre de la Renault…
Pour lui, ces gants étaient destinés au moins à un pilote de Jaguar avant qu’elle ne devienne Ford et se diésélise en break, soit des années après Françoise Sagan, quand elle descendait à Saint-Tropez, par la Nationale 7, ou Roger Vailland qui prenait le volant pour aller aux putes à Lyon, ou aux 24 Heures du Mans.
A l’époque, il en avait fait la remarque à Françoise, en ajoutant qu’il n’était pas un champion automobile. Inapte à l’humour, elle l’avait pris de haut, pour ne pas dire mal : « Et puisque c’est comme ça je ne t’offrirai plus rien ! » Elle avait tenu bon, sans renoncer pourtant à sa course maladive aux chiffons.
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