Le médecin et réalisateur explique d’emblée dans ce livre poignant, que ce qu’il a vécu “ne représente absolument rien par rapport à ce qu’a subi la population, livrée à la cruauté des hommes”. Son récit se veut,
avant tout, un hommage aux victimes du terrorisme.
On ne sort pas indemne de la lecture du récit poignant et ahurissant du docteur Abdallah Aggoune, Blouse blanche, zone grise. Décennie noire, paru en février 2020 chez Koukou Édition. Si Rachid Boudjedra a écrit, Les figuiers de barbarie, sur le vol Alger-Constantine, le Dr Aggoune a rédigé, lui aussi, son témoignage en avion vers la fin 1999 sur le vol Paris-Los Angeles et début 2000 à son retour en capitale française.
Un ouvrage que le natif d’Amaadan dans la commune d’Oued-Ghir, à Béjaïa, n’a pas réussi à relire, tellement il est “hanté par trop de cauchemars dont (il ne voulait) pas raviver le trauma initial”. Assurément, on ne sort pas indemne de ce cauchemar, voire de cet “enfer” qui se poursuit, pour reprendre la préfacière, la psychanalyste Karima Lazali, qui a eu du mal à aller au bout de ce livre pourtant “indispensable” et que l’on pourrait prescrire comme “remède pour tout lecteur survivant à la cruauté sans nom d’une guerre restant encore exclue d’historicisation”.
L’auteur, qui a plus d’une corde à son arc — il est réalisateur de cinéma, il fait du one-man-show — avait été plusieurs décennies durant médecin généraliste à Bougara dans la wilaya de Blida, située à quelque 35 kilomètres d’Alger. Il a choisi de rester auprès des siens pour continuer à les soigner — et le plus souvent sans contrepartie hormis sans doute un sourire ou daawa l’khir comme on dit.
Prières dont il aura bien besoin dans une région, qui fut au milieu des années 1980, le fief du Mouvement islamique armée (MIA) de Mustapha Bouyali, avant de le redevenir à nouveau vers la fin de l’année 1992 et début 1993 à l’instigation des Bouyalistes précisément, à l’instar d’Abdelkader Chebouti ou Méliani Mansouri, lesquels chefs terroristes ne tarderont pas à être supplantés par les Groupes islamiques armés (GIA) d’Abdelhak Ayada.
Bien qu’il n’ait relaté dans son témoignage — qui n’était pas destiné au grand public mais à ses enfants — que quelques faits des tragiques événements qu’il avait vus et vécus durant les années 1990 à Bougara. Son récit se veut avant tout un hommage aux victimes du terrorisme.
Il a expliqué d’emblée que ce qu’il a vécu “ne représente absolument rien par rapport à ce qu’a subi la population, livrée à la cruauté des hommes”. Il avait été épargné par le terrorisme alors qu’il réunissait toutes les “conditions requises” : “À savoir francophone, analphabète en arabe, laïc, berbère, progressiste, fils de chahid et gendre d’un grand homme connu dans le pays pour son militantisme et sa franchise.” Il confessera qu’il n’a jamais été véritablement inquiété.
Même si le GIA a bien tenté de l’emmener pour soigner ses blessés et qu’il subissait quotidiennement des contrôles fastidieux par de vrais ou de faux barrages, il avait continué à se rendre à son cabinet, “chaque jour que Dieu faisait sur des routes entièrement livrées au GIA”. Et d’ajouter : “Si je l’ai fait, ce n’est pas par stoïcisme mais par devoir professionnel.” En vérité, il considérait qu’il était de son “devoir de rester avec tous ceux qui n’ont pas eu les moyens de partir et qui ont dû subir l’injustice et la férocité des services de sécurité et du GIA”.
En relatant les tragiques événements qu’a vécus la région, les embuscades, le racket de la population, les fatwas du GIA, les enlèvements, notamment des jeunes filles parfois à peine pubères, les explosions, les cadavres piégés, les premiers massacres collectifs, la concorde civile, le Dr Abdallah Aggoune vivra dans sa chair un événement spectaculaire, le détournement de l’Airbus d’Air France le 23 décembre 1994 par des terroristes du GIA, alors qu’il était en France.
Sa fille, Faïna, était à son bord. Mais elle sera débarquée à Paris ainsi que les autres enfants avant que l’avion ne se dirige sur l’aéroport Marignac à Marseille où une équipe du GIGN français allait intervenir. Un livre à lire et à relire. Le lecteur sera doublement capté.
Par M. OUYOUGOUTE
le 09-08-2020 10:30
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